Eduquer au numérique ? , livre ebook

MkF Éditions - Laurent Tessier

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180 pages

Français

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Description

Comment éduquer au numérique ? En France notamment, les acteurs du monde éducatif se sont massivement saisis de ces questions. Pour autant, la réponse éducative à la « révolution numérique » est encore loin d’être univoque. Elle a même suscité durant les dernières années des débats passionnés.
Deux grands courants s’affrontent. D’une part, le paradigme français, qui repose sur la construction d’une distance critique aux technologies et sur une intégration de ces questions dans des programmes planifiés. En face, le paradigme anglo-saxon des EdTech, se voulant « disruptif », affiche un rapport décomplexé à des technologies considérées en elles-mêmes comme éducatives.
Entre ces deux pôles, des alternatives multiples peuvent être inventées. Mais il ne faut pas se tromper : la place croissante occupée par le numérique dans les écoles et les universités ne doit pas seulement être envisagée comme un simple changement de support (papier Vs numérique). Il s’agit d’un changement profond dans le fonctionnement même du système éducatif. Enseignants, chercheurs, formateurs, apprenants, mais aussi parents d’élèves doivent en saisir les enjeux, afin d’élaborer leur propre positionnement et leurs propres stratégies. C’est ce à quoi nous invite à réfléchir Laurent Tessier.

Sujets

Éducation

TICE

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Publié par	MkF Éditions
Nombre de lectures	16
EAN13	9791092305517
Langue	Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Eduquer au numérique ?

[ Un changement de paradigme ]
[la collection]

Cette collection propose d'envisager les mutations numériques actuelles dans leurs rapports à l'Homme et à la société.Les Essais numériques donnent à ses lecteurs les clefs d'un débat sur les enjeux culturels, économiques, politiques et sociologiques des mutations numériques actuelles, et ceci pour que chacun se forge une opinion et appréhende ces mutations dans le cadre d'une réflexion large et syncrétique. Cette collection n’est évidemment pas le produit de réflexions isolées. Elle s’inscrit dans un processus de réflexion global sur le sujet. Chaque pan de notre vie est aujourd’hui concerné par ce processus global de dématérialisation des supports, de démultiplication des manières de communiquer et d’accélération des modes de circulation de l’information. Ce processus touche désormais de façon intime notre quotidien.Il s’avère donc essentiel de poser la question des nouveaux rapports que chaque individu développe avec ces nouvelles technologies qui viennent bousculer, modifier, compléter et prolonger nos pratiques.
Ces pratiques émergentes nous conduisent-elles pour autant à tirer un trait sur nos anciennes pratiques ? Comment réinterprète-t-on nos savoirs, nos pratiques traditionnelles à l'aune de ces mutations numériques ?La collection souhaite mettre l'ensemble de ces questions en débat. Pour y répondre, nous souhaitons privilégier une réflexion pluridisciplinaire et transversale.
Ainsi, des approches anthropologiques, communicationnelles, économiques, ethnologiques, historiques, philosophiques ou encore sociologiques vont-elles se croiser, se côtoyer. Dans le même temps, des chercheurs vont se confronter aux professionnels des secteurs concernés par les mutations numériques pour conduire une réflexion globale, tout à la fois théorique et empirique.
Il importe à la collection de mettre en discussion un phénomène complexe afin que Les Essais numériques rencontrent un écho tant par leur capacité à poser des questions que par leur intention de réunir une somme d’exposés lucides et éclairés de ces événements.
[Introduction]

Comment éduquer au numérique ? Quelle place faire au numérique dans l’éducation des plus jeunes, dans les parcours scolaires et universitaires, à la fois en tant qu’objet d’études, outil de travail et de transmission ? Que ce soit en France ou dans d’autres contextes nationaux, les acteurs du monde éducatif se sont massivement saisis de ces questions. Pour autant, la réponse éducative à la « révolution numérique » est encore aujourd’hui loin d’être univoque. Elle a même suscité durant les dernières années des débats passionnés.

Cet essai ne vise pas à recenser les innombrables pratiques, outils technologiques et théories qui coexistent aujourd'hui dans les mondes éducatifs, mais propose au contraire de dégager et de comparer deux grandes manières de les concevoir, deux paradigmes de l'éducation au numérique. On verra d’abord comment se sont historiquement construites les TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement), c’est-à-dire le paradigme central de l'éducation au numérique en France depuis plusieurs décennies : prééminence de la théorie sur la pratique, construction d’une distance critique avec les technologies et leurs dangers en constituent certains traits distinctifs. On verra ensuite comment les EdTech ( Educational Technologies ), le paradigme anglo-saxon, a pris une place de plus en plus grande en France, jusqu’à peut-être y devenir, comme dans de nombreux autres pays, le paradigme dominant. Celui-ci met en avant, entre autres, une pratique du code informatique fondée sur le principe du learning by doing et un rapport décomplexé à des technologies considérées en elles-mêmes comme éducatives. En conclusion, on verra enfin comment les « Humanités numériques » pourraient en quelque sorte incarner une troisième voie entre les deux premières, en valorisant des pratiques de recherches collaboratives et des technologies ouvertes.

Car il ne faut pas s’y tromper : le changement de paradigme des TICE aux EdTech, qui se joue actuellement sous nos yeux, n’est pas qu’un changement de vocabulaire. Il s’agit d’un changement profond dans notre rapport aux technologies et à l’éducation, ayant des implications idéologiques, politiques et sociales cruciales. Éducateurs, enseignants, chercheurs et parents doivent donc pouvoir en saisir les enjeux, afin de construire leur propre positionnement et leurs propres stratégies éducatives. Mais pour en arriver là, un retour en arrière s’impose.

En 2001, Marc Prensky publie un article resté célèbre intitulé Digital natives, digital immigrants . La vision du monde qu’il propose dans ce court texte consiste d’abord en une opposition entre la « nouvelle génération » et les anciennes. Cette opposition est fondée sur un rapport radicalement différent au « numérique ». Les nouvelles générations seraient nées avec le numérique, et auraient donc avec lui un rapport naturel, au contraire des générations qui la précèdent. L’opposition native / immigrant renvoie aussi à une métaphore géographique, le numérique étant envisagé comme un continent, dans lequel certains seraient nés et d’autres auraient immigré 1 . Elle fait enfin du numérique un langage, qui correspondrait pour les jeunes générations à une langue maternelle, alors que pour les plus âgés, il s’agirait d’une langue seconde, avec laquelle ils ne pourraient jamais obtenir le même degré de familiarité que ceux qui sont nés avec. Mais en deçà de cette opposition entre générations repose d’abord l’idée que nous aurions basculé, radicalement, brusquement, dans un nouveau monde numérique. Les innovations liées au numérique apparues depuis la fin des années 1990 (l’Internet, les smartphones, les objets connectés) seraient fondamentales, au point de changer en profondeur la société dans son ensemble. La rapidité et la massivité de ces changements seraient telles que l’on doive à leur propos parler d’une véritable révolution .

La révolution numérique , ou son amplification 2 annoncée par la Silicon Valley depuis une vingtaine d’années et visiblement toujours en cours, est censée remettre en question tous les secteurs d’activité constitués. D’innombrables gourous annoncent, chacun dans leur domaine, que le numérique révolutionne la santé, la culture, la politique ou l’industrie automobile. Tous professent cette bonne nouvelle, dans des keynotes et autres conférences TED 3 dont les médias sont friands. Parmi eux, Prensky s’attaque donc au champ de l’éducation. Il pose le problème de manière abrupte : « Nos enseignants, immigrants numériques, qui parlent un langage dépassé (celui de l’âge pré-numérique), se débattent pour enseigner à une population qui parle un langage entièrement nouveau » (Prensky, 2001, p. 2) 4 . Or, traditionnellement, l’éducation désigne bien un acte de transmission des adultes vers les plus jeunes (enfants et adolescents). Que peuvent alors transmettre les anciennes générations aux nouvelles, lorsque la révolution numérique paraît créer entre eux cette rupture irréconciliable ?

On sait le succès de cette métaphore des digital natives . Pourtant l’opposition de Prensky entre natifs et immigrants du numérique a donné lieu à critiques. Dans un article intitulé « les étudiants sont-ils des natifs numériques », Cédric Fluckiger s’appuie ainsi sur une enquête menée auprès des étudiants de l’Université de Lille pour remettre en cause « l’idée que les jeunes seraient naturellement acculturés au numérique » et « le fantasme d’une école débranchée, en retard sur des jeunes branchés » (in Martin & Dagiral, 2016, p. 142). De même, Margaryan, Littlejohn et Vojt, affirment à partir d’une enquête sur une population étudiante américaine que l’idée de rupture entre deux générations en termes de compétences et de rapport au numérique est peu efficiente. Les différences observées sont selon elles bien plus liées aux cursus (scientifique ou littéraire) et aux milieux sociaux (Margaryan et al. , 2011).

Sans pour l’instant entrer dans cette controverse, retenons simplement la diffusion de cette idée de rupture générationnelle et son impact en termes éducatifs. Selwyn & Facer (2013) rappellent en introduction de leur ouvrage que ce type de discours révolutionnaires du début du millénaire a complètement façonné les débats éducatifs et les initiatives des quinze dernières années aux États-Unis et d