Le dernier amour
123 pages
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Le dernier amour , livre ebook

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Description

Faut-il céder à la passion, ou obéir aux codes qui scellent l’appartenance à la société ? Quel choix possible, entre un vieux mari et un jeune amant plein de fougue ? Les contradictions de l’amour, mais aussi ses risques, les souffrances que peut engendrer une passion amoureuse, peut-être dévastatrice. Sous-jacent, un désir de révolte contre la condition faite aux femmes, contre l’oppression subie.
Un roman de George Sand dédié à son ami Flaubert, et inspiré de son dernier amour, celui de la maturité, avec le jeune graveur Alexandre Manceau, une passion qui durera 15 ans.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 8
EAN13 9782374532387
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0022€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le dernier amour
George Sand
Les classiques du 38
Le dernier amour
À mon ami, Gustave Flaubert.
Nous étions réunis à la campagne un soir d’hiver. Le dîner, gai d’abord, comme l’est toujours un repas qui réunit de vrais amis, s’attrista vers la fin au récit de l’un de nous, médecin, qui avait eu à constater une mort violente et dramatique dans la matinée. Un fermier des environs, que nous connaissions tous pour un homme honnête et sensé, avait tué sa femme dans un accès de jalousie trop fondée. Après les questions précipitées que fait toujours naître un événement tragique, après les explications et les commentaires, vinrent naturellement les réflexions sur la nature du fait, et je fus surpris de voir comme il était diversement apprécié par des esprits que semblaient relier entre eux, à beaucoup d’autres égards, les mêmes idées, les mêmes sentiments, les mêmes principes.
L’un disait que le meurtrier avait agi avec toute la lucidité de son jugement, puisqu’il avait eu la conscience de son droit ; l’autre affirmait qu’en se faisant justice à lui-même un homme de mœurs douces avait dû être sous l’empire d’une démence passagère. Un autre haussait les épaules, regardant comme une lâcheté de tuer une femme, si coupable qu’elle fût ; un autre encore regardait comme une lâcheté de la laisser vivre après une trahison flagrante.
Je ne vous dirai pas toutes les théories contradictoires qui furent soulevées et débattues à propos de ce fait éternellement insoluble : le droit moral de l’époux sur la femme adultère au point de vue légal, au point de vue social, au point de vue religieux, au point de vue philosophique ; tout fut affirmé passionnément ou remis en question avec audace sans que l’on pût s’entendre. Quelqu’un demanda en riant que l’honneur ne le contraignît pas à tuer la femme dont il ne se souciait en aucune façon, et il ajouta une proposition assez spécieuse.
— Faites une loi, dit-il, qui oblige l’époux trompé à trancher publiquement la tête de sa coupable moitié, et, parmi ceux de vous qui se montrent implacables en théorie, je parie qu’il n’y aura personne à qui une pareille loi ne fasse jeter les hauts cris.
Un seul de nous n’avait pris aucune part à la discussion. C’était M. Sylvestre, un vieillard fort pauvre, fort doux, aimable optimiste au cœur sensible, au socialisme berquinisé, voisin discret, dont nous riions un peu, que nous aimions beaucoup et dont nous savions le caractère absolument respectable.
Ce vieillard a été marié, et il a eu une fille fort belle ; la femme est morte après avoir gaspillé par vanité une grande fortune. La fille a fait pis que de mourir. Après avoir tenté vainement de l’arracher au désordre, M. Sylvestre, vers l’âge de cinquante ans, lui abandonna les dernières ressources dont il disposait, afin de lui ôter tout prétexte d’indigne spéculation, sacrifice très-inutile qu’elle dédaigna, mais qu’il jugea nécessaire à son propre honneur. Il partit pour la Suisse, où il ne garda de son nom que le prénom de Sylvestre et où il a passé dix ans, complétement perdu de vue par ceux qui l’avaient connu en France.
On l’a retrouvé plus tard non loin de Paris, dans un ermitage où il vivait avec une sobriété phénoménale moyennant une rente de trois cents francs, fruit de son travail et de ses économies à l’étranger. Il s’est laissé persuader enfin de passer les hivers chez M. et madame***, qui le chérissent et le vénèrent particulièrement ; mais il a une telle passion pour sa solitude, qu’il y retourne dès que les bourgeons paraissent aux arbres. C’est le dernier anachorète, et il passe pour athée ; mais c’est, au contraire, un spiritualiste obstiné qui s’est fait une religion conforme à ses instincts et une philosophie prise un peu partout. En somme, malgré l’admiration qu’on lui décerne dans la famille***, ce n’est pas une intelligence bien lumineuse ni bien complète ; mais c’est un noble et sympathique caractère qui a son côté sérieux, raisonné et arrêté.
Pressé de donner son avis et de formuler son opinion, après s’en être longtemps défendu sous prétexte qu’il était incompétent comme vieux garçon, il finit par avouer qu’il avait été marié deux fois et qu’il avait été très-malheureux en ménage. On ne put lui en faire dire davantage quant à sa propre histoire ; mais, voulant par une conclusion morale quelconque échapper à la curiosité, il nous parla ainsi :
— Certainement l’adultère est un crime, puisque c’est la violation d’un serment. J’estime le crime aussi grave pour un sexe que pour l’autre ; mais il est réellement difficile à éviter pour tous deux dans certains cas que je n’ai pas besoin de vous spécifier. Permettez-moi donc d’être casuiste en fait de rigorisme et de n’appeler adultère que la trahison non provoquée par celui qui en est victime, et sciemment accomplie par celui qui la commet. Dans ce cas-là, l’époux ou l’épouse adultère mérite châtiment ; mais quel châtiment appliquerez-vous dont celui qui l’inflige ne soit pas fatalement solidaire ? Il doit y avoir pour l’un comme pour l’autre une autre solution.
— Laquelle ? s’écria-t-on de toutes parts. Si vous l’avez trouvée, vous êtes habile !
— Je ne l’ai peut-être pas trouvée, répondit modestement le vieux Sylvestre ; mais je l’ai beaucoup cherchée.
— Dites-la ! dites ce que vous avez jugé le meilleur !
— J’ai essayé de trouver le châtiment qui moralise, je n’en ai jamais conçu d’autre.
— Quel est-il ? L’abandon ?
— Non.
— Le mépris ?
— Encore moins.
— La haine ?
— L’amitié !
On se regarda ; les uns riaient, les autres ne comprenaient pas.
— Je vous parais insensé ou niais, reprit tranquillement M. Sylvestre. Eh bien, avec l’amitié envisagée comme châtiment, on pourrait moraliser les natures accessibles au repentir ; mais ceci demanderait de trop longues explications : il est dix heures, et je ne veux pas inquiéter mes hôtes. Je vous demande la permission de m’esquiver.
Il le fit comme il le disait, sans qu’il fût possible de le retenir. On n’attacha pas une grande importance à ses paroles. On pensait qu’il se tirait d’affaire par un paradoxe quelconque, ou que, comme un vieux sphinx, il nous jetait, pour masquer son impuissance, une énigme dont il ne tenait pas le mot.
Je l’ai comprise plus tard, cette énigme de M. Sylvestre. Elle est aussi simple, je dirais presque aussi puérile que possible, et cependant, pour me l’expliquer, il dut entrer dans des considérations qui m’ont paru instructives et intéressantes. C’est pourquoi j’ai écrit le récit qu’il fit un mois plus tard à M. et à Madame*** en ma présence. J’ignore comment j’obtins de lui cette marque extraordinaire de confiance, de pouvoir être au nombre de ses auditeurs intimes. Peut-être lui étais-je devenu particulièrement sympathique par mon désir d’avoir son opinion sans y opposer une opinion personnelle préconçue ; peut-être éprouvait-il le besoin de raconter son âme et de distribuer dans quelques mains fidèles les grains de sagesse et de charité qu’il avait sauvés du désastre de sa vie.
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la valeur de cette révélation, la voici telle que j’ai pu la reconstruire en soudant ensemble les heures consacrées à diverses reprises à ce long récit. C’est moins un roman qu’un exposé de situations analysées avec patience et retracées avec scrupule. Ce n’est ni poétique ni intéressant au point de vue littéraire. Cela ne s’adresse donc qu’au sens moral et philosophique du lecteur. Je lui demande pardon de n’avoir pas à lui servir aujourd’hui un mets plus savant et plus savoureux. Le narrateur dont le but n’est pas de montrer son talent , mais de communiquer sa pensée, est comme le botaniste qui rapporte de sa promenade, non les plantes rares qu’il eût été heureux de trouver, mais les brins d’herbe que la saison rigoureuse lui a permis de recueillir. Ces pauvres herbes ne charment ni les yeux, ni l’odorat, ni le goût, et pourtant celui qui aime la nature y trouve encore matière à étudier, et il les apprécie.
La forme du récit de M. Sylvestre paraîtra peut-être monotone et trop dénuée d’ornements ; elle eut au moins pour ses auditeurs le mérite de la bonne foi et de la simplicité, et j’avoue que par moments elle me parut très-saisissante et très-belle. Je pensai, en l’écoutant, à cette admirable définition de Renan, que la parole est « ce vêtement simple de la pensée, tirant toute son élégance de sa parfaite proportion avec l’idée à exprimer, » et qu’en fait d’art « le grand principe est que tout doit servir à l’ornement, mais que tout ce qui est mis exprès pour l’ornement est mauvais. »
Je pense que M. Sylvestre était rempli de cette vérité ; car il sut captiver notre attention et nous tenir attentifs et recueillis avec son histoire sans péripéties et sa parole sans effets. Je ne suis malheureusement pas le sténographe de cette parole. Je l’ai reconstruite comme j’ai pu, et, soigneux seulement de suivre les pensées amenées par les actes, je lui ai fait infailliblement perdre sa couleur particulière et son mérite réel.
 
***
 
Il commença d’un ton assez dégagé, presque gai ; car, après les grandes crises de sa vie, son caractère est redevenu enjoué. Peut-être aussi ne comptait-il pas nous raconter le fond des choses, et pensait-il pouvoir supprimer les faits qu’il ne trouverait pas nécessaires à sa démonstration. Il en jugea autrement à mesure qu’il avança dans son récit, ou bien il fut entraîné, par la force de la vérité et l’intensité du souvenir, à ne rien retrancher et même à ne rien adoucir.
 
***
 
Vous me demandez, dit-il en s’adressant à M. et Madame***, ce que j’ai fait, en Suisse, de cinq ans de ma vie dont je ne vous ai jamais parlé, et qui doivent, selon vous, renfermer un mystère, quelque grand travail ou quelque vive passion. Vous ne vous trompez pas. C’est le temps de mes plus poignantes émotions et de mon plus rude travail intellectuel. C’est la crise finale et décisive de ma vie de personnalité, c’est ma plus ardente et ma plus dure expérience, c’est enfin mon dernier amour qui est enseveli dans

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