Eglantine
188 pages
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Description

Jean Giraudoux (1882-1944)



"Fontranges s’éveilla.


Il hésita à se croire éveillé ; le bon sommeil des Fontranges était légendaire. Leur château restait sans doute la seule demeure en France où le service du maître endormi fût aussi minutieux que le service du maître levé. Dans les maisons voisines dont ils étaient les hôtes, ils redonnaient son poids à l’ombre, ils en rétablissaient le domaine et jusqu’à l’acoustique ; il y avait à nouveau aux cuisines et aux écuries, eux présents, un bruit du soir, un bruit de l’aube et les domestiques n’y réservaient plus pour l’après-midi les occupations à peu près silencieuses, plumage des poulets, roulage du gazon, ou ce ratissage du sable dans la cour qui gratte si doucement la terre à son réveil, et le cœur... Quand ils quittaient leurs amis, ils avaient repeint de noir la nuit, et le père de Fontranges lui-même, qu’on s’accordait à juger aussi dur qu’égoïste, laissait derrière lui des esprits reposés, des joues fraîches, tous les bienfaits du sommeil. Une insomnie leur causait le trouble que leur aurait donné, pendant le jour, un évanouissement. Une fois qu’ils avaient ouvert les yeux dans la nuit, ils ne pouvaient d’eux-mêmes les fermer ; il aurait fallu une main étrangère pour rabaisser leurs paupières, comme celles d’un mort. C’était au cours de ses quatre insomnies que le père de Fontranges, en apparence robuste jusqu’à sa dernière minute, avait saisi les seuls appels de ce foie, insensible et calme de jour, par lequel il devait mourir, d’une mort d’ailleurs somnolente. Il semblait que les Fontranges, à cause justement de cet avide sommeil, fussent usés d’abord par leur côté nocturne."



Eglantine aiment les hommes mûrs. Elle hésite entre Fontranges l'aristocrate et Moïse le banquier, deux hommes diamétralement opposés. L'un lui a donné son sang et l'autre est prêt à la couvrir de pierres précieuses. Suivra-t-elle son coeur ou sa raison ?

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374636009
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Églantine


Jean Giraudoux


Février 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-600-9
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 600
I
 
Fontranges s’éveilla.
Il hésita à se croire éveillé ; le bon sommeil des Fontranges était légendaire. Leur château restait sans doute la seule demeure en France où le service du maître endormi fût aussi minutieux que le service du maître levé. Dans les maisons voisines dont ils étaient les hôtes, ils redonnaient son poids à l’ombre, ils en rétablissaient le domaine et jusqu’à l’acoustique ; il y avait à nouveau aux cuisines et aux écuries, eux présents, un bruit du soir, un bruit de l’aube et les domestiques n’y réservaient plus pour l’après-midi les occupations à peu près silencieuses, plumage des poulets, roulage du gazon, ou ce ratissage du sable dans la cour qui gratte si doucement la terre à son réveil, et le cœur... Quand ils quittaient leurs amis, ils avaient repeint de noir la nuit, et le père de Fontranges lui-même, qu’on s’accordait à juger aussi dur qu’égoïste, laissait derrière lui des esprits reposés, des joues fraîches, tous les bienfaits du sommeil. Une insomnie leur causait le trouble que leur aurait donné, pendant le jour, un évanouissement. Une fois qu’ils avaient ouvert les yeux dans la nuit, ils ne pouvaient d’eux-mêmes les fermer ; il aurait fallu une main étrangère pour rabaisser leurs paupières, comme celles d’un mort. C’était au cours de ses quatre insomnies que le père de Fontranges, en apparence robuste jusqu’à sa dernière minute, avait saisi les seuls appels de ce foie, insensible et calme de jour, par lequel il devait mourir, d’une mort d’ailleurs somnolente. Il semblait que les Fontranges, à cause justement de cet avide sommeil, fussent usés d’abord par leur côté nocturne. C’est aussi de nuit que le talent, l’imagination, le raisonnement approchaient ces esprits lourds, quand ils devaient mourir d’une maladie moins corporelle, comme la passion, ou la neurasthénie. Réveillé en sursaut, heurté par le rêve comme nous ne sommes heurtés que par un marbre de cheminée, Fontranges se trouvait tout à coup dans l’ombre aux prises avec quelque vérité, défraîchie pour le moindre collégien, mais qui l’attaquait avec une virulence de révélation : que le malheur dans ce bas monde l’emporte sur le bonheur ; qu’aucun de nos actes n’est libre et que la cause engendre son effet ; qu’en fait nous n’achetons pas le chien de chasse ou le cheval que nous voulons, mais celui que depuis mille ans une volonté étrangère a choisi ; que nous sommes des esclaves. Il lui fallait tout un jour pour reprendre plaisir à cette meute, à cette écurie que les désirs d’inconnus, d’hommes anciens peut-être, avaient rassemblées chez lui. Petite joie d’avoir chez soi le chien de Socrate, le pur-sang de Brummell !... Cette nuit, la Fatalité avait ainsi jeté toutes ses têtes de chapitre sur ce vieillard endormi, et ce qui avait atteint et réveillé Fontranges, c’était cet axiome, nouveau pour lui mais implacable, que les hommes sont supérieurs aux femmes.
Il ne bougea pas. Il avait constaté, au cours d’attaques semblables, que le mieux était encore de ne pas bouger. À sa dernière insomnie, il avait fait ainsi le mort sous l’idée arrivée brusquement de l’infini, et résisté à un reniflage terrible. L’infini, voyant ce cadavre, n’avait pas insisté. D’ailleurs, en quoi pouvait bien lui importer, à lui dans six mois sexagénaire, à lui qu’occupaient seulement désormais les quadrupèdes et les oiseaux, que les femmes fussent d’une race inférieure, ou même d’une autre race ? Il ne se sentait plus assez d’affection envers la terre pour se réjouir d’y voir introduire une espèce nouvelle. Que de mécomptes n’avait-on pas eus, voilà trois ans, avec ces deux castors, envoi d’un ami canadien, qui barraient tous les ruisseaux du parc ! Les sources de la vie n’étaient plus assez abondantes en Fontranges pour qu’il envisageât la lutte contre une femme de cœur et de chair nouvelle... Il voulut se rendormir, se retourna, eut tort de se retourner : dans ce lit où il dormait depuis si longtemps sans compagne, on remplaçait près de lui il ne savait quelle forme précieuse par une forme sans valeur. Les fantômes femmes de Fontranges étaient soudain déclassés ; il n’osait, pour se sauver, dans la crainte d’un sacrilège, penser à Jeanne d’Arc ou à la duchesse d’Angoulême. Sur les visages les plus clairs de la faune terrestre, l’honneur, la vertu s’effaçaient. Fontranges, qui n’avait jamais d’ailleurs distingué en soi la tristesse du repentir, éprouvait un immense remords à dégrader ces êtres qui évidemment n’ont découvert ni la vapeur, ni l’Amérique, mais qui ont mené leur entreprise commune avec les hommes si loin, avec tant de pittoresque et parfois tant de consciencieuse ou glorieuse intimité. Les femmes étaient inférieures aux hommes. Pas une des femmes qui ne fût inférieure à Fontranges ! Un surcroît de grade, un rappel de vertus, leur héritage inattendu et immérité, retombait sur ce vieil homme qui n’en savait que faire. Il se leva, du réflexe dont ses aïeux attaqués allaient à la meurtrière, alla à la fenêtre, l’ouvrit, fut calmé une minute d’être attaqué, non par l’assaillant de tout à l’heure, mais par les frondaisons du parc, par un canal sans miroitement, par un silence sans reflet, par l’ombre. Hélas, il dut constater que le bord de l’horizon devenait soudain orange ! Cette vérité sur les femmes n’était pas comme les autres une vérité de la nuit, mais une vérité de l’aurore. Il tira les rideaux, se recoucha, voulut clore de nuit cette imagination... Mais, sa première lance jetée sur le zénith, le soleil, de la seconde, transperçait le damas de Fontranges ; les pinsons chantaient. C’était la première alerte de mal sur laquelle il ne se fût pas rendormi... Soudain, il tressaillit... Apportant le déjeuner, remplaçante de la cuisinière malade, une jeune femme entrait.
Elle entrait, pour la première fois doucement, pour la première fois curieusement, dans cette chambre qu’elle connaissait par cœur. C’était Églantine, la sœur de lait de Bella et de Bellita, de cinq ans leur cadette, et qui avait quitté depuis quelques jours la pension de Charlieu. Rassurée par le faux sommeil de Fontranges, le déjeuner posé sur la table, elle reculait le moment de tirer les rideaux, elle flânait. Fontranges l’entendit toucher les objets sur la commode, ceux des objets qui ressemblaient le plus à des pièges tendus aux portraits. À leur son contre le marbre, il devinait si c’était le cadre d’or ou d’argent, si c’était Bella ou Jacques. Lequel pouvait-elle ainsi embrasser ? Puis, sans qu’il eût perçu aucun bruit de pas, et comme si elle avait sauté d’un meuble à l’autre, Églantine toucha sur le meuble d’appui les lorgnettes du duc d’Angoulême, elle les mit à sa vue, à sa vue dans l’ombre. Puis, se rapprochant, elle ajusta sur la chaise le veston, le gilet, de ces caresses et de ces chiquenaudes dont l’épouse prépare l’époux qui va sortir. Elle poussa même assez loin cette répétition. Elle essaya le bouton à bascule, le bouton à chaînette. C’était la Psyché des cravates, des plastrons. Tous les bruits que la jeunesse pouvait provoquer, déchaîner dans cette chambre, Fontranges les entendit, dans une tendre gradation de génitifs, le claquement du poignard arabe qu’on remet au fourreau, la pluie des perles de l’abat-jour, le bruit du bouchon du carafon de l’eau de fleurs d’oranger. Le jeu, le vent, la gourmandise étaient lâchés dans la chambre sous leur forme la plus implacable, mais la plus souple. Fontranges écoutait le bruit de ses objets familiers autour de ce jeune être. Il pensait à Zagha Kan, le prince aveugle, ami de son aïeul, qui faisait danser les danseuses nues parées de ses chaînes d’or et des bijoux de sa famille, et aimait écouter le bruit de son trésor. C’était sa façon de revoir ses ancêtres. Puis, un silence, et Fontranges devina la jeune fille devant la glace. Elle respirait, elle haletait même un peu : elle était prise. Appâtée par sa propre image plus encore que par les photographies, n’imaginant rien de plus captivant, elle était pr

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