Quelques aspects du vertige mondial
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Description

Pierre Loti (1850-1923)



"Février 1917.


Dans ces dessins d’enfantine cosmographie qui, au temps des premiers Pharaons, se faisaient à Memphis, le ciel était figuré par une voûte sphérique à laquelle des fils suspendaient les étoiles, et, sous les différents pays de la terre, naïvement tracés en couleurs, une partie ombrée en noir, qui descendait jusqu’au bas de la feuille de papyrus, s’appelait : base du monde. Au fond de leurs esprits dégagés plus fraîchement que les nôtres de la matière originelle, ne se demandaient-ils pas déjà, ces hommes aux intuitions merveilleuses, ne se demandaient-ils pas ce qu’il pouvait bien y avoir plus haut, plus haut, au-dessus de la voûte bleue où les étoiles s’accrochaient ? L’infini, l’inconcevable infini dont nos âmes sont maintenant obsédées, est-ce qu’ils commençaient d’en pressentir l’épouvante ?


Et, pour eux, sur quelle autre chose, plus stable encore, cette base du monde posait-elle ? Est-ce qu’il leur venait à l’idée de se demander : En dessous, encore plus en dessous, que trouverait-on bien ? Alors, toujours, toujours, des couches plus profondes, se soutenant les unes les autres ? Et ainsi de suite indéfiniment ? Ou bien, qui sait... du vide ? Mais alors, comment ces bases tiendraient-elles, car le vide, c’est du néant où tout tombe ?..."



Recueil de chroniques paru en 1917.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374636788
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Quelques aspects du vertige mondial


Pierre Loti


Mai 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-678-8
Couverture : pastel de STEPH’
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 678
Vertige

Février 1917.
Dans ces dessins d’enfantine cosmographie qui, au temps des premiers Pharaons, se faisaient à Memphis, le ciel était figuré par une voûte sphérique à laquelle des fils suspendaient les étoiles, et, sous les différents pays de la terre, naïvement tracés en couleurs, une partie ombrée en noir, qui descendait jusqu’au bas de la feuille de papyrus, s’appelait : base du monde . Au fond de leurs esprits dégagés plus fraîchement que les nôtres de la matière originelle, ne se demandaient-ils pas déjà, ces hommes aux intuitions merveilleuses, ne se demandaient-ils pas ce qu’il pouvait bien y avoir plus haut, plus haut, au-dessus de la voûte bleue où les étoiles s’accrochaient ? L’infini, l’inconcevable infini dont nos âmes sont maintenant obsédées, est-ce qu’ils commençaient d’en pressentir l’épouvante ?
Et, pour eux, sur quelle autre chose, plus stable encore, cette base du monde posait-elle ? Est-ce qu’il leur venait à l’idée de se demander : En dessous, encore plus en dessous, que trouverait-on bien ? Alors, toujours, toujours, des couches plus profondes, se soutenant les unes les autres ? Et ainsi de suite indéfiniment ? Ou bien, qui sait... du vide ? Mais alors, comment ces bases tiendraient-elles, car le vide, c’est du néant où tout tombe ?...
Hélas ! oui, à présent, nous le savons, nous que la Connaissance a déséquilibrés, nous le savons, qu’en dessous c’est le vide, le vide auquel il faut toujours logiquement et inexorablement aboutir, le vide qui est souverain de tout, le vide où tout tombe et où vertigineusement nous tombons sans espoir d’arrêt. Et, à certaines heures, si l’on s’y appesantit, cela devient presque une angoisse de se dire que jamais, jamais, ni nous-mêmes, ni nos restes, ni notre finale poussière, nous ne pourrons reposer en paix sur quelque chose de stable, parce que la stabilité n’existe nulle part et que nous sommes condamnés, après comme pendant la vie, à toujours rouler éperdument dans le vide où il fait noir. S’accélère-t-elle, notre chute, comme c’est la loi pour toutes les autres chutes appréciables à nos sens ? Ou bien est-ce que, à travers les espaces auxquels on tremble de penser, la folle vitesse de notre soleil demeure constante ? Nous n’en savons rien, et n’en pourrons rien savoir jamais, puisqu’il n’existe et ne peut exister nulle part aucun point de repère qui ne soit en plein vertige de mouvement, puisque cette vitesse, qui déjà nous fait peur, nous ne pouvons l’évaluer que d’une façon relative, par rapport à celle d’autres pauvres petites choses, – d’autres soleils, – qui tombent aussi... Et puis, comble d’effroi, tout le cosmos qui, aux yeux d’observateurs insuffisamment avertis, semble admirable par sa ponctualité d’horloge permettant de calculer, des siècles à l’avance, la minute précise d’un passage ou d’une éclipse, ce cosmos n’est au contraire que désordre, tohu-bohu d’astres, chaos insensé, frénésie de heurts et de mutuelles destructions... Dans un étang aux surfaces immobiles, si nous jetons une pierre, nous voyons pendant quelques secondes des cercles concentriques se former, semblables à des orbites de planètes, et se développer et se suivre avec une régularité absolue, jusqu’à épuisement de l’impulsion initiale, ou bien jusqu’à l’instant où une autre pierre lancée viendra brouiller l’harmonie de ces courbes parfaites. Eh bien ! mais il en va de même pour ces exactitudes célestes, devant quoi les non-initiés s’extasient (1) ; pendant quelques milliards d’années, – qui sont comme les secondes du temps éternel, – dans chaque groupe stellaire, à partir de l’instant où la secousse initiale l’a mis en mouvement, tout continuera bien en effet à tourbillonner suivant les lois de la gravitation, – lois trop effarantes du reste pour notre raison humaine, effarantes par le seul fait qu’elles existent et que rien ne pourrait faire qu’elles n’existent pas . Et cela durera, chronométriquement, si l’on peut dire ainsi, jusqu’à l’heure inéluctable du choc contre un autre groupe en marche affolée, ou contre quelqu’un de ces monstrueux astres morts qui roulent, obscurs, dans le vide obscur.
Heureux les simples qui ignorent tout cela ! Heureux les légers ou les très sages qui peuvent vivre sans y trop penser !... Or, ces redoutables aperçus des cosmogonies, que la prudence commandait de cacher, comme les formules des explosifs, dans des arches hermétiquement fermées, nous les divulguons déjà aux enfants de nos écoles primaires, où ils concourent pour leur part au déséquilibrement des générations nouvelles !
Pauvre petite science humaine, qui nous a bien appris que non seulement les astres tombent, mais qu’en outre il a fallu qu’ils fussent lancés ! Elle nous a presque fait connaître aussi comment a dû s’effectuer le lancement de notre Terre infime ; mais elle ne nous apprendra jamais, jamais, pourquoi, comment et par qui fut lancé notre soleil (2) , – et lancé avec ce mouvement de giration que, plus tard, nous-mêmes, arrivés au summum de ce qu’on appelle progrès, nous avons fini par savoir donner à nos obus, pour en augmenter la vitesse meurtrière.
Ce soleil, quel foyer d’épouvante, dès que l’on songe à lui ! Où, quand, et surtout pourquoi s’est allumée cette gigantesque tempête de feu, qui mettra des milliards de siècles à s’éteindre, et qui, à force de rouler, de rouler depuis des temps inconcevables, a parachevé sa forme ronde ? Et sommes-nous donc forcés d’admettre, hélas ! qu’il soit un réservoir complet de tout ce qu’il faut pour donner naissance plus tard à d’autres planètes encore, avec leurs parasites de tout poil et de toute plume, avec les criminels et les martyrs qui les habiteront ? Admettre, comme une logique superficielle semble l’indiquer, qu’il y ait là-dedans de la matière première de tout, matière première d’organismes humains, matière première d’âmes, de douleurs, même de tendresse, de pitié et de prière ?
Et qui les dirigera, ces créations futures, à la surface de ces planètes qui vraisemblablement, dans les temps imprécis, jailliront sous formes de bulles gazeuses incendiaires et mettront sans doute, pour se refroidir, quelque quatre ou cinq cents millions d’années ; qui les dirigera, sera-ce Celui qui a déjà présidé à la nôtre ? Se feront-elles par tâtonnements comme sur la Terre, ou bien leur créateur aura-t-il bénéficié d’expériences précédentes et réussira-t-il du premier coup ?... Car c’est là un mystère plus insondable que tous les autres, ces tâtonnements si visibles, si indéniables, opérés sur notre planète, minuscule pourtant et de bien mesquine importance, comme si ce créateur-là nous avait été spécial , comme s’il ne s’était plus nullement souvenu d’ avoir déjà créé autre part dans des mondes évanouis au fond des abîmes du passé ?... (Oh ! tout cet infini antérieur , dont la raison nous oblige d’admettre l’existence comme un axiome, rien qu’en y songeant nous perdons pied ! Que la matière et le temps n’aient jamais commencé, n’est-ce pas mille fois plus inconcevable encore pour nos frêles esprits, que leur impossibilité de finir ?) Ces tâtonnements, qui sembleraient prouver que la création terrestre fut une œuvre de début, la paléontologie nous en fournit de plus en plus la preuve, aujourd’hui qu’elle achève de reconnaître et de classer toutes les faunes primitives ; on ne peut nier que le créateur ait longtemps cherché sa voie, dans ces innombrables ébauches d’êtres tout de férocité et de hideur dont beaucoup n’étaient pas même viables : têtes trop grosses et trop lourdes, que la charpente n’avait pas la force de supporter ; ou bien, têtes si petites que les mâchoires devaient nuit et jour, sans trêve, broyer des aliments, sous peine de laisser mourir le trop énorme corps... Et avant de réaliser l’idée du vol, l’idée de l’oiseau, n’a-t-il pas fallu des essais qui ont duré des millénaires (3) ?...
À côté de ce pénible effort qui dénote presque une incompétence, viennent prendre place des faits plus mesquins, qui déroutent notre admiration pour le créateur des organismes matériels . Ainsi, dans ce tout petit monde affreusement inquiétant, qui nous a été révélé depuis un demi-siècle à peine par H. Fabre, dans le monde des insectes, ce créateur aux fantaisies illimitées n’a-t-il pas imaginé des complications saugrenues et gênantes, des structures ridicules, des perversités infernales, et, pour ne citer que les délirantes amours de l’araignée, des mœurs horriblement sadiques dont nous restons épouvantés. On connaît, entre

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