Fernande
483 pages
Français

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Description

Alexandre Dumas (1802-1870)



"On était au mois de mai 1835. Il faisait une de ces joyeuses journées de printemps pendant lesquelles Paris commence à se dépeupler, tant tout ce qui n’est point condamné à la capitale à perpétuité a hâte d’aller jouir de cette belle et fraîche verdure qui, chez nous, vient si tard et dure si peu.


Une femme de quarante-cinq à quarante-huit ans, sur la figure de laquelle on voyait encore des restes d’une beauté remarquable, dont la toilette indiquait le goût le plus parfait, et dont les moindres gestes dénonçaient les habitudes aristocratiques, se tenait debout sur le perron d’une charmante maison de campagne située à l’extrémité du village de Fontenay-aux-Roses, tandis qu’une voiture armoriée, attelée de deux alezans clairs, s’arrêtait devant la première marche de ce perron.


– Ah ! vous voilà enfin, mon cher comte ! s’écria-t-elle en s’adressant à un homme d’une soixantaine d’années, qui s’élançait du marchepied sur les degrés avec une légèreté affectée et qui franchissait aussi rapidement qu’il lui était possible l’espace qui le séparait d’elle ; – vous voilà ! Je vous attendais avec une si grande impatience ! Je vous jure que c’est la dixième fois que je sors depuis une heure pour voir si vous n’arriviez pas.


– J’ai demandé mes chevaux aussitôt que votre billet m’a été remis, chère baronne, dit le comte en baisant avec galanterie la main de son interlocutrice, et j’ai fort grondé Germain de ne pas m’avoir éveillé aussitôt qu’il était arrivé.


– Vous auriez dû bien plutôt gronder Germain de ne pas vous l’avoir donné avant que vous fussiez endormi, car le billet est chez vous depuis hier au soir."



1835. Maurice de Barthèle a tout pour être heureux : une mère aimante, des revenus financiers et une jeune et jolie épouse, Clothilde. Mais il tombe gravement malade : il se meurt d'amour pour son ex-maîtresse, la courtisane Fernande Ducoudray. Afin de sauver Maurice, et avec l'accord de Clothilde, Mme de Barthèle décide d'inviter Fernande au château familial...

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384420834
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Fernande


Alexandre Dumas


Juillet 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-083-4
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1081
I

c– Véritablement ? dit le comte. Eh bien, voyez comme on est servi ! Cependant ce n’est que ce matin à huit heures que le drôle, en entrant dans ma chambre, me l’a remis. Vous voyez que je n’ai pas perdu de temps, car à peine en est-il neuf. Or, maintenant me voilà, chère baronne ; disposez de moi, je suis tout à vos ordres.
– C’est bien. Renvoyez vos gens et votre voiture : nous vous gardons.
– Comment, vous me gardez ?
– Oui, je vous en préviens.
– La journée entière ?
– Et la soirée, et la matinée de demain. Je vous le disais dans ma lettre, mon cher comte ; nous avons absolument besoin de vous.
Quelle que fût sur lui-même la puissance de M. de Montgiroux – tel était le nom du comte – il n’en fit pas moins une grimace involontaire. En effet, il venait de se rappeler que c’était jour d’Opéra ; mais, dissimulant de son mieux cette contrariété qu’il n’avait pu prévoir et qu’il n’était plus maître d’éviter, il songea aussitôt à appeler à son aide quelque subterfuge à l’aide duquel il pût honnêtement se tirer d’embarras.
– Oh ! mon Dieu, je suis aux regrets de vous refuser, mon excellente amie, dit-il ; mais ce que vous me demandez là est impossible, de toute impossibilité ; nous sommes aujourd’hui vendredi 26 ; justement je suis d’une commission, mes collègues m’attendent : il s’agit de la loi que nous allons discuter.
– On la discutera sans vous, mon cher comte ; un pair de moins, une chance de plus pour le public. Mais il s’agit ici du bonheur particulier, la seule chose importante dans cette époque, où il faut être égoïste pour faire comme tout le monde. Venez, venez voir notre malade.
– Eh ! ma chère Eugénie, s’écria M. de Montgiroux avec un mouvement d’impatience encore plus marqué cette fois que la première, je ne suis pas médecin, moi !
Cette exclamation avait été faite sur un ton de mauvaise humeur trop évident pour qu’il échappât à la perspicacité d’une femme. Madame de Barthèle prit donc un air sérieux, et répondit :
– Monsieur le comte, il est question de mon fils, du mari de votre nièce, entendez-vous ? de notre Maurice.
– Il ne va donc pas mieux ? demanda M. de Montgiroux d’un ton tout à fait radouci.
– Hier encore, on pouvait craindre que sa maladie ne fût mortelle, voilà tout.
– Ah ! mon Dieu ! Mais j’étais loin de penser que sa situation donnât de véritables inquiétudes.
– Parce qu’il y a huit jours qu’on ne vous a vu, ingrat ! dit la baronne d’un ton de reproche, parce qu’on ne sait plus ce que vous devenez, parce qu’il faut vous écrire maintenant quand on veut vous avoir une minute ; et encore, cette minute se passe-t-elle à discuter le temps que vous resterez et l’heure de votre départ.
– Mais enfin, qu’a-t-il, ce cher enfant ? demanda le comte.
– Ce n’était d’abord qu’une simple mélancolie ; bientôt ce fut de la langueur, puis le dégoût de tout ; enfin, malgré nos soins, la fièvre vient de s’emparer de lui, et, après la fièvre, le délire.
– C’est extraordinaire chez un homme, dit le comte d’un air pensif. Et quelle peut être la cause de cette mélancolie ?
– Rassurez-vous, nous la connaissons à cette heure, et nous le guérirons. Le docteur, qui est non seulement un homme de talent, mais encore un homme d’esprit, répond de le sauver. Le sauver ! comprenez-vous, mon ami, tout ce que ce mot contient de joie pour le cœur d’une mère ?
– Ainsi, il n’y a plus de danger ? demanda le comte.
– C’est-à-dire qu’on n’espérait plus hier, et qu’on espère aujourd’hui, répondit la baronne, qui comprenait l’intention de M. de Montgiroux ; mais c’est justement ce mieux qui fait que nous avons besoin de vous. Je vais donc donner des ordres pour que vous restiez.
Le comte se remit à grimacer son air réfléchi.
– Rester ! reprit-il ; mais je vous l’ai dit, c’est chose véritablement impossible.
– Monsieur, reprit madame de Barthèle, vous savez fort bien qu’il n’y a d’impossible en choses de ce genre que les choses qu’on ne veut pas faire. Voyons, parlez ; qu’avez-vous ? à qui songez-vous ? qui vous préoccupe à ce point que la vie de notre fils vous soit devenue d’une importance secondaire ?
– Mon Dieu, non, chère amie ; vous vous exagérez mon refus, qui, au reste, n’en est pas un, répondit gravement le digne personnage ; je cherche à concilier seulement votre désir et mon devoir. Écoutez, voyons, faites-nous dîner plus tôt qu’à l’ordinaire ; je partirai à sept heures, et, si vous avez absolument besoin de moi dans la soirée, je serai de retour à dix heures et demie au plus tard ; et, en vérité, chère baronne, je vous jure qu’il faut des circonstances de l’importance de celles dans lesquelles je me trouve...
– Pas un mot de plus sur ce sujet, interrompit madame de Barthèle ; c’est chose dite, convenue, arrangée, et tout à l’heure vous allez comprendre vous-même combien votre présence est nécessaire ici.
– Mais il ne s’agit pas de nécessité, ma chère Eugénie, reprit le comte d’un ton de galanterie surannée ; il s’agit de votre désir. Je veux tout ce que vous voulez, et toujours ; vous le savez bien.
Madame de Barthèle répondit par un regard tout à fait rasséréné, et M. de Montgiroux, revenant au sujet de sa secrète préoccupation, demanda combien de temps au juste il fallait pour se rendre à Paris.
– Mais avec mes chevaux et Saint-Jean, qui, vous le savez, les respecte trop pour les surmener, je mets cinquante minutes pour aller d’ici à l’hôtel ; or, continua madame de Barthèle, c’est au Luxembourg que vous vous réunissez, n’est-ce-pas ?
– Oui.
– Eh bien, en vous arrêtant au Luxembourg, vous gagnez encore quelques minutes.
– En ce cas, faisons mieux, dit M. de Montgiroux ; ne dérangeons ni Saint-Jean, ni ses chevaux. Je vous donne toute la journée d’aujourd’hui et toute la matinée de demain jusqu’à midi, et vous me donnez trois heures de la soirée.
– Il le faut bien, puisque vous le voulez ; mais véritablement, comte, si j’étais jeune et que j’eusse des dispositions à la jalousie...
– Eh bien ?
– Eh bien, je vous avoue que vous me feriez passer une fort triste journée, avec cette préoccupation éternelle.
– Moi, préoccupé ?
– Au point, mon cher comte, que vous ne me questionnez pas, que vous ne semblez pas ressentir la moindre inquiétude quand Clotilde et moi sommes véritablement désolées, et quand le danger qui existait hier est bien loin, je vous le jure, d’être encore tout à fait dissipé.
– Pardon, chère amie, répondit M. de Montgiroux presque sans entendre. Mais c’est cette nouvelle loi ; je n’ai jamais plus vivement compris qu’en la discutant toute la responsabilité qui pèse sur un pair du royaume.
– Du royaume ! répéta madame de Barthèle avec ironie ; du royaume ! Vous avez quelquefois, savez-vous, des expressions bien bouffonnes, mon cher comte ! Vous appelez la France un royaume ! Ce que c’est que l’habitude. Allons, suivez-moi, pauvre victime ; il fallait imiter MM. de Chateaubriand et de Fitz-James ; les lois du royaume ne vous donneraient plus tout cet embarras.
– Madame, reprit gravement M. de Montgiroux, un véritable citoyen se doit avant tout à la France.
– Comment avez-vous dit cela, mon cher comte ? Un citoyen ! Ah ! mais vraiment vous faites des progrès dans la langue moderne, et je ne désespère pas, pourvu que nous ayons encore deux ou trois révolutions dans le genre de la dernière, de vous voir mourir jacobin.
Cette conversation, comme nous l’avons dit, avait lieu sur le perron du château de madame de Barthèle. C’était une élégante villa située à l’extrémité du village de Fontenay-aux-Roses, du côté du bois, et dans une position des plus pittoresques. Cependant, la vue magnifique dont on jouissait de ce perron n’avait pas été saluée d’un seul regard par M. de Montgiroux, quoiqu’il eût l’habitude de s’y arrêter dans l’admiration de la campagne riche et variée qui s’étend depuis le bois de Verrières jusqu’à la tour de Montlhéry : cependant, le soleil de mai étincelait dans la vallée et faisait briller comme des miroirs les toits d’ardoises des jolies maisons blanches que les environs de Sceaux éparpillent çà et là sur un tapis de verdure.
Le comte était donc préoccupé, puisque cet aspect bucolique n’avait aucune influence sur lui, ancien berger de l’Empire, qui avait connu Florian, qui adorait Delille, et qui avait chanté, appuyé au fauteuil de la reine Hortense : Partant pour la Syrie, et Vous me quittez pour voler à la gloire. En effet, l’Opéra annonçait pour ce soir-là même un nouveau ballet dans lequel dansait Taglioni, et quoique, selon lui, la danse voluptueuse et aérienne de notre sylphide fit regretter cette noblesse qui avait fait de mademoiselle Bigottini la reine des danseuses passées et à venir, il ne voulait pas manquer à une pareille solennité. Il avait donné, pour excuser son départ, la raison banale d’une grave conférence des pairs de sa fraction, et sa contrariété mal dissimulée, malgré ses habitudes parlementaires, prouvait qu’un intérêt personnel vivement excité justifiait in petto son mensonge. Maintenant, cet intérêt si vivement excité, l’était-il purement et simplement par cette première représentation ? ou à l’amour de l’art chorégraphique se joignait-il quelque autre sentiment plus matériel ? C’est ce que l’avenir nous apprendra.
Cependant madame de Barthèle, après l’espèce de traité conclu entre elle et le comte de Montgiroux, avait fait signe à celui-ci de la suivre, et, à travers les détours d’un corridor bien connu au reste de tous deux, elle le conduisait vers la chambre du malade. Mais, au moment où ils allaient y entrer, une jeune femme sortit d’un cabinet voisin, leur barra le passage, et, plaçant un doigt sur ses lèvres en donnant à son regard une expression de crainte et d’importance :
– Silence ! dit-elle, il dort, et le docteur a recommandé qu’on ne troublât point son sommeil.
– Il dort ? s’écria madame de Barthèle avec une expression de joie

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