Mademoiselle Cachemire
383 pages
Français

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Mademoiselle Cachemire , livre ebook

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Description

Jules Claretie (1840-1913)



"L’auberge est au bord de l’eau et ses murailles blanchies se reflètent dans la Seine. Une barque pleine de poisson frais est amarrée sous les fenêtres, parmi les roseaux. Quelque peintre de passage – il en vient beaucoup de ce côté – a peint, sur la porte d’entrée un lapin à demi dépouillé qui fricasse tout vif sur un feu clair. Le nom de l’aubergiste se détache en grosses lettres bleues : LABARBADE. C’est là que descendent les artistes en tournée dans la forêt de Fontainebleau. La fille du père Labarbade était une célébrité à Samoreau, dans ce pays qu’une chanson a fait illustre :


À Samoreau y a de belles filles, - Y en a-t-une si parfaite en beauté, - Que Godefroid y a tiré son portrait.


Qu’est-ce que ce Godefroid, le Titien inconnu de cette belle fille ? L’histoire de l’art est là-dessus muette, Vasari se tait, mais la belle fille était peut-être Suzanne Labarbade.


Elle avait seize ans alors, pas davantage ; de grands yeux noirs dans un visage un peu hâlé, des cheveux épais, mal attachés et qui roulaient sur ses épaules parfois, brusquement. Elle se savait jolie. Quand elle passait dans les rues, les regards venaient à elle tout droit. Puis elle avait des miroirs. Ce qu’elle savait déjà, les miroirs le lui répétaient. Elle les cachait sous son lit, ou derrière son armoire, parce que le père Labarbade ne badinait pas. C’était un homme dur, rendu plus rude encore par le malheur. Toute sa vie il avait travaillé sans grande chance. Il était de ceux qui naissent condamnés. Sa première femme, la mère de Suzanne, était morte jeune. Remarié, le pauvre homme n’avait trouvé que le chagrin, la mauvaise humeur au logis, les querelles. Madame Labarbade, la seconde, avare, criarde, très belle d’ailleurs et très vaniteuse, élevait la petite Suzanne à la dure. Elle la battait souvent, plus souvent la privait de manger, l’envoyait au lit sans souper pour lui apprendre. Suzanne ne disait rien, se couchait et mordait ses draps afin que dans la pièce à côté la belle-mère ne l’entendît pas pleurer."



La jeune Suzanne est persuadée que son avenir se trouve à Paris... Un jour, après une remontrance paternelle, elle décide de fuguer pour rejoindre la ville lumière...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 juin 2023
Nombre de lectures 2
EAN13 9782384422425
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les femmes de proie


Mademoiselle Cachemire


Jules Claretie


Juin 2023
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-242-5
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1240
À J ULES L EVALLOIS

Voilà plusieurs jours déjà que je suis à Florence. C’est loin de Paris, mon ami ! Il n’y a pas seulement les Alpes et les Apennins entre les boulevards et les Cascine, il y a un monde. Monde d’idées, monde de faits. Tout s’agite ici ; là-bas, dirait-on, tout est calme. J’entends passer sous mes fenêtres des chants de joie, des hymnes de guerre. Le mot de liberté traverse l’air du matin au soir, et c’est le premier nom qui m’éveille. Ah ! ce n’est plus la Femme à barbe ! Ces Italiens sont en retard.
Ils vont se battre, paraît-il, ils partent. Je vois passer les volontaires avec leurs sœurs qui pleurent et leurs pauvres mères qui ont les yeux rouges. Ils marquent le pas, ne disent rien, mais ils savent où ils vont. On pourra les vaincre – la guerre a ses destins – mais ils sauront mourir. Ce sont là d’étranges spectacles et je n’y suis pas habitué. Quelle antithèse ! Et – pour la première fois peut-être – en voyage je ne regrette point Paris. C’est à lui pourtant que je pense et c’est lui que j’ai voulu peindre – une de ses mille faces tout au moins – dans un livre que je suis heureux de vous dédier et que je souhaiterais plus digne de vous. Paris ? Il est là-bas, avec ses tournoiements, ses mugissements, sa perpétuelle agitation, sa fièvre éternelle. Il va et vient, s’agite, se démène, vit à grands guides, rit à grosse voix, s’excite, s’irrite, s’éperonne et s’époumonne. Il y a, dirait-on, un peu de tétanos dans son cas. Je le vois ainsi, du moins, épileptique et fou, et c’est de la sorte que je l’ai présenté. L’image ne séduira pas tout le monde. Il est évident qu’un pastel est plus aimable et beaucoup plus poli qu’un miroir. Mais je réponds de la plupart des traits.
Qui sait ? Vous m’accuserez peut-être, mon cher ami, d’avoir à plaisir broyé le bitume et poussé au noir, vous qui regardez les choses de loin et qui de Paris ne voyez plus que l’immense figure, couchée là-bas, sous le vaste ciel, toute de marbre, dirait-on, éclatante et fière, blanche par les jours de soleil. C’est de Montretout que vous contemplez le spectacle. Les cris de forcenés lorsqu’il vous parviennent à Saint-Cloud ont eu le temps de s’adoucir ; l’âcre senteur de boudoirs et d’usines, de restaurants et d’écuries, s’est saturée des parfums sains des arbres, de l’eau, de la terre retournée. Puis, à deux pas, la forêt vous console. Vous avez vos livres et vos fourmis, Goethe qui vous parle de la nature et la nature qui vous parle de tout. Vous avez bien le temps quand frissonnent les marronniers, quand les feuilles s’ouvrent au printemps ou se dorent à l’automne, quand l’herbe vous tend ses tapis et le bon livre ses pages fraîches, vous avez bien le temps d’écouter le récit de la ruelle, le scandale qui court, ou le boursier qui vole ! – Ou si vous le faites, ô philosophe, c’est pour en rire.
Mais on ne peut pas toujours rire. Voilà pourquoi j’ai écrit ce livre – moral, vous le verrez, de la morale brûlante – et malheureusement encore actuel. Il fait bien pourtant de se presser, car un temps viendra – qui n’est pas loin, je l’espère – où il ne sera plus possible. Il arrivera une heure où le roman, où le drame – sur lesquels elle règne depuis quinze ans – n’appartiendront plus à la femme de proie. Celui qui croirait alors écrire une œuvre d’art sur ce sujet ne composerait plus qu’une façon de mémoire historique. La saison sera finie parce que la femme de proie sera vaincue. On s’en occupe déjà beaucoup moins, ce me semble. Il faut à nos appétits une autre nourriture, d’autres inspirations à nos écrivains. – Il est temps de remplacer cette matière par un idéal.
Non pas, à mon avis, qu’on ait abusé du sujet. Il fallait bien peindre ce qu’on avait sous les yeux. Le prosecteur ne peut disséquer, dans son amphithéâtre, que les cas atteints par maladie régnante. Que si l’épidémie persiste ne vous en prenez pas à lui, dites-vous : l’atmosphère est mauvaise, et laissez faire le scalpel du chirurgien. Je sais bien ; des études pareilles ne sont pas du goût de tout le monde. Le lecteur, quoiqu’en dise cet autre, veut encore moins être respecté que flatté ! Tout écrivain qui respecte quelque peu l’hypocrisie doit s’attacher à faire style de velours. Devant Saint-Simon assurément Dangeau fût devenu blême, disant : Quel est ce duc mal léché ? Mais la bile de Saint-Simon avait raison de passer dans son encre et l’encre est restée. Voilà le fait.
Nous écrivons un roman, il est vrai. Vous allez me dire : « Ne pouviez-vous pas justement laisser loin de vous cette réalité douloureuse, regarder plus haut que la terre, chercher autre part et vous échapper, à votre gré, vers les grands horizons, les lignes pures, les régions consolantes ! » Certes. Vous avez deviné, mon ami, lorsque parut Robert Burat et vous avez bien voulu dire que la tristesse des œuvres de notre génération venait seulement des obstacles que nous avions rencontrés à nos débuts, – obstacles moraux, j’entends, – manque d’air et d’espace et que, dépouillés de ces sources vivifiantes et libres nous nous étions réfugiés dans le doute ou dans l’ironie. Et vous nous indiquiez le remède et vous ressuscitiez nos espoirs. En effet, vous aviez raison. Il y a encore des espérances de par le monde. Il y a encore des souffles puissants et des courants invincibles, le droit n’est point frappé à mort, la liberté n’est point à jamais vaincue.
Ne la croyait-on pas au tombeau cette Italie, qui tressaille et se redresse à cette heure ? Soupçonnait-on que cette poussière de morts pût se retrouver aussi vivante ? Ne la regardait-on pas depuis longtemps comme un Musée, campo-santo de l’art où l’on venait admirer des cadavres ? Eh bien ! la patrie des Donatello et des Ghirlandajo, la terre des Brunelleschi et des Michel-Ange, le pays des artistes allait devenir le pays des citoyens. Ils sont debout, ils marchent. Mal armés, faibles et chétifs, ces paysans nourris de riz vont se mesurer avec les robustes soldats de l’Autriche. Ce qui les attend, peu leur importe. S’ils tombent, ils tomberont joyeux. Ils ne doutent pas du succès. Ceci est le secret. Mais ils ont la justice. C’est quelque chose. Ils réclament le droit à la patrie , rien de plus : Les canons ennemis qui les mitrailleront ne pourront les priver du moins d’une tombe dans la terre natale.
Et voilà comment renaissent les nations.
Mon cher ami, je ne crois pas avoir assombri les tableaux parisiens que je vous présente. Cela est ainsi. Mademoiselle Cachemire me paraît même, si je dois l’avouer, un peu bien modeste auprès de certaines de ses rivales qui courent non pas le roman mais le monde. Mais, tout en se piquant de faire vrai, on est encore forcé de se contenter d’indications. Que voulez-vous ? J’ai tâché aussi de relever les côtés sombres d’un tel sujet par des coins assez consolants. Il faut tout prévoir. M. Tartufe pourrait se fâcher :
Comment ! couvrez ce sein...
Puis je ne suis point pessimiste, diable ! Je m’arrête volontiers devant un marais aux eaux croupissantes – surtout quand le marais va jusqu’à ma porte. Je vois ces taches verdâtres, cette eau stagnante, ces herbes mauvaises, fauves et perfides, luisantes comme des glaives, ces façons de terre ferme qui sollicitent et qui engloutissent, ces squammes et ces moisissures, mais vienne un rayon de soleil, un oiseau qui chante, une libellule qui passe, et, je vous en réponds, mon cher Levallois, c’est le rayon qui m’attire, c’est la libellule au corselet bleu que je regarde, que je suis des yeux et c’est l’oiseau que j’écoute.
Tenez, quelque plaisir que j’aie à causer avec vous, je laisse ma plume et je vous quitte. Je vais à deux pas, dans ces jardins de Boboli où passa Montaigne, où se promena Pétrarque sans doute, et Masaccio et Marcile Ficin, et les artistes et les poètes ; où les arbres en berceaux, les oliviers, les citronniers font de l’ombre avec du soleil et réalisent un vers de Virgile :

Est iter in sylvis ubi cœlum condidit umbra.

J’y vais rêver, j’y vais songer, j’y vais oublier Paris et penser à vous.

Florence, 31 mai 1866.

Paris.
Je n’ai rien changé, mon cher ami, à cette dédicace écrite, là-bas, entre deux dépêches, entre deux journaux lus en hâte, entre deux nouvelles dont l’une apportait la paix, l’autre la guerre. Recevez ce livre comme un faible témoignage d’un vif et profond attachement. Encore une fois, j’aurais dû le revoir davantage avant de vous l’adresser, avant de le présenter au public. Un autre jour je ferai mieux. Je ferai du moins autre chose. Il est temps d’aborder les questions hautes et palpitantes, et de laisser aller où elles vont toutes les reines d’une nuit ou d’un jour.
Bref, j’ai peint ici Paris qui dépense . J’eusse préféré vous présenter Paris qui pense . C’est un autre travail. Croyez-moi, mon bien cher ami, votre affectueusement dévoué,

J ULES C LARETIE .
5 Septembre 1866.
I
 
L’auberge est au bord de l’eau et ses murailles blanchies se reflètent dans la Seine. Une barque pleine de poisson frais est amarrée sous les fenêtres, parmi les roseaux. Quelque peintre de passage – il en vient beaucoup de ce côté – a peint, sur la porte d’entrée un lapin à demi dépouillé qui fricasse tout vif sur un feu clair. Le nom de l’aubergiste se détache en grosses lettres bleues : L ABARBADE . C’est là que descendent les artistes en tournée dans la forêt de Fontainebleau. La fille du père Labarbade était une célébrité à Samoreau, dans ce pays qu’une chanson a fait illustre :
 
À Samoreau y a de belles filles,
Y en a-t-une si parfaite en beauté,
Que Godefroid y a tiré son portrait.
 
Qu’est-ce que ce Godefroid, le Titien inconnu de cette belle fille  ? L’histoire de l’art est là-dessus muette, Vasari se tait, mais la belle fille était peut-être Suzanne Labarbade.
Elle avait seize ans alors, pas davantage ;

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