O Ntlo ya borobalo lycaon
130 pages
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O Ntlo ya borobalo lycaon , livre ebook

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Description

« J'ai été un chasseur célèbre et un mauvais écrivain à moins que ce ne soit plutôt le contraire. Je l'ignore. À cinquante ans, je me pose d'autres questions, je me formule d'autres soucis que ceux qui ont trait à mon hypothétique popularité. J'ai les cheveux blancs, le visage buriné, je suis mince et taiseux. Je ressemble très exactement à ce qu'on imaginerait que je suis, mais voilà, je ne chasse plus et je n'écris plus. Comme le formule si bien mon vieil ami, Phuraki Ngoro, je me contente de soutenir l'économie défaillante de la République d'Afrique de Sud en buvant son satané vin rouge, généreusement appelé Amabokoboko. De toute manière et selon toute évidence, je n'ai plus rien à prouver à personne. Je ne suis pas d'humeur teigneuse, et je ne suis pas davantage un homme déçu. Simplement, à cinquante ans, j'estime avoir fait ma vie. » La sagesse asthénique, Manley Sparkle a préféré passer sa vie en Afrique du Sud plutôt qu'en Europe. À l'aéroport, il attend Alex, le fils de Nouchka dont il était amoureux, venu voir son « vieux père ». Dans ses écrits résonnent les espaces trop vagues et insondables, les souvenirs d'un passé aux frontières floues et d'un présent fracturé. Avec un style éthéré et grave, Philippe Leemans nous conte l'histoire de deux hommes séparés par un fossé de maux. Une partition en trois temps qui réunit des êtres autour du même homme, rêveur conquis par l'éternité du soleil.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 juin 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342153613
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

O Ntlo ya borobalo lycaon
Philippe Leemans
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
O Ntlo ya borobalo lycaon

Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
Ntlo ya borobalo lycaon  : textuellement : Lycaon, ma chambre est ou, en un meilleur français, mon nom est (ou « je suis ») lycaon .
 
Un mensonge n’est qu’un mythe. Et un mythe est une vérité à sa façon…
Anthony Burgess
I
J’analysais, attablé au « Duke », comment le soleil infiltrait ses couleurs au travers de mon verre d’Amabokoboko. L’air était chaud et doux, et il avait plu un peu au matin, juste l’air de dire, mais, grâce à cette eau tombée providentiellement des cieux, la poussière avait plus longtemps que d’habitude adhéré aux pistes. En soi, et rien que pour cette raison, la pluie, sur Maun, s’avérait systématiquement être une bénédiction.
 
Le « Duke-Inn » , comment vous en parler ? Oui, peut-être ainsi : il est ce que tout établissement rêve de devenir : une espèce de « Deux Magots ». Ici, naturellement, nous l’avions dans sa version africaine.
 
Si on souhaitait boire, manger, si on attendait quelqu’un ou rentrait, vanné, d’un séjour dans la brousse, si on souhaitait savoir si le pont enjambant la Xudum était rouvert, ou plus simplement, si on se trouvait en ville, assoiffé ou non, on se rendait au « Duke-Inn ». Le bâtiment, cela dit, était d’une facture quelconque, bien sûr : on ne crée pas une légende avec du béton. Juste un toit protégeant deux salles basses, s’achevant sur une véranda. Les salles étaient, comme il est logique, encombrées de tables, mais celles-ci étaient orphelines : les chaises, requises ailleurs et notamment à l’église lors des cérémonies d’importance, manquaient souvent… Le petit bar qui réalisait le trait d’union entre les deux « salons » était nu comme un ver, puisque les bouteilles étaient toujours entreposées dans une réserve, dont l’accès était interdit aux clients. Ceux-ci pouvaient toujours admirer les posters dont s’ornaient les murs, les muses de Coca-Cola, façon années trente, gambettes grasses et brasero allumé sous le corsage, en attendant l’arrivée du fuel. Le fuel ne vieillissait jamais qu’un jour, voire deux ou trois, à l’aise, dans une pièce de deux mètres sur trois, réalimentée plusieurs fois par semaine et protégée par une porte jamais fermée à clé et sur laquelle le propriétaire de « Duke » avait agrafé un tee-shirt. Celui-ci proclamait, côté face : « J’ai survécu au “Duke” » et côté pile : « le “Duke”, lui-même, non ». É videmment, on pouvait se le procurer (la réserve en débordait, qui étaient maculés de bière séchée, mais cela est un détail), et les touristes ne se privaient pas de l’acheter. Le « Duke » faisait figure de légende au Botswana. Et j’aimais le Botswana. Le Botswana d’hier, surtout, que les mouvements tournants de l’histoire n’avaient pas encore pris en charge.
 
Mon nom est Sparkle, Manley Sparkle, et, bien que mon nom ne le suggère pas, je suis d’ascendance allemande. Certains me connaissent encore, beaucoup m’ont oublié. J’ai été un chasseur célèbre et un mauvais écrivain à moins que ce ne soit plutôt le contraire. Je l’ignore. À cinquante ans, je me pose d’autres questions, je me formule d’autres soucis que ceux qui ont trait à mon hypothétique popularité. J’ai les cheveux blancs, le visage buriné, je suis mince et taiseux. Je ressemble très exactement à ce qu’on imaginerait que je suis, mais voilà, je ne chasse plus et je n’écris plus. Comme le formule si bien mon vieil ami, Phuraki Ngoro, je me contente de soutenir l’économie défaillante de la République d’Afrique du Sud en buvant son satané vin rouge, généreusement appelé Amabokoboko. De toute manière et selon toute évidence, je n’ai plus rien à prouver à personne. Je ne suis pas d’humeur teigneuse, et je ne suis pas davantage un homme déçu. Simplement, à cinquante ans, j’estime avoir fait ma vie.
 
Au « Duke », une table m’est réservée, dans un coin, près d’une fenêtre. De la position que j’y occupe, je peux observer, en alternance, la rue et les mouvements des troupes dans le débit de boissons. D’un côté comme de l’autre, ceux à qui mes yeux ont affaire sont des habitués de l’endroit. Ici, on parle « chasse », « bivouac », « lion », « expédition », dehors, on parle « finances », « mode », « maison » ou « école ». Rien ne change jamais sous le soleil que ces attitudes qui sont, en termes de philosophie, des accidents. Mais ces « accidents » tendent à devenir les mêmes partout. Lorsque je mourrai, et ce ne sera pas dans très longtemps, ce qui différenciera l’Afrique des autres continents, sera la couleur de la peau des gens, et rien que cela. Je n’ai pas aimé le vingtième siècle, et je n’aimerai pas davantage, selon ce que je peux en deviner, le vingt et unième. Je pense, poussant le bouchon, que, s’il m’était donné de le connaître, je détesterais le vingt-deuxième siècle… Présentez-moi votre fille, si belle, si tendre et si peu sage et je me demanderai comment avait été sa grand-mère. É tait-elle prude, sage, humaine … Voici bien le mot au contact duquel mes pensées se déchirent le plus fréquemment. L’identité humaine, sa fonction comme on se plaît à la qualifier désormais, est une espèce de rubus . J’aime à le traverser, je me dis que cela fait du bien à mes varices.
 
Je ne devais pas songer à cela, ou si peu alors, au jour où j’ai reçu le télex. Alex arrivait. Il avait fait parvenir le message à Phuraki, qui me l’avait transmis, mais trop tard pour que je pus réagir et envoyer Alex au diable. Mon vieil ami avait des obligations et celles-ci l’avaient conduit loin vers le nord. Le bout de papier qui m’était destiné avait moisi dans sa poche. Je l’avais reçu, piqué d’humidité. La recommandation qui y figurait en gras : avertir en cas d’impossibilité avant le 10 de ce mois était périmé depuis plus d’une semaine.
 
Alex allait donc arriver, je n’avais aucune envie de revoir Alex.
 
Je me souvenais d’un garçon boutonneux et instable, criant fort sa révolte à l’endroit d’un monde qui ne ressemble jamais aux attentes d’un adolescent, donc, et à fortiori, à celles d’un adulte. Il écoutait une musique de sauvages, lisait une littérature de sauvages, aimait les sauvageonnes, mais pelotait des filles de bonne famille. Il connaissait tout des choses de ce monde, et le monde se résumait, côté pratique, à une ligne sur Internet. Je ne voulais pas le voir, mais au moment où je reçus son message, il avait déjà quitté la douce terre d’Autriche. De la capitale autrichienne, partait un vol hebdomadaire, le seul, à destination de Maun, via Le Caire. À cette heure, en plein ciel, vieilli de quatre ans par rapport au souvenir que je gardais de lui, il devait conter fleurette à une hôtesse de l’air à peine moins âgée que lui.
 
En l’attendant, simplement, je buvais mon vin. J’aimais le vin. C’est la seule chose que j’aime encore.
 
J’interpellai Jimmy, lui commandai un repas. Le « Duke » se remplissait. Des chasseurs, des aventuriers, de faux vagabonds, des femmes, aussi, beaucoup de femmes. Les belles Anglaises attirées par l’odeur du sang et celui de la sueur humaine. Le parking, devant le « Duke », offrait à contempler un étalage de véhicules à quatre roues motrices au châssis voilé, avec de solides pneus, des cordes et des câbles enroulés aux pare-chocs, des crics, des banquettes surélevées à l’arrière, des porte-fusils, des tapis de couchage, roulés sur des paquets blancs, portant l’inscription Sukiri 1 , et contenant des couvertures d’appoint, des moustiquaires, des éléments de tentes… Certains véhicules revenaient de la brousse, d’autres, d’aspect propre encore, s’y rendaient. On bavardait haut et ferme au « Duke » . Les exploits se racontaient par des cris, et quelques expressions faciales mi-étonnées mi-craintives désignaient les nouveaux arrivants, ceux qui n’avaient pas encore fait l’expérience d’un bivouac ou assisté à une charge de buffles.
 
Jimmy, trente ans, un sourire perpétuellement accroché aux lèvres, m’amena ma pitance.
 
— Tu sais comment on dit : je n’ai pas compris en batak  ?
— Algebanyëm  ?
— Faux, Manley, ça, c’est en Amhaic , et, si ma mémoire ne me fait pas défaut, je te l’ai appris hier.
— Je donne ma langue au buffle.
— Au chat ! C’est Ndang hu boto  !
— Et ça se parle où, le bardak  ?
— Le batak  ? Voyons, Manley, tout le monde le sait : en Indonésie, à Sumatra et aux Philippines.
— Je tâcherai de m’en souvenir.
— T’as intérêt. Il y aura interro demain.
 
Il éclata de rire. Dents blanches, magnifiques. Pendant son séjour à la prison de Johannesburg (il avait été un étudiant turbulent, il avait appris comment on disait « je comprends » puis sa version négative dans pas moins de cent quatre-vingts langues). Je n’avais pas encore très bien compris à quoi cela pourrait lui servir : il ne quittait jamais le « Duke ».
 
Le poulet était dur et le péri-péri chaud. Mais l’Amabokoboko, chambré, ferait comme toujours passer le reste…
 
Je roulais lentement dans la rue principale de Maun. C’était, ainsi que beaucoup de petites cités africaines, un gros village où l’apport immodéré de la culture moderne dans ce qu’elle présente de banal étrangle lentement les valeurs traditionnelles. La plupart des nouveaux bâtiments avaient été érigés aux abords de l’aéroport. On y trouvait notamment des centres commerciaux et des magasins démontrant,

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