Les Maitres sonneurs
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Les Maitres sonneurs , livre ebook

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Description

pubOne.info thank you for your continued support and wish to present you this new edition. Mon cher enfant, puisque tu aimes a m'entendre raconter ce que racontaient les paysans a la veillee, dans ma jeunesse, quand j'avais le temps de les ecouter, je vais tacher de me rappeler l'histoire d'Etienne Depardieu et d'en recoudre les fragments epars dans ma memoire. Elle me fut dite par lui-meme, en plusieurs soirees de breyage; c'est ainsi, tu le sais, qu'on appelle les heures assez avancees de la nuit ou l'on broie le chanvre, et ou chacun alors apportait sa chronique. Il y a deja longtemps que le pere Depardieu dort du sommeil des justes, et il etait assez vieux quand il me fit le recit des naives aventures de sa jeunesse. C'est pourquoi je le ferai parler lui-meme, en imitant sa maniere autant qu'il me sera possible. Tu ne me reprocheras pas d'y mettre de l'obstination, toi qui sais, par experience de tes oreilles, que les pensees et les emotions d'un paysan ne peuvent etre traduites dans notre style, sans s'y denaturer entierement et sans y prendre un air d'affectation choquante. Tu sais aussi, par experience de ton esprit, que les paysans devinent ou comprennent beaucoup plus qu'on ne les en croit capables, et tu as ete souvent frappe de leurs apercus soudains qui, meme dans les choses d'art, ressemblaient a des revelations

Informations

Publié par
Date de parution 23 octobre 2010
Nombre de lectures 0
EAN13 9782819912446
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Préface
Mon cher enfant, puisque tu aimes à m'entendreraconter ce que racontaient les paysans à la veillée, dans majeunesse, quand j'avais le temps de les écouter, je vais tâcher deme rappeler l'histoire d'Etienne Depardieu et d'en recoudre lesfragments épars dans ma mémoire. Elle me fut dite par lui-même, enplusieurs soirées de breyage ; c'est ainsi, tu le sais, qu'onappelle les heures assez avancées de la nuit où l'on broie lechanvre, et où chacun alors apportait sa chronique. Il y a déjàlongtemps que le père Depardieu dort du sommeil des justes, et ilétait assez vieux quand il me fit le récit des naïves aventures desa jeunesse. C'est pourquoi je le ferai parler lui-même, en imitantsa manière autant qu'il me sera possible. Tu ne me reprocheras pasd'y mettre de l'obstination, toi qui sais, par expérience de tesoreilles, que les pensées et les émotions d'un paysan ne peuventêtre traduites dans notre style, sans s'y dénaturer entièrement etsans y prendre un air d'affectation choquante. Tu sais aussi, parexpérience de ton esprit, que les paysans devinent ou comprennentbeaucoup plus qu'on ne les en croit capables, et tu as été souventfrappé de leurs aperçus soudains qui, même dans les choses d'art,ressemblaient à des révélations. Si je fusse venue te dire, dans malangue et dans la tienne, certaines choses que tu as entendues etcomprises dans la leur, tu les aurais trouvées si invraisemblablesde leur part, que tu m'aurais accusée d'y mettre du mien à moninsu, et de leur prêter des réflexions et des sentiments qu'ils nepouvaient avoir. En effet, il suffit d'introduire, dansl'expression de leurs idées, un mot qui ne soit pas de leurvocabulaire, pour qu'on se sente porté à révoquer en doute l'idéemême émise par eux; mais, si on les écoute parler, on reconnaît ques'ils n'ont pas, comme nous, un choix de mots appropriés à toutesles nuances de la pensée, ils en ont encore assez pour formuler cequ'ils pensent et décrire ce qui frappe leurs sens. Ce n'est doncpas, comme on me l'a reproché, pour le plaisir puéril de chercherune forme inusitée en littérature, encore moins pour ressusciterd'anciens tours de langage et des expressions vieillies que tout lemonde entend et connaît de reste, que je vais m'astreindre au petittravail de conserver au récit d'Etienne Depardieu la couleur quilui est propre. C'est parce qu'il m'est impossible de le faireparler comme nous, sans dénaturer les opérations auxquelles selivrait son esprit, en s'expliquant sur des points qui ne luiétaient pas familiers, mais où il portait évidemment un grand désirde comprendre et d'être compris.
Si, malgré l'attention et la conscience que j'ymettrai, tu trouves encore quelquefois que mon narrateur voit tropclair ou trop trouble dans les sujets qu'il aborde, ne t'en prendsqu'à l'impuissance de ma traduction. Forcée de choisir dans lestermes usités de chez nous, ceux qui peuvent être entendus de toutle monde, je me prive volontairement des plus originaux et des plusexpressifs; mais, au moins, j'essayerai de n'en point introduirequi eussent été inconnus au paysan que je fais parler, lequel, biensupérieur à ceux d'aujourd'hui, ne se piquait pas d'employer desmots inintelligibles pour ses auditeurs et pour lui-même.
Je te dédie ce roman, non pour te donner une marqued'amitié maternelle, dont tu n'as pas besoin pour te sentir de mafamille, mais pour te laisser, après moi, un point de repère danstes souvenirs de ce Berry qui est presque devenu ton paysd'adoption. Tu te rappelleras qu'à l'époque où je l'écrivais, tudisais: «À propos, je suis venu ici, il y a bientôt dix ans, pour ypasser un mois. Il faut pourtant que je songe à m'en aller.» Etcomme je n'en voyais pas la raison, tu m'as représenté que tu étaispeintre, que tu avais travaillé dix ans chez nous pour rendre ceque tu voyais et sentais dans la nature, et qu'il te devenaitnécessaire d'aller chercher à Paris le contrôle de la pensée et del'expérience des autres. Je t'ai laissé partir, mais à la conditionque lu reviendrais passer ici tous les étés. Dès à présent,n'oublie pas cela non plus. Je t'envoie ce roman comme un sonlointain de nos cornemuses, pour te rappeler que les feuillespoussent, que les rossignols sont arrivés, et que la grande fêteprintanière de la nature va commencer aux champs. GEORGE SAND.
Nohant, le 17 avril 1853. LES MAÎTRES SONNEURS
Première veillée.
Je ne suis point né d'hier, disait, en 1828, le pèreÉtienne. Je suis venu en ce monde, autant que je peux croire,l'année 54 ou 55 du siècle passé. Mais, n'ayant pas grandesouvenance de mes premiers ans, je ne vous parlerai de moi qu'àpartir du temps de ma première communion, qui eut lieu en 70, à laparoisse de Saint-Chartier, pour lors desservie par monsieur l'abbéMontpérou, lequel est aujourd'hui bien sourd et bien cassé.
Ce n'est pas que notre paroisse de Nohant fûtsupprimée dans ce temps-là; mais notre curé étant mort, il y eut,pour un bout de temps, réunion des deux églises sous la conduite duprêtre de Saint-Chartier, et nous allions tous les jours à soncatéchisme, moi, ma petite cousine, un gars appelé Joseph, quidemeurait en la même maison que mon oncle, et une douzaine d'autresenfants de chez nous.
Je dis mon oncle pour abréger, car il était mongrand-oncle, frère de ma grand'mère, et avait nom Brulet, d'où sapetite-fille, étant seule héritière de son lignage, était appeléeBrulette, sans qu'on fît jamais mention de son nom de baptême, quiétait Catherine.
Et pour vous dire tout de suite les choses commeelles étaient, je me sentais déjà d'aimer Brulette plus que je n'yétais obligé comme cousin, et j'étais jaloux de ce que Josephdemeurait avec elle dans un petit logis distant d'une portée defusil des dernières maisons du bourg, et du mien d'un quart delieue de pays: de manière qu'il la voyait à toute heure, etqu'avant le temps qui nous rassembla au catéchisme, je ne la voyaispas tous les jours.
Voici comment le grand-père à Brulette et la mère àJoseph demeuraient sous même chaume. La maison appartenait auvieux, et il en avait loué la plus petite moitié à cette femmeveuve qui n'avait pas d'autre enfant. Elle s'appelait Marie Picot,et était encore mariable, car elle n'avait pas dépassé degrand'chose la trentaine, et se ressouvenait bien, dans son visageet dans sa taille, d'avoir été une très-jolie femme. On la traitaitencore, par-ci, par-là, de la belle Mariton, ce qui ne luidéplaisait point, car elle eût souhaité se rétablir en ménage; maisn'ayant rien que son oeil vif et son parler clair, elle s'estimaitheureuse de ne pas payer gros pour sa locature, et d'avoir pourpropriétaire et pour voisin un vieux homme juste et secourable, quine la tourmentait guère et l'assistait souvent.
Le père Brulet et la veuve Picot, dite Mariton,vivaient ainsi en bonne estime l'un de l'autre depuis une douzained'années, c'est-à-dire depuis le jour où, la mère à Brulette étantmorte en la mettant au monde, cette Mariton avait soigné et élevél'enfant avec autant d'amour et d'égard que le sien propre.
Joseph, qui avait trois ans de plus que Brulette,s'était vu bercer dans la même crèche, et la pouponne avait été lepremier fardeau qu'on eût confié à ses petits bras. Plus tard, lepère Brulet, voyant sa voisine gênée d'avoir ces deux enfants déjàforts à surveiller, avait pris chez lui le garçon, si bien que lapetite dormait auprès de la veuve et le petit auprès du vieux.
Tous quatre, d'ailleurs, mangeaient ensemble, laMariton apprêtant les repas, gardant la maison et rhabillant lesnippes, tandis que le vieux, qui était encore solide au travail,allait en journée, et fournissait au plus gros de la dépense.
Ce n'est pas qu'il fût bien riche et que le vivrefût bien conséquent; mais cette veuve aimable et de bon coeur luifaisait honnête compagnie, et Brulette la regardait si bien commesa mère, que mon oncle s'était accoutumé à la regarder comme safille ou tout au moins comme sa bru.
Il n'y avait rien au monde de si gentil et de simignon que la petite fille ainsi élevée par Mariton. Comme cettefemme aimait la propreté et se tenait toujours aussi brave que sonmoyen le lui permettait, elle avait, de bonne heure, accoutuméBrulette à se tenir de même, et, à l'âge où les enfants se traînentet se roulent volontiers comme de petits animaux, celle-ci était sisage, si ragoûtante et si coquette dans toute son habitude, quechacun la voulait embrasser: mais déjà elle se montrait chiche deses caresses et ne se familiarisait qu'à bonnes enseignes.
Quand elle eut douze ans, c'était déjà comme unepetite femme, par moments; et, si elle s'oubliait à gaminer aucatéchisme, emportée par la force de son jeune âge, elle sereprenait vitement, comme poussée au respect d'elle-même encoreplus que de la religion.
Je ne sais pas si nous aurions pu dire pourquoi,mais tous tant que nous étions de gars assez diversieux aucatéchisme, nous sentions la différence qu'il y avait entre elle etles autres fillettes.
Parmi nous, il faut bien vous confesser qu'il y enavait d'un peu grands: mêmement, Joseph avait quinze ans et j'enavais seize, ce qui était une honte pour nous deux, au dire demonsieur le curé et de nos parents. Ce retard provenait de ce queJoseph était trop paresseux pour se mettre l'instruction dans latête, et moi trop bandit pour y donner attention; si bien que,depuis trois ans, nous étions renvoyés de classe, et, sans l'abbéMontpérou, qui se montra moins exigeant que notre vieux curé, jecrois que nous y serions encore.
Et puis, il est juste de confesser aussi que lesgarçonnets sont toujours plus jeunes en esprit que les fillettes:aussi, dans toute bande d'apprentis chrétiens, on a vu de touttemps la différence des deux espèces, les mâles étant tous grandset forts déjà, et les femelles toutes petites et commençant à peineà porter coiffe.
Au reste, nous arrivions là aussi savants les unscomme les autres, ne sachant point lire, écrire encore moins, et nepouvant retenir que de la manière dont les petits des oiseauxapprennent à chanter, sans connaître ni plain-chan

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