Le journal d une femme de chambre
295 pages
Français

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Le journal d'une femme de chambre , livre ebook

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Description

Octave Mirbeau, dans ce qui peut apparaître comme un roman sulfureux, voire érotique, qui a pu être voué au secret des bibliothèques, compose une peinture très réaliste et caricaturale d’un certain enfer social, un « roman de mœurs », qui donne une place centrale à la sexualité, et dans lequel s’agitent les exploités, écrasés « sous le talon de fer des riches » (Jack London), qui ne sont rien face à la puissante des nantis.
On ne pourra s’empêcher de faire un parallèle avec cette fameuse affaire de mai 2011, quand Célestine, pour tenter de récupérer un salaire que ces maîtres ne veulent pas lui verser, s’adressera au commissaire et au juge :
« Hélas, le commissaire de police prétendit que cela ne le regardait pas. Le juge de paix m’engagea à étouffer l’affaire. Il expliqua : – D’abord, Mademoiselle, on ne vous croira pas... Et c’est juste, remarquez bien... Que deviendrait la société si un domestique pouvait avoir raison d’un maître ?... Il n’y aurait plus de société, Mademoiselle... ce serait l’anarchie... »
Célestine, petite chambrière délurée, nous dévoile l’intimité de ces maisons bourgeoises où les convenances sont un vernis fragile qui masque mal les perversions, les bassesses morales. Comme ses consœurs, elle est soumise à la « loi du plus fort », ballottée de place en place, réduite à un « esclavagisme moderne » qui profite aussi bien aux bureaux de placement qu’aux bourgeois qui comptent avec parcimonie les gages. Des femmes de chambre « déshumanisées », exploitées, utilisées souvent comme « travailleuses sexuelles à domicile », pour combler les frustrations du mari ou faire l’éducation sexuelle des fils... Et comme si cela ne suffisait pas, elles subissent humiliations et brimades.

Et au fil des pages de ce roman, se révèle la condition des femmes dans ces entresols sociaux, leur aliénation au pouvoir à la fois des riches, mais aussi des hommes. Un tableau caustique de la société qu’Octave Mirbeau nous livre ici, dans une période où l’auteur était particulièrement dégoûté des hommes.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 88
EAN13 9782374533872
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0022€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le journal d'une femme de chambre
Octave Mirbeau
LES CLASSIQUES DU 38
À MONSIEUR JULES HURET
Mon cher ami, En tête de ces pages, j’ai voulu, pour deux raisons très fortes et très précises, inscrire votre nom. D’abord, pour que vous sachiez combien votre nom m’est cher. Ensuite – je le dis avec un tranquille orgueil – pa rce que vous aimerez ce livre. Et ce livre, malgré tous ses défauts, vous l’aimerez, parce que c’est un livre sans hypocrisie, parce que c’est de la vie, et de la vie comme nous la comprenons, vous et moi… J’ai toujours présentes à l’esprit, mon che r Huret, beaucoup des figures, si étrangement humaines, que vous fîtes défiler dans u ne longue suite d’études sociales et littéraires. Elles me hantent. C’est qu e nul mieux que vous, et plus profondément que vous, n’a senti, devant les masque s humains, cette tristesse et ce comique d’être un homme… Tristesse qui fait rire , comique qui fait pleurer les âmes hautes, puissiez-vous les retrouver ici… Octave Mirbeau
Mai 1900
Ce livre que je publie sous ce titre : Le Journal d’une femme de chambre a été véritablement écrit par Mlle Célestine R…, femme de chambre. Une première fois, je fus prié de revoir le manuscrit, de le corriger, d’en récrire quelques parties. Je refusai d’abord, jugeant non sans raison que, tel quel, dans son débraillé, ce journal avait une originalité, une saveur particulière, et que je ne pouvais que le banaliser en « y mettant du mien ». Mais Mlle Célestine R… était fort jolie… Elle insista. Je finis par céder, car je suis homme, après tout… Je confesse que j’ai eu tort. En faisant ce travail qu’elle me demandait, c’est-à-dire en ajoutant, çà et là, quelques accents à ce livre, j’ai bien peur d’en avoir altéré la grâce un peu corrosive, d’en avoir diminué la force triste, et surtout d’avoir remplacé par de la simple littérature ce qu’il y avait dans ces pages d’émotion et de vie… Ceci dit, pour répondre d’avance aux objections que ne manqueront pas de faire certains critiques graves et savants… et combien nobles !… O. M.
I
14 septembre Aujourd’hui, 14 septembre, à trois heures de l’aprè s-midi, par un temps doux, gris et pluvieux, je suis entrée dans ma nouvelle place. C’est la douzième en deux ans. Bien entendu, je ne parle pas des places que j’ai f aites durant les années précédentes. Il me serait impossible de les compter . Ah ! je puis me vanter que j’en ai vu des intérieurs et des visages, et de sales âm es… Et ça n’est pas fini… À la façon, vraiment extraordinaire, vertigineuse, dont j’ai roulé, ici et là, successivement, de maisons en bureaux et de bureaux en maisons, du Bois de Boulogne à la Bastille, de l’Observatoire à Montmar tre, des Ternes aux Gobelins, partout, sans pouvoir jamais me fixer nulle part, f aut-il que les maîtres soient difficiles à servir maintenant !… C’est à ne pas croire. L’affaire s’est traitée par l’intermédiaire des Pet ites Annonces du Figaro et sans que je voie Madame. Nous nous sommes écrit des lett res, ç’a été tout : moyen chanceux où l’on a souvent, de part et d’autre, des surprises. Les lettres de Madame sont bien écrites, ça, c’est vrai. Mais elle s révèlent un caractère tatillon et méticuleux… Ah ! il lui en faut des explications et des commentaires, et des pourquoi, et des parce que… je ne sais si Madame es t avare ; en tout cas, elle ne se fend guère pour son papier à lettres… Il est ach eté au Louvre… Moi qui ne suis pas riche, j’ai plus de coquetterie… J’écris sur du papier parfumé à la peau d’Espagne, du beau papier, tantôt rose, tantôt bleu pâle, que j’ai collectionné chez mes anciennes maîtresses… Il y en a même sur lequel sont gravées des couronnes de comtesse… Ça a dû lui en boucher un coin. Enfin, me voilà en Normandie, au Mesnil-Roy. La pro priété de Madame, qui n’est pas loin du pays, s’appelle le Prieuré… C’est à peu près tout ce que je sais de l’endroit où, désormais, je vais vivre… Je ne suis pas sans inquiétudes ni sans regret d’êt re venue, à la suite d’un coup de tête, m’ensevelir dans ce fond perdu de province . Ce que j’en ai aperçu m’effraie un peu, et je me demande ce qui va encore m’arriver ici… Rien de bon sans doute et, comme d’habitude, des embêtements… Les embêteme nts, c’est le plus clair de notre bénéfice. Pour une qui réussit, c’est-à-dire pour une qui épouse un brave garçon ou qui se colle avec un vieux, combien sont destinées aux malchances, emportées dans le grand tourbillon de la misère ?… Après tout, je n’avais pas le choix ; et cela vaut mieux que rien. Ce n’est pas la première fois que je suis engagée e n province. Il y a quatre ans, j’y ai fait une place… Oh ! pas longtemps… et dans des circonstances véritablement exceptionnelles… Je me souviens de cette aventure c omme si elle était d’hier…
Bien que les détails en soient un peu lestes et mêm e horribles, je veux la conter… D’ailleurs, j’avertis charitablement les personnes qui me liront que mon intention, en écrivant ce journal, est de n’employer aucune rétic ence, pas plus vis-à-vis de moi-même que vis-à-vis des autres. J’entends y mettre a u contraire toute la franchise qui est en moi et, quand il le faudra, toute la bru talité qui est dans la vie. Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les vo iles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture. Voici la chose : J’avais été arrêtée, dans un bureau de placement, p ar une sorte de grosse gouvernante, pour être femme de chambre chez un cer tain M. Rabour, en Touraine. Les conditions acceptées, il fut convenu que je pre ndrais le train, tel jour, à telle heure, pour telle gare ; ce qui fut fait selon le p rogramme. Dès que j’eus remis mon billet au contrôleur, je trouvai, à la sortie, une espèce de cocher à face rubiconde et bourrue, qui m’interpell a : – C’est-y vous qu’êtes la nouvelle femme de chambre de M. Rabour ? – Oui, c’est moi. – Vous avez une malle ? – Oui, j’ai une malle. – Donnez-moi votre bulletin de bagages et attendez-moi là… Il pénétra sur le quai. Les employés s’empressèrent . Ils l’appelaient « Monsieur Louis » sur un ton d’amical respect. Louis chercha ma malle parmi les colis entassés et la fit porter dans une charrette anglai se, qui stationnait près de la barrière. – Eh bien… montez-vous ? Je pris place à côté de lui sur la banquette, et no us partîmes. Le cocher me regardait du coin de l’œil. Je l’exami nais de même. Je vis tout de suite que j’avais affaire à un rustre, à un paysan mal dégrossi, à un domestique pas stylé et qui n’a jamais servi dans les grandes mais ons. Cela m’ennuya. Moi, j’aime les belles livrées. Rien ne m’affole comme une culo tte de peau blanche, moulant des cuisses nerveuses. Et ce qu’il manquait de chic , ce Louis, sans gants pour conduire, avec un complet trop large de droguet gri s bleu, et une casquette plate, en cuir verni, ornée d’un double galon d’or. Non vr ai ! ils retardent, dans ce patelin-là. Avec cela, un air renfrogné, brutal, mais pas m échant diable, au fond. Je connais ces types. Les premiers jours, avec les nouvelles, ils font les malins, et puis après
ça s’arrange. Souvent, ça s’arrange mieux qu’on ne voudrait. Nous restâmes longtemps sans dire un mot. Lui faisa it des manières de grand cocher, tenant les guides hautes et jouant du fouet avec des gestes arrondis… Non, ce qu’il était rigolo !… Moi, je prenais des attitu des dignes pour regarder le paysage, qui n’avait rien de particulier ; des champs, des a rbres, des maisons, comme partout. Il mit son cheval au pas pour monter une c ôte et, tout à coup, avec un sourire moqueur, il me demanda : – Avez-vous au moins apporté une bonne provision de bottines ? – Sans doute ! dis-je, étonnée de cette question qu i ne rimait à rien, et plus encore du ton singulier sur lequel il me l’adressai t… Pourquoi me demandez-vous ça ?… C’est un peu bête ce que vous me demandez là, mon gros père, savez ?… Il me poussa du coude légèrement et, glissant sur m oi un regard étrange dont je ne pus m’expliquer la double expression d’ironie ai guë et, ma foi, d’obscénité réjouie, il dit en ricanant : – Avec ça !… Faites celle qui ne sait rien… Farceus e va… sacrée farceuse ! Puis il claqua de la langue, et le cheval reprit so n allure rapide. J’étais intriguée. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Peut-être rien du tout… Je pensai que le bonhomme était un peu nigaud , qu’il ne savait point parler aux femmes et qu’il n’avait pas trouvé autre chose pour amener une conversation que, d’ailleurs, je jugeai à propos de ne pas conti nuer. La propriété de M. Rabour était assez belle et gran de. Une jolie maison, peinte en vert clair, entourée de vastes pelouses fleuries et d’un bois de pins qui embaumait la térébenthine. J’adore la campagne… mais, c’est d rôle, elle me rend triste et elle m’endort. J’étais tout abrutie quand j’entrai dans le vestibule où m’attendait la gouvernante, celle-là même qui m’avait engagée au b ureau de placement de Paris, Dieu sait après combien de questions indiscrètes su r mes habitudes intimes, mes goûts ; ce qui aurait dû me rendre méfiante… Mais o n a beau en voir et en supporter de plus en plus fortes chaque fois, ça ne vous instruit pas… La gouvernante ne m’avait pas plu au bureau ; ici, ins tantanément, elle me dégoûta et je lui trouvai l’air répugnant d’une vieille maquer elle. C’était une grosse femme, grosse et courte, courte et soufflée de graisse jau nâtre, avec des bandeaux plats grisonnants, une poitrine énorme et roulante, des m ains molles, humides, transparentes comme de la gélatine. Ses yeux gris i ndiquaient la méchanceté, une méchanceté froide, réfléchie et vicieuse. À la faço n tranquille et cruelle dont elle vous regardait, vous fouillait l’âme et la chair, e lle vous faisait presque rougir. Elle me conduisit dans un petit salon et me quitta aussitôt, disant qu’elle allait prévenir Monsieur, que Monsieur voulait me voir ava nt que je ne commençasse
mon service. – Car Monsieur ne vous a pas vue, ajouta-t-elle. Je vous ai prise, c’est vrai, mais enfin, il faut que vous plaisiez à Monsieur… J’inspectai la pièce. Elle était tenue avec une pro preté et un ordre extrêmes. Les cuivres, les meubles, le parquet, les portes, astiq ués à fond, cirés, vernis, reluisaient ainsi que des glaces. Pas de flafla, de tentures lourdes, de choses brodées, comme on en voit dans de certaines maisons de Paris ; mais du confortable sérieux, un air de décence riche, de vi e provinciale cossue, régulière et calme. Ce qu’on devait s’ennuyer ferme, là-dedans, par exemple !… Mazette ! Monsieur entra. Ah ! le drôle de bonhomme, et qu’il m’amusa !… Figurez-vous un petit vieux, tiré à quatre épingles, rasé de frais et tout rose, ainsi qu’une poupée. Très droit, très vif, très ragoûtant, ma foi ! il s autillait, en marchant, comme une petite sauterelle dans les prairies. Il me salua et avec infiniment de politesse : – Comment vous appelez-vous, mon enfant ? – Célestine, Monsieur. – Célestine… fit-il… Célestine ?… Diable !… Joli no m, je ne prétends pas le contraire… mais trop long, mon enfant, beaucoup tro p long… Je vous appellerai Marie, si vous le voulez bien… C’est très gentil au ssi, et c’est court… Et puis, toutes mes femmes de chambre, je les ai appelées Marie. C’ est une habitude à laquelle je serais désolé de renoncer… Je préférerais renoncer à la personne… Ils ont tous cette bizarre manie de ne jamais vous appeler par votre nom véritable… Je ne m’étonnai pas trop, moi à qui l’on a donné déjà tous les noms de toutes les saintes du calendrier… Il insista : – Ainsi, cela ne vous déplaît pas que je vous appel le Marie ?… C’est bien entendu ?… – Mais oui, Monsieur… – Jolie fille… bon caractère… Bien, bien ! Il m’avait dit tout cela d’un air enjoué, extrêmeme nt respectueux, et sans me dévisager, sans fouiller d’un regard déshabilleur m on corsage, mes jupes, comme font, en général, les hommes. À peine s’il m’avait regardée. Depuis le moment où il était entré dans le salon, ses yeux restaient obsti nément fixés sur mes bottines. – Vous en avez d’autres ?… me demanda-t-il, après u n court silence, pendant lequel il me sembla que son regard était devenu étrangement brillant.
– D’autres noms, Monsieur ? – Non, mon enfant, d’autres bottines… Et il passa, sur ses lèvres, à petits coups, une la ngue effilée, à la manière des chattes. Je ne répondis pas tout de suite. Ce mot de bottine s, qui me rappelait l’expression de gouaille polissonne du cocher, m’av ait interdite. Cela avait donc un sens ?… Sur une interrogation plus pressante, je fi nis par répondre, mais d’une voix un peu rauque et troublée, comme s’il se fût agi de confesser un péché galant : – Oui, Monsieur, j’en ai d’autres… – Des vernies ? – Oui, Monsieur. – De très… très vernies ? – Mais oui, Monsieur. – Bien… bien… Et en cuir jaune ? – Je n’en ai pas, Monsieur… – Il faudra en avoir… je vous en donnerai. – Merci, Monsieur ! – Bien… bien… Tais-toi ! J’avais peur, car il venait de passer dans ses yeux des lueurs troubles… des nuées rouges de spasmes… Et des gouttes de sueur ro ulaient sur son front… Croyant qu’il allait défaillir, je fus sur le point de crier, d’appeler au secours… mais la crise se calma, et, au bout de quelques minutes, il reprit d’une voix apaisée, tandis qu’un peu de salive moussait encore au coin de ses lèvres : – Ça n’est rien… c’est fini… Comprenez-moi, mon enf ant… Je suis un peu maniaque… À mon âge, cela est permis, n’est-ce pas ?… Ainsi, tenez, par exemple je ne trouve pas convenable qu’une femme cire ses b ottines, à plus forte raison les miennes… Je respecte beaucoup les femmes, Marie, et ne peux souffrir cela… C’est moi qui les cirerai vos bottines, vos petites bottines, vos chères petites bottines… C’est moi qui les entretiendrai… Écoutez bien… Chaque soir, avant de vous coucher, vous porterez vos bottines dans ma ch ambre… vous les placerez près du lit, sur une petite table, et, tous les mat ins, en venant ouvrir mes fenêtres…
vous les reprendrez. Et, comme je manifestais un prodigieux étonnement, il ajouta : – Voyons !… Ça n’est pas énorme, ce que je vous dem ande là… c’est une chose très naturelle, après tout… Et si vous êtes bien ge ntille… Vivement, il tira de sa poche deux louis qu’il me remit. – Si vous êtes bien gentille, bien obéissante, je v ous donnerai souvent des petits cadeaux. La gouvernante vous paiera, tous les mois, vos gages… Mais, moi, Marie, entre nous, souvent, je vous donnerai des petits ca deaux. Et qu’est-ce que je vous demande ?… Voyons, ça n’est pas extraordinaire, là… Est-ce donc si extraordinaire, mon Dieu ? Monsieur s’emballait encore. À mesure qu’il parlait , ses paupières battaient, battaient comme des feuilles sous l’orage. – Pourquoi ne dis-tu rien, Marie ?… Dis quelque cho se… Pourquoi ne marches-tu pas ?… Marche un peu que je les voie remuer… que je les voie vivre… tes petites bottines… Il s’agenouilla, baisa mes bottines, les pétrit de ses doigts fébriles et caresseurs, les délaça… Et, en les baisant, les pétrissant, les caressant, il disait d’une voix suppliante, d’une voix d’enfant qui pleure : – Oh ! Marie… Marie… tes petites bottines… donne-le s-moi, tout de suite… tout de suite… tout de suite… Je les veux tout de suite… donne-les-moi… J’étais sans force… La stupéfaction me paralysait… Je ne savais plus si je vivais réellement ou si je rêvais… Des yeux de Monsieur, j e ne voyais que deux petits globes blancs, striés de rouge. Et sa bouche était tout entière barbouillée d’une sorte de bave savonneuse… Enfin, il emporta mes bottines et, durant deux heur es, il s’enferma avec elles dans sa chambre… – Vous plaisez beaucoup à Monsieur, me dit la gouve rnante en me montrant la maison… Tâchez que cela continue… La place est bonn e… Quatre jours après, le matin, à l’heure habituelle, en allant ouvrir les fenêtres, je faillis m’évanouir d’horreur, dans la chambre… Mons ieur était mort !… Étendu sur le dos, au milieu du lit, le corps presque entièrement nu, on sentait déjà en lui et sur lui la rigidité du cadavre. Il ne s’était point débattu . Sur les couvertures, nul désordre ; sur le drap, pas la moindre trace de lutte, de soub resaut, d’agonie, de mains crispées qui cherchent à étrangler la Mort… Et j’au rais cru qu’il dormait, si son
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