Le jardin des supplices
250 pages
Français

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Le jardin des supplices , livre ebook

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Description

Octave Mirbeau (1848-917)



"Avant de raconter un des plus effroyables épisodes de mon voyage en Extrême-Orient, il est peut-être intéressant que j’explique brièvement dans quelles conditions je fus amené à l’entreprendre. C’est de l’histoire contemporaine.


À ceux qui seraient tentés de s’étonner de l’anonymat que, en ce qui me concerne, j’ai tenu à garder jalousement au cours de ce véridique et douloureux récit, je dirai : " Peu importe mon nom !... C’est le nom de quelqu’un qui causa beaucoup de mal aux autres et à lui-même, plus encore à lui-même qu’aux autres, et qui, après bien des secousses, pour être descendu, un jour, jusqu’au fond du désir humain, essaie de se refaire une âme dans la solitude et dans l’obscurité. Paix aux cendres de son péché."



Après un échec électoral, le narrateur est envoyé en mission à Ceylan par son protecteur qui est ministre. Sur le paquebot, il fait la connaissance de Clara, une anglaise mystérieuse et perverse qui habite en Chine. Il en tombe amoureux et décide de la suivre en Chine... un voyage aux enfers...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374635897
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le jardin des supplices


Octave Mirbeau

Février 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-589-7
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 589
PREMIÈRE PARTIE
En mission

Avant de raconter un des plus effroyables épisodes de mon voyage en Extrême-Orient, il est peut-être intéressant que j’explique brièvement dans quelles conditions je fus amené à l’entreprendre. C’est de l’histoire contemporaine.
À ceux qui seraient tentés de s’étonner de l’anonymat que, en ce qui me concerne, j’ai tenu à garder jalousement au cours de ce véridique et douloureux récit, je dirai : « Peu importe mon nom !... C’est le nom de quelqu’un qui causa beaucoup de mal aux autres et à lui-même, plus encore à lui-même qu’aux autres, et qui, après bien des secousses, pour être descendu, un jour, jusqu’au fond du désir humain, essaie de se refaire une âme dans la solitude et dans l’obscurité. Paix aux cendres de son péché. »
I

Il y a douze ans, ne sachant plus que faire et condamné par une série de malchances à la dure nécessité de me pendre ou de m’aller jeter dans la Seine, je me présentai aux élections législatives – suprême ressource –, en un département où, d’ailleurs, je ne connaissais personne et n’avais jamais mis les pieds.
Il est vrai que ma candidature était officieusement soutenue par le Cabinet qui, ne sachant non plus que faire de moi, trouvait ainsi un ingénieux et délicat moyen de se débarrasser, une fois pour toutes, de mes quotidiennes, de mes harcelantes sollicitations.
À cette occasion, j’eus avec le ministre, qui était mon ami et mon ancien camarade de collège, une entrevue solennelle et familière, tout ensemble.
– Tu vois combien nous sommes gentils pour toi !... me dit ce puissant, ce généreux ami... À peine nous t’avons retiré des griffes de la justice – et nous y avons eu du mal – que nous allons faire de toi un député.
– Je ne suis pas encore nommé... dis-je d’un ton grincheux.
– Sans doute !... mais tu as toutes les chances... Intelligent, séduisant de ta personne, prodigue, bon garçon quand tu le veux, tu possèdes le don souverain de plaire... Les hommes à femmes, mon cher, sont toujours des hommes à foule... Je réponds de toi... Il s’agit de bien comprendre la situation... Du reste elle est très simple...
Et il me recommanda :
– Surtout pas de politique !... Ne t’engage pas... ne t’emballe pas !... Il y a dans la circonscription que je t’ai choisie une question qui domine toutes les autres : la betterave... Le reste ne compte pas et regarde le préfet... Tu es un candidat purement agricole... mieux que cela, exclusivement betteravier... Ne l’oublie point... Quoi qu’il puisse arriver au cours de la lutte, maintiens-toi, inébranlable, sur cette plate-forme excellente... Connais-tu un peu la betterave ?...
– Ma foi ! non, répondis-je... Je sais seulement, comme tout le monde, qu’on en tire du sucre... et de l’alcool.
– Bravo ! cela suffit, applaudit le ministre avec une rassurante et cordiale autorité... Marche carrément sur cette donnée... Promets des rendements fabuleux... des engrais chimiques extraordinaires et gratuits... des chemins de fer, des canaux, des routes pour la circulation de cet intéressant et patriotique légume... Annonce des dégrèvements d’impôts, des primes aux cultivateurs, des droits féroces sur les matières concurrentes... tout ce que tu voudras !... Dans cet ordre de choses, tu as carte blanche, et je t’aiderai... Mais ne te laisse pas entraîner à des polémiques personnelles ou générales qui pourraient te devenir dangereuses et, avec ton élection, compromettre le prestige de la République... Car, entre nous, mon vieux – je ne te reproche rien, je constate, seulement –, tu as un passé plutôt gênant...
Je n’étais pas en veine de rire... Vexé par cette réflexion, qui me parut inutile et désobligeante, je répliquai vivement, en regardant bien en face mon ami, qui put lire dans mes yeux ce que j’y avais accumulé de menaces nettes et froides :
– Tu pourrais dire plus justement : « Nous avons un passé... » Il me semble que le tien, cher camarade, n’a rien à envier au mien...
– Oh, moi !... fit le ministre avec un air de détachement supérieur et de confortable insouciance, ce n’est pas la même chose... Moi... mon petit... je suis couvert... par la France !
Et, revenant à mon élection, il ajouta :
– Donc, je me résume... De la betterave, encore de la betterave, toujours de la betterave !... Tel est ton programme... Veille à n’en pas sortir.
Puis il me remit discrètement quelques fonds et me souhaita bonne chance.

Ce programme, que m’avait tracé mon puissant ami, je le suivis fidèlement, et j’eus tort... Je ne fus pas élu. L’écrasante majorité qui échut à mon adversaire, je l’attribue, en dehors de certaines manœuvres déloyales, à ceci que ce diable d’homme était encore plus ignorant que moi et d’une canaillerie plus notoire.
Constatons en passant qu’une canaillerie bien étalée, à l’époque où nous sommes, tient lieu de toutes les qualités et que plus un homme est infâme, plus on est disposé à lui reconnaître de force intellectuelle et de valeur morale.
Mon adversaire, qui est aujourd’hui une des illustrations les moins discutables de la politique, avait volé en maintes circonstances de sa vie. Et sa supériorité lui venait de ce que, loin de s’en cacher, il s’en vantait avec le plus révoltant cynisme.
– J’ai volé... j’ai volé... clamait-il par les rues des villages, sur les places publiques des villes, le long des routes, dans les champs...
– J’ai volé... j’ai volé... publiait-il en ses professions de foi, affiches murales et confidentielles circulaires...
Et, dans les cabarets, juchés sur des tonneaux, ses agents, tout barbouillés de vin et congestionnés d’alcool, répétaient, trompettaient ces mots magiques :
– Il a volé... il a volé...
Émerveillées, les laborieuses populations des villes, non moins que les vaillantes populations des campagnes acclamaient cet homme hardi avec une frénésie qui, chaque jour, allait grandissant, en raison directe de la frénésie de ses aveux.
Comment pouvais-je lutter contre un tel rival, possédant de tels états de service, moi qui n’avais encore sur la conscience, et les dissimulais pudiquement, que de menues peccadilles de jeunesse, tels que, vols domestiques, rançons de maîtresses, tricheries au jeu, chantages, lettres anonymes, délations et faux ?... Ô candeur des ignorantes juvénilités !
Je faillis même, un soir, dans une réunion publique, être assommé par des électeurs furieux de ce que, en présence des scandaleuses déclarations de mon adversaire, j’eusse revendiqué, avec la suprématie des betteraves, le droit à la vertu, à la morale, à la probité, et proclamé la nécessité de nettoyer la République des ordures individuelles qui la déshonoraient. On se rua sur moi ; on me prit à la gorge ; on se passa, de poings en poings, ma personne soulevée et ballottante comme un paquet... Par bonheur, je me tirai de cet accès d’éloquence avec, seulement, une fluxion à la joue, trois côtes meurtries et six dents cassées...
C’est tout ce que je rapportai de cette désastreuse aventure, où m’avait si malencontreusement conduit la protection d’un ministre qui se disait mon ami.
J’étais outré.
J’avais d’autant plus le droit d’être outré que, tout d’un coup, au plus fort de la bataille, le gouvernement m’abandonnait, me laissait sans soutien, avec ma seule betterave comme amulette, pour s’entendre et pour traiter avec mon adversaire.
Le préfet, d’abord très humble, n’avait pas tardé à devenir très insolent ; puis il me refusait les renseignements utiles à mon élection ; enfin, il me fermait, ou à peu près, sa porte. Le ministre lui-même ne répondait plus à mes lettres, ne m’accordait rien de ce que je lui demandais, et les journaux dévoués dirigeaient contre moi de sourdes attaques, de pénibles allusions, sous des proses polies et fleuries. On n’allait pas jusqu’à me combattre officiellement, mais il était clair, pour tout le monde, qu’on me lâchait... Ah ! je crois bien que jamais tant de fiel n’entra dans l’âme d’un homme !
De retour à Paris, fermement résolu à faire un éclat, au risque de tout pe

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