L assommoir
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L'assommoir , livre ebook

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Description

Les Rougon-Macquart doivent se composer d'une vingtaine de romans. Depuis 1869, le plan general est arrete, et je le suis avec une rigueur extreme. L'Assommoir est venu a son heure, je l'ai ecrit, comme j'ecrirai les autres, sans me deranger une seconde de ma ligne droite. C'est ce qui fait ma force. J'ai un but auquel je vais.

Informations

Publié par
Date de parution 23 octobre 2010
Nombre de lectures 23
EAN13 9782819908760
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PRÉFACE
Les Rougon-Macquart doivent se composer d'unevingtaine de romans. Depuis 1869, le plan général est arrêté, et jele suis avec une rigueur extrême. L' Assommoir est venu à sonheure, je l'ai écrit, comme j'écrirai les autres, sans me dérangerune seconde de ma ligne droite. C'est ce qui fait ma force. J'ai unbut auquel je vais.
Lorsque l' Assommoir a paru dans un journal,il a été attaqué avec une brutalité sans exemple, dénoncé, chargéde tous les crimes. Est-il bien nécessaire d'expliquer ici, enquelques lignes, mes intentions d'écrivain ? J'ai voulupeindre la déchéance fatale d'une famille ouvrière, dans le milieuempesté de nos faubourgs. Au bout de l'ivrognerie et de lafainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, lesordures de la promiscuité, l'oubli progressif des sentimentshonnêtes, puis comme dénoûment, la honte et la mort. C'est de lamorale en action, simplement.
L' Assommoir est à coup sûr le plus chaste demes livres. Souvent j'ai dû toucher à des plaies autrementépouvantables. La forme seule a effaré. On s'est fâché contre lesmots. Mon crime est d'avoir eu la curiosité littéraire de ramasseret de couler dans un moule très travaillé la langue du peuple.Ah ! la forme, là est le grand crime ! Des dictionnairesde cette langue existent pourtant, des lettrés l'étudient etjouissent de sa verdeur, de l'imprévu et de la force de ses images.Elle est un régal pour les grammairiens fureteurs. N'importe,personne n'a entrevu que ma volonté était de faire un travailpurement philologique, que je crois d'un vif intérêt historique etsocial.
Je ne me défends pas, d'ailleurs. Mon oeuvre medéfendra. C'est une oeuvre de vérité, le premier roman sur lepeuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple. Et il nefaut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mespersonnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu'ignorants et gâtéspar le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent.Seulement, il faudrait lire mes romans, les comprendre, voirnettement leur ensemble, avant de porter les jugements tout faits,grotesques et odieux, qui circulent sur ma personne et sur mesoeuvres. Ah ! si l'on savait combien mes amis s'égayent de lalégende stupéfiante dont on amuse la foule ! Si l'on savaitcombien le buveur de sang, le romancier féroce, est un dignebourgeois, un homme d'étude et d'art, vivant sagement dans soncoin, et dont l'unique ambition est de laisser une oeuvre aussilarge et aussi vivante qu'il pourra ! Je ne démens aucunconte, je travaille, je m'en remets au temps et à la bonne foipublique pour me découvrir enfin sous l'amas des sottisesentassées. ÉMILE ZOLA.
Paris, 1er janvier 1877.
I
G ervaise avaitattendu Lantier jusqu'à deux heures du matin. Puis, toutefrissonnante d'être restée en camisole à l'air vif de la fenêtre,elle s'était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, lesjoues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau àdeux têtes , où ils mangeaient, il l'envoyait se coucher avecles enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontantqu'il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu'elle guettaitson retour, elle croyait l'avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon,dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d'une nappe d'incendiela coulée noire des boulevards extérieurs; et, derrière lui, elleavait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leurrestaurant, marchant à cinq ou six pas, tes mains ballantes, commesi elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemblesous la clarté crue des globes de la porte.
Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie,les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n'était pasrentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise aubord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de laflèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de sesyeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambregarnie, meublée d'une commode de noyer dont un tiroir manquait, detrois chaises de paille et d'une petite table graisseuse, surlaquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour lesenfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait lesdeux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grandeouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeaud'homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettessales; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles,pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, lesdernières nippes dont les marchands d'habits ne voulaient pas. Aumilieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, ily avait un paquet de reconnaissances du Mont-de-Piété, d'un rosétendre. C'était la belle chambre de l'hôtel, la chambre du premier,qui donnait sur le boulevard.
Cependant, couchés côte à côte sur le même oreiller,les deux enfants dormaient. Claude, qui avait huit ans, ses petitesmains rejetées hors de la couverture, respirait d'une haleinelente, tandis qu'Étienne, âgé de quatre ans seulement, souriait, unbras passé au cou de son frère. Lorsque le regard noyé de leur mères'arrêta sur eux, elle eut une nouvelle crise de sanglots, elletamponna un mouchoir sur sa bouche, pour étouffer les légers crisqui lui échappaient. Et, pieds nus, sans songer à remettre sessavates tombées, elle retourna s'accouder à la fenêtre, elle repritson attente de la nuit, interrogeant les trottoirs, au loin.
L'hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle,à gauche de la barrière Poissonnière. C'était une masure de deuxétages, peinte en rouge lie de vin jusqu'au second, avec despersiennes pourries par la pluie. Au-dessus d'une lanterne auxvitres étoilées, on parvenait à lire entre les deux fenêtres: Hôtel Boncoeur, tenu par Marsoullier , en grandes lettresjaunes, dont la moisissure du plâtre avait emporté des morceaux.Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son mouchoir sur leslèvres. Elle regardait à droite, du côté du boulevard deRochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs,stationnaient en tabliers sanglants; et le vent frais apportait unepuanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elleregardait à gauche, enfilant un long ruban d'avenue, s'arrêtant,presque en face d'elle, à la masse blanche de l'hôpital deLariboisière, alors en construction. Lentement, d'un bout à l'autrede l'horizon, elle suivait le mur de l'octroi, derrière lequel, lanuit, elle entendait parfois des cris d'assassinés; et ellefouillait les angles écartés, les coins sombres, noirs d'humiditéet d'ordure, avec la peur d'y découvrir le corps de Lantier, leventre troué de coups de couteau. Quand elle levait les yeux, audelà de cette muraille grise et interminable qui entourait la villed'une bande de désert, elle apercevait une grande lueur, unepoussière de soleil, pleine déjà du grondement matinal de Paris.Mais c'était toujours à la barrière Poissonnière qu'elle revenait,le cou tendu, s'étourdissant à voir couler, entre les deuxpavillons trapus de l'octroi, le flot ininterrompu d'hommes, debêtes, de charrettes, qui descendait des hauteurs de Montmartre etde la Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une fouleque de brusques arrêts étalaient en mares sur la chaussée, undéfilé sans fin d'ouvriers allant au travail, leurs outils sur ledos, leur pain sous le bras; et la cohue s'engouffrait dans Parisoù elle se noyait, continuellement. Lorsque Gervaise, parmi tout cemonde, croyait reconnaître Lantier, elle se penchait davantage, aurisque de tomber; puis, elle appuyait plus fortement son mouchoirsur la bouche, comme pour renfoncer sa douleur.
Une voix jeune et gaie lui fit quitter la fenêtre. – Le bourgeois n'est donc pas là, madame Lantier ? – Mais non, monsieur Coupeau, répondit-elle en tâchant desourire.
C'était un ouvrier zingueur qui occupait, tout enhaut de l'hôtel, un cabinet de dix francs. Il avait son sac passé àl'épaule. Ayant trouvé la clef sur la porte, il était entré, enami. – Vous savez, continua-t-il, maintenant, je travaillelà, à l'hôpital... Hein ! quel joli mois de mai ! Çapique dur, ce matin.
Et il regardait le visage de Gervaise, rougi par leslarmes. Quand il vit que le lit n'était pas défait, il hochadoucement la tête; puis, il vint jusqu'à la couchette des enfantsqui dormaient toujours avec leurs mines roses de chérubins; et,baissant la voix: – Allons ! le bourgeois n'est passage, n'est-ce pas ?... Ne vous désolez pas, madame Lantier.Il s'occupe beaucoup de politique; l'autre jour, quand on a votépour Eugène Sue, un bon, paraît-il, il était comme un fou.Peut-être bien qu'il a passé la nuit avec des amis à dire du mal decette crapule de Bonaparte. – Non, non, murmura-t-elle aveceffort, ce n'est pas ce que vous croyez. Je sais où est Lantier...Nous avons nos chagrins comme tout le monde, mon Dieu !
Coupeau cligna les yeux, pour montrer qu'il n'étaitpas dupe de ce mensonge. Et il partit, après lui avoir offertd'aller chercher son lait, si elle ne voulait pas sortir: elleétait une belle et brave femme, elle pouvait compter sur lui, lejour où elle serait dans la peine. Gervaise, dès qu'il se futéloigné, se remit à la fenêtre.
A la barrière, le piétinement de troupeaucontinuait, dans le froid du matin. On reconnaissait les serruriersà leurs bourgerons bleus, les maçons à leurs cottes blanches, lespeintres à leurs paletots, sous lesquels de longues blousespassaient. Cette foule, de loin, gardait un effacement plâtreux, unton neutre, où dominaient le bleu déteint et le gris sale. Parmoments, un ouvrier s'arrêtait, rallumait sa pipe, tandis qu'autourde lui les autres marchaient toujours, sans un rire, sans uneparole dite à un camarade, les joues terreuses, la face tendue versParis, qui, un à un, les dévorait, par la rue béante duFaubourg-Poissonnière. Cependant, aux deux coins de la rue desPoissonniers, à la porte des deux marchands de vin qui enlevaientleurs volets, des hommes ralentissaient le pas; et, avant d'entrer,ils restaient au bord du tr

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