Les Troyens d Hector Berlioz
218 pages
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Les Troyens d'Hector Berlioz , livre ebook

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Description

Le livret des "Troyens", que Berlioz écrivit lui-même, méritait à lui seul une étude détaillée. Contrairement à sa réputation paresseusement recopiée, il ne déçoit que ceux qui y cherchent ce qui ne s'y trouve pas. Sortant des voies battues du drame théâtral habituel avec ses nœuds et ses dénouements, il apparaît comme une authentique tragédie, d'une originalité totale en son temps. Celle de la nécessité implacable d'un destin qui écrase les hommes et de l'aveuglement que ces derniers lui opposent de façon dérisoire. Insupportable répétition d'enchaînements tragiques imposés d'en haut par des dieux essentiellement absents. Jusqu'à l'ultime sursaut de l'héroïsme humain, celui du rejet désespéré de ces dieux indignes. Berlioz, aux antipodes de Wagner, et aux côtés de Sophocle, de Shakespeare... et de Nietzsche.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 août 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342010893
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Troyens d'Hector Berlioz
Dominique Catteau
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Les Troyens d'Hector Berlioz
 
 
 
À la mémoire d’André Cluytens
 
 
 
Préface
 
 
 
Le livret d’opéra illustre d’une manière parfaite l’idée du beau au pluriel : il détermine le caractère de la musique (partition) dont il est à son tour marqué, il inspirera le chef d’orchestre, le metteur en scène, le décorateur, le costumier, et prendra sa place dans un espace textuel, musical, scénique, théâtral, lors d’une exécution. Le livret est un adjoint du compositeur, du chef d’orchestre et de tous les artistes appelés à réaliser un opéra.
Le beau du livret, un beau tout provisoire, reste unidimensionnel et monosémique si on le sépare de la partition et de son exécution ainsi que de la mise en scène, qui n’existent qu’au pluriel. Le livret devient rayonnant et multicolore dans sa double interprétation musicale et scénique.
Un texte de roman ne suppose pas l’interprète érudit, le critique, le spécialiste, l’universitaire, le lettré, il se contente du lecteur qui lui suffit : à l’opposé du livret et de sa musique qui nécessitent la mise en scène, la présence de l’orchestre avec son chef, les artistes, les chanteurs et cantatrices, les décorateurs…, le livret s’ouvre sur une partition et un espace théâtral rempli de voix et de décors, il ne peut pas se contenter d’un spectacle imaginé par un spectateur dans un fauteuil.
Musique et texte d’un opéra constituent un infini ouvert à un nombre indéfini de réalisations scéniques. Le livret est un non-finito dont le point final est une ouverture à mille mystères. Exécution musicale et scénique vont conférer au livret son prolongement indispensable. Il est une invitation à l’infini.
Le livret, souvent fondé sur une œuvre littéraire classique, fait toujours éclater son modèle avec lequel il ne rivalise pas, mais qu’il outrepasse. Le librettiste traite le modèle littéraire classique de carrière de marbre dont il ne débarde que la seule matière destinée à des sculptures en gestation. Le livret, plus que tout autre genre littéraire, est a priori polysémique et jouit dans ses multiples réalisations du privilège de la polyvalence et de la plurivalence.
Le Berlioz des Troyens fait éclater ses nombreux « modèles » (tels l’ Énéide de Virgile, l’ Iliade d’Homère, l’ Agamemnon d’Eschyle…) au profit d’une opposition manifeste à l’égard de ses « prédécesseurs ». Cassandre n’a pas été entraînée comme esclave sexuelle dans le harem d’Agamemnon, elle n’a point été le petit personnage secondaire tel que l’a imaginé et présenté le poète romain.
La discontinuité des mises en scène des Troyens ( La Prise de Troie et Les Troyens à Carthage ) de Berlioz (1863) renvoie à des problèmes complexes de réception et surtout de non-réception de cet opéra en France, dont la première française, complète et conforme à l’orchestration originale (édition Bärenreiter due à Hugh Macdonald en 1969), eut lieu à Paris en 2003. Phénomène unique dans l’histoire de la musique, d’autant plus que la réception de l’ouvrage (qui n’a suscité jusqu’à présent qu’une seule mise en scène homogène et convaincante, celle de Ruth Berghaus, à Francfort-sur-le-Main en 1983), est déterminée à la fois par un rejet catégorique et la proclamation enthousiaste « opéra national français ».
La mauvaise lecture du livret de Berlioz rend pratiquement impossible une histoire continue de mise en scène. Berlioz librettiste rédige son texte à une époque qui ne produit plus que très rarement de tragédie. Son ami Gustave Flaubert écrit avec Salammbô (1862) un roman que Berlioz aime à tel point qu’il se dit tenté d’en tirer un opéra, mais le musicien oppose à l’ami une création toute différente et originale de la matière troyenne. Alors que le travail de Flaubert suppose une volonté d’archéologue (il a visité Carthage que le musicien n’est jamais allé voir), Berlioz s’oppose à toute précision scientifique pour présenter sa vision tragique de civilisations vouées à l’échec, à la disparition, à la mort. Les personnages des Troyens sont des déracinés en fuite, des solitaires qui, au lieu d’obéir à une volonté personnelle, se soumettent eux-mêmes à une contrainte historique. Chez Berlioz, la refonte des mythes antiques a un caractère de pertinente dynamisation rarement soumis à une lecture et interprétation lucides. Avant le Richard Wagner du Ring – n’en déplaise à Claude Lévi-Strauss – il opère une analyse structurale des mythes virgiliens pour les faire aboutir à des évidences modernes. Les dieux des Troyens sont des dieux morts, l’opéra est fondé sur l’absence des dieux que les protagonistes ignorent ou méconnaissent. Les dieux « inexistants » des Troyens n’existent plus que dans les visions des personnages du livret, ils sont imaginaires, des projections suspectes, ils ne règnent plus que par appels et ordres diffus dont ils frappent les hommes. Les dieux trompeurs s’incarnent dans l’exercice d’une dictature de l’arrogance arbitraire et symbolisent une théologie négative dont le sens est mis en évidence par Berlioz : leur culte et l’amour humain sont incompatibles. Ces faux dieux ne végètent plus que dans les réminiscences humaines et Mercure, se faisant assister par les spectres des héros disparus, lance des appels à Énée, l’exhorte à quitter Troie et ensuite Carthage, pour aller fonder Rome en Italie. Hystérie tragique : Énée, qui sans cesse voit des spectres et entend des voix de l’au-delà dont il admet naïvement l’autorité redoutable et incontestable, un être non émancipé n’étant pas moins le contemporain de Charcot que celui de Nietzsche, est un personnage anti-héroïque dont la servitude volontaire suppose la disparition de Troie et de Carthage. Aveugle et tyrannisé par les dieux, il est responsable de la défaite et de la prise de Troie, responsable aussi de la future disparition de Carthage. Énée, victime volontaire des dieux cachés, sanguins et trompeurs n’est pas comme Cassandre ou Didon un personnage en révolte. Le crépuscule des dieux, plus radical chez Berlioz que plus tard chez Wagner dans le Ring , marque la fin d’une théologie du salut pour l’homme. Les dieux survivent aux hommes traqués dans l’imaginaire de leurs victimes, de leurs jouets – Cassandre et Didon en tête, personnages bien autrement dynamiques que chez les auteurs antiques. Parlons d’un affranchissement, d’une émancipation de mythes sclérosés, figés dont la partition et le livret se proposent de donner une analyse explosive et non pas réductrice. Énée « réduit » à un personnage anti-héroïque, porteur de responsabilité qu’il se montre incapable d’assumer, présente les traits d’un caractère d’opéra tout nouveau, à opposer au rôle établi et classique du ténor héroïque. Il délègue sa responsabilité politique à une superstructure métaphysique – et surannée.
Berlioz a souvent affirmé dans sa Correspondance son athéisme dont l’importance ne saurait être surestimée pour Les Troyens qui en portent l’empreinte. Il ne faut même pas que les dieux abdiquent, ils n’existent plus depuis longtemps, ils font encore parler d’eux dans l’imaginaire comme dans les dialogues des Grecs et des Troyens, en eux et dans leur superstition ils survivent et s’enivrent et s’engraissent de leur idolâtrie et de leur culte. La mise en scène doit en tenir compte, le texte exige une mise en scène visuelle qui traduise en images les conflits religieux et idéologiques, les constellations abstraites et philosophiques, tâche difficile, sans doute, mais que facilite aujourd’hui la technique (éclairage, projecteur, etc.) dont dispose tout théâtre moderne. Berlioz dramaturge fait apparaître les morts de Troie, complices des dieux factices, chargés de messages aussi diffus qu’irritants et destructeurs auxquels se soumet Énée qui, en accomplissant une mission « théologique et téléologique », se fait l’instrument d’une histoire avide de détruire et les villes et les soldats et les femmes sur lesquels sont fondés ses principes d’une illusoire et passagère stabilité. En proie à cette histoire de la désillusion et de la dévastation universelle : Cassandre et Didon, personnages destinés à guider deux peuples.
Les Troyens sont, bien entendu, un opéra féminin au sens moderne ( Frauenoper , dirait l’allemand, ce qui est plus concret), mais aussi, entre autres, le texte d’abdication, de détrônement des dieux haïsseurs des hommes. La synthèse du texte et de la partition est parfaite et, pendant la lente et laborieuse gestation de son œuvre, Hector Berlioz en était pleinement conscient, préoccupé à parfaire un Gesamtkunstwerk . Ainsi il notait, le 12 août 1856, dans une lettre adressée à la princesse Carolyne Sayn-Wittgenstein : « […] je viens de fourrager dans le jardin des deux génies [Virgile et Shakespeare, H.H.], j’y ai fauché une gerbe de fleurs, pour en faire une couche à la musique, où Dieu veuille qu’elle ne périsse pas asphyxiée par les parfums ».
La musique est le dialogue qu’entretient le compositeur avec son texte. Berlioz a fait dans son livret de deux villes des scènes d’action pour ne pas dire deux véritables protagonistes qui illustrent la nécessité fatale de civilisations fondées sur le principe de la destruction des civilisations précédentes.
La fondation de Rome suppose la chute de Troie et celle de Carthage mais aussi la mort tragique de Cassandre et de Didon, véritables holocaustes destinés à illustrer une vision nihiliste de l’histoire. Berlioz est le véritable fondateur de l’opéra urbain (en allemand

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