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Français
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2014
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Publié par
Date de parution
24 septembre 2014
Nombre de lectures
6
EAN13
9782738169686
Langue
Français
Publié par
Date de parution
24 septembre 2014
Nombre de lectures
6
EAN13
9782738169686
Langue
Français
PHILIPPE KOURILSKY
Le Jeu du hasard et de la complexité
La nouvelle science de l’immunologie
© O DILE J ACOB, SEPTEMBRE 2014 15, RUE S OUFFLOT, 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6968-6
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon frère François.
PRÉFACE
Ce livre, je le porte vraiment depuis longtemps.
En 1979, je résolus (sur la suggestion de mon frère François) de m’attaquer à l’isolement des gènes codant pour le complexe majeur d’histocompatibilité, ou CMH, aussi connu sous le nom de HLA chez l’homme. À vrai dire, ce n’était pas leur rôle dans le système immunitaire qui m’intéressait à l’époque, mais leur polymorphisme. Ces gènes étaient en effet réputés pour être étonnamment variables d’un individu à l’autre au sein de la même espèce, qu’il s’agisse de la souris ou de l’homme. C’était ce mystère génétique que je voulais résoudre. De fil en aiguille, je travaillai plus avant sur leur fonction, et devins, à mon corps défendant, un immunologiste, plus exactement un « immunologiste moléculaire », selon l’intitulé de la chaire que j’occupai au Collège de France à partir de 1998.
L’immunologie est une discipline très particulière. Elle est compliquée et fermée. Elle s’est dotée d’un langage propre – plutôt un jargon – qui s’est conjugué à sa complexité pour en garantir l’opacité. Celle-ci, il est vrai, a beaucoup diminué depuis que, vers les années 1985, la biologie moléculaire a fait irruption dans le pré carré des immunologistes. Le domaine n’en est pas moins resté difficile. D’ailleurs, hormis des manuels destinés aux étudiants et aux chercheurs, peu d’ouvrages non spécialisés lui ont été consacrés. En plus, le champ à couvrir est considérable. Dans une perspective étroite, on estime que le système immunitaire occupe 15 à 20 % du volume du corps humain et que 5 à 10 % de tous les gènes lui sont spécifiquement consacrés.
Il m’a fallu changer d’attitude intellectuelle pour inclure l’immunologie dans l’ensemble plus vaste des dispositifs de défense de l’organisme, ceux qui en assurent la survie. J’en suis arrivé à l’idée simple que le vivant présente deux faces, la vie et la survie. Les deux sont aussi capitales qu’indissociables. Pourtant, la réflexion des biologistes s’est, jusqu’à présent, portée sur les mécanismes de la vie plutôt que sur ceux de la survie. C’est cette prise de conscience qui a libéré ma plume, et m’a permis d’écrire ce livre. Cela imprime à cet ouvrage une structure particulière, dont je nourris l’espoir qu’elle pourrait inspirer une autre manière d’enseigner cette discipline notoirement difficile qu’est l’immunologie.
J’ai cherché à être clair. J’ai fait le choix didactique de répéter plusieurs fois certaines notions, si possible dans des contextes un peu différents, afin de familiariser les lecteurs non spécialistes avec les idées et le vocabulaire. Voilà ce à quoi, au risque, peut-être, d’ennuyer les spécialistes, je me suis appliqué. Je ne suis pas certain d’avoir réussi dans mon entreprise. À tout le moins, j’espère que la lecture de ce livre donnera aux lecteurs quelques idées nouvelles et, à certains, le goût d’en savoir plus.
INTRODUCTION
Vivre et survivre
VIVRE ET SE REPRODUIRE
Le vivant est avant tout caractérisé par sa capacité de reproduction autonome . C’est de là qu’il tire sa relative pérennité. Le fait que les êtres vivants se reproduisent à l’identique, ou quasiment, les distingue des cailloux. Comparés à ces derniers, les êtres vivants paraissent plutôt fragiles. Leur durée d’existence s’apprécie sur des échelles de temps bien différentes. Ce sont les espèces qui occupent le temps long et les individus le temps court. Plus que les espèces, les individus sont vulnérables. Leurs stratégies de vie sont aussi des stratégies de survie. Il leur faut résister à beaucoup d’aléas dont je dresserai plus loin la liste. Il leur faut survivre , en dépit de nombreuses agressions, au moins jusqu’à l’âge de la reproduction. Il existe de magnifiques papillons qui ont presque la taille d’une page de ce livre et qui ne vivent que quelques jours 1 . Mais, avant de mourir, ils se sont reproduits. La vie est, dans une large mesure, une lutte contre les nombreux hasards qui peuvent la détruire. La reproduction est son moteur. C’est pourquoi il faut prendre en considération la vie et la survie des espèces autant que celles des individus qui les composent.
Des découvertes majeures faites au milieu du XX e siècle ont conduit à avancer une définition plus précise fondée sur un critère moléculaire 2 , 3 , 4 . Tous les organismes vivants (à une exception possible, celle des prions, responsables de l’épidémie de la vache folle 5 ), contiennent des acides nucléiques, qui sont indispensables à leur reproduction. De fait, les cailloux et les nuages n’en contiennent pas. Les acides nucléiques, généralement l’ADN et parfois l’ARN, portent l’information contenue dans les gènes. Le génome de l’homme (l’ensemble de ses quelque 25 000 gènes) est donc constitué de longues molécules d’ADN, qui, mises bout à bout, mesureraient environ 1 mètre dans chaque cellule humaine. La plupart des gènes codent pour des protéines qui, dans n’importe quelle cellule, sont synthétisées par une machinerie sophistiquée à partir de l’information contenue dans les gènes. Les protéines assurent une grande partie des tâches structurales et fonctionnelles utiles ou nécessaires à la vie cellulaire.
Il existe deux modes de reproduction principaux. Beaucoup d’êtres unicellulaires, comme les bactéries et les levures, se nourrissent de ce qu’ils trouvent dans le milieu ambiant, grossissent, dupliquent leur ADN, et se divisent pour donner naissance à deux cellules filles identiques. Pour beaucoup d’organismes plus complexes, la reproduction est sexuée. La fusion de deux gamètes provenant chacun des deux parents donne naissance à la cellule embryonnaire primitive. Celle-ci va se diviser de nombreuses fois, comme le font les bactéries et les levures, chaque cellule se nourrissant, grossissant, répliquant son ADN, et répartissant les chromosomes répliqués de façon équilibrée, pour donner naissance à deux cellules filles quasi identiques.
LES HASARDS DE LA VIE
Il est ordinaire (mais juste) de remarquer que la vie est pleine de hasards. Les hasards de la reproduction sont, en quelque sorte, les premiers des hasards de la vie. La rencontre des géniteurs et le mélange de leurs gamètes redistribuent au hasard les différences génétiques au sein d’une espèce. Lors de la fécondation, c’est essentiellement au hasard qu’un spermatozoïde, plutôt qu’un autre, va gagner la course à l’ovocyte. Mais le phénomène fondateur de la diversité du vivant repose sur l’imperfection du processus de réplication de l’ADN. Celui-ci commet des erreurs à une fréquence faible mais suffisante pour que ses conséquences soient observables aux niveaux des cellules, des individus, des populations et des espèces. Ces mutations sont assez généralement inoffensives, parfois délétères, et rarement innovantes. Ce sont ces dernières qui, de temps à autre, permettent l’amélioration de fonctions existantes ou l’émergence de nouvelles 6 . C’est la dérive génétique produite par l’accumulation de ces mutations qui constitue la source moléculaire première de l’évolution des espèces. La figure du hasard est ici manifeste. Lors de la réplication de l’ADN, il est impossible de prévoir où et quand ces mutations peuvent et vont se produire. Les variations génétiques des individus et des espèces sont ensuite soumises à l’épreuve de la sélection, dont le test ultime est leur survie, le plus souvent compétitive, la sélection éliminant les moins performantes et/ou favorisant les mieux adaptées dans un environnement donné.
Mais des erreurs de réplication de l’ADN peuvent se produire tout aussi bien dans nos propres cellules. Il en résulte que notre corps n’est pas génétiquement homogène. L’accumulation de mutations dans certains de nos gènes est à l’origine de nombreux cancers et l’une des raisons de notre vieillissement 7 . Nous sommes donc habités en permanence par le hasard. De plus, la réplication de l’ADN n’est pas seule à faire des erreurs. Ici intervient une considération fondamentale. Aucun mécanisme biologique n’est à l’abri d’erreurs, et celles-ci sont d’autant plus probables que le mécanisme est plus compliqué et comporte de plus nombreuses étapes. Notre organisme doit donc se défendre contre ses propres erreurs. Pour ce faire, il fait appel à de nombreux mécanismes de correction des erreurs. Ceux-ci, comme les dispositifs primaires qu’ils surveillent, en commettent également. Cela est inévitable. Ils consomment de l’énergie et du temps. Pour qu’un mécanisme comme celui de la réplication soit « parfait », il faudrait que la cellule (ou l’organisme) dépense une quantité infinie d’énergie et de temps. Des compromis s’établissent nécessairement entre le degré de précision d’un processus (et, donc, son taux d’erreur) et les ressources qui lui sont consacrées. Cette considération vaut pour bien d’autres fonctions essentielles à la vie de chaque cellule, telles que la transcription (synthèse d’ARN messager) 8 et la traduction (synthèse des protéines à partir des ARN messagers) 9 . Elle vaut encore pour les mécanismes par lesquels deux cellules se reconnaissent spécifiquement afin d’effectuer telle