L abîme
137 pages
Français

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Description

Walter Wilding est un négociant en vins dont le commerce prospère est installé sur les rives de la Tamise à Londres. Abandonné à la naissance pour d’obscures raisons, il passe son enfance à l’Hospice des Enfants Trouvés et ne connaîtra sa véritable mère qu’à l’adolescence. Peu après la mort de celle-ci, il décide d’engager une femme de charge et lors de l’entretien avec Mme Goldstraw, la candidate idéale, il ressent un trouble que partage cette dernière, qui finira par lui révéler un terrible secret. Choqué, Walter Wilding va alors se lancer dans la quête de sa vie, une quête qui va remettre en cause toute son existence. Mais finalement, qui est vraiment Walter Wilding ?

Charles Dickens et Wilkie Collins, en maîtres incontestés de la littérature anglaise du XIXe siècle, nous livrent là un grand roman à suspense, un chef-d’œuvre encore méconnu aujourd'hui.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374533025
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0022€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'abîme
Charles Dickens Wilkie Collins
Les classiques du 38
OUVERTURE.
Quel jour du mois et de l’année ? Le 13 novembre 1835 Quelle heure ? Dix heures du soir sonnant à la grande horloge de St Paul.

En même temps, toutes les églises de la ville ouvrent leurs gosiers de bronze et forcent leurs voix. Quelques-unes ont inconsidérément commencé de chanter avant la Cathédrale ; d’autres n’y vont pas si vite et sont en retard de quatre, de six coups sur la grosse cloche. Cependant toutes se suivent d’assez près pour laisser ensemble dans l’air une même résonance longue et plaintive. On dirait que le père ailé qui dévore ses enfants décrit une courbe retentissante, avec sa faux gigantesque, au-dessus de la Cité.

Quelle est cette cloche plus sourde et plus triste que toutes les autres, plus proche aussi de notre oreille ? Ce soir-là, elle retarde si fort que ses vibrations persistent seules, longtemps après que tout autre son s’est éteint dans l’air. C’est la cloche de l’Hospice des Enfants Trouvés.

Jadis les enfants y étaient reçus sans enquête. Un trou pratiqué dans la muraille s’ouvrait et se refermait discrètement. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. On prend des informations sur les pauvres petits hôtes, on les reçoit par faveur des mains de leurs mères. Ces malheureuses mères doivent renoncer à les revoir, à les réclamer même, et cela pour jamais ! Ce soir, la lune est dans son plein, la nuit est assez douce. La journée n’a pourtant pas été belle ; la boue épaissie par les larmes du brouillard recouvre les rues d’une couche noirâtre, et, certes, il faut, pour éviter l’atteinte pénétrante, que la dame voilée qui se promène de long en large soit bien et solidement chaussée.

Elle marche évitant la place des fiacres ; on la voit s’arrêter de temps en temps dans l’ombre de la partie occidentale de ce grand mur quadrangulaire, le visage tourné vers une petite porte dérobée. Au-dessus de sa tête se déploie le ciel pur, éclairé par cette lune brillante, les souillures du pavé s’étendent sous ses pas, et son esprit est divisé entre des pensées bien différentes, les unes presque heureuses, les autres cruelles. Son cœur ne lui parle point le même langage que l’expérience impitoyable ; l’empreinte de ses pieds se succédant aux mêmes places dans cette boue noire a fini par y tracer comme un labyrinthe : ne serait-ce point-là l’image de sa vie, des obstacles que le hasard a dressés devant elle, et du dédale inextricable où ses fautes l’ont engagée ?

La porte dérobée s’ouvrit alors, et une jeune femme sortit de l’Hospice.

La dame voilée se tint d’abord à l’écart, observant de tous ses yeux. Ayant vu la porte se refermer, elle se mit à suivre la jeune femme.

Elles traversèrent ainsi deux rues en silence. La dame voilée, enfin, étendit la main vers celle qu’elle suivait et la toucha. La jeune femme s’arrêta, tout effrayée et se retourna.

– Vous m’avez déjà touchée hier soir, s’écria-t-elle, et, lorsque j’ai tourné la tête, vous avez refusé de me parler. Pourquoi me suivez-vous comme un fantôme ?

– Je n’ai pas refusé de vous parler, murmura la dame. J’ai bien essayé de le faire ; mais alors je n’ai pu…

– Que voulez-vous de moi ? Je ne vous ai jamais fait de mal ?

– Jamais.

– Je ne crois pas vous connaître ?

– Vous ne me connaissez pas.

– Que puis-je donc, pour vous être utile ?

– Il y a deux guinées dans ce papier. Acceptez mon pauvre petit présent, et je vous le dirai.

La jeune femme, qui avait bien le plus honnête visage du monde, rougit vivement.

– Je suis Sally, dit-elle. Dans ce grand établissement, auquel j’appartiens, il n’y a pas une grande personne ni un enfant qui n’ait toujours une bonne parole pour Sally. On n’aurait pas pris une si bonne opinion de moi, si l’on me croyait capable de me vendre.

– Hélas ! fit la dame, je ne songe pas à vous acheter. Je voulais seulement vous offrir une légère récompense.

Avec fermeté, mais sans aigreur, Sally repoussa la main qui lui présentait l’offrande.

– S’il y a quelque chose que je puisse faire pour vous obliger, dit-elle, vous vous trompez en pensant que je le ferai pour de l’argent. Que désirez-vous ?

– Vous êtes l’une des gardiennes ou des employées de l’Hospice. Je vous en ai vue sortir hier et ce soir.

– Je suis Sally, madame ; je suis Sally.

– Votre visage annonce la patience et la douceur, je suis sûre que les enfants s’attachent tout de suite à vous.

– Pauvres chéris ! C’est vrai, madame.

La dame releva son voile. Elle n’était guère moins jeune que Sally. Certes sa figure avait quelque chose de bien plus aristocratique et décelait une intelligence bien plus ouverte : mais aussi comme elle était pâle et fatiguée !

– Je suis la malheureuse mère d’un enfant confié à vos soins, balbutia-t-elle, et je veux vous adresser une prière !

Sally, alors touchée de la confiance que la pauvre femme lui avait montrée en écartant son voile, Sally, dont les actions étaient toujours simples et pleines de bonté, replaça la voile sur ce visage pâle et se mit à pleurer.

– Vous écouterez ma prière, lui dit la dame, vous ne serez point insensible aux angoisses d’une infortunée qui vous supplie ?

– Oh ! Chère… bien chère… s’écria la bonne Sally. Que faut-il vous dire ? Et que puis-je faire ? Ne parlez pas de prière, au moins… Nos prières ne doivent s’élever que vers notre Père à tous : on n’en adresse point à une pauvre fille comme moi. D’ailleurs je vais quitter l’Hospice ; je n’y resterai plus que six mois, jusqu’à ce qu’une autre jeune femme ait été mise au courant de mon service et soit prête à me remplacer. Je vais me marier, madame. Je ne serais pas sortie ce soir si mon Dick… c’est celui que je dois épouser… n’était malade. J’aiderai sa mère et sa sœur à le veiller cette nuit. Ne vous affligez pas si fort.

– Ah ! Bonne Sally… chère Sally… vous êtes pleine d’espérance, et depuis longtemps l’espérance s’est éteinte devant mes yeux. La vie s’offre à vous belle et paisible, vous deviendrez une femme respectée et sans doute une tendre et orgueilleuse mère. Vous êtes une femme aimante et vivante… Et moi, il faut que je meure ! Écoutez, écoutez-moi, je vous en prie.

– Mon Dieu ! s’écria Sally, que dois-je donc faire ? Voyez comme vous vous servez de mes propres paroles contre moi. Je vous ai dit que j’étais sur le point de me marier, afin de vous faire mieux comprendre que j’allais quitter cette maison et que je ne pouvais vous être d’aucun secours, pauvre femme ! Et vous voudriez à présent me persuader que j’ai tort de me marier et que je suis cruelle en refusant de vous servir. Ce n’est pas bien ! Allons, est-ce que cela est bien, madame ?

– Sally, ma bonne Sally, ce n’est point dans l’avenir que je vous demande de m’aider, oh ! Non, ce n’est pas dans l’avenir. Ma prière ne regarde que le passé, je n’attends de vous que deux mots.

– Là, s’écria Sally, voilà qui va de mal en pis. Si je ne comprenais pas quels sont ces deux mots que vous voulez savoir…

– Vous le comprenez, Sally. Quels sont les noms que l’on a donnés à mon pauvre bébé ? Quels sont ces noms ? Je ne vous en demande pas davantage ; j’ai lu la règle de la maison. Il a été baptisé dans la chapelle et enregistré dans le grand-livre. C’était lundi soir. Comment l’a-t-on appelé ?

Elle se mit à genoux devant Sally – à genoux dans la boue épaisse de cette petite rue déserte et sans issue qui conduisait aux jardins de l’Hospice ; elle se serait roulée sur le pavé dans la véhémence et la folie de son désespoir, si la bonne Sally ne l’eût relevée.

– Oh ! Non… non ! s’écria cette chère fille, vous me donnez envie de faire une bonne action. Laissez-moi regarder encore votre jolie figure ; mettez vos mains dans les miennes… Jurez-moi que vous ne me demanderez rien de plus que ces deux mots.

– Jamais… jamais je ne vous demanderai autre chose.

– Et si je les dis, ces noms, vous n’en ferez pas un mauvais usage ? Vous ne ferez pas tourner cette révélation contre moi ?

– Jamais ! Jamais !

– Walter Wilding.

La dame jeta sa tête sur le sein de la jeune fille, la tint un moment embrassée, et murmura une bénédiction fervente.

– Embrassez-le pour moi ! fit-elle.

Et elle disparut.

*****

Quel jour du mois et de l’année ? Le premier dimanche d’octobre 1847. Quelle heure à Londres ? Une heure et demie de l’après-midi à la grande horloge de St Paul.

Aujourd’hui, l’horloge de l’Hospice des Enfants Trouvés marche de concert avec celle de la Cathédrale. Le service est fini dans la chapelle et les Enfants Trouvés sont à dîner.

Il y a comme toujours beaucoup de monde à ce dîner ; deux ou trois directeurs, des familles entières de paroissiens, et quelques curieux. Un doux soleil d’automne pénètre dans la salle. Ces grandes fenêtres, ces murailles sombres sur lesquelles les rayons vont se jouant, sont des choses qu’Hogarth aimait à reproduire dans ses tableaux.

Le réfectoire des filles (la division des filles comprend aussi celle des plus jeunes enfants) est le principal attrait de curiosité pour l’assistance. Des valets d’une propreté rare glissent autour des tables silencieuses. Les curieux vont et viennent à leur guise et font tout bas entre eux plus d’un commentaire sur la figure de ce numéro qui est là-bas près de la fenêtre. C’est que beaucoup de ces physionomies expansives ont un caractère qui mérite de fixer l’attention. Il y a parmi les assistants des visiteurs habituels qui connaissent les hôtes du lieu. On les voit s’arrêter à une place marquée, se pencher, et dire quelques mots à l’oreille de l’un des enfants. Ce n’est point médire que de remarquer en passant qu’ils s’adressent surtout à ceux qui ont un joli visage… Tout le monde circule, chuchote, s’anime, et la monotonie de ces longues salles moroses en est quelque peu rompue.

Une dame voilée, que personne n’accompagne, s’avance au milieu de la foule. On ne peut douter en la voyant qu’elle ne vienne à l’Hospice pour la première fois. Sans doute la curiosi

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