Le club des valets-de-coeur
709 pages
Français

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Description

Ponson du Terrail (1829-1871)



"Le jeune comte Artoff était sorti la veille de chez Baccarat en proie à une sorte d’émotion enthousiaste.


Il était entré chez elle en don Juan armé de ses millions comme d’un talisman ; il en sortait dominé, impressionné par la tristesse majestueuse de cette femme supérieure, et qui lui paraissait si horriblement calomniée.


Baccarat lui était apparue tout à coup comme un être mystérieux que la foule ne devinerait jamais. Était-ce une grande coupable repentie ? Était-ce quelque sombre vengeresse dont le bras s’armait dans l’ombre pour châtier et poursuivre à outrance des criminels et des meurtriers ?


C’était ce que le comte ne pouvait deviner ; mais il s’arrêtait forcément à l’une de ces deux hypothèses, et comprenait vaguement que Baccarat avait une haute mission à remplir.


Le comte rentra chez lui en proie à mille pensées diverses et confuses.


Aimait-il déjà cette femme, chez laquelle il était entré en conquérant ? N’éprouvait-il pour elle qu’une subite et respectueuse amitié, susceptible du plus grand dévouement ?


Il lui fut aussi impossible de trancher ces dernières questions que de résoudre les deux premières.


Il dormit mal. Baccarat se mêla à tous ses rêves. Il se voyait tantôt errant avec elle dans un désert et se mettant à ses genoux, tantôt elle l’entraînait dans un tourbillon, empruntait les formes les plus singulières, lui tenant les langages les plus divers.


Quand le jour vint, le jeune Russe ne put pas définir mieux que la veille de quelle nature était le sentiment qui le poussait vers Baccarat, mais il éprouvait un impérieux besoin de la revoir.


Elle lui avait dit la veille en le quittant : « Je vous attends pour déjeuner demain, à dix heures. »



Quatre années se sont écoulées depuis "L'héritage mystérieux", quatre années de bonheur pour tous. Andrea réapparaît ; il s'est repenti de ses actions criminelles passées et obtient la confiance de son frère Armand. Il devient le chef de la police secrète de ce dernier. Pendant ce temps, une mystérieuse association de malfaiteurs, commandée par Rocambole, sévit...


Tome II

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374633695
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Rocambole
Les drames de Paris
Le club des valets-de-cœur
Tome II
Ponson du Terrail
Mai 2019
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-369-5
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 370
LII
Le jeune comte Artoff était sorti la veille de chez Baccarat en proie à une sorte d’émotion enthousiaste. Il était entré chez elle en don Juan armé de ses mi llions comme d’un talisman ; il en sortait dominé, impressionné par la tristesse ma jestueuse de cette femme supérieure, et qui lui paraissait si horriblement c alomniée.
Baccarat lui était apparue tout à coup comme un êtr e mystérieux que la foule ne devinerait jamais. Était-ce une grande coupable rep entie ? Était-ce quelque sombre vengeresse dont le bras s’armait dans l’ombre pour châtier et poursuivre à outrance des criminels et des meurtriers ?
C’était ce que le comte ne pouvait deviner ; mais i l s’arrêtait forcément à l’une de ces deux hypothèses, et comprenait vaguement que Ba ccarat avait une haute mission à remplir.
Le comte rentra chez lui en proie à mille pensées d iverses et confuses. Aimait-il déjà cette femme, chez laquelle il était entré en conquérant ? N’éprouvait-il pour elle qu’une subite et respectue use amitié, susceptible du plus grand dévouement ? Il lui fut aussi impossible de trancher ces dernièr es questions que de résoudre les deux premières.
Il dormit mal. Baccarat se mêla à tous ses rêves. I l se voyait tantôt errant avec elle dans un désert et se mettant à ses genoux, tan tôt elle l’entraînait dans un tourbillon, empruntait les formes les plus singuliè res, lui tenant les langages les plus divers. Quand le jour vint, le jeune Russe ne put pas défin ir mieux que la veille de quelle nature était le sentiment qui le poussait vers Bacc arat, mais il éprouvait un impérieux besoin de la revoir. Elle lui avait dit la veille en le quittant : « Je vous attends pour déjeuner demain, à dix heures. »
Le comte s’aperçut avec désespoir, en passant sa tê te hors du lit, qu’il était à peine huit heures à la pendule de la cheminée. Cepe ndant il se leva, fit et défit trois ou quatre toilettes du matin, et comme le temps n’a llait point assez vite encore, il demanda l’un de ses chevaux de selle, décidé à mont er une heure et à faire le tour du Bois.
Le comte avait oublié que M. de Manerve l’attendait pareillement à déjeuner.
Il habitait un joli petit hôtel rue de la Pépinière , presque vis-à-vis le numéro 40, où Chérubin avait un appartement, où Mme Malassis occu pait un pavillon au fond du jardin.
L’hôtel, que le comte avait fait bâtir, avait un gr and jardin qui faisait retour sur les côtés du principal corps de logis. À l’extrémité de ce jardin, l’architecte avait fait construire un pavillon.
Ce pavillon était surmonté d’un belvédère très élev é. Du haut de ce belvédère, l’œil plongeait aisément sur les toits voisins et d ans les jardins environnants. Ainsi on pouvait voir par-dessus la maison ce qui se pass ait dans le jardin du numéro 40,
c’est-à-dire aux alentours du pavillon de Mme Malas sis. Ces détails topographiques nous étaient indispensab les pour l’intelligence de la suite de cette histoire. Le comte gagna à cheval le faubourg du Roule, puis les Champs-Élysées, fit le tour du Bois au galop, revint par le boulevard exté rieur, et arrêta sa monture ruisselante à la grille de l’hôtel de Baccarat, au moment où dix heures sonnaient aux horloges voisines.
Le groom de Baccarat accourut lui ouvrir et prendre sa bride. Puis il l’introduisit dans le salon que nous connaissons, et où, deux jou rs auparavant, Mme Charmet avait attendu Turquoise. Le comte se jeta sur un sofa et attendit avec anxié té. Baccarat ne tarda point à paraître.
Le comte jeta un cri d’étonnement et d’admiration à sa vue, tant elle lui sembla rayonnante et belle. Elle avait fait une fraîche to ilette du matin : robe bleue montante, bras demi-nus qu’ornait un seul bracelet d’argent massif avec un mot anglais pour épigraphe, ses beaux cheveux roulés en torsades comme jadis. Elle était souriante et calme, et ne ressemblait plus à cette femme solennellement triste que le comte avait vue la veille au soir, dans le p etit cabinet de travail. Elle tendit la main au jeune homme. – Bonjour, mon ami, lui dit-elle. Vous êtes exact c omme un amoureux.
– C’est que je le suis, dit-il avec une naïveté cha rmante.
– Eh bien, dit-elle en le baisant sur le front, vot re vieille amie vous guérira de ce ridicule.
Et elle ajouta, avec une nuance d’adorable mélancol ie :
– Fou que vous êtes ! on n’aime pas les centenaires ...
– Oh ! vous êtes jeune et belle, fit-il avec enthou siasme.
– Mon cœur est vieux pour l’amour. Et comme si elle eût voulu atténuer sur-le-champ la dureté de ces paroles : – Mais il est jeune pour l’amitié, dit-elle, et je veux être votre amie, car vous êtes noble et bon. Elle le fit asseoir auprès d’elle et continua à ten ir une de ses mains. – Voyons, dit-elle, causons un peu..., comme de vra is amoureux, puisque nous le sommes aux yeux du monde... Qu’allons-nous faire de notre journée ?
– Ce que vous voudrez, répondit le comte avec la so umission d’un enfant. – D’abord, vous allez me permettre de vous offrir à déjeuner ? – Ah ! mon Dieu ! s’écria le jeune Russe, et Manerv e qui m’attend !
– Pour déjeuner ?
– Oui. – Eh bien, écrivez-lui. Tenez, mettez-vous là, deva nt ce bureau, prenez une plume et écrivez. Le comte obéit et prit la plume. Baccarat lui dicta alors ce billet que nous connais sons, et que M. de Manerve lisait une heure plus tard à ses amis du café de Pa ris. Puis elle ajouta ce post-
scriptum dont on se souvient également ; et quand c e fut fait, elle plia le billet elle-même, le mit sous enveloppe et voulut que le comte le scellât avec un cachet armoiré qu’il avait parmi ses breloques. Après quoi elle sonna et dit à son groom : – Porte cette lettre chez le baron de Manerve, rue Caumartin, 12. Le groom parti, elle revint s’asseoir auprès du com te Artoff. – Mon ami, lui dit-elle, il faut me prouver votre a ffection en conscience.
– Que dois-je faire ?
– Me compromettre de votre mieux.
Et comme il la regardait :
– Le temps est beau, dit-elle, nous sortirons après déjeuner, comme vous le dites à Manerve, en voiture, vers midi, pour aller au Boi s. Mais...
– Mais ? interrogea le comte. – J’aimerais assez que cette première promenade que nous ferons ensemble fût environnée de quelque éclat. – Comme vous voudrez...
– Vous aviez, m’a-t-on dit, une ravissante calèche au dernier Longchamps.
– Je l’ai encore...
– Et quatre chevaux noirs attelés et harnachés à la russe, n’est-ce pas ?
– Ils sont toujours dans mes écuries.
– Eh bien, dit Baccarat, écrivez un mot à votre piq ueur. Je voudrais essayer de votre calèche. – Ce sera fait, répondit le comte ; la calèche sera ici avant midi. Baccarat et le comte Artoff déjeunèrent dans une pe tite salle à manger, pleine de fleurs et d’arbustes rares. Puis la jeune femme laissa le jeune homme en tête à tête avec une tasse de café et une caisse depuros, et elle alla s’habiller. À midi précis, la calèche attelée à la russe arriva . Presque aussitôt après, Baccarat, habillée, rejoignit le comte et s’appuya sur son bras. – Écoutez, lui dit-elle en prenant sa main pour mon ter en voiture, j’ai une fantaisie. – Parlez, madame. – Au retour du Bois, vous me mènerez chez vous, n’e st-ce pas ? – Ah ! certes, fit-il avec joie.
– Je veux voir votre hôtel en détail. Que voulez-vo us ! je suis toujours un peu femme... et qui dit femme dit curieuse. Elle lui jeta son beau sourire, s’arrondit coquette ment dans la calèche, et le fringant équipage s’ébranla sur-le-champ. Baccarat avait exprimé le désir de descendre par le faubourg Montmartre et de gagner le boulevard des Italiens. Elle tenait à pas ser au pas devant le café de Paris.
Justement, à l’instant même, le baron de Manerve en sortait. Il reconnut les gens, les chevaux, le livrée du comte, puis celui-ci et B accarat.
– Ah ! parbleu ! dit-il, voilà qui est aller vite e n besogne, surtout si l’on songe que
jusqu’à cette heurePaul et Virginiene s’étaient jamais vus.
Et il s’approcha de la calèche. – Tiens ! ce pauvre Manerve ! s’écria Baccarat avec son éclat de rire étincelant et moqueur. – Moi-même, madame... Et le baron salua comme on salue une femme qui va g aspiller des millions du bout de ses jolis doigts. – Mon cher comte, dit-il au jeune Russe, permettez- moi de vous faire mes compliments...
Le Russe eut un petit air fat qui ravit d’aise la p auvre Baccarat. – Ah çà ! dit-elle en riant toujours, voulez-vous u ne place près de nous ? Nous allons au Bois... – Merci ! je vais monter à cheval.
– Alors, nous nous retrouverons ?
– C’est probable. Et le baron allait s’éloigner pour laisser aux deux jeunes gens la liberté de continuer leur promenade, lorsqu’il songea à Chérub in. – Ah ! dit-il, j’oubliais...
– Quoi donc ?
– Vous allez au Bois ?
– Sans doute.
– Eh bien, vous rencontrerez M. Oscar de Verny...
– Ce monsieur qui m’a pariée ? demanda Baccarat ria nt comme une folle.
– Précisément.
– Eh bien ! dit le comte, il renoncera sûrement au pari.
– C’est ce qui vous trompe.
– En vérité ? – Il a déjeuné avec nous et tient le pari plus que jamais... en dépit même de votre lettre, que je lui ai lue. – Est-ce un homme mort ? demanda le comte souriant et regardant Baccarat.
– Je le crois, répondit-elle avec un calme qui donn a le frisson à M. de Manerve lui-même. Elle salua le baron d’un petit signe de main, et la calèche prit le grand trot. – Mon ami, dit alors Baccarat, qui redevint grave e t triste, que pensez-vous d’un homme qui engage un pari sur l’honneur d’une femme, cette femme fût-elle la dernière des créatures ?
– Je pense, répondit le comte, que cet homme est un misérable. – Croyez-vous que cette femme dont nous parlons pui sse jamais l’aimer ? – Non, dit le comte avec conviction. – Ah ! fit Baccarat, merci ! j’avais besoin de votre assertion pour oser continuer. – Mon Dieu ! qu’allez-vous me dire ?
– Ceci : ce Chérubin est un misérable que je hais e t que je méprise. Eh bien ! je vais lui laisser croire qu’il peut arriver à ses fi ns, qu’il peut gagner son infâme pari.
– Ah ! fit le comte. – Il le faut, dit Baccarat, dont l’accent devint so lennel. Qui vous dit que je ne suis point la main de l’expiation elle-même ? Le comte baissa la tête.
– Ainsi, reprit-elle, il est bien convenu entre nou s, n’est-ce pas ? que, quoi que je fasse, quoi que je dise, vous ne vous en rapportere z jamais aux apparences ? – Jamais ! – Que si on venait à vous dire que j’aime Chérubin, vous ne le croirez pas ? – Non. – C’est bien. Vous êtes un noble cœur.
La calèche descendait au grand trot l’avenue de Neu illy ; bientôt elle franchit la porte Maillot, et quelques minutes après, elle atte ignit cette allée à l’extrémité de laquelle chevauchaient M. le vicomte de Cambolh et Chérubin.
Celui-ci, nous l’avons dit, mit son cheval en trave rs de la route.
La calèche s’arrêta sur l’ordre du comte, qui recon nut Chérubin. Alors ce dernier s’approcha et salua en même temps le gentilhomme ru sse et Baccarat. Rocambole se tenait à distance, mais il n’en continuait pas m oins à examiner attentivement Baccarat.
Baccarat était calme, souriante, la lèvre un peu dé daigneuse.
Chérubin l’avait enveloppée de son regard profond e t fascinateur. Mais Baccarat ne perdit point son sourire plein d’indifférence.
– Monsieur le comte, dit Chérubin, dardant toujours son œil noir au rayonnement magnétique sur la blonde Baccarat, monsieur le comt e, je suis heureux de vous rencontrer.
– Tout le plaisir est pour moi, répliqua le Russe a vec une froide courtoisie.
– J’allais vous écrire, reprit Chérubin, mais puisq ue je vous rencontre...
– Je vous écoute, monsieur. – Vous m’avez proposé hier un pari, si j’ai bonne m émoire ? – Oui, monsieur.
– Ce pari, j’allais le tenir, lorsque M. le vicomte de Cambolh, mon ami... À ce nom, Baccarat tressaillit et regarda attentive ment Rocambole. Elle ne l’avait jamais vu... Et pourtant elle éprouva comme un pres sentiment subit que cet homme jouait déjà ou jouerait un rôle dans sa destinée. – M. de Cambolh, mon ami, poursuivit Chérubin, m’a fait observer que je n’étais pas libre. En effet, j’avais à remplir ce matin de graves devoirs.
– Ah ! fit le comte.
– Ces devoirs sont remplis, monsieur, et me voilà l ibre.
– Eh bien, monsieur ? – Eh bien, je puis vous dire, monsieur le comte, qu e j’accepte le pari. – Vous acceptez ?
– Sans doute. – Monsieur, dit le comte, vous ignorez peut-être qu e la femme auprès de qui je suis en ce moment est précisément celle dont il est question entre nous ? – Je le savais.
Et Chérubin s’inclina et salua de nouveau Baccarat.
Jusque-là, la jeune femme avait gardé le silence. M ais alors elle enveloppa Chérubin de son regard clair, rapide et qui semblai t pénétrer jusqu’au fond de l’âme. Et sous le poids de ce regard Chérubin se sentit tressaillir.
– Monsieur, lui dit-elle, Stanislas m’a tout dit.
Le jeune Russe s’appelait Stanislas, en souvenir de son aïeul maternel.
La mère du comte était Polonaise. – Stanislas m’a tout dit, continua Baccarat, et je crains fort que vous ne perdiez votre pari, car je l’aime. Chérubin demeura imperturbable d’aplomb, du moins e n apparence.
– On n’aime pas éternellement, dit-il.
– Mais, en tout cas, poursuivit Baccarat, je suis d ’avis que toute sorte de duel doit avoir lieu à armes courtoises, et votre pari est un duel, ce me semble ?
– Tout à fait, madame.
– Donc il est juste que vos armes soient égales, mo nsieur. Stanislas entre chez moi à toute heure, je vous permets d’y venir quand bon vous semblera : ma maison vous est ouverte. – Oh ! madame, dit Chérubin, je n’abuserai pas long temps de la permission ; le comte me donnait quinze jours, mais je n’en veux qu e huit. – Vous avez raison, monsieur, dit froidement Baccar at, l’homme qui n’est pas aimé au bout de huit jours ne le sera jamais.
Elle lui jeta un nouveau, un dernier et étrange reg ard, prononça d’un ton moqueur : au revoir, et fit un signe. Et la calèche repartit au grand trot et disparut da ns un nuage de poussière. Alors Chérubin se rapprocha de Rocambole :
– Ma parole d’honneur ! murmura-t-il, si j’ai le re gard fascinateur, je crois qu’elle l’a aussi. Ce serait curieux que je fusse lefasciné,moi, et non lefascinateur...
Et Chérubin essuya quelques gouttes de sueur qui pe rlaient à son front.
-oOo-
Pendant ce temps la calèche du comte poursuivait sa route, faisait le tour du Bois, rentrait à Paris par le faubourg du Roule, et s’arr êtait enfin, selon le désir exprimé par Baccarat, dans la cour de l’hôtel habité par le comte Artoff, rue de la Pépinière.
– Vous me donnerez à dîner, lui avait dit Baccarat, et vous me montrerez votre hôtel dans ses moindres détails. Je suis curieuse, je veux tout voir.
Et, en effet, Baccarat se laissa guider par le prin ce russe à travers ce palais digne desMille et une Nuits,et dans lequel il avait dépensé trois millions.
Puis, de l’hôtel, elle passa dans le jardin, et se fit montrer le pavillon.
Ensuite elle voulut monter au belvédère. De la terr asse de cet édifice elle promena un regard tranquille sur les maisons enviro nnantes. – On a d’ici, dit-elle en riant, un assez beau coup d’œil de cheminées. – On voit aussi des jardins, répondit le comte, tém oin celui que vous apercevez et qui dépend du numéro 40 de la rue de la Pépinière. – Tiens, dit Baccarat avec une certaine indifférenc e, n’est-ce point la maison qu’habite ce M. Chérubin ? – Précisément. Elle devint rêveuse. Le comte, qui l’observait, vit son front se plisser et toute sa physionomie s’assombrir peu à peu. Tout à coup elle releva la tête et regarda le jeune Russe. – Mon ami, lui dit-elle, j’ai un nouveau service à vous demander. – Lequel ? – Cédez-moi ce pavillon pour la nuit prochaine.
– Quelle folie !
– Et ne m’interrogez pas, ajouta-t-elle, je ne pourrais vous répondre.
– Soit, dit le comte, qui avait promis d’obéir en a veugle.
Baccarat descendit du belvédère et demanda au comte la permission d’écrire un mot chez elle.
Le jeune Russe l’installa devant un pupitre au rez- de-chaussée du pavillon, et se retira discrètement.
Voici ce que Baccarat écrivait à sa femme de chambre :
« Mariette habillera Sarah, la petite juive, ce soi r, vers huit heures, montera en voiture avec elle et me l’amènera rue de la Pépiniè re, à l’hôtel du comte Artoff, où je suis. »
Qu’allait faire Baccarat ?
LIII
Lre.a marquise sonna précipitamment et demanda sa voitu
Elle était sortie le matin, ne s’était point déshab illée en rentrant, et se trouvait par conséquent en toilette de ville.
Enveloppée dans un grand châle, Mme Van-Hop se jeta dans un coupé et dit au valet de pied :
– Rue de la Pépinière, 40. Très vite !
Lorsque la marquise arriva, le rideau se levait sur une nouvelle comédie du baronet sir Williams, l’invisible improvisateur de tous ces drames que nous racontons et qui s’enchevêtrent si merveilleusement . Tout était préparé au pavillon du jardin dans la prévision de la visite prochaine que la marquise ferait sans nul doute à sa malheureuse amie.
Au bas de l’escalier, Mme Van-Hop, qui avait traver sé le jardin avec un horrible battement de cœur, tant elle redoutait que Chérubin ne fût à sa fenêtre et ne l’aperçut ; Mme Van-Hop, disons-nous, trouva au bas de l’escalier le sieur Venture, qui avait la physionomie funèbre d’un domestique de bonne maison dont le maître va mourir, et qui craint d’avoir été oublié sur le testament, à l’article des rentes viagères. La femme de chambre de Mme Malassis, qui se nommait Fanny, et que Baccarat eût reconnue, peut-être, pour son ancienne camériste, celle-là même qui l’avait conduite à la maison des fous, pleurait sur le seuil de la chambre à coucher, dont la porte était entrouverte. La marquise entra, fit deux pas vers le lit et s’arrêta muette et pâle. Mme Malassis était couchée et roulait autour d’elle des yeux hagards, brillants de fièvre et de délire. Elle regardait fixement la mar quise et ne semblait pas la reconnaître.
Mme Van-Hop domina son émotion et alla vers le lit, la main tendue.
– C’est moi, c’est moi, chère amie, dit-elle. Mme Malassis continua à la regarder et ne répondit pas. La marquise s’assit au chevet et prit la main de la malade. Cette main lui parut brûlante.
Fanny pleurait toujours.
Alors la marquise se tourna vers Venture, qui l’ava it suivie. – Qu’est-il donc arrivé, mon Dieu ? lui demanda-t-e lle. – Oh ! répondit Venture tristement, c’est toute une histoire.
Et il parut hésiter. – Parlez, dit la marquise d’un ton impérieux. – Madame était fort bien il y a deux heures environ , reprit Venture ; elle était sortie à midi, après son déjeuner, et elle venait de rentrer.
– Après ? fit la marquise avec impatience.
– Elle venait de s’asseoir là, continua Venture, de vant le feu, et je crois qu’elle allait prendre un livre, celui que vous voyez là, l orsque je lui ai apporté une lettre
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