Livres anciens, lectures vivantes
144 pages
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Description

« Lire un texte vieilli, c’est ce que fait tout lecteur dès lors qu’il lit autre chose que le journal du jour ou un roman de l’année. Dans tous les cas, la distance ainsi créée suffit à elle seule à en faire, quel qu’il soit, de la littérature. Cette distance est la première cause qui fait de la littérature une expérience du temps et un arrachement à soi-même. Pour mieux se retrouver. Plus le texte est ancien, plus le lecteur s’étonne et se réjouit d’être touché par lui, d’être en harmonie avec lui, de se reconnaître en lui. Il n’existe pas au monde de civilisation dont la littérature ne s’enracine dans des poèmes, des légendes, des récits, des mythes supposés issus du passé le plus reculé. Partout, la littérature se fonde sur des classiques et un canon qui ne retient par définition que des textes déjà vieux. Autrement dit, ce qui la définit, c’est la distance créée par le vieillissement du texte. Distance subie, car le texte ancien est difficile, mais aussi goûtée. » M. ZinkMichel Zink, spécialiste de littérature médiévale, est membre de l’Institut et professeur au Collège de France. Contributions de G. Angeli, A. M. Babbi, Y. Bonnefoy, J. Cerquiglini-Toulet, A. Compagnon, C. Galderisi, D. Heller-Roazen, P. Labarthe, M. Mancini, E. Mochonkina, P. Oster-Stierle, K. Stierle, H. Tétrel, J.-C. Vegliante, H. Weinrich, M. Zink.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 septembre 2010
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738198815
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

sous la direction de MICHEL ZINK
de l’Institut avec la collaboration de Odile Bombarde
Colloque de la Fondation Études littéraires de la France médiévale . Association Balzan 2007 (1 er -3 avril 2009).
Ouvrage publié avec le concours de la Fondation Études littéraires de la France médiévale.
Cet ouvrage s’inscrit dans le cadre de la collection du Collège de France chez Odile Jacob.
ODILE JACOB, OCTOBRE 2010
15 RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN :978-2-7381-9881-5
ISSN : 1265-9835
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Le bénéfice de l’âge
par Michel Zink

Le colloque dont les contributions sont ici réunies avait primitivement pour titre Lire un texte vieilli, du Moyen Âge à nos jours 1 . Titre si peu engageant qu’on n’a pas cru devoir le conserver. Ce qui est vieilli a cessé de plaire. Le vieillissement ne réussit qu’au vin : nous l’éprouvons, hélas, chaque jour. Mais peut-être aussi à la littérature. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que lire un texte vieilli n’est pas seulement une expérience commune. C’est l’expérience fondatrice qui définit la littérature.
Lire un texte vieilli, c’est ce que fait tout lecteur dès lors qu’il lit autre chose que le journal du jour ou un roman de l’année. Du jour, de l’année… : c’est que le vieillissement est inégal. Pour lire un texte vieilli, il suffit de prendre le journal d’hier, alors qu’il faut se reporter à l’essai de l’année dernière et au roman d’il y a vingt ans. Mais dans tous les cas, la distance créée par le vieillissement du texte suffit à elle seule, ou presque, à en faire, quel qu’il soit, de la littérature : la lecture d’un vieux journal éveille toutes sortes d’émotions plus intimes, moins définissables, en tout cas tout à fait différentes de celles liées à la découverte des – nouvelles du jour. Que n’en subsistent que des bribes, et l’effet littéraire est à son comble. Bianchon et Lousteau en – donnent, dans La Muse du département , une illustration fameuse (s’agissant, il est vrai, d’une œuvre contemporaine, mais que ses membra disjecta réduits à l’état de papier d’emballage ont déjà rejetée dans l’oubli). L’insipide roman-feuilleton dont des feuilles éparses ont servi à envelopper les épreuves de Lousteau serait illisible comme œuvre nouvelle et complète ; mais, quelque mépris ironique qu’ils s’attirent, ses fragments exhumés parlent à l’imagination, comme les deux compères s’entendent à le faire apparaître.
La distance créée par le vieillissement du texte est la première cause qui fait de la littérature une expérience du temps et un arrachement à soi-même. Mais un arrachement à soi-même pour mieux se retrouver. Plus le texte est ancien, plus le lecteur s’étonne et se réjouit d’être touché par lui, d’être en harmonie avec lui, de se reconnaître en lui, alors que ce transfert lui paraît la moindre des choses s’il lit un texte contemporain. De la même façon, on se réjouit de tomber à l’autre bout du monde sur un voisin que l’on croise avec indifférence chaque jour devant chez soi. Voilà qui n’est guère flatteur pour le texte ancien. L’intérêt et le plaisir que nous y prenons tiennent pour une part au peu de crédit que nous lui faisons a priori , persuadés que nous sommes que nous pourrons tout au plus l’admirer avec froideur, mais qu’ il ne nous dira rien . Qu’il nous dise tout de même quelque chose, et nous nous extasions. Comme toujours, c’est Proust qui décrit le mieux ce phénomène :

Les gens du temps passé nous semblent infiniment loin de nous. Nous n’osons pas leur supposer d’intentions profondes au-delà de ce qu’ils expriment formellement ; nous sommes étonnés quand nous rencontrons un sentiment à peu près pareil à ceux que nous éprouvons chez un héros d’Homère.
Cet éloignement imaginaire du passé est peut-être une des raisons qui permettent de comprendre que même de grands écrivains aient trouvé une beauté géniale aux œuvres de médiocres mystificateurs comme Ossian. Nous sommes si étonnés que des bardes lointains puissent avoir des idées modernes que nous nous émerveillons si dans ce que nous croyons un vieux chant gaélique, nous en rencontrons une que nous n’eussions trouvée qu’ingénieuse chez un contemporain. Un – traducteur de talent n’a qu’à ajouter à un Ancien qu’il restitue plus ou moins fidèlement des morceaux qui, signés d’un nom contemporain et publiés à part, paraîtraient seulement agréables : aussitôt il donne une émouvante grandeur à son poète, lequel joue ainsi sur le clavier de plusieurs siècles. Ce traducteur n’était capable que d’un livre médiocre, si ce livre eût été publié comme un original de lui. Donné pour une traduction, il semble celle d’un chef-d’œuvre 2 .
L’observation en apparence toute simple à propos de laquelle je cite ce passage, comme il sait en montrer la complexité ! D’un côté, « les gens du passé nous semblent infiniment loin de nous » et l’éloignement du passé est « imaginaire » : il faut en déduire que, contrairement à cet éloignement illusoire, le passé est en réalité proche. Mais d’un autre côté, nous sommes plus indulgents, moins difficiles envers la littérature du passé qu’envers celle du présent : nous lui sommes éperdument reconnaissants du peu qu’elle nous offre et auquel nous accordons un prix que nous refuserions à un auteur contemporain. On croit comprendre que « les gens du passé » n’étaient pas différents de nous, mais que leur – littérature ne saurait donner d’eux qu’une image sommaire et rigide, dans laquelle nous nous extasions de nous reconnaître malgré tout. Et Proust, entraîné par l’exemple d’Ossian, développe cette idée dans l’unique perspective du médiocre auteur moderne qui réussit à faire admirer ses pauvretés sous le déguisement d’oripeaux anciens ou sous le prétexte de la traduction. Comme si, au contraire de ce qu’il vient de dire, il n’était pas certain que les textes anciens pussent nous toucher : ce qui nous touche en eux, c’est le neuf artificiellement patiné qu’y introduisent le faussaire ou le traducteur.
Comment le philologue ne se sentirait-il pas visé ? Sa compréhension d’une langue morte ou vieillie ; son habileté à ressusciter les effets oubliés, devenus indiscernables au profane, d’un art littéraire émoussé, érodé, terni ; sa science capable de déceler les allusions ou les sources qui nourrissent l’œuvre ancienne et mille finesses qui en font l’ornement ou la profondeur et que le temps et l’oubli auraient rendues indiscernables : tout cela, dont il est si fier, tout cela, qui est si difficile, ne serait que facilité. S’il n’était pas protégé par ses vieux textes, s’il devait monter en première ligne et payer de sa personne, il apparaîtrait dans sa médiocrité, sa platitude. On émerveille à bon compte avec des textes anciens. On s’émerveille à bon compte devant les textes anciens.
Peut-être. Mais cet émerveillement a son mérite. Dans la querelle des Anciens et des Modernes, Marc Fumaroli approuve, si je le comprends bien, les partisans des Anciens, moins d’avoir cru à une supériorité objective des lettres antiques que d’avoir préféré l’indépendance et la générosité de l’esprit qui idéalise le passé et s’en fait un modèle à la servilité qui flatte le présent et l’idolâtre. Faire crédit aux textes anciens de ce que les efforts de notre science et de notre sensibilité y découvrent, admirer le monument que nous construisons peut-être en partie en même temps que nous l’exhumons, sans méconnaître la part qui nous revient dans cette construction et en tentant sans cesse de la corriger et de la réduire : c’est à la fois le plus et le mieux que nous puissions faire dans notre dialogue avec les œuvres littéraires du passé.
C’est ainsi en tout cas que nous parcourons la distance qui nous sépare d’elles et que, tout à la fois, nous en prenons la mesure et nous la réduisons. Cette distance, ai-je dit, est essentielle à l’idée que nous nous faisons de la littérature et elle l’a toujours été.
Il n’existe sans doute pas au monde de civilisation dont la littérature ne s’enracine dans des poèmes, des légendes, des récits, des mythes supposés issus du passé le plus reculé. Chez les peuples sans écriture, la profondeur de ce passé est sentie de façon d’autant plus aiguë qu’il est constamment actualisé dans la récitation ou le chant. C’est un passé perçu comme d’autant plus lointain qu’il ne peut être appréhendé que dans le présent. Dans les civilisations de l’écriture, et particulièrement dans la nôtre, tout repose sur un corpus de poèmes autour desquels s’est élaborée l’idée de littérature et qui ont servi à enseigner la littérature, ainsi que beaucoup d’autres connaissances, à une époque où ils étaient déjà vieillis, et qui ont joué ce rôle parce qu’ils étaient déjà vieillis. Il fut un temps, sans doute, où les poèmes homériques étaient jeunes. Mais ils ont été établis dans leur rôle fondateur alors qu’ils étaient déjà anciens et leur langue, vieillie. Ils l’ont été pour cette raison même. Un petit – Athénien du V e  siècle apprenait la lecture et le chant, l’histoire et les mœurs des dieux et des hommes dans des poèmes dont la langue était aussi éloignée de celle qu’il parlait que l’ancien français l’est de la nôtre. C’est leur ancienneté congénitale, si j’ose m’exprimer ainsi, qui a assuré aux poèmes homériques leur perpétuelle jeunesse, l’écoulement des siècles n’ayant longtemps eu pour effet q

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