Deux ans de vacances
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Description

Jules Verne (1828-1905)



"Pendant la nuit du 9 mars 1860, les nuages, se confondant avec la mer, limitaient à quelques brasses la portée de la vue.


Sur cette mer démontée, dont les lames déferlaient en projetant des lueurs livides, un léger bâtiment fuyait presque à sec de toile.


C’était un yacht de cent tonneaux – un schooner –, nom que portent les goélettes en Angleterre et en Amérique.


Ce schooner se nommait le Sloughi, et vainement eût-on cherché à lire ce nom sur son tableau d’arrière, qu’un accident – coup de mer ou collision – avait en partie arraché au-dessous du couronnement.


Il était onze heures du soir. Sous cette latitude, au commencement du mois de mars, les nuits sont courtes encore. Les premières blancheurs du jour ne devaient apparaître que vers cinq heures du matin. Mais les dangers qui menaçaient le Sloughi seraient-ils moins grands lorsque le soleil éclairerait l’espace ? Le frêle bâtiment ne resterait-il pas toujours à la merci des lames ? Assurément, et l’apaisement de la houle, l’accalmie de la rafale, pouvaient seuls le sauver du plus affreux des naufrages, – celui qui se produit en plein Océan, loin de toute terre sur laquelle les survivants trouveraient le salut peut-être !


À l’arrière du Sloughi, trois jeunes garçons, âgés l’un de quatorze ans, les deux autres de treize, plus un mousse d’une douzaine d’années, de race nègre, étaient postés à la roue du gouvernail. Là, ils réunissaient leurs forces pour parer aux embardées qui risquaient de jeter le yacht en travers. Rude besogne, car la roue, tournant malgré eux, aurait pu les lancer par-dessus les bastingages. Et même, un peu avant minuit, un tel paquet de mer s’abattit sur le flanc du yacht que ce fut miracle s’il ne fut pas démonté de son gouvernail.


Les enfants, qui avaient été renversés du coup, purent se relever presque aussitôt."



1860 : En Nouvelle-Zélande, 14 élèves de la pension Chairman, âgés de 8 à 14 ans, s'apprêtent à participer à une croisière sur le "Sloughi". La nuit précédant le départ, les enfants dorment seuls à bord mais les amarres du bateau sont mystérieusement rompues...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 3
EAN13 9782374634067
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Deux ans de vacances
Jules Verne
Juin 2019
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-406-7
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 407
Préface
Bien des Robinsons ont déjà tenu en éveil la curios ité de nos jeunes lecteurs. Daniel de Foë, dans son immortelRobinson Crusoé, a mis en scène l’homme seul ; Wyss, dans sonRobinson suisse, la famille ; Cooper, dansLe Cratère, la société avec ses éléments multiples. DansL’Île mystérieuse, j’ai mis des savants aux prises avec les nécessités de cette situation. On a imaginé encore leRobinson de douze ans, leRobinson des glaces, leRobinson des jeunes filles, etc. Malgré le nombre infini des romans qui composent le cycle des Robinsons, il m’a paru que, pour le parfaire, il restait à montrer une troupe d ’enfants de huit à treize ans, abandonnés dans une île, luttant pour la vie au mil ieu des passions entretenues par les différences de nationalité, – en un mot, un pen sionnat de Robinsons.
D’autre part, dansle Capitaine de quinze ans, j’avais entrepris de montrer ce que peuvent la bravoure et l’intelligence d’un enfant a ux prises avec les périls et les difficultés d’une responsabilité au-dessus de son â ge. Or, j’ai pensé que si l’enseignement contenu dans ce livre pouvait être p rofitable à tous, il devait être complété.
C’est dans ce double but qu’a été fait ce nouvel ou vrage. JULES VERNE.
I
La tempête. – Un schooner désemparé. – Quatre jeune s garçons sur le pont du Sloughi. – La misaine en lambeaux. – Visite à l’intérieur du yacht. – Le mousse à demi étranglé. – Une lame par l’arrière. – La terre à travers les brumes du matin. – Le banc de récifs.
Pendant la nuit du 9 mars 1860, les nuages, se conf ondant avec la mer, limitaient à quelques brasses la portée de la vue. Sur cette mer démontée, dont les lames déferlaient en projetant des lueurs livides, un léger bâtiment fuyait presque à sec de toile. C’était un yacht de cent tonneaux – un schooner –, nom que portent les goélettes en Angleterre et en Amérique. Ce schooner se nommait leSloughi,et vainement eût-on cherché à lire ce nom sur son tableau d’arrière, qu’un accident – coup de mer ou collision – avait en partie arraché au-dessous du couronnement.
Il était onze heures du soir. Sous cette latitude, au commencement du mois de mars, les nuits sont courtes encore. Les premières blancheurs du jour ne devaient apparaître que vers cinq heures du matin. Mais les dangers qui menaçaient le Sloughiseraient-ils moins grands lorsque le soleil éclaire rait l’espace ? Le frêle bâtiment ne resterait-il pas toujours à la merci de s lames ? Assurément, et l’apaisement de la houle, l’accalmie de la rafale, pouvaient seuls le sauver du plus affreux des naufrages, – celui qui se produit en pl ein Océan, loin de toute terre sur laquelle les survivants trouveraient le salut peut-être !
À l’arrière duSloughi,trois jeunes garçons, âgés l’un de quatorze ans, le s deux autres de treize, plus un mousse d’une douzaine d’a nnées, de race nègre, étaient postés à la roue du gouvernail. Là, ils réunissaien t leurs forces pour parer aux embardées qui risquaient de jeter le yacht en trave rs. Rude besogne, car la roue, tournant malgré eux, aurait pu les lancer par-dessu s les bastingages. Et même, un peu avant minuit, un tel paquet de mer s’abattit su r le flanc du yacht que ce fut miracle s’il ne fut pas démonté de son gouvernail. Les enfants, qui avaient été renversés du coup, pur ent se relever presque aussitôt. « Gouverne-t-il, Briant ? demanda l’un d’eux. – Oui, Gordon », répondit Briant, qui avait repris sa place et conservé tout son sang-froid. Puis, s’adressant au troisième :
« Tiens-toi solidement, Doniphan, ajouta-t-il, et n e perdons pas courage !... Il y en a d’autres que nous à sauver ! » Ces quelques phrases avaient été prononcées en angl ais – bien que, chez Briant, l’accent dénotât une origine française. Celui-ci, se tournant vers le mousse :
« Tu n’es pas blessé, Moko ? – Non, monsieur Briant, répondit le mousse. Surtout , tâchons de maintenir le
yacht debout aux lames, ou nous risquerions de coule r à pic ! » À ce moment, la porte du capot d’escalier, qui cond uisait au salon du schooner, fut vivement ouverte. Deux petites têtes apparurent au niveau du pont, en même temps que la bonne face d’un chien, dont les aboiem ents se firent entendre. « Briant ?... Briant ?... s’écria un enfant de neuf ans. Qu’est-ce qu’il y a donc ? – Rien, Iverson, rien ! répliqua Briant. Veux-tu bi en redescendre avec Dole... et plus vite que ça !
– C’est que nous avons grand-peur ! ajouta le secon d enfant, qui était un peu plus jeune.
– Et les autres ?... demanda Doniphan.
– Les autres aussi ! répliqua Dole. – Voyons, rentrez tous ! répondit Briant. Enfermez- vous, cachez-vous sous vos draps, fermez les yeux, et vous n’aurez plus peur ! Il n’y a pas de danger ! – Attention !... Encore une lame ! » s’écria Moko.
Un choc violent heurta l’arrière du yacht. Cette fo is, la mer n’embarqua pas, heureusement, car, si l’eau eût pénétré à l’intérie ur par la porte du capot, le yacht, très alourdi, n’aurait pu s’élever à la houle.
« Rentrez donc ! s’écria Gordon. Rentrez... ou vous aurez affaire à moi !
– Voyons, rentrez, les petits ! » ajouta Briant, d’un ton plus amical. Les deux têtes disparurent au moment où un autre ga rçon, qui venait de se montrer dans l’encadrement du capot, disait : « Tu n’as pas besoin de nous, Briant ?
– Non, Baxter, répondit Briant. Cross, Webb, Servic e, Wilcox et toi, restez avec les petits ! À quatre, nous suffirons ! » Baxter referma la porte intérieurement. « Les autres aussi ont peur ! » avait dit Dole.
Mais il n’y avait donc que des enfants à bord de ce schooner, emporté par l’ouragan ? – Oui, rien que des enfants ! – Et comb ien étaient-ils à bord ? – Quinze, en comptant Gordon, Briant, Doniphan et le mousse. – Dans quelles circonstances s’étaient-ils embarqués ? – On le saura bientôt.
Et pas un homme sur le yacht ? Pas un capitaine pou r le commander ? Pas un marin pour donner la main aux manœuvres ? Pas un ti monier pour gouverner au milieu de cette tempête ? – Non !... Pas un !
Aussi, personne à bord n’eût-il pu dire quelle étai t la position exacte duSloughi sur cet Océan !... Et quel Océan ? Le plus vaste de tous ! Ce Pacifique, qui s’étend sur deux mille lieues de largeur, depuis les terres de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande jusqu’au littoral du Sud-Amérique.
Qu’était-il donc arrivé ? L’équipage du schooner av ait-il disparu dans quelque catastrophe ? Des pirates de la Malaisie l’avaient- ils enlevé, ne laissant à bord que de jeunes passagers livrés à eux-mêmes, et dont le plus âgé comptait quatorze ans à peine ? Un yacht de cent tonneaux exige, à tout l e moins, un capitaine, un maître ! cinq ou six hommes, et, de ce personnel, indispensa ble pour le manœuvrer, il ne restait plus que le mousse !... Enfin, d’où venait- il, ce schooner, de quels parages australasiens ou de quels archipels de l’Océanie, e t depuis combien de temps, et
pour quelle destination ? À ces questions que tout capitaine aurait faites s’il eût rencontré leSloughiraient pudans ces mers lointaines, ces enfants sans doute au répondre ; mais il n’y avait aucun navire en vue, n i de ces transatlantiques dont les itinéraires se croisent sur les mers océaniennes, n i de ces bâtiments de commerce, à vapeur ou à voile, que l’Europe ou l’Amérique env oient par centaines vers les ports du Pacifique. Et lors même que l’un de ces bâ timents, si puissants par leur machine ou leur appareil vélique, se fût trouvé dan s ces parages, tout occupé de lutter contre la tempête, il n’aurait pu porter sec ours au yacht que la mer ballottait comme une épave ! Cependant Briant et ses camarades veillaient de leu r mieux à ce que le schooner n’embardât pas sur un bord ou sur l’autre. « Que faire !... dit alors Doniphan.
– Tout ce qui sera possible pour nous sauver, Dieu aidant ! » répondit Briant.
Il disait cela, ce jeune garçon, et c’est à peine s i l’homme le plus énergique eût pu conserver quelque espoir ! En effet, la tempête redoublait de violence. Le ven t soufflait en foudre, comme disent les marins, et cette expression n’est que tr ès juste, puisque leSloughi risquait d’être « foudroyé » par les coups de rafal e. D’ailleurs, depuis quarante-huit heures, à demi désemparé, son grand mât rompu à qua tre pieds au-dessus de l’étambrai, on n’avait pu installer une voile de ca pe, qui eût permis de gouverner plus sûrement. Le mât de misaine, décapité de son m ât de flèche, tenait bon encore, mais il fallait prévoir le moment où, largu é de ses haubans, il s’abattrait sur le pont. À l’avant, les lambeaux du petit foc batta ient avec des détonations comparables à celles d’une arme à feu. Pour toute v oilure, il ne restait plus que la misaine qui menaçait de se déchirer, car ces jeunes garçons n’avaient pas eu la force d’en prendre le dernier ris pour diminuer sa surface. Si cela arrivait, le schooner ne pourrait plus être maintenu dans le lit du vent, les lames l’aborderaient par le travers, il chavirerait, il coulerait à pic, et ses passagers disparaîtraient avec lui dans l’abîme. Et jusqu’alors, pas une île n’avait été signalée au large, pas un continent n’était apparu dans l’est ! Se mettre à la côte est une éve ntualité terrible, et, pourtant, ces enfants ne l’eussent pas redoutée autant que les fu reurs de cette interminable mer. Un littoral, quel qu’il fût, avec ses bas-fonds, se s brisants, les formidables coups de houle qui l’assaillent, le ressac dont ses roches s ont incessamment battues, ce littoral, croyaient-ils, c’eût été le salut pour eu x, c’eût été la terre ferme, au lieu de cet Océan, prêt à s’entrouvrir sous leurs pieds !
Aussi cherchaient-ils à voir quelque feu sur lequel ils auraient pu mettre le cap...
Aucune lueur ne se montrait au milieu de cette profonde nuit ! Tout à coup, vers une heure du matin, un effroyable déchirement domina les sifflements de la rafale. « Le mât de misaine est brisé !... s’écria Doniphan . – Non ! répondit le mousse. C’est la voile qui s’es t arrachée des ralingues ! – Il faut s’en débarrasser, dit Briant. – Gordon, reste au gouvernail avec Doniphan, et toi, Moko, viens m’aider ! » Si Moko, en sa qualité de mousse, devait avoir quel ques connaissances nautiques, Briant n’en était pas absolument dépourv u. Pour avoir déjà traversé
l’Atlantique et le Pacifique, lorsqu’il était venu d’Europe en Océanie, il s’était tant soit peu familiarisé avec les manœuvres d’un bâtime nt. Cela explique comment les autres jeunes garçons, qui n’y entendaient rien, av aient dû s’en remettre à Moko et à lui du soin de diriger le schooner. En un instant, Briant et le mousse s’étaient hardim ent portés vers l’avant du yacht. Pour éviter d’être jeté en travers, il fallait à to ut prix se débarrasser de la misaine, qui formait poche dans sa partie inférieure et fais ait gîter le schooner au point qu’il risquait d’engager. Si cela avait lieu, il ne pourr ait plus se relever, à moins que l’on ne coupât le mât de misaine par le pied, après avoi r rompu ses haubans métalliques ; et comment des enfants en seraient-il s venus à bout ?
Dans ces conditions, Briant et Moko firent preuve d ’une adresse remarquable. Bien résolus à garder le plus de toile possible, af in de maintenir leSloughivent arrière tant que durerait la bourrasque, ils parvin rent à larguer la drisse de la vergue qui s’abaissa à quatre ou cinq pieds au-dessus du p ont. Les lambeaux de la misaine ayant été détachés au couteau, ses coins in férieurs, saisis par deux faux-bras, furent amarrés aux cabillots des pavois, non sans que les deux intrépides garçons eussent failli vingt fois être emportés par les lames.
Sous cette voilure extrêmement réduite, le schooner put garder la direction qu’il suivait depuis si longtemps déjà. Rien qu’avec sa c oque, il donnait assez de prise au vent pour filer avec la rapidité d’un torpilleur . Ce qui importait surtout, c’était qu’il pût se dérober aux lames en fuyant plus rapidement qu’elles, afin de ne pas recevoir quelque mauvais coup de mer par-dessus le couronnement. Cela fait, Briant et Moko revinrent près de Gordon et de Doniphan, afin de les aider à gouverner. En ce moment, la porte du capot s’ouvrit une second e fois. Un enfant passa sa tête au-dehors. C’était Jacques, le frère de Briant, de trois ans moins âgé que lui.
« Que veux-tu, Jacques ? lui demanda son frère.
– Viens !... Viens !... répondit Jacques. Il y a de l’eau jusque dans le salon !
– Est-ce possible ? » s’écria Briant. Et, se précipitant vers le capot, il descendit en toute hâte. Le salon était confusément éclairé par une lampe qu e le roulis balançait violemment. À sa lueur, on pouvait voir une dizaine d’enfants étendus sur les divans ou sur les couchettes duSloughi.Les plus petits – il y en avait de huit à neuf ans – serrés les uns contre les autres, étaient en proie à l’épouvante.
« Il n’y a pas de danger ! leur dit Briant, qui vou lut les rassurer tout d’abord. Nous sommes là !... N’ayez pas peur ! »
Alors, promenant un fanal allumé sur le plancher du salon, il put constater qu’une certaine quantité d’eau courait d’un bord à l’autre du yacht.
D’où venait cette eau ? Avait-elle pénétré par quel que fissure du bordage ? C’est ce qu’il s’agissait de reconnaître. En avant du salon se trouvaient la grande chambre, puis la salle à manger et le poste de l’équipage. Briant parcourut ces divers compartiments, et il ob serva que l’eau ne pénétrait ni au-dessus ni au-dessous de la ligne de flottaison. Cette eau, renvoyée à l’arrière par l’acculage du yacht, ne provenait que des paque ts de mer, embarqués par l’avant, et dont le capot du poste avait laissé une certaine quantité couler à
l’intérieur. Donc, aucun danger de ce chef. Briant rassura ses camarades en repassant à travers le salon, et, un peu moins inquiet, revint prendre sa place au gouvernail. Le schooner, très solidement construit, nouvellement caréné d’une bonne doublure de cuivre, ne faisait point d’eau et devait être en état de résister aux coups de mer. Il était alors une heure du matin. À ce moment de l a nuit, rendue plus obscure encore par l’épaisseur des nuages, la bourrasque se déchaînait furieusement. Le yacht naviguait comme s’il eût été plongé tout enti er en un milieu liquide. Des cris aigus de pétrels déchiraient les airs. De leur appa rition pouvait-on conclure que la terre fût proche ? Non, car on les rencontre souven t à plusieurs centaines de lieues des côtes. D’ailleurs, impuissants à lutter contre le courant aérien, ces oiseaux des tempêtes le suivaient comme le schooner, dont aucun e force humaine n’aurait pu enrayer la vitesse. Une heure plus tard, un second déchirement se fit e ntendre à bord. Ce qui restait de la misaine venait d’être lacéré, et des lambeaux de toile s’éparpillèrent dans l’espace, semblables à d’énormes goélands. « Nous n’avons plus de voile, s’écria Doniphan, et il est impossible d’en installer une autre ! – Qu’importe ! répondit Briant. Sois sûr que nous n ’en irons pas moins vite ! – La belle réponse ! répliqua Doniphan. Si c’est là ta manière de manœuvrer... – Gare aux lames de l’arrière ! dit Moko. Il faut n ous attacher solidement, ou nous serons emportés... » Le mousse n’avait pas achevé sa phrase que plusieur s tonnes d’eau embarquaient par-dessus le couronnement. Briant, Do niphan et Gordon furent lancés contre le capot, auquel ils parvinrent à se cramponner. Mais le mousse avait disparu avec cette masse qui balaya leSloughide l’arrière à l’avant, entraînant une partie de la drôme, les deux canots et la yole, bie n qu’ils eussent été rentrés en dedans, plus quelques espars, ainsi que l’habitacle de la boussole. Toutefois, les pavois ayant été défoncés du coup, l’eau put s’écou ler rapidement – ce qui sauva le yacht du danger de sombrer sous cette énorme surcha rge. « Moko ! Moko ! s’était écrié Briant, dès qu’il fut en état de parler. – Est-ce qu’il a été jeté à la mer ?... répondit Do niphan. – Non !... On ne le voit pas... on ne l’entend pas ! dit Gordon, qui venait de se pencher au-dessus du bord.
– Il faut le sauver... lui envoyer une bouée... des cordes ! » répondit Briant. Et, d’une voix qui retentit fortement pendant quelq ues secondes d’accalmie, il cria de nouveau : « Moko ?... Moko ?...
– À moi !... À moi !... répondit le mousse.
– Il n’est pas à la mer, dit Gordon. Sa voix vient de l’avant du schooner !...
– Je le sauverai ! » s’écria Briant. Et, le voilà qui se met à ramper sur le pont, évita nt de son mieux le choc des poulies, balancées au bout des manœuvres à demi lar guées, se garant des chutes que le roulis rendait presque inévitables sur ce po nt glissant. La voix du mousse traversa encore une fois l’espace . Puis, tout se tut.
Cependant, au prix des plus grands efforts, Briant était parvenu à atteindre le capot du poste. Il appela...
Aucune réponse.
Moko avait-il donc été enlevé par un nouveau coup d e mer depuis qu’il avait jeté son dernier cri ? En ce cas, le malheureux enfant d evait être loin maintenant, bien loin au vent, car la houle n’aurait pu le transport er avec une vitesse égale à celle du schooner. Et alors, il était perdu...
Non ! Un cri plus faible arriva jusqu’à Briant, qui se précipita vers le guindeau dans le montant duquel s’encastrait le pied du beau pré. Là, ses mains rencontrèrent un corps qui se débattait...
C’était le mousse, engagé dans l’angle que formaien t les pavois en se rejoignant à la proue. Une drisse, que ses efforts tendaient d e plus en plus, le serrait à la gorge. Après avoir été retenu par cette drisse, au moment où l’énorme lame allait l’emporter, devait-il ensuite périr par strangulati on ?... Briant ouvrit son couteau, et, non sans peine, parv int à couper le cordage qui retenait le mousse. Moko fut alors ramené à l’arrière, et dès qu’il eut retrouvé la force de parler :
« Merci, monsieur Briant, merci ! » dit-il.
Il reprit sa place au gouvernail, et tous quatre s’ amarrèrent, afin de résister aux lames énormes qui se dressaient au vent duSloughi.
Contrairement à ce qu’avait cru Briant, la vitesse du yacht avait quelque peu diminué depuis qu’il ne restait plus rien de la mis aine – ce qui constituait un nouveau danger. En effet, les lames, courant plus v ite que lui, pouvaient l’assaillir par l’arrière et l’emplir. Mais qu’y faire ? Il eût été impossible de gréer le moindre bout de voilure.
Dans l’hémisphère austral, le mois de mars correspo nd au mois de septembre de l’hémisphère boréal, et les nuits n’ont plus qu’une durée moyenne. Or, comme il était environ quatre heures du matin, l’horizon ne devait pas tarder à blanchir dans l’est, c’est-à-dire au-dessus de cette partie de l’ Océan vers laquelle la tempête traînait leSloughi.Peut-être, avec le jour naissant, la rafale perdrai t-elle de sa violence ? Peut-être aussi, une terre serait-elle e n vue, et le sort de cet équipage d’enfants se déciderait-il en quelques minutes ? On le verrait bien, quand l’aube teinterait les lointains du ciel.
Vers quatre heures et demie, quelques lueurs diffus es se glissèrent jusqu’au zénith. Par malheur, les brumes limitaient encore l e rayon de vue à moins d’un quart de mille. On sentait que les nuages passaient avec une vitesse effrayante. L’ouragan n’avait rien perdu de sa force, et, au la rge, la mer disparaissait sous l’écume d’une houle déferlante. Le schooner, tantôt enlevé sur une crête de lame, tantôt précipité au fond d’un gouffre, eût vingt fo is chaviré s’il eût été pris en travers.
Les quatre jeunes garçons regardaient ce chaos de f lots échevelés. Ils sentaient bien que, si l’accalmie tardait à se faire, leur si tuation serait désespérée. Jamais le Sloughine résisterait vingt-quatre heures de plus aux paqu ets de mer qui finiraient par défoncer les capots.
Ce fut alors que Moko cria :
« Terre !... Terre ! »
À travers une déchirure des brumes, le mousse croya it avoir aperçu les contours d’une côte vers l’est. Ne se trompait-il pas ? Rien de plus difficile à reconnaître que ces vagues linéaments qui se confondent si aisément avec des volutes de nuages. « Une terre ?... avait répondu Briant. – Oui... reprit Moko... une terre... à l’est ! » Et il indiquait un point de l’horizon que cachait m aintenant l’amas des vapeurs.
« Tu es sûr ?... demanda Doniphan.
– Oui !... oui !... certainement !... répondit le m ousse. Si le brouillard se déchire encore, regardez bien... là-bas... un peu à droite du mât de misaine... Tenez... tenez !... »
Les brumes, qui venaient de s’entrouvrir, commençai ent à se dégager de la mer pour remonter vers de plus hautes zones. Quelques i nstants après, l’Océan reparut sur un espace de plusieurs milles en avant du yacht.
« Oui !... la terre !.... C’est bien la terre !... s’écria Briant. – Et une terre très basse ! » ajouta Gordon, qui ve nait d’observer plus attentivement le littoral signalé. Il n’y avait plus à douter, cette fois. Une terre, continent ou île, se dessinait à cinq ou six milles, dans un large segment de l’horizon. Avec la direction qu’il suivait et dont la bourrasque ne lui permettait pas de s’écart er, leSloughine pouvait manquer d’y être jeté en moins d’une heure. Qu’il y fût bri sé, surtout si des brisants l’arrêtaient avant qu’il eût atteint la franche ter re, cela était à craindre. Mais ces jeunes garçons n’y songeaient même pas. Dans cette terre, qui s’offrait inopinément à leurs regards, ils ne voyaient, ils ne pouvaient voir que le salut.
En ce moment, le vent se reprit à souffler avec plu s de rage. LeSloughi,emporté comme une plume, se précipita vers la côte, qui se découpait avec la netteté d’un trait à l’encre sur le fond blanchâtre du ciel. À l ’arrière-plan s’élevait une falaise, dont la hauteur ne devait pas dépasser cent cinquan te à deux cents pieds. En avant s’étendait une grève jaunâtre, encadrée, vers la dr oite, de masses arrondies qui semblaient appartenir à une forêt de l’intérieur.
Ah ! si leSloughipouvait atteindre cette plage sablonneuse sans renc ontrer un banc de récifs, si l’embouchure d’une rivière lui o ffrait refuge, peut-être ses jeunes passagers s’en réchapperaient-ils sains et saufs !
Tandis que Doniphan, Gordon et Moko restaient à la barre, Briant s’était porté à l’avant et regardait la terre qui se rapprochait à vue d’œil, tant la vitesse était considérable. Mais en vain cherchait-il quelque pla ce où le yacht pourrait faire côte dans des conditions plus favorables. On ne voyait n i une embouchure de rivière ou de ruisseau, ni même une bande de sable, sur laquel le il eût été possible de s’échouer d’un seul coup. En effet, en deçà de la g rève se développait une rangée de brisants, dont les têtes noires émergeaient des ondulations de la houle, et que battait sans relâche un monstrueux ressac. Là, au p remier choc, leSloughiserait mis en pièces.
Briant eut alors la pensée que mieux valait avoir t ous ses camarades sur le pont, au moment où se produirait l’échouage, et, ouvrant la porte du capot :
« En haut, tout le monde ! » cria-t-il.
Aussitôt le chien de s’élancer au-dehors, suivi d’u ne dizaine d’enfants qui se traînèrent à l’arrière du yacht. Les plus petits, à la vue des lames que le bas-fonds
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