Bouvard et Pecuchet
186 pages
Français

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Bouvard et Pecuchet , livre ebook

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Description

pubOne.info thank you for your continued support and wish to present you this new edition. Comme il faisait une chaleur de 33 degres, le boulevard Bourdon se trouvait absolument desert.

Informations

Publié par
Date de parution 23 octobre 2010
Nombre de lectures 5
EAN13 9782819910985
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Chapitre I
Comme il faisait une chaleur de 33 degrés, leboulevard Bourdon se trouvait absolument désert.
Plus bas le canal Saint-Martin, fermé par les deuxécluses étalait en ligne droite son eau couleur d'encre. Il y avaitau milieu, un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs debarriques.
Au delà du canal, entre les maisons que séparent deschantiers le grand ciel pur se découpait en plaques d'outremer, etsous la réverbération du soleil, les façades blanches, les toitsd'ardoises, les quais de granit éblouissaient. Une rumeur confusemontait du loin dans l'atmosphère tiède ; et tout semblaitengourdi par le désoeuvrement du dimanche et la tristesse des joursd'été.
Deux hommes parurent.
L'un venait de la Bastille, l'autre du Jardin desPlantes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait le chapeau enarrière, le gilet déboutonné et sa cravate à la main. Le pluspetit, dont le corps disparaissait dans une redingote marron,baissait la tête sous une casquette à visière pointue.
Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ilss'assirent à la même minute, sur le même banc.
Pour s'essuyer le front, ils retirèrent leurscoiffures, que chacun posa près de soi ; et le petit hommeaperçut écrit dans le chapeau de son voisin : Bouvard ;pendant que celui-ci distinguait aisément dans la casquette duparticulier en redingote le mot : Pécuchet.
- «Tiens !» dit-il «nous avons eu la mêmeidée, celle d'inscrire notre nom dans nos couvre-chefs.»
- «Mon Dieu, oui ! on pourrait prendre lemien à mon bureau !»
- «C'est comme moi, je suis employé.»
Alors ils se considérèrent.
L'aspect aimable de Bouvard charma de suitePécuchet.
Ses yeux bleuâtres, toujours entreclos, souriaientdans son visage colore. Un pantalon à grand-pont, qui godait par lebas sur des souliers de castor, moulait son ventre, faisait bouffersa chemise à la ceinture ; - et ses cheveux blonds, frisésd'eux-mêmes en boucles légères, lui donnaient quelque chosed'enfantin.
Il poussait du bout des lèvres une espèce desifflement continu.
L'air sérieux de Pécuchet frappa Bouvard.
On aurait dit qu'il portait une perruque, tant lesmèches garnissant son crâne élevé étaient plates et noires. Safigure semblait tout en profil, à cause du nez qui descendait trèsbas. Ses jambes prises dans des tuyaux de lasting manquaient deproportion avec la longueur du buste ; et il avait une voixforte, caverneuse.
Cette exclamation lui échappa : - «Comme onserait bien à la campagne !»
Mais la banlieue, selon Bouvard, était assommantepar le tapage des guinguettes. Pécuchet pensait de même. Ilcommençait néanmoins à se sentir fatigué de la capitale, Bouvardaussi.
Et leurs yeux erraient sur des tas de pierres àbâtir, sur l'eau hideuse où une botte de paille flottait, sur lacheminée d'une usine se dressant à l'horizon ; des miasmesd'égout s'exhalaient. Ils se tournèrent de l'autre côté. Alors, ilseurent devant eux les murs du Grenier d'abondance.
Décidément (et Pécuchet en était surpris) on avaitencore plus chaud dans les rues que chez soi !
Bouvard l'engagea à mettre bas sa redingote. Lui, ilse moquait du qu'en dira-t-on !
Tout à coup un ivrogne traversa en zigzag letrottoir ; - et à propos des ouvriers, ils entamèrent uneconversation politique. Leurs opinions étaient les mêmes, bien queBouvard fût peut-être plus libéral.
Un bruit de ferrailles sonna sur le pavé, dans untourbillon de poussière. C'étaient trois calèches de remise quis'en allaient vers Bercy, promenant une mariée avec son bouquet,des bourgeois en cravate blanche, des dames enfouies jusqu'auxaisselles dans leur jupon, deux ou trois petites filles, uncollégien. La vue de cette noce amena Bouvard et Pécuchet à parlerdes femmes, - qu'ils déclarèrent frivoles, acariâtres, têtues.Malgré cela, elles étaient souvent meilleures que les hommes ;d'autres fois elles étaient pires. Bref, il valait mieux vivre sanselles ; aussi Pécuchet était resté célibataire.
- «Moi je suis veuf» dit Bouvard «et sansenfants !»
- «C'est peut-être un bonheur pour vous ?» Mais la solitude à la longue était bien triste.
Puis, au bord du quai, parut une fille de joie, avecun soldat. Blême, les cheveux noirs et marquée de petite vérole,elle s'appuyait sur le bras du militaire, en traînant ses savateset balançant les hanches.
Quand elle fut plus loin, Bouvard se permit uneréflexion obscène. Pécuchet devint très rouge, et sans doute pours'éviter de répondre, lui désigna du regard un prêtre quis'avançait.
L'ecclésiastique descendit avec lenteur l'avenue desmaigres ormeaux jalonnant le trottoir, et Bouvard dès qu'iln'aperçut plus le tricorne, se déclara soulagé car il exécrait lesjésuites. Pécuchet, sans les absoudre, montra quelque déférencepour la religion.
Cependant le crépuscule tombait et des persiennes enface s'étaient relevées. Les passants devinrent plus nombreux. Septheures sonnèrent.
Leurs paroles coulaient intarissablement, lesremarques succédant aux anecdotes, les aperçus philosophiques auxconsidérations individuelles. Ils dénigrèrent le corps des Ponts etchaussées, la régie des tabacs, le commerce, les théâtres, notremarine et tout le genre humain, comme des gens qui ont subi degrands déboires. Chacun en écoutant l'autre retrouvait des partiesde lui-même oubliées ; - et bien qu'ils eussent passé l'âgedes émotions naïves, ils éprouvaient un plaisir nouveau, une sorted'épanouissement, le charme des tendresses à leur début.
Vingt fois ils s'étaient levés, s'étaient rassis etavaient fait la longueur du boulevard depuis l'écluse d'amontjusqu'à l'écluse d'aval, chaque fois voulant s'en aller, n'en ayantpas la force, retenus par une fascination.
Ils se quittaient pourtant, et leurs mains étaientjointes, quand Bouvard dit tout à coup :
- «Ma foi ! si nous dînionsensemble ? »
- «J'en avais l'idée !» reprit Pécuchet«mais je n'osais pas vous le proposer !»
Et il se laissa conduire en face de l'Hôtel deVille, dans un petit restaurant où l'on serait bien.
Bouvard commanda le menu.
Pécuchet avait peur des épices comme pouvant luiincendier le corps. Ce fut l'objet d'une discussion médicale.Ensuite, ils glorifièrent les avantages des sciences : que dechoses à connaître ! que de recherches - si on avait letemps ! Hélas, le gagne-pain l'absorbait ; et ilslevèrent les bras d'étonnement, ils faillirent s'embrasserpar-dessus la table en découvrant qu'ils étaient tous les deuxcopistes, Bouvard dans une maison de commerce, Pécuchet auministère de la marine, - ce qui ne l'empêchait pas de consacrer,chaque soir, quelques moments à l'étude. Il avait noté des fautesdans l'ouvrage de M. Thiers et il parla avec le plus grands respectd'un certain Dumouchel, professeur.
Bouvard l'emportait par d'autres côtés. Sa chaîne demontre en cheveux et la manière dont il battait la rémoladedécelaient le roquentin plein d'expérience ; et il mangeait lecoin de la serviette dans l'aisselle, en débitant des choses quifaisaient rire Pécuchet. C'était un rire particulier, une seulenote très basse, toujours la même, poussée à de longs intervalles.Celui de Bouvard était continu, sonore, découvrait ses dents, luisecouait les épaules, et les consommateurs à la porte s'enretournaient.
Le repas fini, ils allèrent prendre le café dans unautre établissement. Pécuchet en contemplant les becs de gaz gémitsur le débordement du luxe, puis d'un geste dédaigneux écarta lesjournaux. Bouvard était plus indulgent à leur endroit. Il aimaittous les écrivains en général, et avait eu dans sa jeunesse desdispositions pour être acteur !
Il voulut faire des tours d'équilibre avec une queuede billard et deux boules d'ivoire comme en exécutait Barberou, unde ses amis. Invariablement, elles tombaient, et roulant sur leplancher entre les jambes des personnes allaient se perdre au loin.Le garçon qui se levait toutes les fois pour les chercher à quatrepattes sous les banquettes finit par se plaindre. Pécuchet eut unequerelle avec lui ; le limonadier survint, il n'écouta pas sesexcuses et même chicana sur la consommation.
Il proposa ensuite de terminer la soiréepaisiblement dans son domicile qui était tout près, rue Saint-Martin.
A peine entré, il endossa une manière de camisole enindienne et fit les honneurs de son appartement.
Un bureau de sapin placé juste dans le milieuincommodait par ses angles ; et tout autour, sur desplanchettes, sur les trois chaises, sur le vieux fauteuil et dansles coins se trouvaient pêle-mêle plusieurs volumes del'Encyclopédie Roret, le Manuel du magnétiseur, un Fénelon,d'autres bouquins, - avec des tas de paperasses, deux noix de coco,diverses médailles, un bonnet turc - et des coquilles, rapportéesdu Havre par Dumouchel. Une couche de poussière veloutait lesmurailles autrefois peintes en jaune. La brosse pour les soulierstraînait au bord du lit dont les draps pendaient. On voyait auplafond une grande tache noire, produite par la fumée de lalampe.
Bouvard, - à cause de l'odeur sans doute, demanda lapermission d'ouvrir la fenêtre.
- «Les papiers s'envoleraient !» s'écriaPécuchet qui redoutait, en plus, les courants d'air.
Cependant, il haletait dans cette petite chambrechauffée depuis le matin par les ardoises de la toiture.
Bouvard lui dit : - «A votre place, j'ôteraisma flanelle !»
- «Comment !» et Pécuchet baissa la tête,s'effrayant à l'hypothèse de ne plus avoir son gilet de santé.
- «Faites-moi la conduite» reprit Bouvard «l'airextérieur vous rafraîchira.»
Enfin Pécuchet repassa ses bottes, engrommelant : «Vous m'ensorcelez ma paroled'honneur !» - et malgré la distance, il l'accompagnajusque chez lui au coin de la rue de Béthune, en face le pont de laTournelle.
La chambre de Bouvard, bien cirée, avec des rideauxde percale et des meubles en acajou, jouissait d'un balcon ayantvue sur la rivière. Les deux ornements principaux étaient unporte-liqueurs au milieu de la commode, et le long de la glace desdaguerréotypes représentant des amis ; une peinture à l'huileoccupait l'alcôve.
- «Mon oncle !» dit Bouvard, e

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