Véronique Sanson - Un sourire pour de vrai
106 pages
Français

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Véronique Sanson - Un sourire pour de vrai , livre ebook

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Description

À Mario « L’encre dont je me sers est le sang bleu d’un cygne » Jean Cocteau Prologue A u commencement était la nuit. Et, au second étage d’une jolie maison, une fenêtre à croisillons blancs où scintille une petite lumière qui semble se nourrir de l’obscurité et ne s’éteint souvent qu’un peu avant l’aube. Véronique Sanson ne s’est jamais couchée de bonne heure. Elle n’a jamais pensé que l’ombre était faite pour dormir. À l’heure où les autres se reposent des labeurs du jour, elle veille, douillettement calfeutrée dans sa chambre. Elle s’abandonne à ses rêves ou bien berce ses insomnies en surfant sur la toile, à la recherche de vidéos amusantes à poster à ses amis des réseaux sociaux ou au contraire d’images révoltantes à leur transmettre pour soutenir les combats qui lui tiennent à cœur, à commencer par celui de la défense de la cause animale. En contrebas de sa chambre, la Seine roule ses flots. En silence. En secret. La femme qui veille tard ne s’est sans doute jamais couchée de bonne heure mais, comme un célèbre romancier, elle se souvient de la petite fille qui guettait le baiser de sa mère et ressentait d’exquises frayeurs en l’écoutant lui chuchoter qu’elle n’était en réalité qu’une sorcière qui venait l’enlever pour la vendre à un cirque. Et, dans son sommeil, sans doute Maman l’a-t-elle fait, sinon sa vie n’aurait pas été un cirque encore plus incroyable que ce qu’elle imaginait alors. Sur la piste aux étoiles, Véronique a tenu le rôle de l’enchanteresse.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 novembre 2017
Nombre de lectures 3
EAN13 9782810421893
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À Mario
« L’encre dont je me sers est le sang bleu d’un cygne »
Jean Cocteau
Prologue

A u commencement était la nuit. Et, au second étage d’une jolie maison, une fenêtre à croisillons blancs où scintille une petite lumière qui semble se nourrir de l’obscurité et ne s’éteint souvent qu’un peu avant l’aube. Véronique Sanson ne s’est jamais couchée de bonne heure. Elle n’a jamais pensé que l’ombre était faite pour dormir. À l’heure où les autres se reposent des labeurs du jour, elle veille, douillettement calfeutrée dans sa chambre. Elle s’abandonne à ses rêves ou bien berce ses insomnies en surfant sur la toile, à la recherche de vidéos amusantes à poster à ses amis des réseaux sociaux ou au contraire d’images révoltantes à leur transmettre pour soutenir les combats qui lui tiennent à cœur, à commencer par celui de la défense de la cause animale.
En contrebas de sa chambre, la Seine roule ses flots. En silence. En secret. La femme qui veille tard ne s’est sans doute jamais couchée de bonne heure mais, comme un célèbre romancier, elle se souvient de la petite fille qui guettait le baiser de sa mère et ressentait d’exquises frayeurs en l’écoutant lui chuchoter qu’elle n’était en réalité qu’une sorcière qui venait l’enlever pour la vendre à un cirque. Et, dans son sommeil, sans doute Maman l’a-t-elle fait, sinon sa vie n’aurait pas été un cirque encore plus incroyable que ce qu’elle imaginait alors.
Sur la piste aux étoiles, Véronique a tenu le rôle de l’enchanteresse. Parce qu’elle exprimait les tourments et les élans de son être, le public s’est reconnu dans ses chansons et, avec la reconnaissance, la gloire est arrivée. Elle est aujourd’hui et depuis des décennies une star de la chanson française. Elle n’a rien pourtant rien changé de sa nature de troubadour. Dans le capharnaüm de sa chambre, elle sème des bouts de papier où s’inscrivent des bribes de refrain, des chapelets de paroles : « L’idée qu’on puisse lire mes textes me rend paranoïaque. Avant de me coucher, je les cache. Tellement bien que je ne les retrouve plus le lendemain matin. Imaginer que quelqu’un puisse m’entendre, me voir chanter un texte imparfait m’angoisse terriblement. » C’est la raison pour laquelle elle vit la nuit. Elle a l’assurance que personne ne viendra l’embêter. Elle a un besoin impératif qu’on la laisse tranquille. « C’est marrant sa façon de s’isoler du monde, explique sa sœur Violaine. Elle vit dans sa bulle. Elle est très individualiste, un peu solitaire à sa façon alors même qu’elle n’aime pas être toute seule. »
Elle peut rester des journées sans rien faire, sans s’occuper des impératifs pratiques de la vie matérielle. Nulle sur le terrain du conflit. Incapable de dire non. Elle abandonne cette tâche ennuyeuse, tellement coûteuse en énergie pour un résultat finalement incertain, à ses amis fidèles et à sa sœur, qui est devenue son manager, à ces personnes de confiance, combatives, qu’elle a placées entre elle et le monde. Elle se protège. Elle est pudique. À l’écoute de l’énigme intérieure où elle puise la matière de ses chansons, de ses pêches miraculeuses – parce que le sentiment grandit et se nourrit de son obscurité. « Véronique Sanson offre toutes ses clefs par trousseaux. Et sans prévenir change les serrures ! », sourit l’un de ses biographes Yann Morvan.
Lorsqu’elle tient l’ombre lumineuse d’une possible mélodie, l’artiste emprunte l’escalier jusqu’au rez-de-jardin de sa maison, pénètre dans un immense salon meublé simplement de quelques confortables canapés autour d’une table basse. « Je compose à la campagne. Quand il n’y a personne. Je ferme les rideaux et les volets. Le moindre bruit me déconcentre. »
Elle s’assied à son piano. Elle tient à préciser qu’elle joue sur un Bösendorfer, cette marque fondée à Vienne, en 1827, qui est aux instruments à cordes frappées l’équivalent de la Rolls-Royce à l’industrie automobile : un must qui nécessite quatre ans de fabrication. Ils sont ensemble depuis le milieu des années 1970. Ils se chamaillent parfois et lorsqu’elle est fâchée contre lui, elle le surnomme la Noiraude, surtout dans les moments où elle a peur qu’il ne lui réponde plus. Elle ressent d’autant plus l’angoisse de se sentir abandonnée qu’ils ont passé une infinité d’heures délicieuses ensemble. « C’est une relation très mystérieuse. Le piano a quelque chose de vivant en lui. C’est du bois d’ébène et de l’ivoire. Et mes mains doivent envoyer, transmettre des sentiments, de l’énergie à toute cette matière vivante qui, petit à petit, communique avec le bout de mes doigts. »
Les chênes centenaires du parc peuvent bien se tordre sous le vent, la Seine préparer sa crue, il est là qui l’attend, impeccable, impassible et magnifique, dans son smoking noir de gala. Sur fond de silence, elle se lance, ou plutôt, ils se lancent dans une étreinte qui dure parfois jusqu’au petit matin. Pendant que le clocher de l’église Saint-Martin sonne les heures et que le renard rôde autour de l’enclos où reposent ses deux poules, Marie-Antoinette et Louis XVI, ils explorent, s’égarent, souffrent, jusqu’au moment où la chanson jaillit, non pas venue de nulle part, mais simplement surgie d’elle-même. Dans son livret encyclopédique accompagnant l’ Intégrale Véronique Sanson , Yann Morvan le montre très bien : « Un jour, elle me téléphone. Elle pose le combiné sur le pupitre de son piano et me chante le premier couplet de ce qui ne s’appelle pas encore Visiteur et voyageur […]. Vingt-quatre heures plus tard, rebelote : “Tu te souviens le petit bout de chanson d’hier ? Eh bien cette nuit, c’est devenu une grande et sublime chanson.” Pas une once de forfanterie dans sa voix. Elle n’a pas dit “J’en ai fait”, mais “c’est devenu”, comme si elle parlait d’une graine qu’elle avait simplement plantée et arrosée sans savoir quelle fleur allait éclore. »
Et c’est le miracle de la vie que de dissimuler une richesse et un fonds inépuisables. C’est le miracle des disques de Véronique Sanson d’offrir sans cesse un nouveau visage. Elle est la première surprise si, à l’approche d’une tournée, quand vient le moment de retravailler l’une de ses ballades, elle y découvre des rapports nouveaux, des correspondances subtiles, des beautés secrètes, des intentions cachées. Elle en fait part à son public. À propos de la chanson  Celui qui n’essaie pas ne se trompe qu’une seule fois  : « En l’écoutant récemment, je viens de comprendre ce que ça voulait dire. Je ne l’avais jamais entendue de cette manière. » Et d’espérer en direction de la salle : « Peut-être que ce sera pareil pour vous. »
Musique.
PREMIÈRE PARTIE
ENFANCE
CHAPITRE 1

E lle a de grands yeux qui fixent l’étrange chose dans le salon de l’appartement de son enfance. Elle a deux ans, trois peut-être. Elle est seule avec sa sœur et sa nounou et elle attend le retour de son père. Il s’absente souvent son papa. Parfois pendant des semaines. Quand il n’est pas là, Véronique trouve que la vie est un peu plus triste. Le piano en bois acajou marron clair qui captive son attention doit également ressentir la même chose. Parce qu’il ne dit plus rien non plus. Il a fermé son gros ventre où sont disposées plein de cordes alignées de la plus grosse à la plus mince. Il n’a plus faim. Il boude peut-être.
Et voilà que son père est arrivé maintenant. Il s’assied puis ouvre le clavier de la boîte magique où apparaissent des touches blanches comme des plaines de lune et des touches noires comme des montagnes sacrées. L’enchantement recommence. Le va-et-vient de ses doigts commande au monde de parler le langage des sons merveilleux. L’enfant reste longtemps immobile. À l’écoute. Ravie. Captivée. Son père joue souvent. Il est mélomane. Il fait de la musique. Et son piano rit, pleure, parle fort, murmure. Il gronde aussi parfois. Il tempête. Comme la grosse voix de Papa lorsqu’elle a fait une bêtise.
Un jour, ce fameux « il était une fois » par lequel commencent toujours les contes de fées, son père la prend sur ses genoux. « Il me jouait des tas de choses. Le premier truc qu’il m’ait appris est un morceau américain qui s’appelle Sentimental Journey . Il pianotait tout le temps en fa dièse, simplement parce qu’on ne se sert que des touches noires. C’était plus facile pour moi. Même avec mes petites mains de gamine de trois ans, je pouvais le faire. Je voulais tout faire. » Elle est impatiente, déjà. René, c’est le prénom de son père, ne lui explique pas simplement qu’on ne peut pas aller plus vite que la musique, il prend le temps, et de tout son cœur, il lui enseigne l’art des tonalités. Patiemment. Calmement. Sans la braquer. « C’est lui qui m’a donné mes premières leçons. Il m’a appris à aimer ça. Surtout, il ne m’a pas assommée avec des cours stricts et des professeurs. Je suis sûre qu’autrement, je n’aurais jamais joué. » Ensemble, ils ont un rituel amusant qui lui plaît beaucoup. René fait la main gauche, Véro la droite. Et sans doute l’admire-t-elle et voudrait-elle faire comme lui. Sans doute cette attention toute particulière qu’elle a toujours portée à sa main gauche lui vient-elle d’une de ces fixations d’enfant qui vous poursuivent toute votre vie, des mémoires enfouies de tous ces moments heureux passés avec son père au clavier du piano. La main gauche de René, sa fille a voulu se l’approprier avec l’immense volonté qui a toujours été la sienne. Dans ce défi, elle a voulu d’abord l’égaler, puis le surpasser. Elle y a gagné la saveur puissante de son jeu de basse, la cadence parfaite qui est la sienne, la possibilité pour sa main droite de folâtrer librement et légèrement en multipliant les modulations et les gammes, en s’éloignant du son fondamental pour glisser vers les intervalles dissonants de la septième mineure, dès lors qu’elle peut s’appuyer sur la force sereine d’une main gauche irrésistible. Un indice le donne à penser : c’est quand Véronique cligne de l’œil et dit : « Mon père était un très bon soliste. Mais sa main gauche n’était pas tout à fait aussi bonne qu’elle aurait dû l’être

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