Pierre qui roule
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Pierre qui roule , livre ebook

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Description

George Sand (1804-1876)



"J’étais en tournée d’inspection des finances dans la petite ville d’Arvers, en Auvergne, et j’étais logé depuis deux jours à l’hôtel du Grand Monarque. Quel grand monarque ? et pourquoi cette enseigne classique, si répandue encore dans les villes arriérées ? Est-ce une tradition du règne de Louis XIV ? Je l’ignore absolument, et je le demande à qui le sait. L’image qui caractérisait ce personnage illustre et mystérieux a disparu presque partout. Dans mon enfance, je me souviens d’en avoir vu une qui le représentait habillé en Turc.


L’hôtesse du Grand Monarque, madame Ouchafol, était une femme avenante et bien pensante, dévouée à tout ce qui tenait aux pouvoirs constitués quelconques, noblesse ancienne ou nouvelle, roture opulente, position officielle ou influence locale, le tout sans préjudice des égards dus aux petits fonctionnaires et aux voyageurs de commerce, qui constituent le bénéfice soutenu, le roulement périodique d’une auberge. En outre, madame Ouchafol avait des sentiments religieux, et tenait tête aux esprits forts de son endroit.


Un soir que je fumais mon cigare sur le balcon de l’hôtel, je vis, sur la place qui sépare l’église de la mairie et de l’auberge, un grand garçon dont la figure et la prestance ne pouvaient passer nulle part inaperçues. Il donnait le bras à une paysanne fort laide. Deux gars un peu avinés, espèces d’artisans endimanchés, le suivaient, promenant comme lui des filles en cornette, mais assez gentilles. Pourquoi ce beau garçon, dont la mise bourgeoise ne manquait pas de goût et qui ne paraissait point ivre, avait-il choisi pour danseuse ou pour commère la plus laide et la moins requinquée ?


Ce petit problème n’eût point fixé mon attention au delà d’une minute, si madame Ouchafol, qui époussetait les feuilles poudreuses d’un oranger rachitique placé sur le balcon, n’eût pris soin de me le faire remarquer."



Pierre, fils de paysan auvergnat, est monté à Paris pour ses études de droit. Mais pour l'amour d'une actrice, Impéria, il devient acteur et s'engage dans une troupe de théâtre...


A suivre : "Le beau Laurence"

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782374636771
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pierre qui roule


George Sand


Mai 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-677-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 677
À M ON AMI B ERTON P ÈRE
 
I
 
J’étais en tournée d’inspection des finances dans la petite ville d’Arvers, en Auvergne, et j’étais logé depuis deux jours à l’hôtel du Grand Monarque . Quel grand monarque ? et pourquoi cette enseigne classique, si répandue encore dans les villes arriérées ? Est-ce une tradition du règne de Louis XIV ? Je l’ignore absolument, et je le demande à qui le sait. L’image qui caractérisait ce personnage illustre et mystérieux a disparu presque partout. Dans mon enfance, je me souviens d’en avoir vu une qui le représentait habillé en Turc.
L’hôtesse du Grand Monarque , madame Ouchafol, était une femme avenante et bien pensante, dévouée à tout ce qui tenait aux pouvoirs constitués quelconques, noblesse ancienne ou nouvelle, roture opulente, position officielle ou influence locale, le tout sans préjudice des égards dus aux petits fonctionnaires et aux voyageurs de commerce, qui constituent le bénéfice soutenu, le roulement périodique d’une auberge. En outre, madame Ouchafol avait des sentiments religieux, et tenait tête aux esprits forts de son endroit.
Un soir que je fumais mon cigare sur le balcon de l’hôtel, je vis, sur la place qui sépare l’église de la mairie et de l’auberge, un grand garçon dont la figure et la prestance ne pouvaient passer nulle part inaperçues. Il donnait le bras à une paysanne fort laide. Deux gars un peu avinés, espèces d’artisans endimanchés, le suivaient, promenant comme lui des filles en cornette, mais assez gentilles. Pourquoi ce beau garçon, dont la mise bourgeoise ne manquait pas de goût et qui ne paraissait point ivre, avait-il choisi pour danseuse ou pour commère la plus laide et la moins requinquée ?
Ce petit problème n’eût point fixé mon attention au delà d’une minute, si madame Ouchafol, qui époussetait les feuilles poudreuses d’un oranger rachitique placé sur le balcon, n’eût pris soin de me le faire remarquer.
–  Vous regardez le beau Laurence, n’est-ce pas ? me dit-elle en laissant tomber sur l’Antinoüs en goguette le regard le plus ironique et le plus dédaigneux.
Et, répondant à ma réponse sans l’attendre :
–  C’est un joli garçon, je ne dis pas le contraire ; mais voyez ! toujours en mauvaise compagnie ! Je veux bien qu’il soit fils de paysan ; mais il a un oncle riche et titré, et, d’ailleurs, quand on a reçu de l’éducation, qu’on porte les habits d’un monsieur, on ne va pas trinquer dans les noces de village avec les premiers venus, surtout on ne traverse pas la ville en plein jour avec des gotons comme ça sous son bras !... Mais ce gars-là est fou, il ne respecte rien, et il y a une chose surprenante, monsieur : c’est qu’il ne s’adresse jamais à une jolie fille qui pourrait lui faire honneur. Il trimballe toujours des monstres, et pas des plus sévères, je vous prie de le croire !
–  Je croirai tout ce que vous voudrez, madame Ouchafol ; mais comment expliquez-vous ce goût bizarre ?
–  Je ne me charge pas de l’expliquer ! On ne peut rien comprendre à la conduite de ce pauvre enfant, car enfin, monsieur, je m’intéresse à lui. Sa marraine est mon amie d’enfance, et souvent nous nous désolons ensemble de le voir si mal tourner.
–  C’est donc un franc vaurien ?
–  Ah ! monsieur, si ce n’était que ça ! s’il n’était qu’un peu coureur et libertin ! si on pouvait dire : « Il s’amuse, il s’étourdit, c’est un mauvais sujet qui se rangera comme tant d’autres ! » mais point, monsieur. Il boit un peu ; mais il ne fait pas de dettes ; il n’a point précisément de mauvaises mœurs ; il n’est pas batailleur non plus, quoiqu’à l’occasion, quand il voit, dans les fêtes de village ou dans les bals d’artisans, un homme à terre, il cogne sur ceux qui l’assomment, et cogne bien, à ce qu’on dit. Enfin il pourrait être quelque chose, car il n’est point sot ni paresseux ; mais voyez un peu ! monsieur a des idées et surtout une idée... qui fait le désespoir de ses parents !
–  Vous me rendez curieux de connaître cette fameuse idée.
–  Je vous dirais bien qu’au lieu d’accepter un emploi dans les droits réunis, ou dans le télégraphe, ou un bureau de tabac, ou quelque chose au greffe, à l’enregistrement, à la mairie, car on lui a offert tout cela, il a préféré vivre dans le faubourg avec son père, qui est un ancien métayer et qui a acheté un terrain dont il a fait une pépinière. Ce pauvre père Laurence est un brave homme, très laborieux, qui n’a plus que cet enfant-là et qui aurait voulu l’élever au-dessus de son état, espérant que son frère aîné, qui est très riche, le prendrait en amitié et en ferait son héritier : point du tout ; le jeune homme, qui était parti après son baccalauréat pour la Normandie, où réside l’oncle riche, s’est laissé entraîner à un égarement épouvantable, monsieur, et il a disparu pendant deux ou trois ans, sans presque donner de ses nouvelles.
–  Quel égarement, madame Ouchafol ?
–  Ah ! monsieur, permettez-moi de ne pas vous le dire par estime pour le père Laurence, qui cultive des fruits le long de ses murs, et qui m’a toujours fourni de belles pêches et de beaux raisins, sans parler des légumes qu’il cultive aussi dans le bas de son enclos, ce qui fait qu’il m’achète le fumier de mon écurie, et le paye mieux que bien des gens plus haut placés ; par amitié aussi pour la marraine du jeune homme, qui est mon amie, comme je vous ai dit, même que nous avons fait ensemble notre première communion, je dois cacher le malheur et la honte que le beau Laurence, comme on l’appelle ici, a fait jaillir sur ses proches, et qui jaillirait sur toute la ville, si par malheur la chose venait à se savoir.
Il devenait évident que madame Ouchafol mourait d’envie de faire jaillir jusqu’à moi le mystère de l’ égarement du beau Laurence. Plus taquin que curieux dans ce moment-là, je la punis de ses réticences en prenant mon chapeau et en allant respirer l’air du soir le long d’un joli ruisseau qui côtoie la pente où la ville est gracieusement jetée.
Beaucoup de petites villes sont ainsi, charmantes de tournure et d’ensemble au dehors, affreuses et malpropres au dedans : une dent de rocher, un rayon de soleil couchant sur un vieux clocher, une belle ligne boisée derrière, un ruisseau au pied, suffisent pour composer un tableau qui les encadre au mieux, et dont elles sont l’accident principal arrangé là comme à souhait.
J’étais tout entier au plaisir calme de la contemplation, et je voyais les derniers reflets du couchant s’éteindre dans un ciel admirablement pur. Ce présage de beau temps pour le lendemain me rappela le projet que j’avais formé d’aller voir une cascade qu’un de mes prédécesseurs dans l’emploi que j’occupais m’avait recommandée. Il était trop tard pour entreprendre une promenade quelconque ; mais, comme je passais près d’un cabaret rustique d’où sortaient du bruit et de la lumière, je résolus d’y demander des renseignements.
Je tombai au milieu d’une noce villageoise. On buvait et on dansait. La première personne qui s’aperçut de ma présence fut précisément le beau Laurence.
–  Eh ! père Tournache, s’écria-t-il d’une belle voix forte et claire qui dominait toutes les autres, un voyageur ! servez-le. Il ne faut pas, parce qu’on s’amuse chez vous, oublier les gens qui ont le droit de s’y reposer. – Venez, monsieur, ajouta-t-il en me donnant sa chaise, il n’y a plus place nulle part. Prenez la mienne, je vais danser une bourrée dans la grange, et, en passant, je dirai qu’on vous serve.
–  Je ne veux déranger personne, lui répondis-je, touché de sa politesse, mais peu alléché par l’aspect et l’odeur du festin. Je venais demander un renseignement...
–  Peut-on vous le donner ?
–  Vous probablement mieux qu’un autre ; je voudrais savoir de quel côté et à quelle distance sont le rocher et la cascade de la Volpie.
–  Très bien, venez avec moi, je vais vous do

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