La hyène enragée
185 pages
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La hyène enragée , livre ebook

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Description

Pierre Loti (1850-1923)



"Au hasard des choses que j’ai vues, et surtout au hasard du temps dont je disposais pour les noter, ce petit livre s’est fait, comme de lui-même ; aussi est-il très décousu.


En outre, il est beaucoup trop anodin et pâle, à mon gré ; mais c’est que vraiment notre chère langue française, qui s’est formée dans la beauté, n’avait pas su prévoir les mots dont on pourrait avoir besoin un jour, au vingtième siècle, pour désigner certaines abominations et certains monstres."



Recueil de récits écrits entre 1914 et 1916, dans lesquels Pierre Loti tente de retracer l'horreur allemande comme il la voit et ressent.


Lors de la première guerre mondiale, Pierre Loti, officier de marine à la retraite, fut mobilisé à sa demande et affecté comme agent de liaison auprès du général Galliéni.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374635156
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La hyène enragée « Je commence par prendre. Je trouverai toujours ensuite des érudits pour démontrer que c’était mon bon droit. » FRÉDÉRICII (que, faute de mieux,ilsappellent le Grand).
Pierre Loti
Novembre 2019
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-515-6
Couverture : pastel de STEPH’ lagibeciereamots@sfr.fr N° 515
À MON AMI LOUIS BERTHOU P. L.
Préface
Au hasard des choses que j’ai vues, et surtout au hasard du temps dont je disposais pour les noter, ce petit livre s’est fait, comme de lui-même ; aussi est-il très décousu. En outre, il est beaucoup trop anodin et pâle, à mo n gré ; mais c’est que vraiment notre chère langue française, qui s’est formée dans la beauté, n’avait pas su prévoir les mots dont on pourrait avoir besoin un jour, au vingtième siècle, pour dés igner certaines abominations et certains monstres. P. L.
I
Lettre au ministre de la Marine
Le capitaine de vaisseau de réserve J. Viaud, à mon sieur le Ministre de la Marine à Paris. Rochefort, 18 août 1914. « Monsieur le Ministre, « Quand j’ai été rappelé à l’activité pour la guerre, j’avais l’espoir de faire quelque chose de plus que le petit service qui m’a été donné dans notre arsenal. « Je ne récrimine point, veuillez le croire, sachant très bien que la marine n’aura pas le premier rôle et que tous mes camarades du même grade, à peu près inutilisés eux aussi, hélas ! faute de place, s’énervent comme moi et souffrent. « Mais qu’il me soit permis d’invoquer l’autre nom que je porte. Tout le monde n’est pas au courant des règlements maritimes, et ne sera-t-il pas d’un mauvais exemple, dans notre cher pays, où chacun fait si magnifiquement son devoir, que Pierre Loti ne serve à rien ? Je suis un officier un peu exceptionnel par ma double situation, n’est-ce pas ; pardonnez-moi donc de solliciter une mesure d’exception et de faveur ; j’accepterais avec joie, avec orgueil, n’importe quel poste me rapprochant de l’ennemi, fût-ce même un poste très en sous-ordre, très au-dessous de mes cinq galons d’or. « Ou bien, à la rigueur, ne pourrais-je être envoyé en supplément, en mission, à bord de quelque navire ayant chance de combattre ? Je trouverais le moyen de m’y rendre utile, je vous assure. Ou enfin, si trop de règlements ou de lois s’y opposent, voudriez-vous au moins, monsieur le ministre, me laisser libre d’aller et venir, en attendant qu’on puisse avoir besoin de moi dans la flotte, afin que j’essaie, d’ici là, de m’employer n’importe où, ne fût-ce même qu’aux ambulances ? Il est cruel pour moi, et personne ne saura comprendre que, du fait seul que je suis capitaine de vaisseau de réserve, je me voie condamné à une presque inaction, quand la France entière est en armes. « Signé : JULIEN VIAUD. » (PIERRE LOTI.)
II
Deux pauvres petits oisillons de Belgique
Août 1914. Un soir, dans une de nos villes du Sud, un train de réfugiés belges venait d’entrer en gare, et les pauvres martyrs, un à un, descendaient lentement, exténués et ahuris, sur ce quai inconnu, où des Français les attendaient pour les recueillir. Traînant avec eux quelques hardes prises au hasard, ils étaient montés dans ces voitures sans même se demander où elles les conduiraient, ils étaient montés dans la hâte de fuir, d’éperdument fuir devant l’horreur et la mort, devant le feu, devant les indicibles mutilations et les viols sadiques, – devant tout ce qui ne semblait plus possible sur la Terre, mais qui couvait encore, paraît-il, au fo nd des piétistes cervelles allemandes, et qui tout à coup s’était déversé, sur leur pays et sur le nôtre, comme un dernier vomissement des barbaries originelles. Ils n’avaient plus ni village, ni foyer, ni famille, ceux qui arrivaient là sans but, comme des épaves, et la détresse effarée était dans les yeux de tous. Beaucoup d’enfants, de petites filles, dont les parents s’étaient perdus au milieu des incendies ou des batailles. Et aussi des aïeules, maintenant seules au monde, qui avaient fui sans trop savoir pourquoi, ne tenant plus à vivre mais poussées par un obscur instinct de conservation ; leur figure, à celles-là, n’exprimait plus rien, pas même le désespoir, comme si vraiment leur âme était partie et leur tête vidée. Deux tout petits, perdus dans cette foule lamentable, se tenaient serrés par la main, deux petits garçons, visiblement deux petits frères, l’aîné, qu i avait peut-être cinq ans, protégeant le plus jeune qui pouvait bien en avoir trois. Personne ne les réclamait, personne ne les connaissait. Comment avaient-ils compris, trouvé tout seuls, qu’il fallait monter dans ce train, eux aussi, pour ne pas mourir ? Leurs vêtements étaient convenables et ils portaient des petits bas de laine bien chauds ; on devinait qu’ils devaient appartenir à des parents modestes, mais soigneux ; sans doute étaient-ils fils de l’un de ces sublimes soldats belges, tombés héroïquement au champ d’honneur, et qui avait dû avoir pour eux, au moment de la mor t, une suprême pensée de tendresse. Ils ne pleuraient même pas, tant ils étaient anéantis par la fatigue et le sommeil ; à peine s’ils tenaient debout. Ils étaient incapables de répondre quand on les questionnait, mais surtout ils ne voulaient pas se lâcher, non. Enfin le grand aîné, crispant toujours sa main sur celle de l’autre, dans la peur de le perdre, prit tout à coup conscience de son rô le de protecteur et trouva la force de parler à la dame à brassard penchée vers lui. « Madame », dit-il d’une toute petite voix suppliante et déjà à moitié endormie, « Madame, est-ce qu’on va nous coucher ? » Pour le moment, c’était tout ce qu’ils étaient capables de souhaiter encore, tout ce qu’ils attendaient de la pitié humaine : qu’on voulût bien les coucher. Vite on les coucha, ensemble bien entendu, et ils s’endormirent aussitôt, se tenant toujours par la main et pressés l’un contre l’autre, à la même minute plong és tous les deux dans la tranquille inconscience des sommeils enfantins... Une fois, il y a longtemps, dans la mer de Chine, p endant la guerre, deux petits oiseaux étourdis, deux minuscules petits oiseaux, moindres encore que nos roitelets, étaient arrivés je ne sais comment à bord de notre cuirassé, dans l’appartement de notre amiral, et, tout le jour, sans que personne du reste cherchât à leur faire peur, i ls avaient voleté là de côté et d’autre, se perchant sur les corniches ou sur les plantes vertes. La nuit venue, je les avais oubliés, quand l’amiral me fit appeler chez lui. C’était pour me les montrer, et avec attendrissement, les deux petits visiteurs, qui étaient allés se coucher dans sa chambre, posés d’une patte sur un frêle cordon de soie qui passait au-dessus de son lit. Bien près, bien près l’un de l’autre, devenus deux petites bou les de plumes qui se touchaient et se confondaient presque, ils dormaient sans la moindre crainte, comme très sûrs de notre pitié... Et ces pauvres petits Belges, endormis côte à côte, m’ont fait penser aux deux oisillons perdus au milieu de la mer de Chine. C’était bien la même confiance et le même innocent sommeil ; –
mais des sollicitudes beaucoup plus douces encore allaient veiller sur eux.
III
Petite vision de gaieté, au front de bataille
Octobre 1914. Ce jour-là, dans la matinée, vers onze heures, j’arrivai à un village – dont j’ai dû oublier le nom ; – j’étais en compagnie d’un commandant anglais, que les hasards de cette guerre m’avaient donné pour camarade depuis la veille, et nous étions aimablement suivis par un grand Magicien, – qui était le soleil. Un soleil radieux, un soleil de fête, transformant et embellissant toutes choses. Cela se passait dans un département de l’extrême Nord de France, je n’ai jamais su lequel, mais on se serait cru en Provence tant il faisait beau. Pour arriver là, nous avions été depuis près de deu x heures enserrés entre deux files de soldats qui marchaient en sens inverse l’une de l’autre. Su r notre droite, c’étaient des Anglais qui se rendaient à la bataille, tout propres, tout frais, l’air content et en train, admirablement équipés, avec de beaux chevaux bien gras. Sur notre gauche, c’étaient des artilleurs de France qui en revenaient, de la gigantesque bataille, pour prendre un peu de repos ; poussiéreux, ceux-ci, avec quelquefois des bandages au bras et au front, mais gardant des mines joyeuses, des figures de santé, et marchant en bon ordre par sections ; ils rapportaient même des chargements de douilles vides qu’ils avaient eu le temps de ramasser, ce qui prouvait bien qu’ils s’étaient retirés sans hâte et sans crainte, en vainqueurs auxquels les chefs o nt ordonné quelques jours de répit. On entendait au loin comme un bruit d’orage, d’abord très sourd, mais dont nous nous rapprochions de plus en plus. Dans les champs alentour, les pays ans labouraient comme si de rien n’était, incertains pourtant si les sauvages, qui menaient tant de bruit là-bas, n’allaient pas un de ces jours revenir pour tout saccager. Il y avait sur l’herbe des prairies, un peu partout, autour de petits feux de branches, des groupes qui eussent été lamentables sous un ciel sombre, mais que le soleil trouvait le moyen d’égayer quand même : émigrés, en fuite devant les barbares, faisant leur cuisine comme des bohémiens, au milieu des ballots de leurs pauvres hardes empaquetées en hâte pendant le sauve-qui-peut terrible. Notre auto était remplie de paquets de cigarettes et de journaux que de bonnes âmes nous avaient chargés de porter aux combattants, et, tellement nous étions serrés et ralentis entre ces deux files de soldats, nous pouvions leur en donner par les portières, à droite aux Anglais, à gauche aux Français ; ils avançaient la main pour l es attraper à la volée, et, en souriant, nous remerciaient par un rapide salut militaire. Il y avait aussi des gens des villages qui cheminaient pêle-mêle avec les soldats, sur cette route si encombrée. Je me rappelle une jeune paysanne très jolie qui, entre des fourgons de guerre anglais, traînait par une corde deux bébés endormis dans une petite voiture ; elle peinait, la montée étant raide en cet endroit ; un beau sergent écossais, à moustache en or, qui fumait sa cigarette, assis les jambes pendantes à l’arrière du plus proche fourgon, lui fit signe : « Passez-moi donc votre bout de corde. » Elle comprit, accepta avec un gentil sourire confus ; l’Écossais enroula cette frêle remorque autour de son bras gau che, gardant son bras droit libre pour continuer de fumer, et c’est lui qui emmena les deux bébés de France, dont la toute petite voiture fut traînée par le lourd camion comme une plume. Quand nous entrâmes dans le village, le soleil de plus en plus resplendissait. Il y avait là un fouillis, un méli-mélo comme on n’en avait jamais vu et n’en verra jamais, après cette guerre unique dans l’histoire. Tous les uniformes, toutes les armes, des Écossais, des cuirassiers français, des turcos, des zouaves, et des Bédouins dont le salut militaire relevait le burnous avec un geste noble. La place de l’Église était encombrée par d’énormes autobus anglais, qui avaient jadis assuré les communications à Londres et portai ent encore en grandes lettres les noms des quartiers de cette ville. – On dira que j’exagère, mais vraiment ils avaient l’air étonné, ces autobus, de rouler maintenant sur le sol de France et d’être bondés de soldats...
Tout ce monde, pêle-mêle, se préparait à déjeuner. On entendait toujours la grande symphonie menée par ces sauvages (qui arriveraient peut-être demain, qui sait ?), l’incessante canonnade, mais personne n’y prenait garde. D’ailleurs, comment s’inquiéter, avec un si beau soleil, un si étonnant soleil d’octobre, et des roses encore sur les murs, et des dahlias de toute couleur, dans les jardins à peine touchés par les gelées blanches !... Chacun s’installait de son mieux pour le repas ; on eût dit une fête, une fête un peu incohérente par exemple et singulière, improvisée aux environs de quelque tour de Babel. Des jeunes fille s circulaient dans les groupes, des petits enfants blonds faisaient cadeau de fruits cueillis dans leur verger. Des Écossais, se croyant dans un pays chaud par comparaison avec le leur, s’étaient mis en manches de chemise. Des curés et des religieuses de la Croix-Rouge faisaient asseoir des blessés sur des caisses ; une vieille bonne sœur, figure de parchemin et jolis yeux candides so us sa cornette, installait avec mille précautions un zouave aux deux bras enveloppés de bandages, qu’elle allait sans doute faire manger comme un petit enfant. Nous avions grand faim nous-mêmes, l’Anglais et moi , et nous avisâmes l’auberge, très avenante, où déjà des officiers étaient attablés av ec des soldats. (Il n’y a plus de barrières hiérarchiques, aux temps de tourmente où nous sommes.) – « Je pourrais bien vous donner du bœuf rôti et du lapin sauté, nous dit l’hôtelier ; mais, quant à du pain, par exemple, ça, non ; à aucun prix vous n’en trouveriez nulle part. – Ah ! dit mon camarade, le commandant anglais, et ces deux belles miches, là, debout contre cette por te ? – Oh ! ces miches-là, elles sont à un général, qui les a envoyées parce qu’il va venir déjeuner avec ses aides de camp. » – À peine avait-il le dos tourné que mon compagnon, tirant vite un coutelas de sa poche, tranchait, pour le cacher sous son manteau, le bout d’une de ces miches dorées. – « Nous avons trouvé du pain, dit-il tranquillement à l’hôtelier, vous pouvez donc no us servir. » – Et, à côté d’un officier arabede la Grande Tente, en burnous rouge, nous fîmes gaiement notre déjeu ner, avec nos invités : les soldats de notre auto. La fête du soleil battait son plein, illuminant en joie la foule disparate et les étranges autobus, quand nous sortîmes de l’auberge pour reprendre not re voyage. Un convoi de prisonniers allemands traversait la place ; l’air bestial et so urnois, ils marchaient entre des soldats de chez nous qui marquaient mille fois mieux, et on les regardait à peine. La vieille religieuse de tout à l’heure, la si vieille aux yeux purs, faisait fumer une cigarette à son zouave pour le moment sans bras, la lui présentant aux lèvres avec une tremblante et un peu maladroite sollicitude d’aïeule. Elle semblait lui raconter en même temps des choses très drôles – de cette drôlerie innocente et jeunette dont les bonnes sœurs ont le secret, – car ils riaient tous les deux. Qui sait quelle petite histoire enfantine ça pouvait bien être ? Un vieux curé qui près d’eux fumait sa pipe – sans aucune élégance, je suis forcé de le reconnaître – riait aussi de les voir rire. Et, au moment où nous remontions en voiture pour continuer notre rou te vers la région d’horreur où le canon tonnait, une fillette d’une douzaine d’années, pour nous fleurir, courut arracher dans son jardin une gerbe d’asters d’automne... Quels braves gens il y a encore par le monde ! Et c ombien l’agression des sauvages d’Allemagne a développé les doux liens de la frater nité, chez tous ceux qui sont vraiment d’espèce humaine.
IA
Lettre à Enver-Pacha
Rochefort,4 septembre 1914. « Mon cher et grand ami, « Pardonnez ma lettre, en raison de mon affectueuse admiration pour vous et de mon attachement à votre patrie dont j’ai fait un peu la mienne. Autour de Tripoli, vous avez été le héros magnifique, sans reproche et sans peur, tenant tête, dix contre mille ; en Thrace, vous avez été celui qui a rendu Andrinople à la Turquie, et vous avez accompli ce tour de force de reprendre la ville héroïque presque sans verser de sang. Vous avez réprimé partout, avec la violence qu’il fallait, les cruautés et les brigandages ; j’ai vu votre indignation contre les atrocités bulgares, et c’est vous-même qui avez voulu me faire visiter, dans votre automobile militaire, les ruines des villages par où les assassins avaient passé. « Eh ! bien, ce que vous ne savez sans doute pas dé jà, je veux vous le dire : les Allemands commettent en Belgique, en France, etpar ordre, ces mêmes abominations que les Bulgares commettaient chez vous ! Et ils sont mille fois plu s odieux encore, parce que les Bulgares étaient des montagnards primitifs que l’on avait fanatisés, tandis qu’ils sont, eux, des civilisés, mais d’une brutalité si foncière que la culture n’a pas de prise sur leurs âmes et que l’on n’en peut rien attendre. « La Turquie aujourd’hui veut reconquérir ses îles ; sur ce point, à moins d’être aveuglé de parti pris, chacun saura le comprendre. Mais je tremble qu’elle ne veuille pousser plus loin la guerre... Je devine bien, hélas ! les pressions exercées sur votre cher pays et sur vous-même par l’être abominable en qui sont venues s’incarner tou tes les tares de la race prussienne : férocité, morgue et fourberie. Il a dû abuser de votre beau e t fougueux patriotisme, en vous leurrant d’illusoires promesses de revanche. Défiez-vous de ses mensonges. Il a certainement su empêcher la vérité d’arriver jusqu’à vous, sans quoi votre cœur de soldat loyal se serait détourné de lui. Il a su vous persuader, comme à une partie de son peuple, qu’il avait été contraint à ces tueries, si longuement préméditées, au contraire, avec un cynisme infernal. Il a réussi à vous donner foi en ses victoires, alors qu’il sait, comme tout le monde aujourd’hui, que le triomphe finira par être à nous. Et d’ailleurs, si par impossible nous devions succomber pour un temps, la Prusse et sa dynastie de bêtes fauves n’en resteraient pas moins clouées pour jamais aux plus honteux piloris de l’histoire humaine. « Combien je souffrirais de voir notre chère Turquie, trompée par ce misérable, se lancer à sa suite dans une terrible aventure et, plus encore, de la voir se déshonorer en s’associant à l’attentat des derniers barbares contre la civilisation ! Ôh ! si vous saviez l’immense dégoût qui se lève dans le monde entier contre la race prussienne ! « Hélas ! Vous ne devez rien à la France, je ne le reconnais que trop ! Nous avons autorisé l’acte de l’Italie sur la Tripolitaine. Plus tard, au début de la guerre balkanique, nous avons oublié l’hospitalité séculaire que la Turquie nous donnait si largement, à nous Français, à nos maisons d’éducation, à notre culture, à notre langue devenu e presque la vôtre. Par irréflexion et ignorance, nous avons pris le parti de vos voisins, chez qui nos nationaux n’ont jamais trouvé que malveillance et persécution ; contre vous tous, nou s avons commencé une campagne de calomnies dont nous n’avons reconnu que trop tard l’injustice. Les Allemands, au contraire, ont été les seuls à vous apporter un peu – oh ! très peu – de réconfort ; mais c’est égal, cela ne vaut pas que vous vous suicidiez pour eux. Et puis, voyez-vous, ces gens-là achèvent à cette heure de se mettre hors l’humanité ; il deviendrait donc non seulement périlleux, mais dégradant, de marcher en leur compagnie. « Vous avez sur votre pays une influence pleinement justifiée ; puissiez-vous le retenir sur la pente mortelle où il semble engagé ! Ma lettre mettra bien du temps à vous parvenir ; quand elle arrivera, peut-être vos yeux se seront-ils déjà ouv erts, malgré la trame de mensonges dont
l’Allemagne a dû vous envelopper ; pardonnez-moi si j’ai voulu être au nombre de ceux qui auront fait parvenir jusqu’à vous un peu de vérité. « Je garde une foi inébranlable dans notre triomphe de la fin. Mais, le jour de la délivrance, combien ma joie serait voilée de deuil si ma seconde patrie orientale s’ensevelissait sous les décombres du hideux empire de Prusse ! »
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