Le bar de la Fourche
215 pages
Français

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Description

Auguste Gilbert de Voisins (1877-1939)



"L’averse venait de fuir. Sur l’horizon, un arc-en-ciel dessinait sa fabuleuse fusée.


Mon père m’appela :


« Si tu faisais attention à ton travail, grand imbécile ! au lieu de regarder les nuages ! »


Je me trouvais chez nous, au fond de l’enclos des poneys.


C’était l’époque où l’on poussait vers l’ouest le chemin de fer du Nord entre Skykomish et Tocoma, dans l’extrême Far-West, au-delà de l’Idaho.


« Hé !... Viens par ici ! »


Depuis seize ans que maman avait succombé en me mettant au monde, l’humeur de mon père était restée constante : je veux dire acariâtre, orageuse ou, pour le moins, bizarre.


« Arrive !... et plus vite que ça ! »


Ce jour-là, mon père se fâchait de peu. J’avais simplement oublié d’attacher le licol de Cruchette et Cruchette s’était échappée. Bien que l’on eût ramené la bête à l’écurie, tout aussitôt et sans accident, mon père m’injuriait.


« Regarde-moi dans les yeux, canaille ! Regarde-moi ! »


Je m’étais approché de lui, tenant par le bridon Loupard, un petit cheval bai que je menais chez le maréchal-ferrant.


Je regardai mon père."



Olivier, un adolescent orphelin de mère et guère aimé de son père, fait la connaissance d'un étrange aventurier : Van Horst. Il décide de tout quitter afin de suivre celui-ci, dans son périple...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 mars 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384422012
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le bar de la Fourche


Auguste Gilbert de Voisins


Mars 2023
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-201-2
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1199
À C HARLES B ARGONE ,
lieutenant de vaisseau
 
Mon cher ami,
Voici un livre dont tu accepteras la dédicace en souvenir de nos longues causeries. Tu m’as emmené si souvent de la Martinique à Sumatra et de Juan Fernandes aux Kouriles, que ton nom s’est inscrit tout seul à la première page de ce récit d’actions violentes commises en un pays lointain.
 
V. G.
I

L’averse venait de fuir. Sur l’horizon, un arc-en-ciel dessinait sa fabuleuse fusée.
Mon père m’appela :
« Si tu faisais attention à ton travail, grand imbécile ! au lieu de regarder les nuages ! »
Je me trouvais chez nous, au fond de l’enclos des poneys.
C’était l’époque où l’on poussait vers l’ouest le chemin de fer du Nord entre Skykomish et Tocoma, dans l’extrême Far-West, au-delà de l’Idaho.
« Hé !... Viens par ici ! »
Depuis seize ans que maman avait succombé en me mettant au monde, l’humeur de mon père était restée constante : je veux dire acariâtre, orageuse ou, pour le moins, bizarre.
« Arrive !... et plus vite que ça ! »
Ce jour-là, mon père se fâchait de peu. J’avais simplement oublié d’attacher le licol de Cruchette et Cruchette s’était échappée. Bien que l’on eût ramené la bête à l’écurie, tout aussitôt et sans accident, mon père m’injuriait.
« Regarde-moi dans les yeux, canaille ! Regarde-moi ! »
Je m’étais approché de lui, tenant par le bridon Loupard, un petit cheval bai que je menais chez le maréchal-ferrant.
Je regardai mon père.
« Baisse les yeux, insolent ! »
En baissant les yeux, je haussai les épaules.
« Quoi... comment !... tu... »
Et il fit sa mauvaise action...
C’est bien à cause d’elle que je ne le pleurai pas, trois ans plus tard, quand j’appris sa mort.

Georges Saruex, mon père, était un homme instruit et, par certains points, un gentilhomme. Protestant du Jura, il avait traversé la moitié du monde pour faire fortune, et n’était arrivé à se composer qu’une aisance médiocre. Sans doute savait-il trop de choses. Si j’étais resté avec lui, au lieu de me promener sur la vaste terre, je serais peut-être plus savant, mais beaucoup moins renseigné. De plus, je n’aurais pas le sou. Toutefois, soyons juste : mon père m’apprit à regarder, à raisonner et à souffrir. La nature se chargea du reste en me fournissant de bons muscles.
Et puis, que voulez-vous ! la maison était intolérable ! Prières du matin, prières du soir, discours, exhortations, cantiques chantés tout le long des dimanches. Il y en avait trop !... sans compter mille invectives contre les autres religions, invectives qui se terminaient par des explosions de fureur.
Le grand ennemi du vieux, c’était le Pape. Je ne sais ce que le Pape lui avait fait, toujours est-il que mon père ne laissait pas s’achever une journée sans le prendre violemment à partie, dans les termes les plus crus.
Sans doute, afin de lui être désagréable, il me donna le nom d’Olivier ! le nom de Cromwell ! Quel beau nom : Olivier Saruex ! Quel beau nom de protestant !
Ah ! mon père connaissait bien le Ciel ! Il devinait les desseins de Dieu, il prévoyait ses désirs... et malheur à nous si les prévisions étaient inexactes !
Vous concevez ?... Une telle vie manquait de charme ! Le vieux traitait les hommes de la ferme comme des chiens, son fils plus mal encore. Il avait beau nous parler de Dieu tant que durait le jour, il n’arrivait pas à nous la faire aimer, cette puissance invisible, cruellement ennemie du Pape, et qui, pour seul confident, avait pris un protestant jurassien, émigré dans le Far-West.

Parce que je haussais les épaules, mon père fit sa mauvaise action : il me cracha au visage.
À seize ans, j’avais le sang chaud. Ça ne pouvait s’arranger. Botter les fesses aux petits garçons, leur tirer les oreilles, très bien, mais cracher à la figure d’un homme de seize ans !... oh ! non ! non ! impossible ! Je pris mon lasso, pendu à la selle de Loupard, et j’en appliquai un cinglon sur le dos du vieux, un beau cinglon qui le fit tourner au pâle, de rouge qu’il était.
Le reste se passa vite. Le vieux courut à la maison, en rapporta la Bible, une bible couverte de notes qui avait appartenu à la mère de maman, et, sur cette bible, jura le grand serment qu’il ne me reverrait de sa vie ou bien me casserait la figure.
Ces histoires, c’est rarement utile. – Je n’avais pas l’intention de rester. – Je partis.
Il disait vrai, tout de même, le vieux ! S’il ne m’a pas cassé la figure, du moins ne m’a-t-il pas revu. Et, maintenant, il est mort, et, moi j’écris un livre ; mais ce matin-là, je m’en fus prendre une couverture et marchai vers la gare, où j’avais des amis. La gare était à huit heures de chez nous. J’arrivai comme tombait le soir. Le train venait d’entrer et allait passer la nuit. Oh ! comme je m’en souviens bien, après tant d’années, de cette nuit si vite close et qui rétrécissait le paysage ! Pas de lune, peu d’étoiles... On voyait à peine son chemin.
Cependant, la veine me toucha. L’homme qui devait nettoyer la machine était ivre. Alors, comme je me trouvais là, j’aidai à faire son travail et, en guise de salaire, priai le mécanicien de me transporter, le lendemain, jusqu’aux chantiers de construction.
Ce fut ma première étape.
II

Des hangars, des cabanes, des buvettes, des amoncellements de rails, des wagons qui servaient de magasins, un peuple d’ouvriers venus d’ici, de là et d’ailleurs. Congrégation singulière : une majorité de malandrins, quelques braves gens, beaucoup de nègres, pas mal d’imbéciles et de brutes. Ah ! s’ils avaient voulu, s’ils avaient pu raconter leurs aventures... quels étonnants récits !
Nous étions à quatre-vingt-cinq milles, environ, de Spokane-Falls et à trois cents pas de la Columbia, grande rivière bleue, princesse de tout le paysage. En attendant de faire fortune, j’aidais, depuis un mois, à construire cette sacrée voie ferrée. De temps en temps, nous allions, sur les bords de la rivière, tuer des saumons avec une bouteille à demi remplie de chaux vive, mais, comme c’est défendu, on leur abîmait le coin de la gueule ou on leur détachait les ouïes, pour faire croire, au marché, qu’ils avaient été pris par des moyens légaux : filet ou hameçon.
On m’avait embauché dès le premier jour. J’inspire confiance parce que je regarde les gens bien en face ; mais je dois à la vérité de dire que le travail était dur pour un garçon de seize ans.
On employait trois mille ouvriers au chemin de fer. Le pays n’étant pas très plat, nous avancions lentement. Il fallait d’abord remplir les trous, c’était l’affaire de la première équipe ; puis la seconde équipe venait approprier l’ouvrage et rendre le terrain plan ; la troisième équipe posait les rails ; la quatrième... mais cela vous est égal, puisque j’étais dans la seconde.
Ici, une parenthèse, car il convient, je pense, que je décrive un peu cet Olivier Saruex dont je parle.
Olivier Saruex...
Eh bien, figurez-vous un jeune homme très mince, très sec, assez vigoureux. De la force nerveuse, rien d’autre, mais qui me rendait résistant, quoique j’eusse l’air presque chétif. J’étais de petite taille et fort agile. Des cheveux noirs, des sourcils noirs et broussailleux, des yeux bleu foncé, qui paraissaient d’encre vers le soir ; une bouche mobile, la mâchoire très dessinée, de belles dents (mon orgueil) ; le teint hâlé, du sang sous la peau ; pas un poil aux joues ; des mains maigres, des bras maigres, de petits muscles durs ; une forte pince dès que je tenais un cheval sous moi. Quant à mon apparence, je ne sais pas, c’est difficile à dire, mais il me semble que je devais avoir l’air assez décidé et, parfois, un peu rêveur... Rêveur, oui... et je parlais d’une voix basse et douce.
Me voyez-vous ?
Or, il est peut-être bon pour un rentier de compter ses revenus, ou pour un acrobate de marcher sur les mains, la tête en bas, puisque c’est là leur destinée, mais pourquoi un gars de seize ans vivrait-il l’échine courbée, mettrait-il de la terre là où il en manque, et inversement, quand son âge l’autorise à courir dans les bois ?... D’ailleurs inutile de récriminer... lorsque j’y pense, cette époque de ma vie me paraît lointaine, à tel point qu’elle n’a plus pour moi qu’un intérêt dramatique, celui, à peu près, que l’on trouve au cinquième acte d’une pièce, le lendemain du spectacle.
Pourtant je me souviens, comme si c’était hier, de l’abominable fatigue qui m’accablait à la fin de chaque jour. Quand je tombais sur mon lit, j’étais fait tout entier d’une seule douleur, et je n’avais qu’à penser à une partie de mon corps pour en souffrir aussitôt.
Un soir que j’enrageais plus encore que de coutume, je me décidai à changer de métier, et voici l’idée que j’eus.
De cette idée, je suis encore fier : d’abord, parce qu’elle avait des chances de réussir et, qu’en somme, elle réussit (au bénéfice d’autrui, je l’avoue), puis, parce qu’elle était fille d’une ambition pratique, non d’une rêverie d’idéologue.
Il manquait beaucoup de choses dans notre camp ; mais une, tout particulièrement, nous faisait défaut.
Vivrait-on dans un désert ou sur le sommet d’une montagne, il est agréable de savoir si le reste du monde est toujours à sa place. Or, on pouvait, à la rigueur, faire partir des lettres, en même temps que le poisson de la rivière ou par l’entremise des ouvriers de passage qui allaient des mines vers les villes, mais le diable était de recevoir des nouvelles du dehors. Les immigrants n’avaient que des journaux vieux de trois semaines, et, quand les bateaux revenaient par la Columbia, ils auraient aussi bien pu nous rapporter, tant ils faisaient d’escales, des gazettes du temps d’Abraham !
Certain samedi soir, un voyageur, monté, me donna, en reconnaissance de quelque petit service, des journaux qui ne dataient que du début de la semaine. Je parvins à les vendre un dollar pièce. Un dollar ! Cinq francs ! Pensez don

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