Caprices et zigzags , livre ebook

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Extrait : "Avant de commencer le récit de ma triomphante expédition, je crois devoir déclarer à l'univers qu'il ne trouvera ici ni hautes considérations politiques, ni théories sur les chemins de fer, ni plaintes à propos de contrefaçons, ni tirades dithyrambiques en l'honneur des millions au service de toute entreprise dans cet heureux pays de Belgique, véritable Eldorado industriel."
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24

EAN13

9782335034622

Langue

Français

EAN : 9782335034622

 
©Ligaran 2015

Un tour en Belgique et en Hollande
I
Avant de commencer le récit de ma triomphante expédition, je crois devoir déclarer à l’univers qu’il ne trouvera ici ni hautes considérations politiques, ni théories sur les chemins de fer, ni plaintes à propos de contrefaçons, ni tirades dithyrambiques en l’honneur des millions au service de toute entreprise dans cet heureux pays de Belgique, véritable Eldorado industriel ; il n’y aura exactement dans ma relation que ce que j’aurai vu avec mes yeux, c’est-à-dire avec mon binocle ou avec ma lorgnette, car je craindrais que mes yeux ne me fissent des mensonges. Je n’emprunterai rien au Guide du voyageur, ni aux livres de géographie ou d’histoire, et ceci est un mérite assez rare pour que l’on m’en sache gré.
Ce voyage est le premier que j’aie jamais fait, et j’en ai rapporté cette conviction, à savoir, que les auteurs de relations n’ont pas seulement mis-le bout du pied dans les pays qu’ils décrivent, ou que, s’ils y sont allés, ils avaient, comme l’abbé de Verlot, leur siège fait d’avance. Diverses lettres sur la Belgique que j’ai lues depuis mon retour m’ont singulièrement étonné pour la dépense d’imagination et de poésie qu’on y a faite. Assurément je n’y ai pas reconnu la contrée ni les hommes que je venais de quitter.
À présent, si le lecteur curieux veut savoir la raison pour laquelle j’ai été en Belgique plutôt qu’ailleurs, je la lui dirai volontiers, car je n’ai rien de caché pour un être aussi respectable qu’un lecteur. C’est une idée qui m’est venue au Musée, en me promenant dans la galerie de Rubens. La vue de ces belles femmes aux formes rebondies, ces beaux corps si pleins de santé, toutes ces montagnes de chair rose d’où tombent des torrents de chevelures dorées, m’avaient inspiré le désir de les confronter avec les types réels. De plus, l’héroïne de mon prochain roman devant être très blonde, je faisais, comme on dit, d’une pierre deux coups. Voilà donc les motifs qui ont poussé un honnête et naïf Parisien à faire une courte infidélité à son ; cher ruisseau de la rue Saint-Honoré. Je n’allais pas, comme le père Enfantin, en Orient chercher la femme libre : j’allais au Nord chercher la femme blonde ; je n’ai pas beaucoup mieux réussi que le vénérable père Enfantin, ex-dieu, et maintenant ingénieur.
Vous savez avec quelle difficulté un Parisien s’arrache de Paris, et comme la plante humaine pousse de profondes racines à travers les fentes de son pavé. Je restai bien trois mois à me décider à ce voyage de quinze jours. Mon paquet fut fait et défait dix fois, et ma place retenue à toutes les diligences ; j’avais dit je ne sais combien de fois adieu aux trois ou quatre personnes que je croyais capables de s’apercevoir de mon absence ; ma sensibilité souffrait beaucoup de la répétition de ces scènes pathétiques, et je commençais à avoir mal à l’estomac, à force de boire le coup de l’étrier ; enfin un beau matin, ayant changé un assez gros tas de pièces de cent sous contre un fort petit tas de louis ; je me pris au collet moi-même, et je me mis à la porte de chez moi, en enjoignant au camarade que j’y laissais de me tirer dessus comme sur un loup enragé, si je m’y représentais avant trois semaines, et je m’en allai à la fatale rue du Bouloi, où était la voiture.
Il est clair que le départ d’un ami doit affecter douloureusement les âmes sensibles ; et pourtant, si vous restez après avoir annoncé un voyage, quelque chose qui ne ressemble pas mal à un mécontentement commence à se produire dans votre entourage : il semble que vous ne soyez plus en droit de prendre le pont des Arts pour un sou et le pont Neuf pour rien. Votre portier, lorsque vous rentrez, ne vous tire le cordon qu’à regret ; Paris vous pousse par les épaules, et votre propre chambre vous regarde comme un intrus. C’est ce qui m’arriva pour avoir dit que j’allais à Anvers. La divinité que j’adore , tout en convenant que ces trois semaines lui paraîtraient fort longues, me faisait remarquer que j’aurais dû être parti depuis longtemps.
Si vous allez en Belgique, et que vous ayez des amis lettrés, l’inconvénient est double. Rapportez-moi mon dernier roman, ou mon volume de poésies, un Hugo, un Lamartine, un Alfred de Musset, un Manuel du libraire (4 vol. in-8°, excusez du peu). Vous aurez bien soin de les couper, car sans cela on les saisirait à la douane ; et que sais-je, moi ! des listes de trois pages, plus longues que la liste de don Juan ! Sono mille e tre , et encore personne n’a la délicatesse de vous offrir une bourse pleine et une malle vide pour rapporter tout ce bagage.
Mon père, qui m’accompagna à la diligence, se comporta fort bien dans cette suprême circonstance ; il ne me pressa pas sur son cœur, il ne me donna point sa bénédiction, mais aussi il ne me donna rien autre chose. Ma conduite fut également très mâle : je ne pleurai point ; je n’embrassai point le sol de cette belle France que j’allais quitter, et même je fredonnai assez gaiement, et aussi faux qu’à mon ordinaire, un petit air qui est mon lilla burello et mon tirily  ; mais tout mon courage m’abandonna quand je vis arriver mes deux compagnons, ou plutôt mes deux compagnes de voyage : c’étaient deux femmes de vingt-neuf à soixante ans, avec des chapeaux extravagants, des manches violentes, des frisures hors de proportion, des nez insociables, et le plus cannibale et le plus odieusement criard de tous les perroquets verts mélangés de rouge, qui ait jamais fait le désespoir d’un honnête homme, prisonnier dans un coupé. À cette vue, mon sourcil

Prit l’effroyable aspect d’un accent circonflexe,
et je me sentis le cœur triste jusqu’à la mort. Fort heureusement, je trouvai une autre place dans l’intérieur, ainsi que mon brave camarade Fritz, dont je ne vous ai pas encore parlé et dont je vous parlerai plus d’une fois, car c’est le meilleur fils du monde. La voiture partit, et, arrivés à la barrière de la Villette, nous pûmes dire comme J.J. Rousseau : « Adieu Paris, ville de boue, de fumée et de bruit. »
Comme les abords de la reine des villes sont misérables ! Il n’y a rien de plus pauvre au monde que ces maisons dont les flancs, mis à nu par la démolition des bâtiments voisins, conservent encore la noire empreinte des tuyaux de cheminée, des lambeaux de papier et des restes de peinture à demi effacée, et que tous ces terrains vagues coupés de flaques d’eau et bossues de tas d’ordures, que l’on voit aux environs des barrières : cette dégradation et cette saleté me furent sensibles surtout au retour, accoutumé que j’étais à la propreté et à la bonne tenue des villes flamandes.
Fidèle à mes devoirs de voyageur pittoresque, je mis le nez à la portière pour voir un peu de quelle façon se comportait la nature à ma droite et à ma gauche. J’observai d’abord une grande quantité de troncs d’arbres que je renoncerai à décrire un à un, vu que cela pourrait à la longue devenir un peu monotone ; ces troncs d’arbres, dont je ne pouvais apercevoir le feuillage, galopaient de toute la vitesse des chevaux et fuyaient comme une armée de bâtons en déroute. À travers cette espèce de grillage mouvant, apparaissaient des terres labourées, des cultures de teintes différentes, quelques petites maisons avec un filet de fumée, des processions de peupliers, des groupes d’arbres à fruit, et, tout à l’extrême bord, un ourlet bleu, haut de deux doigts ; puis, par-dessus, de grands bancs de nuages gris-pommelé, avec des traînées d’azur verdâtre à de certains points du ciel, et des entassements de flocons neigeux, comme une fonte de glace dans une des mers du pôle. Le ciel était très beau, grassement peint, d’une touche large et fière ; quant aux terrains, je les ai trouvés beaucoup moins bien réussis ; les lignes étaient froides, la couleur sèche et criarde : je ne conçois pas comment la nature pouvait avoir l’air aussi peu naturelle et ressembler autant à une mauvaise tenture de salle à manger. Je ne sais si l’habitude de voir des tableaux m’a faussé les yeux et le jugement, mais j’ai éprouvé assez souvent une sensation singulière en face de la réalité ; le paysage véritable m’a paru peint et n’être, après tout, qu’une imitation mal à droite des paysages de Cabat ou de Ruysdaël. Cette idée me revint plus d’une fois en voyant se dérouler dans la vitre ces interminables rubans de terre couleur chocolat et ces files d’arbres du plus délectable vert épinard que l’on puisse imaginer.
Il est certain qu’un peintre qui risquerait de pareils feuillages et de semblables terrains serait accusé par tout le monde de ne pas faire nature  ; tout cela était découpé comme à l’emporte-pièce, avec une crudité, une dureté et un manque de pers

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