Rouletabille chez Krupp
251 pages
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Description

Gaston Leroux (1868-1927)



"Quand le caporal Rouletabille débarqua sur le coup de 5 heures du soir à la gare de l’Est, il portait encore sur lui la boue de la tranchée. Et il s’efforçait plus vainement que jamais non point de se débarrasser d’une glaise glorieuse qui ne le préoccupait guère, mais de deviner par quel sortilège il avait été soudain arraché à ses devoirs multiples de chef d’escouade, en plein boyau avancé, devant Verdun.


Il avait reçu l’ordre de gagner Paris au plus vite et, sitôt dans la capitale, de se rendre à son journal : l’Époque. Toute cette affaire lui apparaissait non seulement bien mystérieuse, mais encore si « antimilitaire », qu’il n’y comprenait goutte.


Tout de même, si pressé qu’il fût de connaître la raison de son singulier voyage, le reporter était heureux de marcher un peu, après les longues heures passées dans le train.


Depuis le commencement de la guerre, c’était la première fois qu’il revoyait Paris. On était à la mi-septembre. La journée avait été belle. Sous les rayons obliques du soleil, les feuillages du boulevard de Strasbourg et du boulevard Magenta se doraient, s’enflammaient, glissaient leur double coulée rousse vers le cœur de Paris. Le mouvement de la ville, là-dessous, était plein de lumière et de tranquillité... comme avant ! comme avant !... Le jeune reporter en recevait une joie infinie.


D’autres, avant lui, étaient revenus et avaient montré une peine égoïste de revoir la ville dans sa splendeur sereine d’avant-guerre, à quelques kilomètres des tranchées. Ceux-là auraient voulu lui trouver un visage de souffrance en rapport avec leurs inquiétudes à eux, leurs angoisses, leur sacrifice. Rouletabille, lui, en concevait un singulier orgueil. « C’est parce que je suis là-bas, se disait-il, qu’ils sont comme cela, ici ! Eh bien, ça fait plaisir, au moins ! Ils ont confiance ! »


Et il se redressait dans sa crotte, dans ses vêtements boueux."



Le célèbre reporter Rouletabille est rappelé du front. Le gouvernement français veut lui confier une mission de la plus haute importance : pénétrer secrètement en Allemagne afin de délivrer un savant, sa fille et le fiancé de celle-ci, kidnappés par l'ennemi. S'il échoue, Paris sera entièrement détruite...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782374634111
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Rouletabille chez Krupp
Gaston Leroux
Juillet 2019
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-397463-411-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 412
I
Le caporal Rouletabille
Quand le caporal Rouletabille débarqua sur le coup de 5 heures du soir à la gare de l’Est, il portait encore sur lui la boue de la t ranchée. Et il s’efforçait plus vainement que jamais non point de se débarrasser d’ une glaise glorieuse qui ne le préoccupait guère, mais de deviner par quel sortilè ge il avait été soudain arraché à ses devoirs multiples de chef d’escouade, en plein boyau avancé, devant Verdun.
Il avait reçu l’ordre de gagner Paris au plus vite et, sitôt dans la capitale, de se rendre à son journal : l’Époque.Toute cette affaire lui apparaissait non seulement bien mystérieuse, mais encore si « antimilitaire », qu’il n’y comprenait goutte. Tout de même, si pressé qu’il fût de connaître la r aison de son singulier voyage, le reporter était heureux de marcher un peu, après les longues heures passées dans le train. Depuis le commencement de la guerre, c’était la pre mière fois qu’il revoyait Paris. On était à la mi-septembre. La journée avait été be lle. Sous les rayons obliques du soleil, les feuillages du boulevard de Strasbourg e t du boulevard Magenta se doraient, s’enflammaient, glissaient leur double co ulée rousse vers le cœur de Paris. Le mouvement de la ville, là-dessous, était plein de lumière et detranquillité... comme avant ! comme avant !... Le jeune reporter en recevait une joie infinie.
D’autres, avant lui, étaient revenus et avaient mon tré une peine égoïste de revoir la ville dans sa splendeur sereine d’avant-guerre, à quelques kilomètres des tranchées. Ceux-là auraient voulu lui trouver un vi sage de souffrance en rapport avec leurs inquiétudes à eux, leurs angoisses, leur sacrifice. Rouletabille, lui, en concevait un singulier orgueil. « C’est parce que j e suis là-bas, se disait-il, qu’ils sont comme cela, ici ! Eh bien, ça fait plaisir, au moins ! Ils ont confiance ! »
Et il se redressait dans sa crotte, dans ses vêteme nts boueux.
On ne le regardait même pas.
Et l’on ne regardait pas davantage tous les poilus qui descendaient le boulevard de Strasbourg, revenant du front en trimbalant auto ur d’eux tout un fourbi de guerre tintinnabulant ; pas plus que l’on ne prêtait atten tion à ceux qui remontaient vers la gare de l’Est, la permission achevée, prêts à aller reprendre leur faction mortelle, derrière laquelle la ville avait retrouvé sa respiration, le rythme puissant et calme de sa vie de reine du monde.
Au coin des grands boulevards, Rouletabille, un ins tant, s’arrêta, se souvenant des tumultes affreux, des scènes d’apaches qui avai ent désolé tout ce coin de Paris, dans les derniers jours de juillet 1914 quan d une population énervée croyait voir des espions partout, et que quelques voyous se ruaient à de furieuses mises à sac.
Maintenant, sur les terrasses, autour des tables co rrectement alignées, des groupes paisibles, après le travail du jour, prenai ent l’apéritif dans la douceur du soir... « C’est épatant ! faisait Rouletabille, c’e st épatant !... et, comme dit Clemenceau, les Allemands sont à Noyon ! » Soudain, il se rappela qu’il n’était pas venu à Par is pour perdre son temps en
aperçus plus ou moins philosophiques. Il hâta le pa s vers son journal, et bientôt il franchissait le seuil du grand hall de l’Époque. « ... Rouletabille ! Rouletabille !... » Avec quell e joie on l’accueillait toujours dans cette vieille maison où il ne comptait que des cama rades ! Hélas ! quelques-uns étaient déjà restés sur les champs de bataille, et la liste des héroïques victimes s’allongeait sur le livre d’or orgueilleusement ouv ert dans le hall même, à l’ombre du fameux groupe de Mercier :Gloria victis !
Ceux que l’âge ou les infirmités avaient retenus da ns les salles de rédaction en sortaient pour venir embrasser Rouletabille ou lui serrer la main. On le félicitait. On lui trouvait une mine superbe sous sa carapace de b oue. C’est tout juste si on ne lui disait pas que « la guerre lui avait fait du bien » ! Cependant, un vieux serviteur, à la poitrine toute chamarrée de médailles, avertissait déjà le jeune homme que le patron le de mandait... Le reporter fut introduit tout de suite dans le bureau de la direction. Ce ne fut pas sans une certaine émotion que Rouleta bille pénétra dans cette pièce où il allait certainement apprendre la raison , peut-être redoutable, pour laquelle on l’avait fait voyager d’une façon aussi inattendue... Les portes avaient été refermées. Le patron était s eul.
Cet homme avait toujours eu pour Rouletabille une g rande amitié. Il le considérait un peu comme l’enfant de la maison. À l’ordinaire, quand il le revoyait après une longue absence ou après un reportage sensationnel, il l’accueillait avec de joyeuses paroles. Pourquoi cette longue pression de main ?.. . Qu’y avait-il ? Que signifiait cette sorte de solennité à laquelle Rouletabille n’ était pas accoutumé ?...
Le reporter examina brusquement son état d’âme :
« Patron, vous me faites peur !
– Ça n’est pourtant pas le moment d’avoir peur de q uelqu’un ou de quelque chose, mon ami, et lorsque je vous aurai dit pourqu oio nvous a fait venir, vous serez tout à fait de mon avis !... – Vous allez donc me demander une chose bien terrib le ?... – Oui !...
– Parlez, monsieur ! Je vous écoute. » À ce moment, la sonnerie du téléphone se fit entend re et le directeur décrocha l’appareil placé sur son bureau. « Allô ! allô !... Ah ! très bien ! c’est vous, mon cher ministre ?... Oui !... il est là !... en bonne santé, parfaitement ! Non, je ne lui ai en core rien dit !... Il sait seulement qu’il a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de n e pas revenir de sa mission, voilà tout !... Qu’est-ce qu’il dit ?... Mais rien !... B ien sûr qu’il accepte !... Si je crois toujours ?... Mais bien sûr que je crois !... Il n’ y a que lui qui puisse nous tirer de là !... Allô ! allô ! c’est toujours entendu pour c e soir ?... Bien ! bien !... Hein ? Cromer est arrivé de Londres ? Eh bien, qu’est-ce q u’il dit ? Allô !... Hein !... Effrayant !... Bien !... bien !... parfait !... oui, cela vaut mieux ainsi !... À ce soir ! »
Le directeur raccrocha l’appareil :
« Vous avez entendu, nous avons parlé de vous !...
– Avec quel ministre ? demanda Rouletabille. – Vous le saurez ce soir, car nous avons rendez-vou s avec lui, à 10 heures et
demie... – Où ?...
– Au ministère de l’Intérieur, où se réuniront égal ement certains autres grands personnages...
– Ah çà ! mais c’est un vrai conseil de cabinet ?...
– Oui, Rouletabille, oui, un conseil de cabinet, ma is un conseil si secret qu’il doit rester ignoré de tous ceux qui n’y auront pas pris part ; un conseil où vous apprendrez ce que l’on espère de vous, mon jeune am i ! En attendant...
– En attendant, je vais aller prendre un bain ! déc lara Rouletabille, tout à fait enchanté de la couleur extraordinaire des événements... – Allez prendre un bain et revenez-nous frais et di spos. Nous avons besoin de toutes vos forces, Rouletabille, de tout votre cour age et de toute votre intelligence !... » Le jeune homme était déjà sur le pas de la porte. M ais la voix de son chef avait pris tout à coup une valeur si singulière pour pron oncer les dernières paroles qu’il se retourna. Il vit le patron de plus en plus ému :
« Ah çà ! mais patron ! jamais je ne vous ai vu dan s un état pareil !... Vous, ordinairement si calme. De quoi, mon Dieu ! peut-il bien s’agir !... » Alors le directeur lui reprit les deux mains et, pe nché sur son reporter, le fixant dans les yeux : «Ils’agit tout simplement de sauver Paris !...mon petit ami !... Vous entendez, Rouletabille !...Sauver Paris !...Et maintenant, à ce soir, 10 heures et demie !... »
II
Conseil de cabinet secret
Le reporter disparut dans un ascenseur, se sauva pa r un escalier de service. Il voulait être seul. Il avait besoin de réfléchir. En fin, il contenait difficilement sa joie.
Depuis le commencement de la guerre, il avait, comm e tant d’autres, rempli obscurément son devoir, risqué cent fois sa vie dan s une besogne anonyme de défense nationale qui était pleine de grandeur, cer tes ! mais qu’il eût voulue plus... disons le mot qui était au fond de la pensée du rep orter, « plus amusante ».
Combien de fois n’avait-il pas désiré que l’on fit appel à ses dons d’initiative, d’invention, pour remplir quelque mission exception nellement difficile à laquelle il se fût donné de toute son âme, de toute son imaginatio n !
Eh bien ! aujourd’hui, il était servi ! On le faisa it venirpour sauver Paris !... Les plus hauts personnages de l’État attendaient le cap oral Rouletabillepour sauver Paris !...simplement !... Ah çà ! mais qu’est-ce que ce  Tout la signifiait :sauver Paris ?... C’étaient ces deux mots-là qui le bousculaient, l’a veuglaient, l’empêchaient de comprendre quoi que ce fût à une aussi prodigieuse aventure !... Il savait bien, lui qui revenait des tranchées, queles autresne passeraient plus !... Et avec lui tout le monde le savait aussi !... Et e ussent-ils pu passer qu’il ne pouvait avoir la prétention de les arrêter à lui tout seul !... Et cependant, il résultait bien de la conversation qu’il venait d’avoir avec son patron q ue c’était lui qui allait sauver Paris !... que l’on comptait sur lui pour sauver Pa ris ! Alors ? alors ? alors ?... « Mince alors ! » jeta-t-il tout haut sur le boulev ard qu’il était en train de traverser pour se jeter dans une auto qui le conduisit au ham mam... ... Une heure plus tard, quand il sortit de là, apr ès un furieux exercice hygiénique et de solides massages, il se retrouva très calme, très maître de lui, prêt à tous les événements, paré pour toutes les aventures. Il dîna dans un discret restaurant des Champs-Élysées, dans l’ombre d’un bosquet, seul ave c sa pensée et avec son impatience qu’il travaillait à maîtriser. Il eût vo ulu montrer aux plus hauts personnages un Rouletabille de marbre que rien ne p ouvait émouvoir.
À 10 heures, il franchissait la grille de la place Beauvau. Il était introduit tout de suite dans le bureau du chef de cabinet, où se trou vait déjà le directeur de l’Époque. « On est allé prévenir le ministre », lui dit le pa tron en lui serrant la main, et tous deux restèrent assis en face l’un de l’autre, en si lence... Soudain, une porte s’ouvre. Un huissier fait passer ces messieurs dans le bureau du ministre. Un haut personnage est là que Rouletab ille reconnaît. Politesses.
« Ça va chez les poilus ? – Ça va ! – Asseyez-vous donc, je vous en prie... » Arrivée d’un second haut personnage, présentation d e Rouletabille. « Enchanté de faire votre connaissance, jeune homme . Votre directeur nous a dit
qu’on pouvait vous demander des choses impossibles. Nous allons voir... »
Rouletabille n’a pas le temps de répondre. Un trois ième haut personnage fait son entrée. C’est à celui-ci que le directeur de l’É p o q u etéléphonait tantôt devant Rouletabille.
Tous demandent :
« Eh bien, vous avez vu Cromer ?
– Cromer, répond le dernier arrivé, doit être là-ha ut ; je lui ai donné rendez-vous à 10 heures et demie. Ce qu’il raconte est effrayant !... » Encore une porte qui s’ouvre, et le directeur de la Sûreté générale est annoncé. « Messieurs, fait-il en entrant, j’ai tout mon mond e là-haut. Si vous voulez monter, je suis à votre disposition !... »
Ainsi, c’est à la Sûreté générale que l’on va : ce conseil extraordinaire, on n’a pas voulu le tenir au ministère même, mais dans un endroit plus discret, plus fermé. Par des escaliers intérieurs, par des corridors don t Rouletabille connaît bien le labyrinthe, on se rend au cabinet même du chef de l a Sûreté générale. Dans le petit vestibule qui précède les bureaux, un homme à figure énergique, face entièrement rasée, type d’Anglo-Saxon, attend debout, les bras croisés, cependant qu’au fond d’un fauteuil une vieille hono rable dame à bonnet noir montre une figure pleine d’angoisse et empreinte d’une tri stesse infinie. Les hauts personnages saluent.
L’un d’eux va à l’homme.
« Mr Cromer, voulez-vous entrer avec nous, je vous prie ?... » La vieille dame n’a pas bougé. Elle reste seule dan s le vestibule, avec l’huissier qui referme sur les autres la porte du bureau de so n chef. Dans le bureau, tous se sont assis. Nous avons désigné avec une discrétion nécessaire l es hauts personnages qui sont réunis là par les soins du directeur de la Sûr eté générale. Et pour préciser leur individualité, nous userons des termes mêmes dont s e servait Rouletabille quand il avait à rappeler dans ses notes le rôle que chacun assuma dans cette mystérieuse séance.
D’abord, il y avait celui que tous appelaient « mon sieur le Président » et quelquefois « monsieur le Premier », expression don t on se sert à la fois pour adresser la parole au Premier ministre, président d u Conseil, et aussi au président de la cour d’appel de Paris.
Le second haut personnage, celui-là même qui avait introduit Mr Cromer, se distinguait par un énorme binocle à garniture d’éca ille qui lui mettait deux véritables hublots sur sa face glabre, chaque fois qu’il avait à lire quelque feuille ou qu’il trouvait intéressant d’étudier les jeux de physiono mie de son interlocuteur. Rouletabille, en parlant de lui, disait « le Binocl e d’écaille ».
Enfin, le troisième ne cessait de fumer des cigares énormes dont il avait une profusion dans un portefeuille grand comme une peti te valise. Rouletabille l’avait surnommé depuis longtemps déjà « le Bureau de tabac ».
En entrant, le reporter s’était glissé dans un coin obscur d’où il pouvait tout voir et où il espérait se faire oublier. « Faut-il introduire Nourry ? » demanda d’abord le chef de la Sûreté. Mais le
Binocle d’écaille, sortant des papiers de son maroq uin : « Non, pas encore ! je vais vous lire la lettre de Fulber que le Service des inventions a retrouvée !... – Vous m’avouerez, mon cher ami, qu’il est tout de même incroyable que le Service ait pu égarer une pièce pareille ! fait alo rs entendre celui que l’on appelle le Président. – Ces messieurs du Service vous répondront, répliqu a le Binocle, qu’ils en reçoivent une centaine dans le même genre tous les mois. Elles sont toutes classées, du reste. On a fini par retrouver la miss ive de Fulber dans la quantité de celles qui sont mises au rebut comme ayant été écri tes par des fous ! »
À l’exception de Rouletabille, tous ceux qui étaien t là s’exclamèrent, et le directeur de l’Époquetout particulièrement.
« Mais Fulber n’était pourtant pas le premier venu ! fit-il. Ses travaux sur les vertus curatives du radium commençaient à faire sensation quelques mois avant la guerre.
– Bah ! il ne faut rien exagérer, répliqua le Binoc le d’écaille. Rappelons-nous que, déjà à cette époque, la science officielle traitait Fulber de poète et de rêveur ! Et puisque vous vous souvenez de la prétention qu’il a vait émise, de guérir un jour, avec son radium, tous les maux de l’humanité, jugez de l’étonnement de ces messieurs des inventions en recevant une lettre dan s laquelle le même inventeur affirmait avoir trouvé le moyen de détruire en cinq sec une portion convenable de cette même humanité !... Je vous fais juge ; je lis : » À Monsieur le..., etc. Monsieur le..., etc. » J’ai l’honneur de vous faire savoir que je suis à même de mettre à la disposition du bureau des inventions les plans d’une machine in fernale susceptible de détruire en quelques minutes une ville de l’importance de Be rlin, et cela sans sortir de nos frontières. Veuillez me croire, Monsieur le Ministre, votre très dévoué serviteur. « THÉODORE FULBER »
III
Les tribulations d’un inventeur
« Eh bien, vous m’avouerez, fit le Binocle d’écaill e en replaçant la singulière lettre dans son portefeuille, que l’on est fort excusable après la lecture d’un pareil document, de le croire émané d’un cerveau malade ! Que voulez-vous ? Il a beau être signé THÉODORE FULBER, la tranquille simplicité avec laquelle ce savant, qui a toujours passé pour un peu excentrique, nous anno nce qu’il tient à notre disposition la destruction de Berlin, aurait inclin é les moins prévenus à émettre de fâcheux pronostics sur le prochain avenir d’une aus si belle intelligence... »
C’est alors que l’on entendit pour la première fois la voix de Mr Cromer.
Ce personnage parlait français avec un accent d’out re-Manche très accentué : Il s’exprimait difficilement mais avec force ; et quan d il avait trouvé le terme dont il avait besoin, il le lançait contre son interlocuteu r avec une brutalité qui semblait destinée à anéantir toute velléité de discussion ou de controverse.
« Pardon ! Vos Excellences ? Il faut savoâr que Thé odore Foulber n’a pas reçou même oune réponse dé rien di toute !...Indeed !cela n’être pas assez, je dis !...I say !le pauvre vieux savant a été traité chez vous comme un pétite joune homme à son première expérience de la physique. Je dis les inventeurs chez vous, ils sont très forts mais toujours regardés comme très fous,yes ! I say !Il existe certainement, j’avoue, des établissements de recher ches tels Collège de la France et la Muséum, mais en dehors de cela officiel, rien ne di toute,No !Et en dehors de Pastor Institutepour biologiques travails, rienne di toute pour aut res inventions.No ! I say !Mais, en Allemagne, existe uneinstitutepour recherches générales, très bien doté de grosse argent et très intéressé par l’emper eur,yes !En Amérique, en Angleterre, de très généroux milliardaires ils ont créé des institutes pour recherches ! Et tous vos inventeurs s’en allaient d ans la Angleterre ou Amérique.I say !Carrel, Français à l’InstituteRockfeller américain et aussi, ils vont, avant la guerre, enrichir l’Allemagnebec aus eles brivets sont garantis par gouvernement allemand,yes ! »
Sous ce débordement de phrases roides, tout le mond e avait d’abord baissé la tête, mais le Président ayant fait un geste d’impat ience, le Binocle d’écaille osa interrompre le terrible Mr Cromer : « Je crois qu’il est un peu tard pour nous attarder à des critiques, peut-être très justes... Yes !...je critique !I begpardon !... c’est pour critique que je suis vénou ! En France, à Paris,Isay :les inventeurs sont comme petits enfants abandonnés sur le chemin de la science ! Théodore Foulber m’a écrit c ela, et alors moa, j’ai lu sa lettre à moninstitute !j’ai vou enmoa, j’ai répondu ! Et alors il est vénou... et moa écoutant loui combien cela qu’il disait était sério us etterribeule !... »
Le Président interrompit encore l’Anglais : « Procédons par ordre ! avant d’aller trouver Mr Cr omer, Fulber ne s’était-il pas adressé à M. le directeur de l’Époque ? n ce qui me concerne, j’ai faitC’est exact ! répliqua immédiatement celui-ci, et e
comme devait faire Mr Cromer : j’ai prié Fulber de venir chez moi et je l’ai questionné et j’ai trouvé que tout ce qu’il me disa it était moins ridicule que terribeule,comme dit Mr Cromer, si bien que je l’ai invité à d îner le soir même avec le général D...
– Le général D... est à Salonique, fit entendre le Binocle d’écaille. J’ai eu l’occasion de le voir quelques jours avant son dépa rt. Il ne m’a parlé de rien qui pût se rapporter à Fulber...
– Il est probable qu’il l’avait déjà oublié ! émit le directeur de l’Époque. Fulber n’avait donc pas produit une grande sensatio n sur lui ? demanda le Bureau de tabac. – Tous les détails de ce dîner sont parfaitement re stés dans ma mémoire, répondit le directeur de l’Époque. onnaître, monsieur ! exprima leVous seriez tout à fait aimable de nous les faire c Président. – Eh bien, ce soir-là, dès le potage, Fulber, sans nous dévoiler son secret, naturellement, nous entretint de la puissance formi dable de son engin... et je me rappelle qu’il ne parlait pas depuis plus de cinq m inutes que déjà le général D... s’écriait : « Mais c’est une histoire de Jules Vern e que vous nous racontez là, mon cher savant... Je l’ai lue quand j’étais au collège : cela s’appelleLes cinq cents millions de la Bégum !...Attendez ! voici le sujet dont je me souviens très bien : un Fritz de ce temps-là avait fabriqué un canon prodig ieux qui envoyait sur une cité construite en Amérique par des Français un projecti le naturellement colossal et capable de tout anéantir en quelques minutes !... » « Le général D..., pour dire cela, avait pris un to n si parfaitement ironique que je crus devoir intervenir. « – Mon cher général, interrompis-je, nous vivons à une époque où toutes les imaginations de Jules Verne, sur la terre, dans les airs et sous les eaux, se réalisent si bien et si complètement, qu’il ne faudrait point s’étonner que celle-ci finît par entrer comme les autres dans le domaine de la réali té ! « Pendant que je parlais ainsi, Fulber, qui était a ssis en face de nous, nous fixait, le général et moi, avec une expression de mépris in commensurable. « – Si imaginatif qu’ait été Jules Verne, s’exclama -t-il, il n’eût jamaisosé rêverce que la science actuelle est susceptible dematérialiser.Dans mon affaire à moi, il ne s’agit pas d’un obus, mais d’une torpille. Et d’une torpille qu’aucun canon au monde ne pourrait contenir et qu’aucune charge d’explosif connue ne pourrait envoyer bien loin ! Ma torpille est plus grande que leTitanic ! Entendez-vous, je dis plus grande que leTitanic !d’une vitesse dea trois cents mètres de long. Elle est douée  Elle quatre cents kilomètres à l’heure ! rien ne saurait l’arrêter ! Elle ruine tout, brûle tout, anéantit tout, dans un cercle de plusieurs lieues ! On ne peut rien contre elle, une fois lancée ! Rien au monde n’est capable de l’empê cher d’atteindre exactement son but, ni d’éclater à l’heure fixée et à l’endroi t fixé ! Elle s’appelleTitania !...
« Je ne sais si vous avez vu quelquefois Théodore F ulber, continua le directeur de l’Époque.Il a des yeux d’une clarté, d’une pureté enfantines , une figure de petit ange inspiré, dans un cadre farouche de mèches blan ches qui se tordent comme des flammes autour de son front phénoménal !... et le tout constitue un mélange des plus curieux qui étonne et inquiète.
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