Le château de la Belle-au-bois-dormant
157 pages
Français

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Le château de la Belle-au-bois-dormant , livre ebook

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Description

Pierre Loti (1850-1923)



"Avril 1899


Combien est singulier et difficilement explicable le charme gardé par des lieux qu’on a connus à peine, au début lointain de la vie, étant tout petit enfant, – mais où les ancêtres, depuis des époques imprécises, avaient vécu et s’étaient succédé !


La maison dont je vais parler, – la maison « de l’île », comme on l’appelait dans ma famille autrefois, – la maison de mes ancêtres huguenots avait été vendue à des étrangers après la mort de mon arrière-grand’mère, Jeanne Renaudin, il y a plus de soixante ans. Quand je vins au monde, elle appartenait à un pasteur, ami de ma famille, qui n’y changeait aucune chose, y respectait nos souvenirs et n’y troublait point le sommeil de nos morts, couchés au temps des persécutions religieuses dans la terre du jardin. Pendant les premières années de ma vie ma mère, mes tantes et grand’tantes, qui avaient passé dans cette maison une partie de leur jeunesse, y venaient souvent en pèlerinage ; on m’y conduisait aussi et il semblait que, malgré les actes notariés, elle n’eût pas cessé de nous appartenir, par quelque lien secret, insaisissable pour les hommes de loi.


Ensuite, nous nous étions peu à peu déshabitués d’aller dans l’île, – où, d’ailleurs, les dernières de nos vieilles tantes étaient mortes, – et je n’avais plus revu l’antique demeure.


Mais je ne l’avais point oubliée, et il restait décidé au fond de moi-même que je la rachèterais un jour, quand le pasteur, qui l’habitait depuis si longtemps, y aurait achevé son existence d’apôtre.


Tout arrive à la longue : depuis une semaine, j’ai signé l’acte qui me rend possesseur de ce lieu ancestral. Et aujourd’hui, pour le revoir après plus de trente années, je pars de Rochefort avec mon fils, un matin pluvieux d’avril."



Recueil de divers textes pour la plupart nostalgiques.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374636481
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le château de la Belle-au-bois-dormant


Pierre Loti


Avril 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-648-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 648
Avant-propos

Ceci est un bien petit livre, et sans doute je n’aurais pas dû le publier ; il ne semblera tolérable qu’à mes amis, connus ou inconnus .
Que les lecteurs indifférents me le pardonnent, d’autant plus que ce sera le dernier peut-être ...

P. L OTI .
La maisons des aïeules
 
Avril 1899
Combien est singulier et difficilement explicable le charme gardé par des lieux qu’on a connus à peine, au début lointain de la vie, étant tout petit enfant, – mais où les ancêtres, depuis des époques imprécises, avaient vécu et s’étaient succédé !
La maison dont je vais parler, – la maison « de l’île », comme on l’appelait dans ma famille autrefois, – la maison de mes ancêtres huguenots avait été vendue à des étrangers après la mort de mon arrière-grand’mère, Jeanne Renaudin, il y a plus de soixante ans. Quand je vins au monde, elle appartenait à un pasteur, ami de ma famille, qui n’y changeait aucune chose, y respectait nos souvenirs et n’y troublait point le sommeil de nos morts, couchés au temps des persécutions religieuses dans la terre du jardin. Pendant les premières années de ma vie ma mère, mes tantes et grand’tantes, qui avaient passé dans cette maison une partie de leur jeunesse, y venaient souvent en pèlerinage ; on m’y conduisait aussi et il semblait que, malgré les actes notariés, elle n’eût pas cessé de nous appartenir, par quelque lien secret, insaisissable pour les hommes de loi.
Ensuite, nous nous étions peu à peu déshabitués d’aller dans l’île, – où, d’ailleurs, les dernières de nos vieilles tantes étaient mortes, – et je n’avais plus revu l’antique demeure.
Mais je ne l’avais point oubliée, et il restait décidé au fond de moi-même que je la rachèterais un jour, quand le pasteur, qui l’habitait depuis si longtemps, y aurait achevé son existence d’apôtre.
 
Tout arrive à la longue : depuis une semaine, j’ai signé l’acte qui me rend possesseur de ce lieu ancestral. Et aujourd’hui, pour le revoir après plus de trente années, je pars de Rochefort avec mon fils, un matin pluvieux d’avril.
Mon fils n’y est jamais venu, lui, dans l’île ; depuis quelques jours à peine il a commencé d’en entendre parler, – et, cependant, sous je ne sais quelles influences ataviques, sa petite imagination de dix ans s’est étrangement tendue vers ce pays et cette demeure où je vais le conduire.
La pluie tombe incessante d’un ciel noir. Nous roulons d’abord en chemin de fer dans les plaines d’Aunis, dont les grands horizons monotones confinent à l’Océan. Arrivés ensuite au port où l’on s’embarque, sous une ondée plus furieuse, nous courons nous enfermer, sans rien voir, dans la cabine d’un bateau. Et, la courte traversée accomplie, nous remettons pied à terre, devant des remparts gris : c’est le Château, la première ville d’Oleron. Mais il pleut si fort que cela finit par noyer toute pensée, toute émotion de retour ; les choses de l’île me semblent étrangères et quelconques.
On attelle pour nous une carriole, où nous montons à la hâte, sous le décevant arrosage, – et, en une heure maintenant, nous arriverons à Saint-Pierre, l’autre petite ville qui est là-bas loin des plages, sur les terres du centre, et où gît mélancoliquement la vieille maison familiale...
« Dans l’île »... Quand j’étais tout petit enfant, j’entendais prononcer ces mots avec une nuance de respect et de regret par ma grand’mère, qui était une exilée de sa demeure et de ses terres d’Oleron ; de même, par ma bonne qui était une exilée de son village d’ici... Et « l’île » avait en ce temps-là pour moi un mystérieux prestige : que rien, sans doute, dans ma promenade de ce jour, ne me rappellera plus...
Mon fils a désiré emmener son domestique et il a aussi recruté en route un de ses grands amis, qu’il a connu naguère matelot, planton à mon service, et qui est maintenant pêcheur sur cette côte. Nous sommes donc quatre à présent, pour ce pèlerinage.
Il pleut toujours, il pleut à verse, et, dans cette voiture fermée, on voit à peine la campagne qui fuit, tout embrouillée d’eau ; aussi bien pourrait-on se croire n’importe où.
Mais voici pourtant que le sentiment d’être « dans l’île » me saisit d’une façon brusque et presque poignante, avec un rappel soudain des mélancolies de mon enfance... Être « dans l’île », être déjà un peu séparé du reste du monde, être entré dans une région plus tranquille et moins changée depuis le vieux temps !... C’est un petit hameau, aperçu à travers les vitres rayées de pluie, qui m’a jeté au passage ce sentiment-là, un petit hameau tout blanc, tout blanc, d’une blancheur orientale, avec des portes et des fenêtres vertes : ses trois maisonnettes invraisemblablement basses, son moulin à vent qui tourne, les moindres pierres de ses enclos, tout cela, blanc comme du lait jusque par terre. Et, se détachant sur cette laiteuse blancheur, de naïves bordures de giroflées rouges... Le caractère du pays d’Oleron est presque tout entier dans cette chaux immaculée dont les plus humbles logis s’enveloppent, et dans ces fleurs, écloses à profusion le long des petits murs.
Maintenant mon fils, à chaque maison du chemin, me demande si celle-ci « était du temps de mon enfance », si elle est nouvelle ou si je la reconnais. Cette enfance, qui me paraît, à moi, si proche encore et pour ainsi dire présente, lui fait, à lui, évidemment, l’effet d’être déjà très reculée dans le passé, comme me semblait, à son âge, l’enfance de mon père ou de ma mère.
Dans la monotonie de la route, de la voiture fermée et de la pluie, mon esprit, par instants, se rendort ; j’oublie où nous allons et où nous sommes. Mais chaque nom de ferme ou de village, redit quand nous passons, par le matelot qui nous accompagne, chante à mon oreille un refrain d’autrefois...
« À présent, grand’mère, raconte-moi des histoires de l’île d’Oleron ! » – C’était généralement à la tombée d’une nuit d’hiver que je disais cela, en venant m’asseoir, tout petit, au pied de la chaise de l’aïeule. Je me faisais décrire l’ameublement de la vieille demeure, le costume et la figure d’ancêtres morts il y aura bientôt cent ans. Mais je demandais surtout les aventures de route, le récit des grands orages qui vous surprenaient, en rase campagne ou sur la mer, quand on allait visiter des vignes éloignées ou bien quand on se rendait de la maison de Rochefort à la maison de l’île, – et à tout cela, bien entendu, les noms de ces villages et de ces fermes revenaient se mêler constamment...
Il pleut toujours. Déjà loin, derrière nous, le clocher de Dolus (un village à mi-chemin) se profile sur le gris des nuages, au-dessus d’un bois. Cela, c’est un aspect de jadis, qui n’a pu changer. Jadis, au temps de l’enfance de ma mère, ou même au temps plus reculé de l’enfance de mes aïeules, quand avait lieu ce va-et-vient de la famille entre Rochefort et Oleron, quand s’accomplissaient, à la manière ancienne, sur des chevaux ou sur des ânes, tous ces voyages, – qui plus tard me furent contés entre chien et loup, aux crépuscules d’hiver, – jadis, ce clocher de Dolus, dans les ciels pluvieux d’alors, se dressait pareil au-dessus de ce même bois.
D’ailleurs, Saint-Pierre n’est plus très loin, et cette approche, semble-t-il, suffit pour aviver en moi des images qui s’effaçaient, fait sortir de l’ombre et reparaître aux yeux de ma mémoire les respectables et chers visages, aujourd’hui retournés à la poussière...
Notre voiture, plus bruyamment tout à coup, roule sur des pavés, dans des petites rues paisibles, désertes et blanches ; – et c’est Saint-Pierre, où nous venons enfin d’entrer !... Mais la banalité de l’hôtel campagnard où l’on nous arrête, les détails ordinaires de l’arrivée, tout cela est

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