La femme disparue
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Description

J.-H. Rosny Aîné (1856-1940)



"– Vous passerez par la route des Loups, dit au cocher, Mme Francisca de Escalante, lorsque le coupé arriva au plus haut de la forêt.


C’est un site convulsé. Les futaies alternent avec des granits, des porphyres et des grès rouges ; les rocs ont d’étranges figures et des chênes six fois séculaires jaillissent sur des corniches indestructibles ; des labyrinthes tournoient parmi les blocs et les arbres. Ce fut jadis une formidable retraite de bêtes sauvages, un nid de parias, d’outlaws, de bandits, de sorciers et de sorcières. Les loups y dévoraient la chair vivante des voyageurs, on y célébra la messe noire ; les chauffeurs y rôtirent les pieds et y concassèrent les os de leurs victimes.


Francisca aimait ce lieu redoutable. Peut-être y retrouvait-elle l’âme des fauves sierras où avaient vécu ses ancêtres. Cet après-midi, dans la grande solitude, elle y examinait ses chances et ses malchances. Ses mains brûlaient ; tour à tour elle subissait les émotions qui soutiennent et qui dépriment.


Elle considérait le site d’une prunelle fervente. Pâle et presque tragique, c’était une émouvante créature. La nature lui avait donné le rythme, la grâce flexible, le « sel de séduction » des sensuelles Castillanes. Avec le feu noir de ses yeux, sa chevelure « nuit d’été », son teint de nacre et de muguet, sa bouche écarlate, avec ses gestes beaux comme ses contours, elle était faite pour donner aux hommes une image terrible du bonheur.


Son agitation parut s’accroître ; elle murmurait tout bas, avec une amère mélancolie :


– La reverrai-je jamais ?."



Lors d'une promenade en forêt, la voiture de Francesca est attaquée par des bandits ; Son cocher est tué. Elle réussit à s'enfuir mais les malfaiteurs la poursuivent. Les recherches ne donnent rien et l'enquête piétine ; Qu'est-elle devenue ? morte ou prisonnière ? Simone, la filleule de Francesca, ne désespère pas et part sur les traces de la femme disparue...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782374633961
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La femme disparue
J.-H. Rosny Aîné
Juin 2019
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-396-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 397
I
– Vous passerez par la route des Loups, dit au coch er, Mme Francisca de Escalante, lorsque le coupé arriva au plus haut de la forêt. C’est un site convulsé. Les futaies alternent avec des granits, des porphyres et des grès rouges ; les rocs ont d’étranges figures e t des chênes six fois séculaires jaillissent sur des corniches indestructibles ; des labyrinthes tournoient parmi les blocs et les arbres. Ce fut jadis une formidable re traite de bêtes sauvages, un nid de parias, d’outlaws, de bandits, de sorciers et de so rcières. Les loups y dévoraient la chair vivante des voyageurs, on y célébra la messe noire ; les chauffeurs y rôtirent les pieds et y concassèrent les os de leurs victime s.
Francisca aimait ce lieu redoutable. Peut-être y re trouvait-elle l’âme des fauves sierras où avaient vécu ses ancêtres. Cet après-mid i, dans la grande solitude, elle y examinait ses chances et ses malchances. Ses mains brûlaient ; tour à tour elle subissait les émotions qui soutiennent et qui dépri ment.
Elle considérait le site d’une prunelle fervente. P âle et presque tragique, c’était une émouvante créature. La nature lui avait donné l e rythme, la grâce flexible, le « sel de séduction » des sensuelles Castillanes. Av ec le feu noir de ses yeux, sa chevelure « nuit d’été », son teint de nacre et de muguet, sa bouche écarlate, avec ses gestes beaux comme ses contours, elle était fai te pour donner aux hommes une image terrible du bonheur. Son agitation parut s’accroître ; elle murmurait to ut bas, avec une amère mélancolie : – La reverrai-je jamais ?
D’un geste convulsif, elle tâta son corsage, elle e n tira une lettre flétrie. C’était une de ces lettres de pauvre, qui se reconnaissent au p apier fané, à l’encre rousse, à je ne sais quoi d’humble, de gauche et d’hésitant Fran cisca la parcourut avec une sorte de mysticisme :
– Que de fois je l’ai relue !
Une pénombre s’était faite ; on n’apercevait plus u n rais de soleil. L’immobilité devint si complète qu’on eût cru que toute vie avai t disparu. Et alors on entendit une détonation sèche et stridente...
Le cheval fit un bond : le cocher scrutait des yeux la route, les blocs et les sous-bois. Une deuxième détonation retentit, vite suivie d’une troisième. Atteint au crâne, le cheval s’abattit. Francisca put voir vers sa dro ite deux têtes masquées de toile, tandis que, sur la route, un homme trapu, masqué au ssi, barrait le chemin.
Cependant, le cocher Marcel, d’abord abasourdi, rep renait son sang-froid. Ce n’était pas un lâche. Prêt à défendre sa vie, il fo uilla dans un renfoncement, à l’arrière du siège, et en tira un revolver. Les deu x têtes disparurent, tandis que le personnage de la route se jetait derrière un arbre.
Et le silence fut tragique.
Il ne dura pas même une minute. Deux nouveaux coups de feu crépitèrent ; le cocher visa dans la direction d’où les détonations étaient parties et tira trois fois, au jugé. Un rire s’éleva, souligné d’une fusillade. At teint à la poitrine Marcel tira spasmodiquement deux des balles qui lui restaient e t qui se perdirent dans le
feuillage. Puis, il croula de son siège et poussa s on cri d’agonie. Une horreur innommable glaçait Francisca. La mort é tait là, la mort de la bête sous la griffe du vainqueur, la mort des temps féro ces. Toute force sociale était abolie : la jeune femme, puissante par la beauté, par la richesse, par la discipline traditionnelle, devenai t une petite chose faible, misérable et abandonnée. Elle connut la peur brusque qui arrê te le sang et paralyse chaque muscle. Mais Francisca appartenait à une race dure. Elle fut vite prête au pire. Toutefois, que faire ? Elle n’avait point d’armes ; son intervention ne servirait qu’à sa perte. Sa seule chance, si Marcel ne réussissait point à effrayer les malandrins ou à attirer quelque improbable renfort, était dans la fuite. Chance si faible qu’elle équivalait presque au néant.
Pendant la pause brève et la fin du combat plus brè ve encore, elle eut la vision complète de cette partie de la forêt si souvent parcourue, elle traça des plans et des projets, vains sans doute, mais énergiques.
Au moment où Marcel tombait, elle se trouvait déjà sur la route, du côté opposé à celui où se tenaient les bandits. Le hasard lui acc orda une faible faveur : le revolver du cocher venait de rouler devant elle. Elle se bai ssa pour le saisir, et, quoiqu’il ne contînt plus qu’une seule cartouche, la possession de l’arme accrut son courage. Ensuite, elle s’élança droit devant elle. Une fusillade la poursuivit : des balles sifflèrent à son oreille. Le tronc d’un hêtre énorme la cacha, puis elle se glissa derrière un bl oc de porphyre. Cependant les bandits avaient jailli de l’embuscade et commençaient la poursuite. Ils hésitaient, impuissants à découvrir où Francisc a s’était cachée : de toutes parts, on apercevait des abris propres à servir de retraite. Et tous trois tendaient l’oreille. Une course rapide, le battement des pieds légers su r le sol, des frôlements contre les plantes... mais il y avait tant d’échos parmi l es granits qu’ils ne discernaient aucune direction. – Faut s’égailler, fit le plus court des trois, ind ividu fluet, dont les yeux brasillaient dans les trous du chanvre ; on s’avertira par le si fflet, histoire de n’pas se perdre. – Ça barde ! fit le personnage trapu, qui ricanait d’une façon étrange et maniaque. – Gy ! Courte-Échelle, ajouta le dernier d’une voix sourde. Il était taillé en force, de haute stature, avec d’énormes pattes d’étrangleur. – Oublie pas le sifflet ! insista l’homme fluet.
Et tendant le bras :
– V’là ma route. Toi, Tenaille, t’iras de l’aut’côté et Martin entre les deux. Il disparut le premier, dans la direction du hêtre qui avait caché Mme de Escalante. L’hercule prit à droite et Martin le tra pu, avec un faux air d’ours debout sur les pattes d’arrière, s’engagea par le centre. Courte-Échelle et Tenaille se trouvèrent dans un bi zarre labyrinthe : la terre pleine de creux, le granit et le porphyre fendus par quelq ue antique cataclysme, ouvraient des issues serpentantes, hérissées d’obstacles et d e buissons.
Martin, lui, marchait dans une tranchée, vers le co uchant. On n’entendait plus la course de la fugitive. – Elle s’est peut-être bien cachée, songea Courte-É chelle avec un frémissement de rage, car il avait mauvais caractère.
Elle ne s’était pas cachée. Au sortir de la terre d ure, elle avait trouvé une sente moussue, où les pas s’assourdissaient. Elle courait vertigineusement. La nature lui avait donné de bons jarrets et du souffle. Au bout d’un quart d’heure, ayant dépassé les granits, elle entrait dans la futaie épaisse.
C’était presque la sylve vierge, la force libre des végétaux. À cause de la difficulté des transports, ce terroir demeurait farouche. Des chênes du temps de Louis XIII y croissaient parmi des arbres plus jeunes, des tronc s pourris par les parasites ou incendiés par la foudre.
Francisca sentit qu’elle avait de l’avance. Elle co nnaissait la route : toute sa volonté tendait vers la maison d’un garde-chasse, l à-bas, où elle rencontrerait peut-être de l’aide. Mais il s’en fallait bien encore de quatre kilomètres !
Avant de s’élancer au travers d’une combe, elle se retourna, elle épia le sous-bois. Elle ne vit rien, elle n’entendit rien : la c hance se dessinait-elle en sa faveur ? Mais un coup de sifflet strida, auquel deux autres répondirent. Si les derniers semblaient venir de loin, le premier se révélait as sez proche...
– L’un des bandits est sur ma trace !...
II
Elle hésitait. Fallait-il traverser la clairière ou , pour donner le change, essayer d’un crochet ? Francisca prit un moyen terme ; au lieu d e filer en ligne droite, elle franchit un mamelon, passa sous un arbre à demi renversé, do nt un lierre dévorait les branches. Sa mémoire l’avait bien servie : une deux ième sente était devant elle, qui attaquait la combe en corniche. Elle y fila légère ; elle se perdit derrière un rideau d’arbustes.
Courte-Échelle perdait du temps. Après cinq ou six essais pour découvrir quelque indice, il avait pris le parti de marcher vers l’es t, tout en clamant des conseils à ses complices. Pendant dix minutes, rien ne révéla si l a voie était bonne. Il vit luire quelque chose, et, se baissant, il ramassa un peign e d’écaille blonde, incrustée de pierres bleues.
– Veine ! s’exclama-t-il. La gonzesse a passé par i ci.
Tout en reprenant la chasse, il jeta un coup de sif flet, auquel répondirent Martin et Tenaille. « Y n’sont pas encore trop loin, pensa Courte-Échel le. Faut voir avant de les faire rappliquer. » Il ne découvrait rien de nouveau. Mais il craignit que la fugitive n’eût pris sous le couvert ; ses yeux flamboyants scrutaient les pénom bres. D’évidence, il n’avait pas l’habitude de la forêt. C’était un homme des villes , un sauvage du pavé et du trottoir, perdu dans la nature. – Y m’faut Martin ! grommela-t-il. Et, sans arrêter sa marche, il se décida à donner t rois coups de sifflet pour le rassemblement.
Un instant plus tard, il s’avisa que la terre molle sur laquelle il marchait gardait l’empreinte de ses semelles. – Comme y a rien devant moi, c’est qu’elley a pas passé ! Se souvenant que la sente avait bifurqué et qu’il a vait pris à droite, il tenta de rejoindre l’autre embranchement. Après quelque temp s, il y parvint et poussa un juron de joie : la trace de la fugitive se dessinai t sur le sol.
Courte-Échelle répéta le signal du rassemblement et prit la chasse. Il était terriblement agile. Mais la terre molle prit fin, o u, du moins, sous des ombres plus légères, elle devint rare, jaunâtre, sèche ; elle c essa de guider le poursuivant.
– Saloperie ! gronda le malandrin repris d’un accès de colère. Il ne crut pas devoir s’arrêter ; même, il garda so n allure rapide dans l’espoir de surprendre la proie. Et c’est ainsi qu’il parvînt a ux abords de la combe. Là il comprit que la piste devenait tout à fait pré caire. Penché sur le sol, il essaya de remplir son rôle de batteur d’estrade : le sol n e s’y prêtait point ; Francisca avait disparu sans laisser aucun vestige assez précis pou r guider l’inexpérience du drille. – Y a pas ! Faut que j’attende Martin ! fit-il en a rrachant avec fureur des feuilles et des ramilles. Il siffla encore une fois et attendit. Après cinq o u six minutes, un pas lourd ébranla le sous-bois : le puissant Tenaille apparut sous le s branches.
– C’est Martin qu’y me faudrait ! fit Courte-Échelle.
Tenaille demandait :
– T’es sur la piste ? – Oui, riposta l’autre avec mauvaise humeur, j’ai e u la veine de la piger. Seul’ment, elle s’arrête ici. Faut-y continuer par le fond ? Ou bien s’est-elle cavalée par ailleurs ? Tenaille passa sa main énorme sur sa nuque. Homme d es villes, il ignorait cette langue subtile que la terre parle aux chasseurs, au x chemineaux, aux rôdeurs des bois et de la plaine. – Comment sais-tu que t’es sur la piste ? insista-t-il. – À cause que j’ai trouvé ceci et puis des marques de bottines.
Il montrait le peigne d’écaille blonde.
L’athlète l’examina avec un cillement. Pour avoir j adis essayé la brocante et le recel, il possédait quelque science des métaux, des gemmes et des matières rares ; un éclair roux jaillit de sa prunelle.
– C’est de l’écaille comme y s’en vend pas des siau x ! Ce qu’il y a de plus bath ; pas un défaut. Mais, ce qui a surtout de la valeur, c’est les pierres bleues. Si c’est pas du saphir, je me laisse scier la margoulette, e t y en a pour des faffes ! Courte-Échelle poussa un gémissement de convoitise. – Nom de Dieu. Faut pas qu’elle carapate !
Tenaille hocha la tête et fit son geste d’étrangleu r. – Ça ne serait pas long ! Mais, pendant qu’on cause , elle prend de l’avance. Sais-tu quoi ? File par le trou, t’es le plus rapide : je m’arrangerai avec Martin. Courte-Échelle trouva le conseil bon. Il fonça deva nt lui comme un chevreuil. Martin ne tarda pas à paraître. Il soufflait, ayant fait une course plus longue que les autres, et aussi parce qu’il avait les articula tions lourdes. – Y a du bon ! déclara Tenaille en lui mettait la p atte sur l’épaule. La gonzesse a passé, par ici, pas d’erreur ; seulement, de quel c ôté qu’elle s’a cavalée ? Toi qu’es cul terreux, tu le sauras peut-être.
Il négligea de parler du peigne d’écaille.
– On va voir ! fit Martin qui avait repris haleine. Il examina les alentours avec attention. C’était un homme lent, aux yeux de bœuf, mais sagace. Il finit par dire : – Y a du grabuge sur ce mamelon. Et puis, v’là un c aillou qu’est sorti ; la broussaille elle est froissée. Mon blair qu’elle s’ est trottée par là. – Allons-y, fit l’athlète, et ne traînons pas ! Ils se remirent en route.
Quoique la pente fût difficile et parfois défendue par des épines, la marche de Francisca demeurait rapide. Elle descendit d’abord obliquement, puis elle se remit à remonter : la traversée de la combe ne dura pas un quart d’heure. Désormais, elle avait neuf chances sur dix d’atteindre la maison du garde. Même elle jugea utile de
couper au plus court, car le chemin, solide, ne dev ait pas garder de vestiges. Dans le silence et la paix des choses, elle put cro ire au salut. Aucun coup de sifflet ne se faisait plus entendre : les bandits a vaient dû hésiter devant la combe ; peut-être s’étaient-ils égarés. Une vague prière mo nta aux lèvres de la jeune femme ; elle demandait avec fièvre :
– Oh ! mon Dieu, que je ne meure pas avant de l’avo ir revue !...
Au même instant, les coups de sifflet reprirent ; l es chasseurs suivaient la voie. Alors, Francisca eut sa défaillance ; le cœur, aprè s tant de palpitations, parut se dérober. Mais la vaillance des races dures protesta . Elle se sentait forte encore, et la maison du garde était proche.
– Anda ! Anda ! murmura-t-elle. La sombre énergie revint à grandes ailes. Un toit parut parmi les branches, puis une façade b lanche, à moitié dissimulée par des glycines, des roses, de la vigne vierge. Mme de Escalante sortait du monde sinistre, du pays des fauves, et croyait revenir pa rmi les hommes. Dans ce premier moment, elle eut la certitude de rencontrer le gard e.
Elle le connaissait bien. C’était un homme hardi et un bon tireur. Avant que les bandits eussent pu atteindre la maison, le fusil du garde les aurait abattus comme des sangliers. Si, par surprise, ils réussissaient à se glisser jusques auprès des portes ou des fenêtres, il leur faudrait tenter un assaut dont ils seraient sûrement victimes.
Aussi la fugitive arrivait pleine de confiance. Un doute commença de naître lorsqu’elle se trouva près de la clôture. La maison était silencieuse, les volets fermés. La jeune femme passa brusquement de l’espérance à la terreur...
Le garde était en tournée ; la fugitive aurait dû s e le dire, mais l’instinct avait dominé, le grand instinct d’illusion sans quoi l’ho mme succomberait aux menaces perpétuelles du monde !...
Francisca ouvrant la porte à clairevoie, qui fermai t au loquet, heurta successivement aux panneaux de chêne et aux volets de fer : tout était clos. Et, quand bien même la maison eût été ouverte, comment résister à l’assaut des trois hommes ? – J’y aurais trouvé des armes, se dit-elle. Elle fit deux ou trois fois le tour de la demeure, cherchant quelque défaut dans les fermetures.
Trois coups de sifflet stridèrent sous le couvert. Mme de Escalante tira précipitamment une enveloppe de son corsage et la glissa dans une boîte aux lettres, clouée à la muraille. P uis, haletante, elle sortit du clos et reprit sa course.
III
D’abord aucun projet ne se dessina dans l’imaginati on de Francisca. Non qu’elle eût perdu courage ! Pour avoir réussi à éloigner si longtemps le péril, elle se sentait comme une provision de foi. Jusqu’ici, sa décision, son endurance et le hasard avaient travaillé pour elle. Pourquoi l’aide des ho mmes ne viendrait-elle pas à son tour ? Elle y comptait, comme un joueur compte voir sortir la rouge lorsque la noire a passé plusieurs fois.
Tout à coup, elle eut une illumination. Elle, se so uvint qu’il y avait, à un quart d’heure du lac des Chevreuils, un campement de char bonniers. Il fallait, il est vrai, franchir le lac. Mais elle connaissait un havre où l’on amarrait un canot grossier, presque un bac, qui servait tantôt au passage, tant ôt à la pêche. Cet endroit était assez proche. Si elle pouvait l’atteindre, ou bien elle trouverait le canot vide et pourrait s’en servir, ou bien il y aurait un ou deu x pêcheurs, ou encore le bac serait en route et elle appellerait au secours. À la rigue ur, elle irait à la rencontre des sauveteurs : elle savait nager...
Elle obliqua à droite, à travers un fourré d’abord, puis par une sente qu’elle avait parfois pratiquée. Ce changement de route lui fut f avorable. Car les bandits ayant atteint à leur tour la maison du garde, Martin rele va des traces de la fugitive, reprit la chasse avec une quasi-certitude, mais il dépassa la bifurcation. Puis, comme le terrain devenait mou et qu’il n’y percevait aucun v estige, il revint sur ses pas et siffla le rassemblement.
Ce signal apprit à Mme de Escalante que son avance s’était accrue.
Après une vingtaine de minutes, la futaie se raréfi a, les chênes disparurent, les hêtres s’espacèrent ; il se présenta une surface pl antée d’herbe et de broussailles. Au fond, parmi des saules, des peupliers, des rosea ux, on discernait le lac des Chevreuils.
Francisca poussa un grand soupir, mais c’était un s oupir de joie. Le moment approchait où elle allait sortir de ce cauchemar. R ien n’annonçait que les poursuivants fussent proches et elle apercevait la crique à demi cachée par les roseaux. Dans le canot, Francisca serait sauve : le lac s’étendait très loin à droite et à gauche, tandis qu’un promontoire avançait sa poin te et raccourcissait la traversée :
– Il était temps ! balbutia-t-elle.
Ses forces faiblissaient ; elle avait la poitrine r ompue et ses jarrets commençaient à fléchir. Elle rassembla ses dernières énergies et, en moins d’un quart d’heure, elle atteignait la crique. Là, ses prunelles se dilatère nt et elle ne put arrêter une plainte : la crique était vide, les rives désertes, la surfac e du lac s’étendait immobile et solitaire.
Francisca demeura écrasée par le sort. Puis, l’inst inct de la fuite renaissant, elle jeta un long regard autour d’elle, elle chercha la meilleure voie à suivre...
Un tremblement la parcourut : le bandit trapu venai t de sortir du couvert. Il l’avait vue. Il eut son ricanement funèbre et si ffla trois fois sans arrêter sa course. Une minute plus tard, Courte-Échelle et Ten aille débouchaient à leur tour. Ils s’avançaient en ordre dispersé, de manière à co uper toute retraite.
Francisca se sentit perdue. Quand quatre heures sonnèrent, éclatantes et jeunes à l’horloge des Éperviers, poussives et rauquesgeladeau clocher des saints Michel et Nicolas, Simone Vau eut un frémissement. Elle se leva du fauteuil de cu ir fauve où elle songeait, et regarda vers les fenêtres. Le paysage entrait fastu eusement. On apercevait une pelouse verte comme un herbage...
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