57
pages
Français
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2018
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Ebook
2018
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Publié par
Date de parution
28 août 2018
Nombre de lectures
0
EAN13
9782368324592
Langue
Français
Paris, les Cévennes, la bourgeoisie, la paysannerie et Louis, « le petit parisien », bien né et bien élevé.
Chaque été, il quitte la grisaille de la capitale pour les grands espaces cévenols et se construit des amitiés solides, qu’il conservera jusqu’à la fin de sa vie.
Pourtant, Louis n’est pas un homme facile, porteur de contradictions et de paradoxes : tantôt attachant, tantôt détestable, chargé d’une histoire faite de non-dits et d’une naissance douteuse pour sauver les apparences d’une classe sociale.
C’est son histoire et celle de ses amitiés que nous conte Anne Darbousset, mais aussi celle de deux territoires diamétralement opposés et de deux classes sociales qui coexistent.
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Date de parution
28 août 2018
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0
EAN13
9782368324592
Langue
Français
C’estTellement la Vie…
La SAS 2C4L – NOMBRE 7,ainsi que tous les prestataires de production participant à laréalisation de cet ouvrage ne sauraient être tenus pourresponsable de quelque manière que ce soit, du contenu engénéral, de la portée du contenu du texte, ni dela teneur de certains propos en particulier, contenus dans cetouvrage ni dans quelque ouvrage qu'ils produisent à la demandeet pour le compte d'un auteur ou d'un éditeur tiers, qui enendosse la pleine et entière responsabilité.
Anne DARBOUSSET
C’est Tellement la Vie…
«L'être humain est capable du pire comme du meilleur. Nous lesavons tous. Et pourtant nous sommes toujours surpris, horrifiésou fascinés, quand le pire s'exprime en actes. »
Cerécit est une pure fiction. Toute ressemblance avec despersonnes existantes ou ayant existé ne serait que coïncidencefortuite et indépendante de la volonté de l’auteur.
Chapitre1
Sur mon lit d’hôpitalà Alès, janvier 2013
Je souffre. Mon corpsn’est que tourment. Pas un seul centimètre exempt deharcèlements divers. Les intubations semblent se multiplier dejour en jour. Je regarde cette espèce de squelette que je suisdevenu, pitoyablement emmailloté dans une couche-culottebeaucoup trop grande, ridiculement béante, par laquellej’entrevois mes couilles terriblement molles, inutiles. C’estdur ! Si dur, ce quotidien informe qui me refuse l’espoir !
Je m’ennuie et jevoudrais être ailleurs, chez moi, ou près d’ellelà-bas, mon seul amour : si blonde, si pure, si belle, aucorps délicieusement fin, à la silhouette si élégantetoujours habillée de vêtements délicatementchoisis, en teintes pastel, aux couleurs reposantes. Mais passeulement : elle est une belle âme pétrie d’amour.Je ferme les yeux et je suis près d’elle, ma Gaby, maGabrielle, celle auprès de qui je me sens quelqu’un debien. Elle fait émerger en moi le meilleur que j’ignorais.Elle est ma fée, et sa baguette magique me donne l’énergienécessaire pour sortir de cette cuirasse que j’ai durcieautour de mon corps depuis tant d’années, qui porte mamarque de représentation et de réalité : Jefais tout utile : « — Même la baise ?m’ont demandé les copains. ― Même labaise ! »
Je revis notre dernièrerencontre : nous fêtions ses soixante ans dans un trèsbon restaurant, au bord de la mer, avec son grand fils Maxime, quiétait devenu mon fils spirituel. Un garçon bien,restaurateur de métier, éduqué par sa mèredans les valeurs humaines et pour qui j’ai une admirationprofonde : je reconnais son talent et ses compétences dechef d’entreprise. C’est quelqu’un qui sait menersa barque.
Je tenais àpeine sur mes jambes, encore affaibli par la fin des traitements dechimio et de rayons subis depuis des mois. Nous étions portéspar l’espoir et faisions des projets.
Le retour à lamaison fut difficile. « Le chat » m’attendait. Jen’aurais jamais cru être capable d’aimer un animalcomme j’aime ce chat. Je l’avoue, et cela me surprend. Ilavait pris l’habitude de se lover près de ma tête,sur mon épaule. C’est lui qui a choisi sa maison et sonmaître. En fait, je ne voulais rentrer que pour lui, parce quela seule idée de retrouver la gueule de Josiane –installée dans ma maison depuis quinze ans déjà– me donnait envie de rebrousser chemin pour vivre dans lesbras de ma douce, de ma chérie, si tendre, si intelligente ettoujours à l’écoute.
Pourquoi ai-je acceptécette situation ? Je subis l’effet boomerang de mes choix.
En effet, j’aitoujours pensé que la seule manière de quitter unefemme, c’était de la pousser vers la sortie, en douceur,pour qu’elle parte, convaincue d’une évidence. Jemaintiens donc, aujourd’hui, mon credo d’utilitévis-à-vis d’elle parce que je suis cloué sur celit de supplice, à sa merci. Je lâche de temps àautre un « je suis foutu », et comme je me sensperdu, incapable de gérer un avenir incertain, j’acceptequ’elle soit là. Parce que la situation est compliquée.
En 2003, j’airetrouvé Gaby, et j’ai caché cet événementà tout le monde : à Josiane, évidemment, età mes vieux copains, ici, dans mon environnement cévenoloù je vis mon quotidien depuis mon retrait des affaires surParis. Les copains connaissaient Gaby, autrefois, dans une autrepériode, quand nous étions tous quadras.
— Comment va M.Langevin ce matin ?
— Comment jevais ? Mais prêt à vous amener faire un tour surmon bateau.
— M. Langevin !Voyons ! Allez ! Nous allons faire la toilette, et après,l’infirmière va vous amener faire des examenscomplémentaires.
Cette situation n’estpas si humiliante que ça, je vois le bon côté dela chose : des mains féminines qui me touchent dans monintimité et comme je ne suis pas bégueule, j’appréciele passage du gant de toilette sur ce qui me reste de virilité,et honnêtement je me laisserais bien faire une petite gâterie.
Mes copains d’enfancesont autour de moi, les fidèles, le noyau dur : Jacques,Gérard et Michèle. Ceux dont on ne se pose pas laquestion de savoir pourquoi ils sont vos amis. Ils ont toujours étélà. Ces mots ne sont pas les miens. Ce sont ceux de Jacques.
Josiane veille. Ilsviennent tous les trois ou séparément, tous les jours.Quelquefois, je les perçois vaguement à cause dutraitement qui me perturbe, m’affaiblit et me rend étrangerà moi-même. Je sombre. Je me réveille. Je parsquelque part, loin de ce lit, de cette fenêtre ouverte sur unmur de béton, vers ce coin de ciel qui me happe et m’entraînedans les tourbillons du passé pour échapper à ceprésent tellement difficile, lourd et sombre.
La main de Jacques dansla mienne et sa voix me retiennent dans un aujourd’huicompliqué qui m’effraie et se dessine en profils defemmes et d’hommes qui entrent et sortent de ma chambre. Ceuxqui ont jalonné ma vie et reviennent dans cet actuel pleind’histoires. Mes histoires ! Que je ne peux plus gérer,privé de tout pouvoir intellectuel sur ce magma de situationsaffectives et financières inachevées, parce que je n’aipas eu le temps de ranger ma vie. Présent et passé seconfondent dans ma tête. Par moments, j’entends deséclats de voix, des injures, des échanges dont jedevine être la cause.
— Josiane,pourquoi Louis n’a pas son téléphone ? Çafait plusieurs fois qu’il le réclame.
— Il ne peut pass’en servir.
— Mais commentça, il ne peut s’en servir ? Tu peux l’aiderà appeler qui il souhaite !
— Il n’estpas en état.
Michèle estsceptique et malheureuse que son ami Louis ne puisse appeler qui ilveut. Elle la soupçonne de faire barrage. Ce n’est passympathique de sa part. Elle ne comprend pas un comportement pareil.Elle en fait part à Gérard, son mari, devant moi.J’entends leur peine. Elle fait de même pour lacigarette, pour tous les gens qui veulent m’approcher, ceux quej’aime et dont mon cerbère se méfie. Elle estvigilante, officiellement soucieuse de préserver le calmeautour de moi. Je pense qu’elle a deviné mon secret,qu’elle a fouillé dans mon portable. Peut-êtrea-t-elle commencé à regarder de près mespapiers ?
Elle joue la petitefiancée d’Amérique, aimante, compatissante,éplorée, celle qui se dévoue auprès d’unLouis dur et insupportable. Elle se plaint et elle pleure dans legiron de Michèle qui s’attendrit et l’invite àpartager quelques repas pour l’accompagner dans cette terribleépreuve :
— Louis estfoutu !
— En es-tu sûre ?
— Jean-Claude esttrès pessimiste.
Jean-Claude, c’estle médecin généraliste et le copain de la bande.Michèle ne veut pas y croire. C’est trop douloureux.
Quelques-uns pensentque je n’entends pas. Ainsi, j’apprends que Josianeinterroge régulièrement Jean-Claude. Ce dernier vientme voir, il ne me cache pas la gravité de mon étatgénéral et de cette fichue tumeur au cerveau qui mebloque toute possibilité de connexion. Il contactepériodiquement l’hôpital pour se tenir informé.J’ai bien compris que je n’en ai sans doute pas pourlongtemps. Pour combien de temps ? Ils ne savent pas. Le tempsque tiendra l’organisme avec des traitements de choc ounovateurs. Je suis un cobaye opportun, puisque je n’ai pas defamille pour intervenir. Seulement une compagne même pasofficielle. Seulement pour l’hôpital, puisqu’elleest « la personne de confiance à contacter ».
Aujourd’hui, jesuis comateux, et j’ai du mal à parler. Hier, j’allaismieux et je parvenais à articuler. J’alterne les bonsmoments qui donnent espoir que le traitement idéal vam’assurer un avenir de rémission et les mauvais, oùje sombre dans une absence qui me renvoie dans les images de monpassé.
Je me réveille àplat ventre sur le sol plastifié qui sent le désinfectant,nu comme un ver rachitique – suprême dérision pourquelqu’un qui voulait perdre sa bedaine et retrouver la lignede ses vingt ans –, avec pour seul vêtement macouche-culotte. Impossible de me relever. Gérard et Michèlerentrent et s’affolent :
— Tu es par terredepuis combien de temps ?
— Je ne sais pas.
— C’estincroyable !
Suis-je humilié ?Même pas. Je subis sans état d’âme. Jevoudrais être ailleurs, simplement. J’en ai marre et jele leur dis. J’en ai assez d’endurer jour aprèsjour, d’être piqué partout, nourri par ungoutte-à-goutte, incapable de consommer la nourriture del’hôpital qui me donne envie de vomir.
— Allez !Aujourd’hui, nous t’avons apporté une bonnebouteille de la cave de Jacques, la dernière de ChâteauRoubaut, cru 1962, l’année du siècle, offerte parson cousin Edmond. Avec, devine ? Accompagné de quoi ?De quelques toasts de foie gras.
— Alors, voustrinquez avec moi.
— C’estprévu. Voilà quatre verres. Jacques arrive, il gare lavoiture sur le parking de l’hôpital.
— Il n’y aque le liquide qui passe bien.
Jacques entre :
— Bonjour, monLoulou ! Allons ! Trinquons à ta santéretrouvée.
— Quelle année !Quelle année, ce vin ! Merci beaucoup !
— Tu n’aspresque rien mangé.
— Ça mesuffit ! Rien d’autre ne passe.
Josiane ouvre la porte,furieuse :
— Il ne doit pasboire, ni manger n’importe quoi.
Jacques intervient :
— Eh !Josiane, du calme ! Nous avons demandé l’autorisationà l’infirmière chef. Elle nous a dit que nouspouvions lui apporter tout ce qui lui faisait plaisir. La seule règleà respecter, c’est de ne