Il ne faut jurer de rien , livre ebook

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Alfred de Musset (1810-1857)



"VAN BUCK : Monsieur mon neveu, je vous souhaite le bonjour.


VALENTIN : Monsieur mon oncle, votre serviteur.


VAN BUCK : Restez assis ; j’ai à vous parler.


VALENTIN : Asseyez-vous ; j’ai donc à vous entendre. Veuillez vous mettre dans la bergère, et poser là votre chapeau.


VAN BUCK, s'asseyant : Monsieur mon neveu, la plus longue patience et la plus robuste obstination doivent, l’une ou l’autre, finir tôt ou tard. Ce qu’on tolère devient intolérable, incorrigible ce qu’on ne corrige pas ; et qui vingt fois a jeté la perche à un fou qui veut se noyer, peut être forcé un jour ou l’autre de l’abandonner ou de périr avec lui.


VALENTIN : Oh ! oh ! voilà qui est débuter, et vous avez là des métaphores qui se sont levées de grand matin.


VAN BUCK : Monsieur, veuillez garder le silence, et ne pas vous permettre de me plaisanter. C’est vainement que les plus sages conseils, depuis trois ans, tentent de mordre sur vous. Une insouciance ou une fureur aveugle, des résolutions sans effet, mille prétextes inventés à plaisir, une maudite condescendance, tout ce que j’ai pu ou puis faire encore (mais, par ma barbe ! je ne ferai plus rien !)... Où me menez-vous à votre suite ? Vous êtes aussi entêté..."



Valentin, 25 ans, passe sa vie à s'amuser. Sans fortune, c'est son oncle Van Buck qui l'entretient. Van Buck, fatigué du comportement de son neveu, lui suggère d'épouser la riche Cécile de Mantes. Valentin décide de prouver à son oncle que ce mariage est grotesque...


Comédie en 3 actes

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Nombre de lectures

10

EAN13

9782374634425

Langue

Français

Il ne faut jurer de rien
Comédie en trois actes
Alfred de Musset
Août 2019
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-442-5
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 443
VAN BUCK, ancien négociant.
VALENTIN, son neveu. UN ABBÉ. UN MAÎTRE DE DANSE.
UN AUBERGISTE. UN GARÇON. LA BARONNE DE MANTES.
CÉCILE, sa fille.
Personnages
ACTE PREMIER
Scène première
La chambre de Valentin
Valentin, assis. – Entre Van Buck.
VAN BUCK Monsieur mon neveu, je vous souhaite le bonjour.
VALENTIN Monsieur mon oncle, votre serviteur.
VAN BUCK
Restez assis ; j’ai à vous parler. VALENTIN Asseyez-vous ; j’ai donc à vous entendre. Veuillez vous mettre dans la bergère, et poser là votre chapeau.
VAN BUCK,S’ASSEYANT.
Monsieur mon neveu, la plus longue patience et la p lus robuste obstination doivent, l’une ou l’autre, finir tôt ou tard. Ce qu ’on tolère devient intolérable, incorrigible ce qu’on ne corrige pas ; et qui vingt fois a jeté la perche à un fou qui veut se noyer, peut être forcé un jour ou l’autre d e l’abandonner ou de périr avec lui. VALENTIN Oh ! oh ! voilà qui est débuter, et vous avez là de s métaphores qui se sont levées de grand matin. VAN BUCK Monsieur, veuillez garder le silence, et ne pas vou s permettre de me plaisanter. C’est vainement que les plus sages conseils, depuis trois ans, tentent de mordre sur vous. Une insouciance ou une fureur aveugle, de s résolutions sans effet, mille prétextes inventés à plaisir, une maudite condescen dance, tout ce que j’ai pu ou puis faire encore (mais, par ma barbe ! je ne ferai plus rien !)... Où me menez-vous à votre suite ? Vous êtes aussi entêté...
VALENTIN Mon oncle Van Buck, vous êtes en colère. VAN BUCK Non, monsieur ; n’interrompez pas. Vous êtes aussi obstiné que je me suis, pour mon malheur, montré crédule et patient. Est-il croy able, je vous le demande, qu’un jeune homme de vingt-cinq ans passe son temps comme vous le faites ? De quoi servent mes remontrances, et, quand prendrez-vous u n état ? Vous êtes pauvre, puisqu’au bout du compte vous n’avez de fortune que la mienne ; mais, finalement, je ne suis pas moribond, et je digère encore vertem ent. Que comptez-vous faire d’ici à ma mort ? VALENTIN Mon oncle Van Buck, vous êtes en colère, et vous al lez vous oublier. VAN BUCK Non, monsieur ; je sais ce que je fais. Si je suis le seul de la famille qui se soit mis dans le commerce, c’est grâce à moi, ne l’oubliez p as, que les débris d’une fortune détruite ont pu encore se relever. Il vous sied bie n de sourire quand je parle ! Si je n’avais pas vendu du guingan à Anvers, vous seriez maintenant à l’hôpital avec votre robe de chambre à fleurs. Mais, Dieu merci, v os chiennes de bouillottes... VALENTIN Mon oncle Van Buck, voilà le trivial ; vous changez de ton, vous vous oubliez ; vous aviez mieux commencé que cela.
VAN BUCK Sacrebleu ! tu te moques de moi ! Je ne suis bon ap paremment qu’à payer tes lettres de change ? J’en ai reçu une ce matin : soi xante louis ! te railles-tu des gens ? Il te sied bien de faire le fashionable (que le diable soit des mots anglais !), quand tu ne peux pas payer ton tailleur ! C’est aut re chose de descendre d’un beau cheval pour retrouver au fond d’un hôtel une bonne famille opulente, ou de sauter à bas d’un carrosse de louage pour grimper deux ou tr ois étages. Avec tes gilets de satin, tu demandes, en rentrant du bal, ta chandell e à ton portier, et il regimbe quand il n’a pas eu ses étrennes. Dieu sait si tu l es lui donnes tous les ans ! Lancé dans un monde plus riche que toi, tu puises, chez t es amis, le dédain de toi-même ; tu portes ta barbe en pointe et tes cheveux sur les épaules, comme si tu n’avais pas seulement de quoi acheter un ruban pour te faire un e queue. Tu écrivailles dans les gazettes ; tu es capable de te faire saint-simonien quand tu n’auras plus ni sou ni maille, et cela viendra, je t’en réponds. Va, va ! un écrivain public est plus estimable que toi. Je finirai par te couper les vivres, et tu mourras dans un grenier. VALENTIN Mon bon oncle Van Buck, je vous respecte et je vous aime. Faites-moi la grâce de m’écouter. Vous avez payé ce matin une lettre de ch ange à mon intention. Quand
vous êtes venu, j’étais à la fenêtre et je vous ai vu arriver ; vous méditiez un sermon juste aussi long qu’il y a d’ici chez vous. Épargne z, de grâce, vos paroles. Ce que vous pensez, je le sais ; ce que vous dites, vous n e le pensez pas toujours ; ce que vous faites, je vous en remercie. Que j’aie des det tes et que je ne sois bon à rien, cela se peut ; qu’y voulez-vous faire ? Vous avez s oixante mille livres de rente...
Cinquante.
VAN BUCK
VALENTIN Soixante, mon oncle ; vous n’avez pas d’enfants, et vous êtes plein de bonté pour moi. Si j’en profite, où est le mal ? Avec soixante bonnes mille livres de rente... VAN BUCK Cinquante, cinquante ; pas un denier de plus. VALENTIN Soixante ; vous me l’avez dit vous-même.
VAN BUCK
Jamais. Où as-tu pris cela ? VALENTIN Mettons cinquante. Vous êtes jeune, gaillard encore , et bon vivant. Croyez-vous que cela me fâche, et que j’aie soif de votre bien ? Vous ne me faites pas tant d’injure ; et vous savez que les mauvaises têtes n’ ont pas toujours les plus mauvais cœurs. Vous me querellez de ma robe de chambre : vo us en avez porté bien d’autres. Ma barbe en pointe ne veut pas dire que j e sois un saint-simonien : je respecte trop l’héritage. Vous vous plaignez de mes gilets : voulez-vous qu’on sorte en chemise ? Vous me dites que je suis pauvre et qu e mes amis ne le sont pas : tant mieux pour eux, ce n’est pas ma faute. Vous im aginez qu’ils me gâtent et que leur exemple me rend dédaigneux : je ne le suis que de ce qui m’ennuie, et puisque vous payez mes dettes, vous voyez bien que je n’emp runte pas. Vous me reprochez d’aller en fiacre : c’est que je n’ai pas de voiture. Je prends, dites-vous, en rentrant, ma chandelle chez mon portier ; c’est pour ne pas monter sans lumière ; à quoi bon se casser le cou ? Vous voudri ez me voir un état : faites-moi nommer premier ministre, et vous verrez comme je fe rai mon chemin. Mais quand je serai surnuméraire dans l’entresol d’un avoué, je v ous demande ce que j’y apprendrai, sinon que tout est vanité. Vous dites q ue je joue à la bouillotte : c’est que j’y gagne quand j’ai brelan ; mais soyez sûr qu e je n’y perds pas plus tôt que je me repens de ma sottise. Ce serait, dites-vous, aut re chose si je descendais d’un beau cheval pour entrer dans un bon hôtel : je le c rois bien ! vous en parlez à votre aise. Vous ajoutez que vous êtes fier, quoique vous ayez vendu du guingan ; et plût à Dieu que j’en vendisse ! ce serait la preuve que je pourrais en acheter. Pour ma noblesse, elle m’est aussi chère qu’elle peut vous l’être à vous-même ; mais c’est
pourquoi je ne m’attelle pas, ni plus que moi les c hevaux de pur sang. Tenez ! mon oncle, ou je me trompe, ou vous n’avez pas déjeuné. Vous êtes resté le cœur à jeun sur cette maudite lettre de change : avalons-la de compagnie, je vais demander le chocolat. Il sonne. On sert à déjeuner.
VAN BUCK Quel déjeuner ! Le diable m’emporte ! tu vis comme un prince. VALENTIN Eh ! que voulez-vous ? quand on meurt de faim, il faut bien tâcher de se distraire. Ils s’attablent. VAN BUCK Je suis sûr que, parce que je me mets là, tu te fig ures que je te pardonne. VALENTIN Moi ? Pas du tout. Ce qui me chagrine, lorsque vous êtes irrité, c’est qu’il vous échappe malgré vous des expressions d’arrière-bouti que. Oui, sans le savoir, vous vous écartez de cette fleur de politesse qui vous d istingue particulièrement ; mais quand ce n’est pas devant témoins, vous comprenez q ue je ne vais pas le dire.
VAN BUCK C’est bon, c’est bon ; il ne m’échappe rien. Mais b risons-là, et parlons...
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