La double vie de Théophraste Longuet
405 pages
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La double vie de Théophraste Longuet , livre ebook

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Description

Gaston Leroux (1868-1927)



"Certain soir de l’an dernier, je remarquai dans le salon d’attente du journal le Matin un homme tout de noir vêtu, sur la figure duquel je m’arrêtai à lire le plus sombre désespoir. Il ne pleurait plus. Ses yeux desséchés et morts recevaient l’image des objets extérieurs, comme des glaces immobiles.


Il était assis et avait déposé sur ses genoux un coffret en bois des îles tout orné de ferrures. Ses deux mains étaient croisées sur le coffre. Un garçon de service me dit qu’il attendait là, depuis trois longues heures, mon arrivée sans un mouvement, sans le bruit d’un soupir.


Je priai cet homme en deuil de franchir le seuil de mon cabinet.


Je lui montrai un siège, mais il ne s’assit point, il vint droit à mon bureau et déposa le coffret en bois des îles tout orné de ferrures.


– Monsieur, me dit-il d’une voix éteinte et lointaine, ce coffret vous appartient. Mon ami, M. Théophraste Longuet, m’a donné la mission de vous l’apporter. Recevez-le, monsieur, et croyez-moi votre serviteur.


L’homme me salua et regagna la porte. Je l’arrêtai :


– Eh quoi ! lui dis-je, ne partez pas ainsi. Je ne puis recevoir ce coffret sans savoir ce qu’il contient.


Il me répondit :


– Monsieur, je ne sais pas ce qu’il contient. Ce coffret est fermé à clef. La clef de ce coffret n’existe plus. Vous devez briser le coffret pour savoir ce qu’il contient."



Théophraste Longuet, fabricant de timbres en caoutchouc à la retraite, commence à avoir un comportement bizarre et vulgaire en visitant l'ancienne prison de la Conciergerie. Serait-il possédé ? Une âme défunte aurait-elle investi Théophraste ?

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374635446
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La double vie de Théophraste Longuet
Gaston Leroux
Décembre 2019
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-544-6
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 544
Préface historique
Certain soir de l’an dernier, je remarquai dans le salon d’attente du journalle M atinun homme tout de noir vêtu, sur la figure duquel je m’arrêtai à lire le plus sombre désespoir.Il ne pleurait plus.Ses yeux desséchés et morts recevaient l’image des objets extérieurs, comme des glaces imm obiles.
Il était assis et avait déposé sur ses genoux un co ffret en bois des îles tout orné de ferrures. Ses deux mains étaient croisées sur le coffre. Un garçon de service me dit qu’il attendait là, depuis trois longues heures , mon arrivée sans un mouvement, sans le bruit d’un soupir.
Je priai cet homme en deuil de franchir le seuil de mon cabinet.
Je lui montrai un siège, mais il ne s’assit point, il vint droit à mon bureau et déposa le coffret en bois des îles tout orné de ferrures. – Monsieur, me dit-il d’une voix éteinte et lointai ne, ce coffret vous appartient. Mon ami, M. Théophraste Longuet, m’a donné la missi on de vous l’apporter. Recevez-le, monsieur, et croyez-moi votre serviteur. L’homme me salua et regagna la porte. Je l’arrêtai :
– Eh quoi ! lui dis-je, ne partez pas ainsi. Je ne puis recevoir ce coffret sans savoir ce qu’il contient.
Il me répondit :
– Monsieur, je ne sais pas ce qu’il contient. Ce co ffret est fermé à clef. La clef de ce coffret n’existe plus. Vous devez briser le coffret pour savoir ce qu’il contient. Je repris : – Je voudrais au moins savoir le nom de celui qui m e l’apporte. – Mon ami, M. Théophraste Longuet, m’appelait : Ado lphe, répliqua cet homme désespéré, d’une voix de plus en plus éteinte. – M. Théophraste Longuet, s’il m’eût apporté lui-mê me ce coffret, m’eût dit certainement ce qu’il renferme. Je regrette que M. Théophraste Longuet... – Moi aussi, monsieur, fit l’homme. Mais M. Théophr aste Longuet est mort, et je suis son exécuteur testamentaire. Ayant dit ces mots, il ouvrit la porte et s’en alla . Je regardai le coffret, la porte, je courus à l’homme, mais il avait disparu.
Je fis ouvrir le coffret et y trouvai une liasse de papiers, que je considérai d’abord avec ennui et que j’examinai ensuite, par le menu a vec intérêt. Au fur et à mesure que je pénétrai dans ces documen ts posthumes, l’aventure qui s’y révélait était si inattendue que je n’y voulus point croire ; cependant, comme il y avait là des preuves, je dus, après enquête, me ren dreà sa réalité. Tout d’abord, il importe de dire que lede cujus,M. Théophraste Longuet, bourgeois de Paris, me faisait héritier du coffret, de son contenuet des secrets qui s’y trouvaient renfermés. Quels étaient ces secrets ?
Les papiers du défunt, fort nombreux, et qui relata ient dans les plus grands détails les derniers événements d’une existence devenue exc eptionnellement dramatique, m’apprenaient que M. Théophraste Longuet, par la dé couverte d’un document vieux de deux siècles,avait acquis la preuve que Louis-Dominique Cartouch e et lui, Théophraste Longuet, venu au monde deux siècles plu s tard, ne faisaient qu’UN.
Ce document l’avait mis également sur la trace des trésors du fameux Cartouche.
Un trépas précoce et certaines terribles histoires, qui seront narrées tout au long dans cette œuvre extraordinaire, n’avaient pas perm is au défunt de les retrouver. Il me les léguaitincroyable vie ;ainsi que tous les détails et tout le secret de son et cela, quoiqu’il ne me connût point, mais tout simpl ement parce que j’écrivais dans un journal qui avait été « son organe favori ». Enf in, s’il m’avait choisi parmi tant de rédacteurs de ce journal, c’est qu’il me trouvait, non pas plus d’esprit – ce qui m’eût rempli de confusion – maisune intelligence plus solideque celle des autres. J’appris par la suite et vous apprendrez ce qu’il e ntendait par le mot :solide. Très perplexe, j’allai porter tout ce fatras à mon directeur, qui, lui, eut cette imagination de le faire servir, non seulement à la joie des lecteurs de son journal mais encore à leur intérêt. Il n’hésita pasà trouver les trésors de Cartouche tout de suite, dans sa caisse.Vous savez de quelle sorte pratique et tout à fait curieuse vingt-cinq mille francs, somme divisée en sept trés ors, furent cachés à Paris et en province, et comment l’auteur de ces lignes fut cha rgé de glisser, dans l’histoire trouvée dans le coffret en bois des îles, histoire qui parut en feuilleton au mois d’octobre de l’an 1903(1), certaines indications qui devaient conduire à la découverte des trésors duMatin.
Aujourd’hui que les trésors duMatinsont trouvés, il ne s’agira donc plus en cette œuvre que des trésors de Cartouche qui ne sont, du reste, que le moindre incident de cette prodigieuse aventure.
J’ai cru de mon devoir vis-à-vis du lecteur et auss i de la mémoire de Théophraste Longuet de publier en volumel’histoire vraie, l’histoire authentique de la réincarnation de Cartouche, écrite uniquement avec les documents trouvés dans le coffret en bois des îles, et débarrassée par conséq uent de tout ce que, moi, pauvre journaliste, j’y avais ajouté, avec tant de plaisir du reste, pour la fortune des lecteurs de mon journal.
Le lecteur du livre, lui, ne trouvera ici qu’un tré sor, mais il est considérable : c’est une pure œuvre littéraire d’une valeur inestimable, si l’on songe àtout ce que nous prouventles documents enfermés dans le coffret en bois des îles.
Certes, quelques esprits avancés sedoutaient bien de quelque chose,mais eussent-ils jamais osé soupçonner laréelleaventure de Théophraste Longuet ? osé la soupçonneret la comprendre ?
Le coffret en bois des îles contenait le secret de la tombe.
Il contenait aussil’Histoire du peuple Talpadue à la plume autorisée de M. le commissaire de police Mifroid qui fut retenu trois semaines avec M. Théophraste Longuet chez ces monstres souterrains aux groins ro ses. Disons tout de suite que cette dernière infernale déambulation eut certainem ent rencontré des incrédules, si le récit n’en avait été fait par le plus curieux, l e plus noble, le plus charmant esprit – musicien, peintre, sculpteur, poète – des commissar iats modernes, par ce Protée auquel on ne pourrait comparer que Léonard de Vinci si Léonard de Vinci avait été commissaire de police.
Enfin, je ne terminerai pas cette préface sans aver tir le lecteur qu’il doit s’attendre à tout et qu’il est absolument dangereux, pour sa s anté intellectuelle et physique, d’aborder le secret de la vie de Théophraste, s’il n’a, selon l’expression de Théophraste lui-même, la tête solide.
GASTON LEROUX
I
M. Théophraste Longuet veut s’instruire et visite les monuments historiques
L’étrange aventure de M. Théophraste Longuet, qui d evait se terminer d’une façon si tragique, eut son origine dans une visite que ce t homme de bien fit à la prison de la Conciergerie, le vingt-huitième jour de juin 189 9. Ainsi l’histoire est d’hier, mais l’auteur de ces lignes, après avoir feuilleté, comp ulsé, interrogé avec une grande conscience tous les papiers, cahiers, mémoires et t estaments du sieur Théophraste Longuet, ose dire qu’elle n’en est pas moins fantas tique. M. Théophraste Longuet, quand il sonna à la porte d e la Conciergerie, n’était point seul : il était accompagné de sa femme, Marceline, qui était une fort belle femme, blonde et mûre, la « majestueuse enfant » dont parl e le poète. Marceline balançait son col « avec d’étranges grâces » ; et, vraiment, je ne trouve rien de mieux à vous dire sur cette aimable personne, pour vous donner l a sensation un peu vague mais réelle de son aspect général, que les deux vers de Baudelaire :
Quant tu vas, balayant l’air de ta jupe large,
Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large.
M. Théophraste Longuet était donc accompagné de sa femme et aussi de M. Adolphe Lecamus, son meilleur ami. La porte de fer trouée d’un petit judas grillagé to urna sur ces gonds avec pesanteur, comme il sied à une porte de prison, et un gardien, secoueur de clefs, demanda à Théophraste sa « permission ». Celui-ci é tait allé la chercher le matin même à la préfecture de police ; il la tendit avec satisfaction et, confiant dans son droit, regarda son ami Adolphe.
Il admirait Adolphe presque autant que sa femme. Ce n’était point que Adolphe fût absolument beau, mais il avait une figure énergique et il n’y avait rien au monde que Théophraste, l’homme le plus timide de Paris, p risât tant que l’énergie. Ce front large et bombé – tandis que le sien était court et perpendiculaire – ces sourcils horizontaux et bien fournis, qui se relevaient d’or dinaire avec harmonie pour exprimer le dédain des autres et la confiance en so i, ce regard aigu – tandis que ses yeux pâles, à lui, clignaient sous des lunettes de myope – ce nez droit, l’arc orgueilleux de cette lèvre, surmontée de la moustac he brune en volute, le dessin carré du menton, bref, toute cette vivante antithès e de sa figure falote aux joues blettes était l’objet continuel de sa tacite admira tion. De plus, Adolphe avait été employé supérieur des postes en Tunisie. Il avait d onc « traversé la mer ».
Théophraste, lui, n’avait jamais rien traversé du t out. Certainement il avait traversé la Seine, il avait traversé Paris, mais on ne saurait prétendre sérieusement que ce sont là des traversées. – Pourtant, disait-il, pourtant, on court quelquefo is de plus grands risques en se promenant dans les rues de Paris qu’en naviguant su r les grands steamers (il
prononçait : sté-a-mairs). Il peut vous tomber, sur la tête, un pot de fleurs !
Ainsi il aimait, par des imaginations inoffensives, introduire dans son existence monotone et exempte de tout danger apparent la pers pective troublante des plus inattendues catastrophes. Le gardien-portier remit la petite troupe à la disp osition du gardien-chef qui passait. Marceline était très impressionnée. Elle s’appuyait au bras d’Adolphe. Elle pensait au cachot de Marie-Antoinette et au musée Grévin.
Le gardien-chef dit :
– Vous êtes français ?
Théophraste s’arrêta au milieu de la cour. – Est-ce que nous ressemblons à des Anglais ? fit-i l. Et, en posant cette question, il souriait avec auda ce, car il était bien sûr d’être Français. – C’est bien la première fois, expliqua le gardien- chef, que je vois des Français demander à visiter la Conciergerie. Les Français, à l’ordinaire, ne visitent rien. – Ils ont tort, monsieur, répliqua Théophraste en e ssuyant les verres de ses lunettes. Ils ont tort. Les monuments du passé sont le livre de l’histoire.
Il s’arrêta et regarda Adolphe et sa femme. Évidemm ent, il trouvait la phrase belle. Mais Adolphe et Marceline ne l’avaient pas entendue . Il continua, en suivant l’homme porte-clefs :
– Moi, je suis un vieux Parisien et, si j’ai attend u ce jour pour visiter les monuments du passé, c’est que mon état – je fabriqu ais la semaine dernière encore, monsieur, des timbres en caoutchouc – ne m’ a point laissé de loisir jusqu’à l’heure de la retraite. Cette heure a sonné, monsie ur, je vais m’instruire.
Et il frappa avec autorité le pavé séculaire du bou t de son ombrelle verte. Puis ils franchirent tous une petite porte et un grand guich et. Ils descendirent quelques marches et furent dans la salle des Gardes.
Et la première chose qui arrêta leurs regards fit s ourire Adolphe, rougir Marceline, s’insurger Théophraste. C’était, au chapiteau d’une de ces sveltes colonnes gothiques qui sont le suprême orgueil de l’architec ture au treizième siècle, l’histoire en pierre et symbolique d’Héloïse et d’Abélard. Abé lard s’appuyait fort tristement à la protégée du chanoine Fulbert, cependant que cell e-ci recueillait, d’une main attendrie, la cause de tous leurs malheurs.
– Il est étrange, fit M. Longuet en entraînant préc isément sa femme et son ami, il est étrange que, sous prétexte d’art gothique, le g ouvernement tolère de pareilles obscénités. Ce chapiteau déshonore la Conciergerie et il est incroyable que saint Louis, qui rendait la justice sous un chêne, ait pu en supporter la vue.
M. Lecamus n’était point de cet avis. Il disait : « L’art sauve tout ».
Mais bientôt ils ne parlèrent plus et furent unique ment à leurs réflexions. Ils faisaient « tout leur possible » pour que ces vieux murs, qui évoquaient une si prodigieuse histoire, leur laissassent une impressi on durable. Ils n’étaient pas des brutes. Pendant que le gardien-chef les conduisait dans la tour de César, ou dans la tour d’Argent, ou dans la tour Bon Bec, ils se disa ient vaguement qu’il y avait eu là depuis plus de mille ans des prisonniers illustres dont ils avaient oublié les noms.
Marceline continuait à penser à Marie-Antoinette, à madame Élisabeth et au petit Dauphin, et aussi aux gendarmes de cire qui veillen t, dans les musées, sur la famille royale. Ainsi, elle visitait la Conciergeri e, tandis qu’en esprit elle était au Temple. Mais elle ne s’en doutait pas. Comme ils descendaient de la tour d’Argent, où ils avaient trouvé pour tout souvenir moyenâgeux un vieux monsieur sur un rond-d e-cuir, derrière un bureau modern-style, classant des papiers relatifs aux der niers internés politiques de la troisième République, ils retombèrent dans la salle des Gardes, se dirigeant vers la tour Bon Bec.
Théophraste, qui avait son idée, demanda au gardien -chef : – N’est-ce pas ici, monsieur, que s’est passé le de rnier repas des Girondins ? Et il fut heureux d’ajouter, car il mettait quelque amour-propre à paraître renseigné : – Vous devriez bien nous dire exactement où se trou vait la table, et aussi la place qu’occupait Camille Desmoulins. Le gardien répondit que les Girondins avaient dîné dans la chapelle et qu’on la visiterait bientôt. – Si je tiens à connaître la place de Camille Desmo ulins, dit Théophraste, c’est que Camille Desmoulins est mon ami. – À moi aussi, fit Marceline, avec un regard d’une grande douceur vers M. Adolphe Lecamus, regard qui signifiait – on peut le jurer – « Pas autant que toi, Adolphe. »
Mais Adolphe se moqua d’eux. Il prétendit que Camil le n’était pas un Girondin. Théophraste fut vexé et un peu aussi Marceline. Qua nd Adolphe eut affirmé que c’était un cordelier, un ami de Danton, un septembriseur, Marceline nia :
– Jamais, dit-elle, s’il en eût été ainsi, jamais L ucie ne l’eût épousé.
M. Adolphe Lecamus n’insista pas, mais comme on éta it arrivé à la tour Bon Bec, dans la salle de la Torture, il feignit, par condes cendance, de s’intéresser aux étiquettes qui annonçaient, sur les tiroirs garniss ant les murs, du houblon, de la cannelle, du séné.
Le gardien dit : – Ceci est la salle de la question. On en a fait la pharmacie. – On a bien fait, répliqua Théophraste ; c’est plus humain.
– Sans doute, ajouta Adolphe, mais c’est moins impressionnant.
Marceline, du coup, fut de son avis. On n’était pas impressionné du tout. Ah ! ils attendaient autre chose. Quand on passe sur le quai de l’Horloge, l’aspect formidable de ces tours féodales, « dernier vestige » du palais de la vieille monarchie franque, porte un trouble momentané dans l’esprit du plus ignorant. Cette prison millénaire a entendu tant de râles mag nifiques et caché de si lointaines et légendaires misères, qu’il semble bien que l’on n’a qu’à y pénétrer pour trouver, assise en quelque coin sombre, humide et funeste, l ’Histoire tragique de Paris, immortelle comme ces murs. Or voici que dans ces to urs, avec un peu de plâtre, de parquet, de peinture, on a fait le cabinet de M. Le directeur, le bureau du greffier ; on a mis le potard là où autrefois se tenait le bou rreau. Comme dit Théophraste, c’est plus humain.
Mais, tout de même, comme c’est moins impressionnan t, ainsi que l’affirme M. Adolphe, cette visite du vingt-huitième jour de jui n 1899 menaçait de ne laisser chez nos trois personnages que le souvenir passager d’un e complète désillusion, quand survint un événement inouï et si curieusement fanta stique que j’ai cru de toute nécessité, après avoir lu la relation qui en a été faite par Théophraste Longuet lui-même dans ses mémoires, d’aller interroger le gardi en-chef, qui me confirma la scène en ces termes.
– Monsieur, la chose s’était passée comme à l’ordin aire et je venais de faire visiter à ces messieurs et dame les cuisines de sai nt Louis, qui sont maintenant un dépôt de plâtres. Nous nous dirigions vers le cacho t de Marie-Antoinette, qui est maintenant une petite chapelle. Le Christ devant le quel elle a prié avant de monter dans la charrette est aujourd’hui dans le cabinet d e M. le directeur. – Passez ! passez ! interrompis-je, et au fait. – Mais nous y sommes. Je racontais à l’homme à l’om brelle verte que nous nous étions vus forcés de placer dans le cabinet de M. l e directeur le fauteuil de la reine, parce que les Anglais emportaient tout le crin de c e fauteuil dans leurs porte-monnaie.
– Eh ! passez ! m’exclamai-je, impatienté. – Monsieur, il faut bien que je vous répète ce que je racontais à l’homme à l’ombrelle verte, quand il m’interrompit sur un ton tellement étrange que l’autre monsieur et la dame remarquèrent tout haut« qu’ils ne reconnaissaient plus sa voix ». Ah ! Ah ! Et que vous disait-il ?
– Nous étions arrivés exactement à l’extrémité de l a rue de Paris. (Vous savez ce que c’est que la rue de Paris à la Conciergerie ?)
– Oui, oui, continuez. – Nous touchions à cet affreux couloir noir où se t rouve une grille derrière laquelle on coupait les cheveux des femmes avant de les exéc uter. Vous savez que c’est toujours la même grille ? – Oui, oui, continuez.
– C’est un couloir, monsieur, où jamais ne pénètre un rayon de soleil. Vous savez que Marie-Antoinette, monsieur, a suivi ce couloir le jour de sa mort ?
– Oui, oui, continuez. – C’est là, monsieur, la vieille Conciergerie dans toute son horreur... Alors, l’homme à l’ombrelle verte me dit : «Parbleu !c’est l’allée des Pailleux ! » – Il vous dit cela ? Rappelez-vous ; il vous dit bi en : «Parbleu ! »
– Oui, monsieur. – Ce n’est pas extraordinairement étonnant qu’il vo us ai dit : «Parbleu !C’est l’allée des Pailleux ! » – Attendez ! Attendez ! Je lui répondis qu’il se tr ompait, que l’allée des Pailleux devait être cette allée que nous appelons aujourd’h ui la rue de Paris. Il me répliqua avec cette même voix étrange : «Parbleu ! vous n’allez pas me l’apprendre ! J’y ai couché sur la paille, comme les autres ! »
« Je lui fis remarquer en souriant, non sans craint e, qu’on n’avait pas couché sur la paille, dans l’allée des Pailleux, depuis plus d e deux cents ans.
– Et que vous répondit-il ? fis-je au gardien. – Il allait me répondre quand sa femme intervint : « Qu’est-ce que tu racontes, Théophraste ? dit-elle. Tu veux apprendre son métie r à monsieur et tu n’es jamais venu à la Conciergerie. » Alors il dit, mais avec s a voix naturelle, la voix que je lui connaissais au commencement : « C’est vrai, je ne s uis jamais venu à la Conciergerie. »
– Et que fîtes-vous alors ?
– Je ne m’expliquais point cet incident et je le cr oyais terminé quand il se passa quelque chose de plus étrange encore. – Ah ! Ah ! – Nous avions visité le cachot de la reine et celui de Robespierre, et la chapelle des Girondins, et cette petite porte qui n’a point changé depuis que les malheureux prisonniers de septembre la franchirent pour se fai re massacrer dans la cour ; nous étions revenus dans la rue de Paris. Il y avait là, sur la gauche, un petit escalier que nous ne descendons jamais, car il conduit aux caves et il n’y a rien à voir dans les caves, que la nuit qui y règne éternellement. La po rte qui est au bas de ce petit escalier est fermée par une grille, qui a peut-être mille ans et même davantage. Le monsieur que l’on appelle Adolphe se dirigeait, ave c la dame, vers la porte de sortie de la salle des Gardes quand, sans rien dire, l’hom me à l’ombrelle verte descendit le petit escalier. Quand il fut à la grille, il cri a, avec la voix étrange dont je vous ai parlé tout à l’heure :
« Eh bien ! Où allez-vous ?C’est par ici ! »Le monsieur, la dame et moi, nous nous arrêtâmes comme pétrifiés. Il faut vous dire, monsieur, que sa voix était tout à fait terrible et que rien dans l’aspect de l’homme à l’ombrelle verte ne préparait à entendre une voix pareille. Je courus comme malgré moi au haut du petit escalier. L’homme me lança un regard foudroyant. Vrai, j’étai s comme foudroyé, pétrifié et foudroyé, oui, monsieur, et quand il m’ordonna : « Ouvrez cette grille ! » je ne sais comment j’ai trouvé encore la force de descendre pr écipitamment les degrés et de lui ouvrir la porte, ainsi qu’il me le demandait d’ une façon si exceptionnellement énergique. Alors... – Alors ? – Alors, quand la grille fut ouverte, il s’enfonça dans la nuit des caves. Où allait-il ? Comment trouvait-il son chemin ! Ces bas-fonds de la Conciergerie sont plongés dans d’effrayantes ténèbres que rien ne vient troub ler depuis des siècles et des siècles.
– Vous n’avez pas tenté de l’arrêter ?
– Il était déjà trop loin et ce n’était pas en mon pouvoir.L’Homme à l’ombrelle verte me commandait.e de cetteJe restai ainsi un quart d’heure environ, à l’entré nuit opaque. Soudain, j’entendis sa voix, pas la première mais la seconde voix. J’en fus tellement saisi que je m’accrochai aux barreaux de la porte. Il criait : «C’est toi, Simon l’Auvergnat ? »
Je ne répondis rien. Il passa près de moi et il me sembla qu’il mettait un chiffon de papier dans la poche de sa jaquette : il franchit d ’un bond l’escalier et rejoignit l’autre monsieur et la dame. Il ne leur donna aucun e explication. Moi, je courus leur ouvrir la porte de la prison. J’avais hâte de les v oir dehors. Quand le guichet fut ouvert et que l’homme à l’ombrelle verte se trouva sur le seuil, devant le quai, il prononça, sans raison apparente, cette phrase :« Il faut éviter la roue ! ».Je dis,
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