Guerre et paix
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Description

Léon Tolstoï (1828-1910)



"En 1808, l’Empereur Alexandre se rendit à Erfurth pour avoir avec Napoléon une nouvelle entrevue, dont la pompe solennelle défraya longtemps les conversations des cercles aristocratiques de Pétersbourg.


En 1809, l’alliance des « deux arbitres du monde », comme on appelait alors les deux souverains, était si intime, qu’au moment où Napoléon déclara la guerre à l’Autriche, l’Empereur Alexandre décida qu’un corps d’armée russe passerait la frontière pour soutenir Bonaparte, son ennemi d’autrefois, contre son ex-allié l’Empereur d’Autriche, et le bruit courut qu’il était question d’un mariage entre Napoléon et une sœur de l’empereur.


En dehors des combinaisons et des éventualités de la politique extérieure, la société russe se préoccupait vivement à cette époque des réformes décrétées dans toutes les parties de l’administration. Cependant, malgré ces graves préoccupations, l’existence de tous les jours, la vraie existence individuelle, avec ses intérêts matériels de santé, de maladie, de travail, et de repos, ses aspirations intellectuelles vers les sciences, la poésie, la musique, ses passions, ses haines, ses amours, et ses amitiés, n’en suivait pas moins son cours habituel, sans s’inquiéter outre mesure du rapprochement ou de la rupture avec Napoléon, ni des grandes réformes entreprises."



Tome II

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 janvier 2023
Nombre de lectures 4
EAN13 9782384421848
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0022€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Guerre et paix


Léon Tolstoï

Traduit du russe par Irina Paskévitch

Tome II


Janvier 2023
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-184-8
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1182
Deuxième partie

L’invasion
1807-1812
I
 
1
 
En 1808, l’Empereur Alexandre se rendit à Erfurth pour avoir avec Napoléon une nouvelle entrevue, dont la pompe solennelle défraya longtemps les conversations des cercles aristocratiques de Pétersbourg.
En 1809, l’alliance des « deux arbitres du monde », comme on appelait alors les deux souverains, était si intime, qu’au moment où Napoléon déclara la guerre à l’Autriche, l’Empereur Alexandre décida qu’un corps d’armée russe passerait la frontière pour soutenir Bonaparte, son ennemi d’autrefois, contre son ex-allié l’Empereur d’Autriche, et le bruit courut qu’il était question d’un mariage entre Napoléon et une sœur de l’empereur.
En dehors des combinaisons et des éventualités de la politique extérieure, la société russe se préoccupait vivement à cette époque des réformes décrétées dans toutes les parties de l’administration. Cependant, malgré ces graves préoccupations, l’existence de tous les jours, la vraie existence individuelle, avec ses intérêts matériels de santé, de maladie, de travail, et de repos, ses aspirations intellectuelles vers les sciences, la poésie, la musique, ses passions, ses haines, ses amours, et ses amitiés, n’en suivait pas moins son cours habituel, sans s’inquiéter outre mesure du rapprochement ou de la rupture avec Napoléon, ni des grandes réformes entreprises.
Tous les projets philanthropiques de Pierre, qui, par suite de son manque de persévérance, étaient jusqu’à présent restés sans résultat, avaient été mis à exécution par le prince André, qui n’avait pas quitté la campagne, et cela, sans qu’il en fît grand étalage ou y trouvât grande difficulté. Doué de ce qui manquait essentiellement à son ami, c’est-à-dire d’une ténacité pratique, il savait donner, sans secousse et sans effort, l’impulsion à l’ensemble d’une entreprise : les trois cents paysans d’une de ses terres furent inscrits comme agriculteurs libres (un des premiers faits de ce genre en Russie) ; sur ses autres terres, la corvée fut remplacée par la redevance ; à Bogoutcharovo, il avait établi à ses frais une sage-femme, et le prêtre recevait un surplus d’émoluments, pour apprendre à lire aux enfants du village et de la domesticité.
Il partageait son temps entre Lissy-Gory, où son fils était encore entre les mains des femmes, et son ermitage de Bogoutcharovo, comme l’appelait son père. Malgré l’indifférence qu’il avait témoignée devant Pierre pour les événements du jour, il en suivait la marche avec un vif intérêt et recevait beaucoup de livres. Il remarquait avec surprise que des personnes arrivant en droite ligne de Pétersbourg pour faire visite à son père ; c’est-à-dire venant du centre même de l’action, où elles étaient à portée de tout savoir, aussi bien comme politique intérieure que comme politique étrangère, étaient de beaucoup moins bien informées que lui, qui vivait cloîtré sur sa terre.
Malgré le temps que lui prenaient la régie de ses propriétés et ses lectures variées, le prince André trouva encore moyen d’écrire une analyse critique de nos deux dernières campagnes, si malheureuses, et d’élaborer un projet de réforme de nos codes et de nos règlements militaires.
À la fin de l’hiver de 1809, il fit une tournée dans les terres de Riazan qui appartenaient à son fils, dont il était tuteur.
Assis, par un beau soleil de printemps, dans le fond de sa calèche, la pensée flottant dans l’espace, il regardait vaguement à droite et à gauche, et sentait s’épanouir tout son être, sous le charme de la première verdure des jeunes bourgeons des bouleaux, et des nuées printanières, qui couraient sur l’azur foncé du ciel. Après avoir laissé derrière lui le bac, où il avait passé l’année précédente avec Pierre, puis un village de pauvre apparence, avec ses granges et ses enclos, une descente vers le pont où un reste de neige fondait tout doucement, et la montée argileuse qui traversait des champs de blé, il entra dans un petit bois qui bordait la route des deux côtés. Grâce à l’absence de vent, il y faisait presque chaud ; aucun souffle n’agitait les bouleaux, tout couverts de feuilles naissantes, dont la sève poissait la couleur vert tendre. Par ci par là, la première herbe soulevait et perçait de ses touffes, émaillées de petites fleurs violettes, le tapis de feuilles mortes qui jonchaient le sol entre les arbres, au milieu desquels quelques sapins rappelaient désagréablement l’hiver par leur teinte sombre et uniforme. Les chevaux s’ébrouèrent : l’air était si doux qu’ils étaient couverts de sueur.
Pierre, le domestique, dit quelques mots au cocher, qui lui répondit affirmativement ; mais, l’assentiment de ce dernier ne lui suffisant pas, il se tourna vers son maître :
« Excellence, comme il fait bon respirer !
–  Quoi ? Que dis-tu ?
–  Il fait bon, Excellence !
–  Ah oui, se dit le prince André à lui-même... Il parle sans doute du printemps ?... C’est vrai... comme tout est déjà vert, et si vite ?... Voilà le bouleau, le merisier, l’aune qui verdissent, et les chênes ?... Je n’en vois pas... Ah ! en voilà un ! »
À deux pas de lui, sur le bord de la route, un chêne, dix fois plus grand et plus fort que ses frères les bouleaux, un chêne géant, étendait au loin ses vieilles branches mutilées, et de profondes cicatrices perçaient son écorce arrachée. Ses grands bras décharnés, crochus, écartés en tous sens, lui donnaient l’aspect d’un monstre farouche, dédaigneux, plein de mépris, dans sa vieillesse, pour la jeunesse qui l’entourait et qui souriait au printemps et au soleil, dont l’influence le laissait insensible :
« Le printemps, l’amour, le bonheur ?... En êtes-vous encore à caresser ces illusions décevantes, semblait dire le vieux chêne. N’est-ce pas toujours la même fiction ? Il n’y a ni printemps, ni amour, ni bonheur !... Regardez ces pauvres sapins meurtris, toujours les mêmes... Regardez les bras noueux qui sortent partout de mon corps décharné... me voilà tel qu’ils m’ont fait, et je ne crois ni à vos espérances, ni à vos illusions ! »
Le prince André le regarda plus d’une fois en le dépassant, comme s’il en attendait une mystérieuse confidence, mais le chêne conserva son immobilité obstinée et maussade, au milieu des fleurs et de l’herbe qui poussaient à ses pieds : « Oui, ce chêne a raison, mille fois raison. Il faut laisser à la jeunesse les illusions. Quant à nous, nous savons ce que vaut la vie : elle n’a plus rien à nous offrir !... » Et tout un essaim de pensées tristes et douces s’éleva dans son âme. Il repassa son existence, et en arriva à cette conclusion désespérée, mais cependant tranquillisante, qu’il ne lui restait plus désormais qu’à végéter sans but et sans désirs, à s’abstenir de mal faire et à ne plus se tourmenter !
 
 
2
 
Le prince André, obligé, par suite de ses affaires de tutelle, de se rendre chez le maréchal de noblesse du district, qui n’était autre que le comte Élie Andréïévitch Rostow, fit cette course dans les premiers jours de mai : la forêt était toute feuillue, et la chaleur et la poussière si fortes, que le moindre filet d’eau donnait envie de s’y baigner.
Préoccupé des demandes qu’il avait à adresser au comte, il s’était déjà engagé, sans s’en apercevoir, dans la principale allée du jardin qui menait à la maison d’Otradnoë, lorsque de joyeuses voix féminines se firent entendre dans un des massifs, et il vit quelques jeunes filles accourir à la rencontre de sa calèche. La première, une brune, qui avait la taille très mince, les yeux noirs, une robe de nankin, avec un mouchoir de poche blanc jeté négligemment sur sa tête, d’où s’échappaient des mèches de cheveux ébouriffés, s’avançait vivement en lui criant quelque chose ; mais, à la vue d’un étranger, elle se retourna brusquement sans le regarder, et s’enfuit en éclatant de rire !
Le prince André éprouva une impression douloureuse. La journée était si belle, le soleil si étincelant, tout respirait un tel bonheur et une telle gaieté, jusqu’à cette fillette, à la taille flexible, qui tout entière à sa folle mais heureuse insouciance, semblait songer si peu à lui, qu’il se demanda avec tristesse : « De quoi se réjouit-elle donc ? À quoi pense-t-elle ? Ce n’est sûrement ni le code militaire ni l’organisation des redevances qui l’intéressent. »
Le comte Élie Andréïévitch vivait à Otradnoë comme par le passé, recevant chez lui tout le gouvernement, et offrant à ses invités des chasses, des spectacles, et des dîners avec accompagnement de musique. Toute visite était une bonne fortune pour lui : aussi le prince André dut-il céder à ses instances et coucher chez lui.
La journée lui parut des plus ennuyeuses, car ses hôtes et les principaux invités l’accaparèrent entièrement. Cependant il lui arriva à plusieurs reprises de regarder Natacha qui riait et s’amusait avec la jeunesse, et chaque fois il se demandait encore : « À quoi peut-elle donc penser ? »
Le soir, il fut longtemps sans pouvoir s’endormir : il lut, éteignit sa bougie, et la ralluma. Il faisait une chaleur étouffante dans sa chambre, dont les volets étaient fermés, et il en voulait à ce vieil imbécile (comme il appelait Rostow) de l’avoir retenu, en lui assurant que les papiers nécessaires manquaient ; il s’en voulait encore plus à lui-même d’avoir accepté son invitation.
Il se leva pour ouvrir la fenêtre ; à peine eut-il poussé au dehors les volets, que la lune, qui semblait guetter ce moment, inonda la chambre d’un flot de lumière. La nuit était fraîche, calme et transparente ; en face de la croisée s’élevait une charmille, sombre d’un côté, éclairée et argentée de l’autre ; dans le bas, un fouillis de tiges et de feuilles ruisselait de gouttelettes étincelantes ; plus loin, au delà de la noire charmille, un toit brillait sous sa couche de rosée ; à droite s’étendaient les br

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