Monsieur des Lourdines
203 pages
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Description

Alphonse de Chateaubriant (1877-1951)



"Il y avait plus de deux heures que les quatre hommes, descendus dans le fossé creusé autour de l’ormeau, un ormeau gigantesque, entaillaient le pied à grands coups de hache. Presque toutes les lignes souterraines se trouvaient tranchées, mais l’arbre tenait bon encore. À chaque atteinte, l’aubier, frais et dur, sautait.


« Han !... Han ! » anhélaient en mesure les poitrines.


Témoin de cette « cognée », le maître se tenait à quelques pas plus loin. Il semblait ne pas vouloir s’approcher du bord. Sur sa figure, une crispation répondait au retentissement des haches ; et, de temps à autre, il levait un regard triste et contrarié sur une des fenêtres du château, au-dessus de lui.


« C’est bien dommage ! se murmurait-il à lui-même... bien dommage !


– C’est qu’avec des racines saines comme il les a, il faut y mettre la double force ! » fit entendre un des hommes, en portant son coup à tour de bras.


On était à la mi-novembre. Il avait plu pendant huit jours ; ce matin, toutes les feuilles s’égouttaient. La lumière, avec des éclats de givre dans le brouillard, argentait les bois ; et les herbes fumaient, toutes blanches, au large desquelles paissaient des troupeaux de vaches.


Un des travailleurs, qui se distinguait dans l’équipe par des cheveux gris et une courte blouse nouée sur le ventre, reposa sa hache, et, de même, les autres s’arrêtèrent. Il toucha le tronc et leva les yeux vers la cime.


– Dis, Célestin..., demanda le maître, il serait peut-être temps d’attacher la corde ?"



Monsieur des Lourdines est un gentilhomme bien ancré à la terre ; il vit au contact de la nature en toute simplicité avec son épouse. Leur fils, qu'ils chérissent, est monté à Paris où il mène la grande vie et dilapide petit à petit la fortune de ses parents...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384420230
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Monsieur des Lourdines

Histoire d’un gentilhomme campagnard


Alphonse de Chateaubriant


Janvier 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN 978-2-38442-023-0
Couverture pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1021
Première partie

I

Il y avait plus de deux heures que les quatre hommes, descendus dans le fossé creusé autour de l’ormeau, un ormeau gigantesque, entaillaient le pied à grands coups de hache. Presque toutes les lignes souterraines se trouvaient tranchées, mais l’arbre tenait bon encore. À chaque atteinte, l’aubier, frais et dur, sautait.
« Han !... Han ! » anhélaient en mesure les poitrines.
Témoin de cette « cognée », le maître se tenait à quelques pas plus loin. Il semblait ne pas vouloir s’approcher du bord. Sur sa figure, une crispation répondait au retentissement des haches ; et, de temps à autre, il levait un regard triste et contrarié sur une des fenêtres du château, au-dessus de lui.
« C’est bien dommage ! se murmurait-il à lui-même... bien dommage !
– C’est qu’avec des racines saines comme il les a, il faut y mettre la double force ! » fit entendre un des hommes, en portant son coup à tour de bras.
On était à la mi-novembre. Il avait plu pendant huit jours ; ce matin, toutes les feuilles s’égouttaient. La lumière, avec des éclats de givre dans le brouillard, argentait les bois ; et les herbes fumaient, toutes blanches, au large desquelles paissaient des troupeaux de vaches.
Un des travailleurs, qui se distinguait dans l’équipe par des cheveux gris et une courte blouse nouée sur le ventre, reposa sa hache, et, de même, les autres s’arrêtèrent. Il toucha le tronc et leva les yeux vers la cime.
– Dis, Célestin..., demanda le maître, il serait peut-être temps d’attacher la corde ?
Célestin répondit : « Je croirais bien », et, lentement, il se ceignit les reins d’un câble, qui traînait à terre.
Les hommes s’étaient hissés hors de la tranchée.
Tous suaient, rouges, s’essuyaient le front, car cette matinée saturée d’humidité était chaude et lourde aux épaules en travail.
Et comme Célestin appuyait l’échelle contre l’arbre :
« Hum !... à ton âge, cela me fait un peu peur, Célestin !... Sûrement... J’aime mieux te le dire. Va ! laisse donc cette besogne à un autre !
– À un autre ! monsieur notre maître, plus souvent !... Ça me connaît, allez !
Et Célestin gravit les barreaux dont le plus élevé atteignait la partie de l’arbre où le tronc, moins gros, donnait assez de prise pour grimper.
– Faut pas le contrarier, dit en riant un des compagnons, c’est un vieil écureuil !...
Célestin grimpait, le câble ballant sous lui. Il avait saisi l’arbre à pleins bras, la tête de côté, appuyée, comme s’il écoutait battre le cœur de l’ormeau. À chaque effort, il se haussait d’une demi-coudée. Dans ses reins se mouvaient des souplesses de lézard ; l’écorce pétillait sous ses orteils nus ; enfin, son talon noir et corné disparut dans les feuillages, et ceux d’en bas ne le suivirent plus qu’au lent déroulement de la corde, le long du tronc.
– Aoh !... cria quelqu’un, en faisant porter sa voix entre ses paumes... aoh !... Célestin... ça va ? »
Ils écoutèrent, un chant répondit : la voix chevrotait des paroles indistinctes ; ils reconnurent cependant une chanson de leur pays :

Il était un bounhomme,
Qui gardait dos agniâs,
Qui gardait dos agniâs,
...

Mais souvent le bruissement des feuilles emportait l’air avec les paroles.
– C’est qu’il a le gosier clair comme un rossignol !
Et tous se mirent à rire.
L’endroit formait un large rond-point herbeux, défoncé par les passages du bétail, avec un entour de vieux arbres, sous lesquels, dans l’ombre, se mussaient quelques logis de ferme. Ce n’était là qu’un aperçu du domaine, la partie quasi abandonnée, toute la vie se portant de l’autre côté, dans la cour d’honneur, vers les communs, étables, écuries et dépenses à tous usages.
Ici se déployait la campagne, au bout d’une avenue bordée de splendides futaies de châtaigniers, comme il s’en trouve dans ces fertiles terres d’alluvion du bocage poitevin. Sous ces futaies fuyaient des terrains boueux, entrecoupés de talus fangeux et noirs de mousse.
Ces bois, étendus sur une centaine d’hectares, rejoignaient les deux ailes du château, une ancienne demeure, de style Louis XIII, à l’allure de ce qu’on appelle encore dans certaines campagnes une « maison de noblesse ».
L’unique étage s’allongeait sous la carapace ensellée d’une haute et molle toiture, dont l’ardoise, niellée de verdures et de lichens safranés, venait faire visière sur des fenêtres à petits carreaux ; et les murailles étaient tout à fait de la couleur des vieux chemins.
Sur la droite, une antique chapelle dressait, au-dessus d’un vigoureux figuier, sa petite croix sans force.
Véritablement, on se trouvait ici bien en retrait du monde, dans un royaume de silence. Le voyageur qui venait de faire ses dix lieues, retour de Poitiers par la route royale, s’arrêtait, en entrevoyant, dans le nuage mamelonné des arbres, la silhouette de ce vieux nid d’homme. « Eh ! là ! vous ne savez donc point ! lui était-il répondu, c’est le château de M. Timothée, de M. des Lourdines, c’est le Petit-Fougeray. »

Célestin avait attaché la corde au faîte de l’ormeau. Lestement il descendit, en se laissant glisser dans les parties libres du fût, comme d’un mât de cocagne. À terre il se secoua et frotta ses yeux qui, là-haut, s’étaient emplis de poussiers de nids de fourmis. Ses camarades, redescendus dans la tranchée, le plaisantaient :
– Ce n’est pas étonnant, maigre comme il est !
– Oh moi ! répondit Célestin, je suis comme les chèvres, j’ai la graisse en dedans !
– Mais, dis-nous, Célestin, avec une belle voix et des jambes comme ça, pourquoi donc que tu ne te maries pas ?
– Non, non, les gars, ça ne m’anime plus !
Et, tous ensemble, alors que de nouveau les haches faisaient voler les éclis, ils entonnaient la chanson :

Il était un bounhomme,
Qui gardait dos agniâs,
Qui gardait dos agniâs,
Il n’en gardait point guère,
Il n’en gardait que trois.

« Han !... Han ! »
M. des Lourdines levait la tête pour voir si l’arbre ne commençait pas à bouger, et il la hochait de l’air d’un homme qui essuie là une grosse perte.
« Comme c’est dommage ! répétait-il, il était si beau ! »
C’était un petit homme. Il avait plus de cinquante ans, vrai type du gentilhomme campagnard, sans rien pourtant de cette florissante et sanguine assurance, de ces aplombs charnus et exercés qui sont le propre réputé des hobereaux dans tout bon pays de chasse. Au contraire, ses épaules à lui étaient étroites ; mais dans ce corps fluet, on sentait circuler une résistance ; il avait, si l’on peut dire, du noyau sous la peau. Son maigre et nerveux visage, saillant des pommettes, s’exhaussait d’un de ces fronts qui donnent du ciel au rêve. Les yeux, appesantis de grosses poches sensibles, très bleus, gardaient comme une fleur d’enfance restée fraîche sous la longue pelure des paupières. Il y avait, dans cette figure ridée, de la tristesse, de la résignation et aussi, par une singulière anomalie, une expression très vive de bonheur qui passait par intermittences, qui y palpitait comme une lumière sous un souffle.
Il était vêtu d’une veste de panne verdie par de longs usages, chinée d’ors comme ses futaies, coiffé d’un vieux feutre et chaussé de sabots qui lui tenaient les pieds bien au sec.
Impossible de rencontrer un homme mieux assorti à son habitat que ne l’était ce petit campagnard à son vieux château. L’un et l’autre sortaient bien du même sol ; ils étaient presque de la même couleur. Cette identité pouvait provenir de ce que la famille des Lourdines naissait et mourait au Petit-Fougeray depuis plusieurs siècles ; famille marquante d’ailleurs, apparentée en bons lieux, et qui avait du bien.
Malheureusement, par la faute de son chef actuel, elle commençait à perdre de sa place au soleil. Solitaire endurci, M. des Lourdines aurait, à la rigueur, consenti à voir les gens, mais il ne voulait pas être vu, de sorte qu’on avait fini

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