Maurin des Maures
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Maurin des Maures , livre ebook

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Description

Jean Aicard (1848-1921)


"Tu es toi, Maurin ? fit l'aubergiste. Ferme la porte vivement. Tu nous gèles du coup, collègue ! On dirait que tu amènes avec toi tout l'humide et tout le froid de la montagne."


"Maurin des Maures" est une promenade dans le massif des Maures et nous conte, avec l'accent méridional, les aventures d'un chasseur aimé de tous (ou presque !) Un seul véritable ennemi : le gendarme Sandri car les deux hommes sont amoureux de la même femme : la corsoise Tonia.


Et comme si les "galéjades" du roi des Maures ne suffisaient pas, elle sont agrémentées des histoires de Désiré Cabissol, la "gazette" locale.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374630489
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Maurin des Maures
Jean Aicard
Août 2015
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-048-9
couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 49
Les mémorables aventures, tant joyeuses que dramati ques, du très illustre Maurin.
Dans ce roman héroï-comique revivent, avec l’accent provençal moderne, le libre esprit et les franches gaietés de nos vieux conteurs gaulois. Iou siou d’Oourùou
JEAN D'AURIOL
I
Lequel débute comme un proverbe de M. Alfred de Musset et où le lecteur apprendra que les Provençaux sont les seuls à savoir rire d'eux-mêmes avec un esprit particulier qu'ils nomment la galégeade
L'homme entra et laissa grande ouverte derrière lui la porte de l'auberge. Il était vêtu de toile, guêtre de toile, chaussé d'espadrilles. Il était grand, svelte, bien pris. Ce paysan avait dans sa démarche une profonde distinction naturelle, on ne savait quoi de très di gne. Il avait un visage allongé, les cheveux ras, un peu crépus, et sous une barbe sarrasinè, courte, légère, frisottée, on sentait la puissance de la mâchoire. Le nez, fort, n'était pas droit, sans qu'on pût dire qu'il fût recourbé. De la lèvre inférieure au menton, son profil s'ache vait en une ligne longue, comme escarpée, coupée à la hache. Sous sa lèvre, la mouche noire s'isolait au milieu d'une petite place libre de peau roussie, d'un rouge brun de terre cuite. Un souffle d'air froid, sentant la résine des pins et la bonne terre mouillée, s'engouffra avec Maurin dans la vaste salle haute, fumeuse et noire, de la vieille auberge des Campaux. Cette auberge est bâtie presque à mi-chemin entre H yères et la Molle, au bord de la route qui suit dans toute sa longueur la sinueus e coupée du massif montagneux des Maures, en Provence, dans le Var. – Tu es toi, Maurin ? fît l'aubergiste. Ferme la po rte vivement. Tu nous gèles du coup, collègue ! On dirait que tu amènes avec toi t out l'humide et tout le froid de la montagne. – Mais en même temps, fit Maurin narquois et immobi le, toute la bonne odeur du bois, collègues ! Vous êtes dans une fumée à couper vraiment au couteau ! Par l'effet de vos pipes, comme aussi de la cheminée où vous brûlez un chêne-liège entier auquel on aura laissé son écorce, vous êtes dans un nuage qui m'empêchait de vous voir. ça n'est pas sain, camarades ! Respir ez-moi un peu cette « montagnère ». – La porte ! ferme la porte ! crièrent tous les buv eurs sur des tons divers, mais où dominait une manière de déférence. – La porte, Maurin, on te dit ! Il fait un vrai tem ps à bécasses ! Il y avait, parmi les buveurs, paysans et bûcherons , deux gendarmes et aussi un garde-forêts reconnaissable à son uniforme vert.
Ce garde forestier se tourna à demi et d'une voix d e commandement : – La porte ! on vous dit ! Animal ! Comment faut-il qu'on vous le dise ?
Il avait l'air bourru et l'accent corse. – Malgré vous, – fit Maurin très tranquillement, – malgré vous, vous en aurez, du bon air frais pour votre santé ! « De quoi vous plaignez-vous ?... Ah ! enfin, on vo us voit maintenant, les amis !... Mais je ne connais pas ce garde. C'est un nouveau, je le devine. Et un Corse, cela s'entend... Ah ! n'est-ce pas qu'on respire ? Ton a uberge maintenant, Grivolas, sent le thym et la bruyère. C'est bon ! Il s'obstinait à ne pas fermer la porte. Il y eut u n silence pendant lequel on « entendit le dehors », un bruissement prolongé à l 'infini, qui se renflait et s'abaissait comme celui de la mer roulant des sable s. – Entends-tu le bruit des pinèdes ? fit Maurin. Tre nte lieues de bois de pins qui chantent à la fois, compères ! C'est ça une musique .
Et il se mit à rire.
Alors, la fille du garde, assise près de son père e t tournant le dos à la porte, regarda Maurin en face. Les deux « vïores » de verr e, qui, plantées dans des chandeliers de cuivre, fumaient sur la table, posée s près de la fille, éclairèrent pour Maurin son visage ovale, régulier, d'une pâleur bru ne et mate. Les cheveux étaient collés sur les tempes en deux bandeaux plats, mais épais, lisses et reluisants comme l'aile bleue de l'agace et du merle ; et sous les sourcils qui semblaient peints, Maurin vit luire, en deux yeux d'un noir de charbon, d'une couleur rousse de bois brûlé, deux étincelles.
– J'ai froid, l'homme ! dit-elle placidement. Aussitôt, la porte lourde, en se fermant sous la po ussée de Maurin, fit résonner dans toute la vaste auberge comme un écho de montag ne. – Excusez, mademoiselle ! fit Maurin. Pour vous servir on aurait fermé plus tôt.
Le galant Maurin n'avait pas seulement la réputatio n d'être le premier chasseur et piégeur du pays, – comme aussi le plus francgalegeaïré (ou moqueur et conteur d'histoires joyeuses), – mais encore il passait pou r le plus beau coureur de filles dont on eût jamais entendu parler. « Agradavo », il plaisait. Telle est la brève explication que donnaient de ses innombrables triom phes amoureux les gens du peuple à qui on parlait de Maurin ; et sa double re nommée débordait sur les départements voisins.
En le voyant si courtois pour la fille du garde, un des deux gendarmes s'agita sur sa chaise. Ce gendarme, jeune, bien fait, était for t soigné de sa personne ; joli, la figure ronde, les traits réguliers, la peau tendue, bien lisse, la moustache d'un noir excessif. Rasé de frais, il avait les joues et le m enton bleus comme le ciel. On eût dit une poupée en porcelaine, toute neuve. Un détai l de cette physionomie était caractéristique, et semblait plaisant sous un chape au de gendarme : ses deux pommettes se surélevaient, très roses, comme deux g onflements, deux demi-sphères, deux enflures de santé, signes évidents d' une conscience tranquille et d'une indolence à toute épreuve. Cela rassurait et donnait envie de rire. Ce beau ge ndarme, gentil comme un ténor, était amoureux de la « Corsoise » ; il s'était fait agréer, mais par le père seulement, en qualité de fiancé. Persuadé qu'il plairait, un j our à Antonia, il n'avait pas voulu
cependant « brusquer les choses », reconnaissant de bonne grâce qu'il ne suffisait pas de s'être montré trois fois à une jeune fille, et chaque fois durant quelques minutes à peine, pour être certain de n'avoir pas q uelque rival secrètement préféré. Depuis un mois tout au plus, le garde nouveau était installé dans la maison forestière du Don, et le gendarme, appartenant à la brigade d'Hyères, ne pouvait venir au Don, dans la commune de Bormes, qu'en vois in... Maurin avait surpris le mouvement d'impatience du g endarme et il en avait aisément deviné la cause. Il vint s'asseoir près des deux gendarmes dont il n 'avait rien à redouter, s'étant toujours gardé avec soin de chasser en temps prohib é et sur des terrains interdits, – ou du moins de s'y laisser prendre.
– Grivolas ! du café! du café bien chaud ! cria-t-il.
– Tu as donc soupé, Maurin ?
– J'ai toujours soupé, moi ! dit-il. Dès que j'ai f aim, tu sais bien, – je mange, n'importe où je suis. Et je soupe toujours sans sou pe. Voilà pourquoi le bon café me réjouit plus qu'un autre. Il but une gorgée de café brûlant avec une satisfac tion visible, et se mit à bourrer sa pipe lentement. Presque tous le regardaient avec beaucoup de curios ité. C'était un homme légendaire que ce Maurin, un homme qui faisait « so rtir du gibier aux endroits où il n'y en avait pas ». Et quel tireur, mon ami ! Bête vue était bête morte. Toujours chaussé d'espadrilles, il parcourait en silence les bois, les mussugues (coteaux couverts de cistes), les lits pierreux des torrents , les sommets couverts d'argeras (genêts épineux), les vallons de roches et de bruyè res.
Cet homme en pantoufles ne couchait pas trente fois par an, comme tout le monde, dans une vraie maison. Son carnier de cuir, exécuté d'après « ses plans » par le bourrelier de Collobrières, était une fois p lus grand que le plus grand modèle habituel et, tout chargé, pesait quarante livres, q u'il trimbalait « comme rien ». Qu'y avait-il là dedans ? Un monde ! Tout ce qu'il faut pour vivre à la chasse, seul, au fond des bois, à savoir : douze gousses d'ail, reno uvelables ; deux livres de pain, un litre de vin, un tube de roseau contenant du sel, u ne gourde d'aïgarden(1) ; une coupe taillée dans de la racine de bruyère, coupe d 'honneur offerte à Maurin par les chasseurs de Sainte-Maxime ; deux paquets de tabac de cantine, deux pipes, un couteau-scie ; un couteau-poignard de marin, dans s a gaine de cuir ; un briquet, de l'amadou, trois alênes de cordonnier, un tranchet, une paire d'espadrilles de rechange (il en usait deux paires par semaine) ; un e demi-peau de chèvre tannée, pour le raccommodage de ses chaussures ; deux tourn evis, six livres de plomb, trois boîtes de poudre, deux boîtes de capsules (ca r bien qu'il possédât un fusil « à système » il prenait quelquefois son vieux fusil à piston) ; une boîte de fer-blanc pour les œufs et les sauces ; douze mètres de corde lette fine et solide dite septain ; une paire de manchons. Ces manchons étaient des gan ts de cuir de son invention, sans doigts, où ses bras plongeaient jusqu'aux épau les. Ces manchons, qu'il faisait admirer volontiers, ne semblaient pas d'un usage pr atique, mais ils lui rendaient, au contraire, les plus grands services en de certaines occasions.
Quand on disait, chez les paysans, sur un point que lconque du département : « Maurin... » quelqu'un de l'assistance aussitôt aj outait, sur le ton de l'interrogation : « Des Maures ? » Et si celui qui allait parler répo ndait : « Oui », vite les têtes se
rapprochaient, on faisait cercle pour apprendre que lque nouvelle aventure du roi des Maures, du don Juan des Bois. Les domaines de Maurin étant immenses, on l'apercev ait peu de temps dans la même région. C'est pourquoi, ce soir-là, à l'auberg e des Campaux, la curiosité était si vive autour de lui.
Les joueurs oublièrent leurs conversations étaient en déroute.
cartes,
pour
le
regard er
attentivement.
Les
Maurin eut de nouveau un gros rire. – Je suis tombé ici, dit-il, comme une pierre dans un marais, donc ! que les grenouilles ne disent plus rien ? Le beau gendarme grommela sottement : – Grenouilles ! Grenouilles ! parlez pour vous, cam arade ! Il ne fallait jamais agacer Maurin. Il avait la sup erbe d'un chef, et la susceptibilité d'un solitaire que rien ne vient heurter à l'ordina ire. De plus, en présence d'une femme qui. ne lui déplai sait pas, jamais Maurin n'eût « laissé le dernier » (le dernier mot) à qui que ce fût. En pareil cas, ce mâle devenait terrible, à la manière de tous les fauves. – J'ai dit : « grenouilles » ! gronda Maurin, vous faisiez dans cette salle un tapage d egrenouilles ! et vous vous taisez comme desgrenouillesle marais, depuis dans que j'ai fermé cette porte. Je l'ai fermée pas pour vous, mais seulement pour plaire à la demoiselle... Et vous vous taisez, je dis, com me des GRENOUILLES ! – Il enflait le mot. – Voilà ce que j'ai dit. Et la gendarmerie ne peut pas y changer une parole. ça, elle ne peut pas le faire, la gendarmerie !...
La gendarmerie ne peut pas non plus verbaliser cont re une phrase inoffensive, après tout, comme celle que Maurin avait prononcée. Le gendarme, vexé, se tut. La Corsoise, sympathique à Maurin, souriait. Les Corses, race héroïque, sont ou gendarmes ou ban dits. Le père de la Corsoise était fils d'un célèbre bandit corse.
Elevé dans le maquis jusqu'à l'âge de vingt ans, il était devenu un excellent soldat. Maintenant il était garde forestier et sa fille avait dix-huit ans. Elle eût épousé sans répugnance un gendarme, mais elle n'y avait ja mais songé. Au choix, elle eût préféré un bandit, et elle n'y songeait pas. Elle regarda Maurin. Maurin en éprouva une joie phy sique bien connue de lui. C'était un peu ce qu'il ressentait parfois au somme t d'une montagne, à l'aube, lorsque la vie lui revenait nouvelle, aux lèvres et dans le sang, après un bon somme, et que le souffle de la mer, chargé des parf ums de la montagne, pénétrant jusqu'à la chair par le col ouvert de sa chemise co urait dans tout lui, et le faisait frissonner d'aise.
Le regard de la Corsoise l'émut plus que jamais ne l'émut un regard de femme. Le descendant des pirates maures rapteurs de filles tressaillit sous le regard de cet œil très noir, très grand, enflammé, où il reconnut une race de feu, sœur de la sienne. L'envie lui vint de faire le beau, comme elle vient au faisan dans le temps des amours. – Tu n'as rien tué aujourd'hui ? lui demanda l'un d es buveurs. Alors la physionomie du galégeaïré devint sérieuse :
– Il m'en est arrivé une, dit-il, dans son français traduit du provençal et semé d'idiotismes :osco, Manosco ! Il abattit sur la table son poing fermé, avec le po uce rigide en l'air. Cela signifiait : « Il m'en est arrivé une bien bon ne, surprenante, inénarrable ! »
Osco, c'est-à-dire : marque-la ! etManosco, ajouté pour la rime, pour rien, pour le plaisir, pour faire sonner une deuxième fois le osc o en invoquant une cité provençale qui a donné, dans les temps, de fortes s urprises aux gens de guerre. Les têtes se groupèrent autour de Maurin. Seuls les gendarmes ne se dérangèrent pas. L'aubergiste fut attentif. Quel gibier lui apportait Maurin ? Maurin, lui, songeait surtout à plaire à la fille, en contant de son mieux une histoire étonnante. La belle Corsoise s'était dérangée comme les autres pour écouter le conteur jovial, le fameux galégeaïré.
Maurin repoussa en arrière son petit feutre fané et dit gravement : – Voilà. Figurez-vous, je n'ai vu, de tout le jour, qu'un gageai (un geai). Il y eut un : ah ! de désappointement dans l'audito ire. – Mais espérez un peu ! poursuivit l'homme avec une expression narquoise répandue dans tout son visage, espérez un peu... vo us allez voir... « Le geai me passait sur la tête. Je lui envoie mon coup de fusil. Pan ! il descend à terre et se pose sur ses pattes comme un homme ! Je me dis : Il est blessé ! Et vous auriez dit comme moi. Manquer un geai qui vous passe sur la tête ! le coup du roi ! quand on est Maurin ! le manquer, ça n'est pa s possible ! je ne pouvais pas me le croire ! – Alors ? – Alors je vais pour le ramasser... il fait un bond , mes amis, et se pose à terre, un peu plus loin ! Je me dis : « C'est une masque (un sorcier) ! Nous allons voir s'il m'emportera mes deux sous de poudre et de plomb, ce voleur ! » Je prends mon chapeau... et vlan ! je le lui lance : le voilà coi ffé ! mes amis ! je vous l'ai coiffé... il était sous le chapeau, pris, mes amis, pris, flambé , cuit... Avec une sauce bien piquante un geai peut nourrir un pauvre... Je vais donc encore pour le ramasser... Ah ! misère, mes enfants ! misère de moi !... au mo ment où j'envoie la main en avant, voilà mon chapeau qui fait un bond, lui auss i, et qui se pose dans un arbre ! Je voyais sortir, de dessous le chapeau, les pattes de mon geai... Un chapeau à pattes, là-haut, sur le ciel !... Pauvre de moi !.. . Il fait encore un bond... et voilà mon chapeau sur une branche plus haute, au bout d'un pi n cette fois !... Il n'est pas neuf, mon chapeau, c'est vrai, tenez, le voilà... mais il vaut bien encore vingt sous... n'est-ce pas, gendarmes ?
« Alors je me dis : « Vingt sous de chapeau et deux sous de poudre et de plomb, ça fait bien vingt-deux sous, si Barrême n'est pas un âne... » Qu'auriez-vous fait à ma place ?... Je tremblais pour mon chapeau. Je me disais : « Voilà un vieux chapeau fichu, il va s'en aller qui sait où ! » Alo rs, mes amis, je ramassai une motte de terre, je visai bien, je la lançai – et le chape au tomba comme un gibier ! mais le geai, mes amis, prit son vol et fila comme un chass eur en faute poursuivi par des gendarmes... C'était, je vous le dis, une masque...Osco, Manosco ! Marquez-moi celle-là ! On riait. La belle fille riait, près de Maurin, qui , de façon à être entendu d'elle, dit à
voix basse au patron de l'auberge :
– Trois lapins et deux lièvres, ma chasse d'aujourd 'hui, sont à l'endroit que tu sais ; vends-les pour mon compte et pour le mieux ; personne n'a besoin de savoir mes affaires.
Il rayonnait, Maurin ; il avait d'une seule histoir e fait deux coups doubles : il avait fait rire la belle fille, et agacé les gendarmes : un ! – dissimulé aux yeux des autres auditeurs le profit de sa journée, et satisfait son imagination « d'artiste » : deux ! – car il venait d'inventer son histoire de toutes piè ces. Et il savait très bien que tout ce monde n'était pas dupe de sa fable, et que tous l'a dmiraient de si bien mentir. Il se moquait un peu de son public, en même temps q ue de sa prétendue maladresse, à laquelle nul ne croyait. Et toute cette façon de rire de soi et des autres e n se donnant un ridicule vrai ou seulement vraisemblable, c'est cela qui constitue l a gouaillerie provençale, la galégeade. Qui trompe-t-on ici ?... Nous ne le saurons jamais.
II
Où l'on verra la silhouette d'un nommé Parlo-Soulet, ou Parle-Seul, qui inventa le monologue, et le bon tour que jouèrent aux gendarmes Maurin des Maures et son muet associé
La fierté nationale exige que, au moment même où l'o n feint d'être dupe de la galégeade, on laisse entendre, au moins une petite fois, qu'on ne s'y est pas laissé prendre.
Un des auditeurs sauva la dignité de tous en disant :
– Ah çà! Vaï, tu galèges ! Et de rire. Maurin triomphait, grave. Certain alors de dominer son public, Maurin, s'adressant à celui qui venait de parler, prononça d'un ton goguenard : – C'est les gendarmes d'Hyères, ça, dis-moi, Louise t ? – Oui, ceux d'Hyères, fit Louiset, un jeune paysan d'allure effrontée, au feutre à bord étroit penché sur l'oreille ; ceux d'Hyères. N 'as-tu pas vu leurs chevaux attachés à l'anneau ? Ceux de Bormes vont à pied. – Et, poursuivit Maurin, qu'est-ce qui les oblige à sortir de leur commune, – ceuss d'Hyères ? – On leur a commandé de poursuivre trois coquins, q ui ont pris la route de Cogolin. – Et c'est comme ça qu'ils vont à Cogolin ? fit Mau rin dont la belle humeur augmentait. Ils y vont assis sur des chaises ? M'es t avis que de ce train-là, ils n'y seront pas demain, à Cogolin ! Et peut-être qu'ils n'ont pas tort, car les gens qu'ils cherchent pourraient bien être restés derrière eux, du côté d'Hyères !
Et Maurin, sur ce mot, se mit encore à rire de bon cœur, si haut que les verres tintaient sur les tables autour de lui. Son rire mo ntrait dans sa face brune des dents blanches, bien rangées, serrées, éclatantes, des de nts de loup.
Le beau gendarme louchait et se mordait la moustach e.
– Qu'avez-vous à rire si fort ? se décida-t-il à dire, impatienté.
– Ce que j'ai ? cria Maurin ; j'ai que vous leur av ez passé sur la tête, à vos trois coquins. Ah ! Ah ! oui, ma foi, sur la tête ! Et co mment cela ? C'est qu'ils étaient sous le pont, à moins d'une lieue d'ici, à l'endroi t où de la route de Cogolin se détache la nouvelle route de Bormes. Quand je suis passé sur le pont il faisait jour encore... Et vous, faisait-il jour, quand vous y êtes passés ?
– Il faisait encore jour, répondit l'autre gendarme .
– Alors vous auriez pu voir comme moi, dans la pous sière, si vous aviez des yeux, les traces de pas de ces hommes, écrites en t ravers de la route, sur le bord, et dessinées en poussière blanche sur l'herbe écras ée du talus. Moi, j'ai remarqué
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