L Américaine
357 pages
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L'Américaine , livre ebook

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Description

Jules Claretie (1840-1913)



"En juillet, à Trouville, par un beau temps clair, sous le ciel d’un bleu doux, légèrement ouaté de nuages blancs, devant la mer plate et verte aux bords vaseux dentelés d’écume blanche, le docteur Fargeas, le savant névrologiste, causait à l’ombre d’un grand parasol planté dans le sable fin. Il causait, tout en regardant de ses profonds yeux noirs des barques filer à l’horizon, un vapeur passer avec sa blanche fumée droite, et, en amateur d’art qu’il était, comparant aux marines accrochées à Paris, dans son cabinet, la côte violacée qui se montrait au fond, très loin, plaquée de tons rosés ou jaunes, vers le cap de la Hève, là-bas.


Il se laissait aller, le docteur, à ces lents bavardages des jours de repos, assis entre un homme de trente-cinq ans environ, à l’air militaire, le marquis de Solis, retour du Tonkin et descendu l’avant-veille aux Roches Noires, et un jeune homme coiffé du petit chapeau paillasson à large ruban qui, dans un tonneau d’osier, les jambes croisées, battait sa bottine gauche du bout de son ombrelle de toile écrue. Joli garçon, ce M. de Bernière, un peu cousin du marquis de Solis ; mais aussi spirituellement flâneur, railleur, décadent ou pessimiste, selon la mode, que Georges de Solis était – avec dix années de plus sur les épaules – enthousiaste, crédule, courant la mode à la conquête de quelque vérité scientifique, et que Fargeas lui-même, restait ardent et alerte, sous ses longs cheveux gris, encadrant son visage maigre."

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Informations

Publié par
Date de parution 11 juin 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384422418
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Américaine


Jules Claretie


Juin 2023
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-241-8
Couverture : pastel de STEPH’
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1239
À M ADAME H. - S. S.

Permettez-moi, madame, de vous envoyer, de Paris à Philadelphie, ce livre où vous rencontrerez plus d’une observation et plus d’un trait qui m’ont été donnés par l’éminent homme d’État, le profond philosophe et le causeur charmant dont vous portez le nom respecté. Je n’ai pas eu la prétention, dans ce roman quasi-parisien, de peindre les mœurs intimes de vos compatriotes. J’ai saisi au passage les Américains que j’ai vus, et je n’ai voulu faire ni un tableau ni une satire de la vie du Nouveau Monde. Ne cherchez pas sous ce titre : l’Américaine , l’étude spéciale d’une race ; cherchez-y ce que vous trouverez, j’espère : – un portrait de femme.
Ce que j’ai surtout visé, à vrai dire, dans le roman que je vous envoie, madame, ce n’est pas l’Amérique, c’est le divorce qui, du reste, est d’importation américaine. On divorce avec une facilité prodigieuse chez vous. Nous n’en sommes pas tout à fait là en France, mais nous marchons vite, et il n’est pas mauvais de réagir. Et vous m’approuverez d’autant plus, madame, je le sais, que votre foyer d’Amérique est comme un nid d’affections et de souvenirs, avec l’image chère de celui qui m’a honoré de son amitié.
Recevez, madame, à travers le temps et l’éloignement, l’hommage de mon profond respect.

J ULES C LARETIE .
I

En juillet, à Trouville, par un beau temps clair, sous le ciel d’un bleu doux, légèrement ouaté de nuages blancs, devant la mer plate et verte aux bords vaseux dentelés d’écume blanche, le docteur Fargeas, le savant névrologiste, causait à l’ombre d’un grand parasol planté dans le sable fin. Il causait, tout en regardant de ses profonds yeux noirs des barques filer à l’horizon, un vapeur passer avec sa blanche fumée droite, et, en amateur d’art qu’il était, comparant aux marines accrochées à Paris, dans son cabinet, la côte violacée qui se montrait au fond, très loin, plaquée de tons rosés ou jaunes, vers le cap de la Hève, là-bas.
Il se laissait aller, le docteur, à ces lents bavardages des jours de repos, assis entre un homme de trente-cinq ans environ, à l’air militaire, le marquis de Solis, retour du Tonkin et descendu l’avant-veille aux Roches Noires , et un jeune homme coiffé du petit chapeau paillasson à large ruban qui, dans un tonneau d’osier, les jambes croisées, battait sa bottine gauche du bout de son ombrelle de toile écrue. Joli garçon, ce M. de Bernière, un peu cousin du marquis de Solis ; mais aussi spirituellement flâneur, railleur, décadent ou pessimiste, selon la mode, que Georges de Solis était – avec dix années de plus sur les épaules – enthousiaste, crédule, courant la mode à la conquête de quelque vérité scientifique, et que Fargeas lui-même, restait ardent et alerte, sous ses longs cheveux gris, encadrant son visage maigre.
Ils s’étaient, après le déjeuner, rencontrés et assis machinalement sur la plage, dans le farniente délicieux de la vie des eaux, le docteur descendant de sa villa, bâtie dans le nid de verdure de la côte de Grâce, Bernière et M. de Solis sortant du même hôtel où ils se retrouvaient sans s’y être donné rendez-vous.
Fargeas avait jadis soigné la marquise de Solis et donnait, de temps à autre, des conseils hygiéniques à M. de Bernière qui ne les suivait pas. Un ami de tous ses clients, le bon docteur. Et appliquant à ces faux malades, simplement anémiés ou rendus dyspepsiques par la vie de Paris, une méthode curative à lui : la causerie, le laisser-passer, le haussement d’épaules et le : « Bah ! ce n’est rien ! Vous en verrez toujours la fin ! »
– Eh bien ! docteur, et vos malades ? lui demandait justement Bernière, en continuant à frapper de son ombrelle sa cheville qui faisait saillie sous le caoutchouc de la bottine.
– Mes malades ? Tous bien portants !
Et le docteur ajouta, en riant :
– Je les visite si peu !
– Vous seul avez le droit de parler ainsi, de ce petit ton railleur, de votre science, cher docteur !... dit M. de Solis, avec un évident respect, une sorte de reconnaissance affectueuse. Vous, un des maîtres en l’art de guérir !
– Oh ! un des maîtres ! – le savant hochait la tête. – La vérité est que je suis peut-être parmi les médecins un des moins... malfaisants !
Bernière sourit et son ombrelle battit plus vite, comme pour applaudir.
– Malfaisant est joli ! Un ban pour malfaisant !
– Non... Mais, dit Fargeas, je suis sceptique en médecine... voilà ma force ! J’ai remarqué qu’à tout prendre il n’y a jamais de maladies réelles que celles que l’on croit avoir !... Quand l’homme est réellement en danger, il se figure qu’il n’a rien de grave. Cette ignorance de son mal le rassure et il en guérit malgré le médecin ! L’homme ou la femme est-il malade imaginaire ? Comme à tout propos le médecin est consulté, alors... ah ! alors, ça devient dangereux !
– Il n’y a donc à votre avis, demanda M. de Solis, que les maladies qu’on croit avoir ?
– Évidemment, comme il n’y a que les passions qu’on se figure éprouver.
Le jeune Bernière, après avoir applaudi, se mit à protester.
– Oh ! qu’on se figure !... qu’on se figure !... dit-il.
Le docteur Fargeas l’interrompit, et regardant ce joli garçon blond, frisé, avec une mince moustache finement retroussée sur des lèvres un peu pâles, et un monocle crispant, comme une hémiplégie, tout un côté de sa face, tandis que l’autre restait calme, avec un petit œil bleu perçant :
– Mais parfaitement, dit le médecin. Voyons, tenez : Quel âge avez-vous ?
– Vingt-huit ans.
– Et, à vingt-huit ans, vous croyez avoir eu des passions ?
– Beaucoup ! fit Bernière.
– Êtes-vous joueur ?
– Peu !
– Bibliophile ?
– Médiocrement... Je coupe les volumes avec mes doigts ! Ainsi !...
– Avare ? Je vous demande pardon...
– Papa me trouve prodigue, répondit Bernière, mais la petite É milienne... Émilienne Delannoy... non... elle... tout le contraire ! Non, je ne suis pas avare !
– Alors, vous n’avez pas de passions ! dit Fargeas, ni les chevaux, ni le jeu, ni les femmes... pas même la petite...
– Émilienne (des Bouffes)...
– Pas même Émilienne Delannoy ne sont des passions ! Des occupations, oui ! Des délassements !... Soit !
– Heu ! heu ! fit le jeune homme, l’air profondément ennuyé, revenu de tout. Des délassements ? Quelquefois !
– Rarement, je le sais bien, accentua le docteur. Mais des passions, non ! Vous voyez bien vous-même... Vous dites : « Heu ! heu ! » Une passion, mais cela vous prend corps et âme, vous tient, vous tord, vous absorbe, vous tue lentement et pourtant vous fait vivre !... J’ai connu deux hommes seulement qui avaient eu ce qu’on appelle une passion, mais une vraie, une absolue passion ! L’un était un brave garçon qui cherchait le moyen d’abolir la misère... Il est mort fou ! L’autre était un vieux sculpteur raté qui passa sa vie à sculpter des noix de coco, certain de tailler là-dedans un chef-d’œuvre... Il est mort idiot !... Et ce n’est pas plus bête de s’affoler pour un beau rêve ou de s’abrutir sur un pareil travail que de perdre sa vie pour une femme !
Bernière écoutait Fargeas en souriant, comme il eût prêté l’oreille à un air de bravoure ou à une conférence ; mais il n’en semblait pas fort ému.
Il répondit de sa voix lente et lassée :
– Mon cousin Solis est cependant là, docteur, pour vous prouver qu’il peut y avoir d’autres passions que celle des noix de coco !
– Comment ?
– Dame ! une noble passion : celle des voyages.
– Et vous voyez bien que M. de Solis ne l’éprouvait pas complètement... entièrement... jusqu’à en mourir, la passion des voyages, puisqu’il est revenu !
– C’est qu’on se lasse de tout, docteur ! répondit le marquis de Solis qui, machinalement, traçait sur le sable de la plage, une carte quelconque, chimérique, sans doute.
Le docteur Fargeas eut presque un éclat de rire triomphant :
– On se lasse de tout. Voilà ! Eh bien ! mais, je ne dis pas autre chose, moi !
– Alors, à votre avis, demanda le marquis, l’amour ?
– Oh ! je n’y crois pas, fit Bernière.
– J’y crois, moi, au contraire, dit Fargeas, j’y crois... comme à la médecine ! Je crois aux faits. À l’amour de la femme pour le mari qui la rend heureuse, du mari pour la femme qui le rend fier, de la mère et du père pour l’enfant... Je crois à tous les amours accompagnés d’un qualificatif... amour conjugal... filial... paternel... ce que vous voudrez... Je crois à l’amour-propre surtout ! Mais je ne crois pas à l’amour sans épithète !... Cet amour-là n’est qu’un farceur... Il prétend qu’il n’a que des ailes... Allons donc ! Il a des pattes... et des griffes !...
– C’est-à-dire, fit M. de Solis, qu’à ramener votre théorie à la pratique, il n’y a pour tout homme d’autre passion que celle de son foyer et d’autre salut que le mariage ?
– Voilà ! répéta Fargeas, joyeusement.
M. de Bernière crut bien embarrasser le médecin :
– Alors, docteur, pourquoi ne vous êtes-vous pas marié, vous ?
– Moi ? Parce que j’avais une passion...
– La science ?
– Parfaitement.
– Vous n’y croyez pas ! dit le jeune homme.
Fargeas haussait les épaules.
– Il y a tant d’imbéciles qui croient tout savoir sans avoir rien appris. On n’a pas trop de tout une existence de travail pour arriver à se convaincre qu’on ne sait rien ! Et puis, quoi ? je n’ai pas trouvé la femme qui... la femme...
– Ah ! je vous y prends ! Vous cherchiez l’amour !
– Ou l’intérêt !...
– Vous, l’intérêt ?... Jamais de la vie !
Le marquis de Solis, pendant ce bavardage léger, regardait, sans les voir, les pêcheuses d’équilles, rapportant de la mer, leur pelle à la main, ces longs poissons d’argent à tête de brochet, qui cachent leur tête dans le sable, et les pêcheurs de crevettes, rentrant, leur filet sur l’épaule, tandis que d’autres revenaient, se suivant, leurs paniers à l’épaule, comme une longue et lente théorie de travailleurs.
Il regardait, mais sa pensée était ailleurs. Tout ce qui se disait là, pr

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