L oblat
482 pages
Français

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Description

Joris-Karl Huysmans (1848-1907)



"Durtal résidait depuis plus de dix-huit mois déjà au Val des Saints. Las de Chartres où il s’était provisoirement fixé, harcelé par des appétences déréglées de cloître, il était parti pour l’abbaye de Solesmes.


Recommandé au supérieur de ce monastère par l’abbé Plomb, un des vicaires de la cathédrale de Chartres, qui connaissait le Révérendissime de longue date, il avait été aimablement reçu, était resté, à diverses reprises, plus de quinze jours, dans ce couvent et il en était toujours revenu plus mal à l’aise, plus incertain qu’avant. Il retrouvait avec allégresse ses vieux amis, l’abbé Gévresin et sa gouvernante, Mme Bavoil, réintégrait avec un soupir de soulagement son logis et le même phénomène se produisait ; il était peu à peu ressaisi par le souvenir de cette existence conventuelle qui s’écartait complètement de celle qu’il avait autrefois vécue à la Trappe.


Ce n’était plus, en effet, la règle de fer des Cisterciens, le silence perpétuel, les jeûnes complets, le maigre ininterrompu, le coucher, tout habillé, dans un dortoir, le lever à deux heures, en pleine nuit, le travail de l’industrie ou le labeur de la terre ; les Bénédictins pouvaient parler, usaient, certains jours, d’aliments gras, couchaient déshabillés, chacun, dans sa cellule, se levaient à quatre heures, se livraient à des travaux intellectuels, besognaient beaucoup plus dans les bibliothèques que dans les comptoirs de marchandises ou dans les champs."

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 novembre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384421503
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’oblat


Joris-Karl Huysmans


Novembre 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-150-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1148
I

D urtal résidait depuis plus de dix-huit mois déjà au Val des Saints. Las de Chartres où il s’était provisoirement fixé, harcelé par des appétences déréglées de cloître, il était parti pour l’abbaye de Solesmes.
Recommandé au supérieur de ce monastère par l’abbé Plomb, un des vicaires de la cathédrale de Chartres, qui connaissait le Révérendissime de longue date, il avait été aimablement reçu, était resté, à diverses reprises, plus de quinze jours, dans ce couvent et il en était toujours revenu plus mal à l’aise, plus incertain qu’avant. Il retrouvait avec allégresse ses vieux amis, l’abbé Gévresin et sa gouvernante, Mme Bavoil, réintégrait avec un soupir de soulagement son logis et le même phénomène se produisait ; il était peu à peu ressaisi par le souvenir de cette existence conventuelle qui s’écartait complètement de celle qu’il avait autrefois vécue à la Trappe.
Ce n’était plus, en effet, la règle de fer des Cisterciens, le silence perpétuel, les jeûnes complets, le maigre ininterrompu, le coucher, tout habillé, dans un dortoir, le lever à deux heures, en pleine nuit, le travail de l’industrie ou le labeur de la terre ; les Bénédictins pouvaient parler, usaient, certains jours, d’aliments gras, couchaient déshabillés, chacun, dans sa cellule, se levaient à quatre heures, se livraient à des travaux intellectuels, besognaient beaucoup plus dans les bibliothèques que dans les comptoirs de marchandises ou dans les champs.
La règle de saint Benoît, si inflexible chez les moines blancs, s’était adoucie chez les moines noirs ; elle s’était aisément pliée aux besoins dissemblables des deux Ordres dont le but n’était pas, en effet, le même.
Les Trappistes étaient plus spécialement préposés aux œuvres de la mortification et de la pénitence et les Bénédictins, proprement dits, au service divin des louanges ; les uns, avaient, en conséquence, sous l’impulsion de saint Bernard, aggravé la règle dans ce qu’elle a de plus strict et de plus dur ; les autres, au contraire, avaient adopté, en les assouplissant, les dispositions si accortes et si indulgentes qu’elle recèle.
Le séjour des retraitants et des hôtes se ressentait forcément de cette différence ; autant la réception à la Trappe avait été taciturne et austère lorsque, pour la première fois, Durtal l’avait visitée, – il y avait déjà de cela dix ans, – afin de se convertir ; autant l’accueil à Solesmes, où il était allé dans le dessein de tâter sa vocation, avait été et disert et clément.
Il avait profité, chez les Bénédictins, du côté bon enfant de leurs observances ; une liberté presque entière lui avait été laissée pour se lever, pour se promener, pour suivre les offices ; il mangeait avec les religieux et non plus, ainsi que chez les Cisterciens, dans une salle à part ; il n’était plus admis sur la lisière de la communauté et en marge du cloître, mais bien au dedans, vivant avec les pères, causant et travaillant avec eux. Les devoirs de l’hospitalité, si expressément recommandés par le Patriarche, étaient vraiment exécutés à la lettre par les moines noirs.
Ce caractère paternel lui souriait, dès qu’il était de retour à Chartres ; avec le temps, la vision de Solesmes se décantait, s’idéalisait à mesure qu’elle devenait plus lointaine.
Il n’y a que Solesmes ! se criait-il ; la seule vie monastique possible pour moi est là !
Et cependant, il devait se rappeler que, chaque fois qu’il avait quitté l’abbaye et qu’il s’était assis dans la voiture qui le menait à la gare de Sablé, il avait respiré, tel qu’un homme qu’on allège d’un insupportable poids, et qu’aussitôt installé dans le train, il se disait : mon Dieu quelle veine ! Me voici libre ! – et, sans cesse, pourtant, il regrettait cette gêne d’être chez les autres, cette délivrance d’heures tracées, sans amusements inopinés, sans tintouins prévus.
Il parvenait difficilement à analyser ces jeux d’impressions, ces volte-faces de sentiments. Oui, certes, s’affirmait-il, Solesmes est en France unique ; l’art religieux y resplendit comme nulle part ; le chant y est mûr à point, les offices s’y célèbrent avec une imperfectible pompe ; nulle part aussi, je n’approcherai d’un Abbé de l’envergure de Dom Delatte et de paléographes musicaux plus ingénieux et plus savants que Dom Mocquereau et que Dom Cagin, j’ajouterai encore de moines plus serviables et plus avenants ; oui, mais...
Mais quoi ? et alors, en fait de réponse, c’était un recul de tout son être, une sorte de répulsion instinctive devant ce couvent dont la façade splendidement illuminée, rendait, par contraste, les communs non éclairés qui en dépendaient, plus noirs ; et il s’avançait avec précaution, de même qu’un chat qui flaire un logis qu’il ne connaît point, prêt à détaler, à la moindre alerte.
Et cela ne rime néanmoins à rien, convenait-il ; je n’ai pas l’ombre d’une preuve que l’intérieur du cloître soit d’un autre style d’âme que celui de la façade ; c’est étrange, ce qui se passe en moi.
Voyons, raisonnons, qu’est-ce qui me déplaît ? – et il se répondait : tout et rien ; – cependant certaines remarques se détachaient en lumière, venaient en avant sur le décor de l’abbaye. D’abord, la grandeur de ce monastère et cette armée de profès et de novices qui lui enlèvent ce côté intime et charmant que possède un moins imposant reclusage, la Trappe de Notre-Dame de l’Âtre, par exemple. Nécessairement, avec ses immenses bâtiments et la foule des religieux qui les encombrent, Solesmes prend une allure de caserne. Il semble que l’on marche aux offices ainsi qu’à une parade, que l’Abbé est un général entouré de l’état-major de son Chapitre et que les autres ne sont plus que de pauvres troubades. Non, on ne serait jamais à l’aise et l’on ne serait jamais sûr non plus du lendemain, si l’on appartenait à cette garnison religieuse qui a, je ne sais quoi d’inquiet, de craintif, de toujours sur ses gardes ; et, en effet, un beau matin, l’on peut, si l’on a cessé de plaire, être expédié, comme un simple colis, au loin, à destination d’un autre cloître.
Puis, qui dira la tristesse de ces récréations, de ces conversations surveillées et inévitablement mornes, l’agacement produit, à la longue, par le manque de cette solitude, si délicieuse à la Trappe et qui est impraticable à Solesmes, où il n’existe ni étangs, ni bois, où le jardin est plat et dénudé, sans un tournant, sans une fin d’allée où l’on puisse se recueillir, à l’abri des regards, sans témoin, seul ?
Très bien, reprenait-il, mais, pour être juste, il me faut avouer maintenant que si j’excepte la question du site – et encore, sauf moi, tous l’admirent – mes autres griefs sont dépourvus de sens. Comment, en effet, réaliser l’ensemble de Solesmes, la solennité de ses offices et la gloire de ses chants, sans cette masse serrée de moines ? Comment, sans une poigne de fer, conduire une armée de près de cent hommes dont les caractères différents, à force de se frotter, s’échauffent ? Il est donc indispensable que la discipline soit aussi rigoureuse, plus même, dans un monastère que dans un camp ; enfin il faut bien aider les autres couvents de la congrégation, plus indigents en sujets, en leur envoyant ceux qui leur manquent, ou un maître des cérémonies, ou un préchantre, ou un infirmier, le spécialiste, en un mot, dont ils ont besoin.
Que ces exils soient redoutés par les résidants de Solesmes, cela prouve qu’ils se trouvent bien dans leur abbaye et n’est-ce pas le meilleur éloge qu’on en puisse faire ? en tout cas, ces départs sont, la plupart du temps, moins des disgrâces que des prêts de maison à maison, nécessités par l’intérêt même de l’Ordre.
Quant à cette répugnance que je ressens à vivre dans cette foule toujours en mouvement, un père auquel j’en parlais très franchement, m’a judicieusement répondu : où serait le mérite si l’on ne souffrait d’être roulé, tel qu’un galet, sur la plage d’un grand cloître ?
Bien oui, je ne dis pas, mais n’empêche que j’aime mieux autre chose...
Et Durtal réfléchissait et se sortait alors des arguments plus valides, des raisons plus péremptoires pour se justifier ses appréhensions.
À supposer, se disait-il, que le Père Abbé me laisse fabriquer mes livres en paix et consente à ne point s’immiscer dans des questions de littérature, – et il est si large d’esprit qu’il admettrait sans nul doute cette dispense – cela ne servirait de rien car je serais absolument incapable d’écrire un livre dans cette abbaye.
L’expérience, je l’ai tentée, à diverses reprises ; les matinées et les après-midi, coupées par les offices, y rendent tout travail d’art impossible. Cette vie, divisée en petites tranches, peut être excellente pour colliger des matériaux et assembler des notes, mais pour œuvrer des pages, non.
Et il se remémorait de désolantes heures où, s’échappant d’un office, il voulait s’atteler sur un chapitre et le découragement le prenait à l’idée que lorsqu’il commencerait d’être en train, il faudrait quitter sa cellule et regagner la chapelle pour un autre office et il concluait : le cloître est utile pour préparer un ouvrage, mais il sied de l’exécuter dehors !
Puis qu’est-ce que l’on entend par l’oblature ? Jamais il n’avait pu obtenir une réponse claire. Cela dépend du bon vouloir du Père Abbé et cela peut par conséquent changer selon les monastères ; mais ce n’est pas sérieux ! l’oblature Bénédictine existait déjà au huitième siècle ; elle est régie par des règlements séculaires ; où sont-ils ? Personne n’a l’air de le savoir.
Le bon vouloir d’un Père Abbé ! Mais c’est se livrer, pieds et poings liés, à un homme que l’on ne connaît que par ouï-dire, en somme : et pour peu que celui dans le couvent duquel on s’internerait, fût ou vieux et borné, ou jeune et impérieux et versatile, ce serait pis que d’être moine ! – car le moine est au moins défendu par des ordonnances précises que

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