Le piège
222 pages
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Le piège , livre ebook

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Description

Emmanuel Bove (1898-1945)



"Depuis qu’il était à Lyon, Bridet cherchait un moyen de passer en Angleterre. Ce n’était pas facile. Il employait ses journées à courir partout où il eût eu une chance de rencontrer des amis qu’il n’avait pas encore revus. Il fréquentait la brasserie proche du grand théâtre où se réunissaient les journalistes dits repliés, il se promenait rue de la République, tâchant de découvrir aux terrasses des cafés des figures de connaissance, il retournait plusieurs fois par jour à son hôtel avec l’espoir d’y trouver une lettre, un rendez-vous, un signe enfin de l’extérieur.


Mais dans cette cohue qui avait envahi la ville, au milieu des difficultés que chacun éprouvait, parmi tous ces gens qui, à Paris, s’ils se connaissaient, ne se fréquentaient pas, il n’y avait pas de place pour le moindre sentiment de solidarité. On se serrait la main, on s’efforçait d’avoir l’air aussi content à la dixième rencontre qu’à la première, on sympathisait dans l’immense catastrophe, feignant de croire que le malheur unit plutôt qu’il ne divise, mais dès que, cessant de parler de la misère générale, on essayait d’intéresser quelqu’un à son petit cas particulier, on se trouvait en face d’un mur.


Le soir, Bridet rentrait exténué. Pour conserver sa chambre, il devait simuler chaque semaine un départ, les hôtels étant réservés aux voyageurs de passage. « C’est tout de même grotesque, pensait-il, de n’avoir pas encore trouvé, au bout de trois mois, le moyen de filer. Cela devient même dangereux. » Tout le monde finissait par se douter qu’il voulait partir."



1940 : Joseph Bridet, journaliste parisien réfugié à Lyon, choisit de rejoindre de Gaulle en Angleterre. Mais comment s'y prendre ? Il décide de demander un sauf-conduit pour le Maroc, à son vieil ami Basson qui est attaché à la Direction Générale de la Police Nationale, à Vichy. Il lui fait croire qu'il est un fervent pétainiste...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782374635675
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le piège


Emmanuel Bove


Janvier 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-567-5
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 567
I

Depuis qu’il était à Lyon, Bridet cherchait un moyen de passer en Angleterre. Ce n’était pas facile. Il employait ses journées à courir partout où il eût eu une chance de rencontrer des amis qu’il n’avait pas encore revus. Il fréquentait la brasserie proche du grand théâtre où se réunissaient les journalistes dits repliés, il se promenait rue de la République, tâchant de découvrir aux terrasses des cafés des figures de connaissance, il retournait plusieurs fois par jour à son hôtel avec l’espoir d’y trouver une lettre, un rendez-vous, un signe enfin de l’extérieur.
Mais dans cette cohue qui avait envahi la ville, au milieu des difficultés que chacun éprouvait, parmi tous ces gens qui, à Paris, s’ils se connaissaient, ne se fréquentaient pas, il n’y avait pas de place pour le moindre sentiment de solidarité. On se serrait la main, on s’efforçait d’avoir l’air aussi content à la dixième rencontre qu’à la première, on sympathisait dans l’immense catastrophe, feignant de croire que le malheur unit plutôt qu’il ne divise, mais dès que, cessant de parler de la misère générale, on essayait d’intéresser quelqu’un à son petit cas particulier, on se trouvait en face d’un mur.
Le soir, Bridet rentrait exténué. Pour conserver sa chambre, il devait simuler chaque semaine un départ, les hôtels étant réservés aux voyageurs de passage. « C’est tout de même grotesque, pensait-il, de n’avoir pas encore trouvé, au bout de trois mois, le moyen de filer. Cela devient même dangereux. » Tout le monde finissait par se douter qu’il voulait partir. Rien ne dévoile mieux nos intentions qu’une longue impuissance. À toujours demander sans obtenir, on finit par donner de soi l’idée qu’on ne réussira jamais, qu’on appartient à cette catégorie un peu ridicule d’hommes dont les désirs sont trop grands pour leurs possibilités.

-oOo-

Le 4 septembre 1940, Bridet se réveilla plus tôt que d’habitude. Il occupait à l’hôtel Carnot une petite chambre, la chambre 59, la dernière. Elle donnait sur la place Carnot, en face de la gare de Perrache. Toute la nuit il avait entendu des allées et venues. Jamais les Français n’avaient autant voyagé. Avant le lever du jour, il avait entendu les premiers tramways. La vie continuait donc comme avant ! Il y avait donc encore des ouvriers qui se rendaient à leur travail ! Et cette vie régulière que ces entrechoquements de voiture à l’aube et ces bruits de roues de fer sur les rails évoquaient, avait quelque chose de désespérant.
Le soleil s’était levé, mais il n’avait pas encore dépassé les maisons plantées de l’autre côté de la place et ces rayons qui ne se posaient sur rien, qui se répandaient simplement dans l’espace, donnaient au ciel un aspect printanier. Tout à coup, au plafond, une pâle lumière dorée vint se poser. Bridet se rappela des matins de vacances et il eut un serrement de cœur. La vie était toujours aussi belle. Lui aussi, il avait envie de voyager. Mais à Avignon, à Toulouse, à Marseille, que trouverait-il de mieux ? On étouffait partout. Où qu’on allât, on se sentait écrasé par une police de plus en plus nombreuse. Chaque agent était doublé d’un autre agent, quelquefois même d’un civil qui, dans sa hâte de prendre du service, n’avait pas attendu qu’un uniforme lui fût donné.
« Cela me dégoûte, mais il faut tout de même que j’aille voir Basson », murmura Bridet. Il se disait chaque jour qu’il devait aller à Vichy. Il s’en voulait d’avoir trop attendu. Il avait traîné tout l’été dans les villages du Puy-de-Dôme, de l’Ardèche, de la Drôme, espérant il ne savait quoi, et maintenant il avait le sentiment que ce qu’il aurait pu faire dans la confusion qui avait suivi l’armistice devenait de jour en jour plus difficile.
Il avait des amis, Basson par exemple. Ce dernier lui ferait obtenir une mission quelconque, un passeport. Une fois hors de France, Bridet se débrouillerait bien. L’Angleterre n’était tout de même pas inaccessible.
« Il faut absolument que je voie Basson », répéta-t-il. Il n’aurait qu’à cacher son jeu. Il dirait à tous qu’il voulait servir la Révolution nationale.
« Est-ce qu’on me croira ? » se demanda-t-il. Il venait de se rappeler qu’il avait beaucoup parlé, que pendant longtemps il ne s’était pas gêné de dire ce qu’il pensait, qu’encore aujourd’hui il lui arrivait de ne pouvoir se retenir. Jusqu’à présent, cette loquacité n’avait pas paru tirer à conséquence, mais voilà que tout à coup, au moment d’agir, il lui apparaissait que le monde entier connaissait ses projets. Il pensa alors, pour se redonner du courage, qu’au fond les gens ne nous jugent pas d’après ce que nous avons dit – eux-mêmes ont dit tant de choses – mais d’après ce que nous disons dans le moment présent. Il n’avait qu’à marcher à fond pour le Maréchal. C’était un homme merveilleux. Il avait sauvé la France. Grâce à lui, les Allemands avaient du respect pour nous. Ils surmontaient leur victoire. Nous, nous surmontions notre défaite, ce qui permettait aux deux peuples de se parler presque d’égal à égal. Voilà ce qu’il fallait dire. Quand on se trouvait en présence d’un excité, on pouvait même aller plus loin. Si chaque Français scrutait au fond de lui-même, s’il était de bonne foi, il devait bien reconnaître qu’il avait éprouvé un immense soulagement à la signature de l’armistice.
« Vous étiez sur les routes et maintenant vous êtes chez vous », avait dit le Maréchal. Bridet n’avait qu’à dire la même chose. Il ne devait avoir aucun scrupule à tromper des gens pareils. Il pouvait leur raconter n’importe quoi. Plus tard, quand il aurait rejoint de Gaulle, il se rattraperait.

-oOo-

Une fois habillé, il sortit. À cent mètres de là, il entra dans un autre hôtel pour rendre à sa femme l’habituelle petite visite matinale.
La fameuse affiche représentant un drapeau tricolore au milieu duquel était dessinée la tête du Maréchal un peu de trois quarts, par modestie, volontairement affinée, avec un faux col empesé, un képi sans la moindre inclinaison et cette expression de profonde honnêteté, de légère amertume, de fermeté n’excluant pas la bonté, que les mauvais artistes savent si bien rendre, cachait la grande glace centrale.
Yolande avait également trouvé une chambre. Cette dernière, comme celle de son mari, était trop petite pour qu’on pût y coucher à deux. Bridet n’en était d’ailleurs pas trop mécontent. Il était dans un tel état d’abattement qu’il préférait être seul. Il avait beaucoup aimé sa femme, mais depuis l’armistice, sans qu’il s’en rendît compte nettement, il s’était un peu détaché. Elle avait tout à coup des volontés, des désirs qui n’étaient plus les siens. Elle avait été frappée, elle aussi, par la catastrophe et elle semblait découvrir maintenant qu’il y avait dans la vie des choses autrement importantes que la bonne entente dans un ménage.
Elle s’inquiétait pour sa famille restée à Paris, elle qui pendant des années ne s’était pas souciée d’elle. Elle était impatiente de revoir des gens qui jusqu’alors lui avaient été indifférents. Elle parlait sans cesse de son petit magasin de modes de la rue Saint-Florentin, de son appartement, comme si elle y avait vécu seule. Bridet avait senti qu’il était devenu peu à peu à ses yeux, non pas un étranger, mais un de ces êtres qu’on néglige un peu car, malgré l’amour qu’ils nous portent, ils ne peuvent rien pour nous. Et au fond de son cœur, il estimait qu’elle avait raison de le juger ainsi. En effet, il ne pouvait rien pour elle. Tant qu’il y avait eu une armée, en en faisant partie, il avait défendu sa femme. À présent, il ne la défendait plus. Il ne pouvait pas aller à sa place solliciter un ausweiss, il ne pouvait pas lui trouver une simple chambre, ni un taxi, il ne pouvait pas envoyer d’argent à sa famille de Paris, ni s’occuper du magasin, il ne pouvait absolument rien. Elle le savait et, tout doucement, elle prenait l’habitude de ne compter que sur elle-même.
Il s’assit près d’elle. Jusqu’à présent, il n’avait jamais fait la plus petite allusion à son désir de partir.
– Écoute, Yolande. Il faut que je te parle sérieusement.
Elle le regarda sans paraître remarquer qu’il était plus grave que d’habitude. Il y avait du monde dans le hall. Il aurait fallu parler à voix basse, en se retournant à chaque instant.
– Viens là-bas, dit Bridet. Nous serons plus tranquilles.
Yolande se leva. Ils all

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