Autour de la table
396 pages
Français

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Autour de la table , livre ebook

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Description

George Sand (1804-1876)



"Quelle table ? C’est chez les Montfeuilly qu’elle se trouve ; c’est une grande, une vilaine table. C’est Pierre Bonnin, le menuisier de leur village, qui l’a faite, il y a tantôt vingt ans. Il l’a faite avec un vieux merisier de leur jardin. Elle est longue, elle est ovale, il y a place pour beaucoup de monde. Elle a des pieds à mourir de rire ; des pieds qui ne pouvaient sortir que du cerveau de Pierre Bonnin, grand inventeur de formes incommodes et inusitées.


Enfin c’est une table qui ne paie pas de mine, mais c’est une solide, une fidèle, une honnête table, elle n’a jamais voulu tourner ; elle ne parle pas, elle n’écrit pas, elle n’en pense peut-être pas moins, mais elle ne fait pas connaître de quel esprit elle est possédée : elle cache ses opinions.


Si c’est un être, c’est un être passif, une bête de somme. Elle a prêté son dos patient à tant de choses ! Écritures folles ou ingénieuses, dessins charmants ou caricatures échevelées, peinture à l’aquarelle ou à la colle, maquettes de tout genre, études de fleurs d’après nature, à la lampe, croquis de chic ou souvenirs de la promenade du matin, préparations entomologiques, cartonnage, copie de musique, prose épistolaire de l’un, vers burlesques de l’autre, amas de laines et de soies de toutes couleurs pour la broderie, appliques de décors pour un théâtre de marionnettes, costumes ad hoc, parties d’échecs ou de piquet, que sais-je ? tout ce que l’on peut faire à la campagne, en famille, à travers la causerie, durant les longues veillées de l’automne et de l’hiver."



Recueil d'articles.


Causeries et critiques littéraires autour d'une table...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 3
EAN13 9782374636283
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Autour de la table


George Sand


Mars 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-628-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 628
I
Autour de la table

I

Quelle table ? C’est chez les Montfeuilly qu’elle se trouve ; c’est une grande, une vilaine table. C’est Pierre Bonnin, le menuisier de leur village, qui l’a faite, il y a tantôt vingt ans. Il l’a faite avec un vieux merisier de leur jardin. Elle est longue, elle est ovale, il y a place pour beaucoup de monde. Elle a des pieds à mourir de rire ; des pieds qui ne pouvaient sortir que du cerveau de Pierre Bonnin, grand inventeur de formes incommodes et inusitées.
Enfin c’est une table qui ne paie pas de mine, mais c’est une solide, une fidèle, une honnête table, elle n’a jamais voulu tourner ; elle ne parle pas, elle n’écrit pas, elle n’en pense peut-être pas moins, mais elle ne fait pas connaître de quel esprit elle est possédée : elle cache ses opinions.
Si c’est un être, c’est un être passif, une bête de somme. Elle a prêté son dos patient à tant de choses ! Écritures folles ou ingénieuses, dessins charmants ou caricatures échevelées, peinture à l’aquarelle ou à la colle, maquettes de tout genre, études de fleurs d’après nature, à la lampe, croquis de chic ou souvenirs de la promenade du matin, préparations entomologiques, cartonnage, copie de musique, prose épistolaire de l’un, vers burlesques de l’autre, amas de laines et de soies de toutes couleurs pour la broderie, appliques de décors pour un théâtre de marionnettes, costumes ad hoc , parties d’échecs ou de piquet, que sais-je ? tout ce que l’on peut faire à la campagne, en famille, à travers la causerie, durant les longues veillées de l’automne et de l’hiver.
La table du soir (c’est ainsi qu’on la nomme, parce que, durant le jour, chacun vaquant à ses occupations ou courant à sa fantaisie, elle reste seule et tranquille dans le salon) a donc, chez les Montfeuilly, un rôle assez important. Que ferait-on sans elle, bon Dieu, même tes soirs d’été, quand l’orage emplit le ciel et que la pluie précipite au dedans de la maison les hôtes et les papillons de nuit ? Alors chacun apporte son travail ou son délassement, et on se querelle, on se pousse, on se serre pour que tout le monde tienne sur la grande table. On a quelquefois parlé d’en avoir plusieurs petites, mais la grand’mère, Louise de Montfeuilly, qui est le chef actuel de la famille, a repoussé cette innovation perverse. Elle a bien fait ; où serait la vie, où seraient l’attention, l’enjouement, l’union, l’unité dans ces travaux ou dans ces amusements éparpillés, la nuit, dans une vaste pièce ? La grande pièce réunit toutes les études et toutes les pensées, elle en est le centre et le lien. Elle est à la fois la classe et la récréation de la famille, l’harmonie et l’âme de la maison. C’est un sanctuaire d’intimité, c’est presque un autel domestique, et la grand’mère dit souvent : « Le jour où la table sera au grenier et moi à la cave , il y aura du changement ici. »
Mais le plus grand charme de la table, c’est la lecture en commun, à tour de rôle. Si peu qu’on ait de poumons, on peut bien lire chacun quelques pages, et l’on n’exige du lecteur aucun talent : on est si habitué au bredouillage de l’un, aux lapsus de l’autre, que l’on ne s’arrête plus à se railler ou à se quereller. Je connais peu de plaisirs aussi doux, aussi soutenus, aussi attachants que celui d’avoir les mains occupées d’un travail quelconque, pendant qu’une voix amie (sonore ou voilée, peu importe !) vous fait entendre simplement, sans emphase et sans prétention, un beau et bon livre. Le feu pétille dans l’âtre. Le vent chante dans les arbres ; les phalènes on la grêle battent les vitres ; quelque cri-cri familier vient, aux jours d’hiver, jusque sous la table, comme pour applaudir à sa manière, et personne n’ose remuer, dans la crainte d’écraser l’hôte menu et confiant du foyer. Le papier se couvre de dessins ou de peintures ; le canevas, la mousseline ou la soie se remplissent de fleurs ou d’arabesques, et si quelque pas inusité se fait entendre dans la salle voisine, si une main incertaine cherche à ouvrir la porte, on tressaille, on se regarde consterné, on redoute l’arrivée d’un étranger, d’une conversation quelconque venant interrompra la lecture chérie. Mais, grâce au ciel, les Montfeuilly ne sont point gens du monde ; c’est presque toujours un bon voisin, un ami qui vient nous surprendre. « Ah ! c’est toi ! À la bonne heure ! Tu nous as fait bien peur, nous lisions... – Oui, oui, dit-il, j’en suis, » et il prend le livre.
Vous m’avez autorisé à vous rendre compte, dans la forme sérieuse ou familière qui se présentera, de l’impression produite sur nous par ces lectures. Elles ne sont pas tellement fréquentes et tellement suivies que je ne puisse vous parler de temps en temps de tout ce que nous aurons lu ou relu ; car je ne saurais, en aucune façon, m’astreindre exclusivement à un compte rendu d’ouvrages nouveaux, et il pourra bien m’arriver de vous parler de choses anciennes et consacrées. Pour vous faire agréer mes réflexions, il faut que je vous dise et que je vous fasse agréer aussi l’entière liberté de choix, le manque absolu de méthode avec lesquels on procède ici. Il y a quelque chose de plus capricieux et de plus inconstant qu’un lecteur, c’est plusieurs lecteurs réunis. Ce qui charme l’un ennuie ou fatigue souvent l’autre, et réciproquement. On abandonne quelquefois de bons livres pour en prendre de moins bons. C’est que beaucoup d’ouvrages, qui ont un certain charme dans l’isolement, en manquent tout à fait, on ne sait trop pourquoi, dans l’audition collective. Le style y est pour beaucoup, mais il y a encore d’autres raisons que je saurai peut-être vous dire en leur lien. Ce préambule est déjà trop long, et je me hâte de remplir mon engagement.
Toutefois, un mot encore pour en rafraîchir les termes dans notre mémoire. Il est convenu que lorsqu’on aura causé pendant un certain temps en lieu de lire, je vous parlerai de ce qui aura fait le sujet de la causerie, pour peu qu’elle ait eu rapport à des impressions, a des souvenirs d’art quelconques, et qu’il en soit sorti quelque chose d’assez précis et d’assez bien résumé pour être recueilli ou commenté. Ce genre de causerie surgit rarement dans la complète intimité de la famille. Quand le nid est bien chaudement blotti sous le toit, on discute peu, on vit ; c’est-à-dire qu’on lit ensemble et qu’on avance dans l’émotion ou dans l’intérêt sans s’interrompre pour juger. Mais quand l’été, sans vous éloigner de la table, agrandit le cercle affectueux des commensaux, les uns parlent, les autres écoutent. Je suis souvent parmi les derniers, sauf à discuter après coup avec moi-même.
Ainsi je vous parlerai de tout ce qui nous aura frappés, mais non pas de tout ce qui aurait mérité de nous frapper ou de nous occuper dans la vie en commun, car cette vie, lorsqu’elle se passe aux champs, est pleine de lacunes et d’imprévus. Un rayon de soleil emporte toutes choses et toutes gens dans le domaine de la rêverie et des contemplations.
Contemplations ! Voilà un mot qui me presse ! car c’est la plus fraîche, la plus récente de nos lectures, et c’est un beau sujet pour entrer en matière.
Il est rare que nous lisions des vers autour de la table. Les vers veulent être lus tout haut beaucoup mieux que nous ne savons lire, et ceux-ci ont fait exception. Bien ou mal, nous étions impatients de nous les communiquer, sauf à relire chacun pour soi après l’audition.
Il eût fallu procéder avec ordre, mais les recueils de poésies sont exposés à cette profanation d’être ouverts au hasard, comme s’ils avaient été faits pour servir de rafraîchissements entre deux contredanses. Les plus fervents ou les plus consciencieux commettent cette faute tout comme les autres, et pourtant, s’il est un recueil de vers qui mérite le nom de livre et qui soit un ouvrage , c’est celui-ci.
C’est hier que la grand’mère nous apporta ces deux volumes. Comme on se les arrachait, elle m’en mit un dans les mains, en me priant de le lire haut, là où elle l’ouvrirait avec son aiguille à tapisserie. Nous tombâmes sur la pièce intitulée Villequier , un vrai chef-d’œuvre.
– Attendez, dit Théodore, l’aîné des Montfeuilly ; avant que vous commenciez, je vous avertis

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