La musique du silence
136 pages
Français

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La musique du silence , livre ebook

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Description

1 J ’éprouve un léger embarras à l’idée de me confronter à nouveau à l’écriture, après lui avoir consacré de nombreuses et très agréables heures de ma jeunesse. Ma gêne naît surtout d’un manque réel de motivation, de l’absence d’un véritable prétexte. À l’époque, j’écrivais pour faire mes devoirs scolaires ; j’envoyais parfois une lettre à des amis lointains, ou je composais de courts poèmes et autres faiblesses d’adolescent. Mon intention, si cela peut constituer une justification suffisante pour un homme de mon âge qui s’improvise écrivain, est tout simplement d’occuper un peu de mon temps libre, d’échapper aux dangers de l’oisiveté en dévidant le fil d’une existence simple. Je confesse que ma préoccupation première n’est pas d’éviter à mon malheureux lecteur de bâiller à la lecture de ces pages malhabiles. Il pourra toujours lâcher ce livre et ne plus y penser. Tandis que j’écris, je sens deux yeux qui m’observent et fouillent mes pensées. Ce sont ceux d’un vieil homme au visage empreint de bonté, avec sur les lèvres ce léger sourire de qui connaît si bien la comédie de la vie qu’il en éprouve un léger ennui, un certain détachement. Les passions, sur le visage d’un vieil homme, ne se lisent plus, effacées pour toujours par la force inexorable du temps et l’œuvre impitoyable de la pensée. Cependant, cette physionomie sereine, enflammée peut-être par le feu des idées, me juge sévèrement.

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Informations

Publié par
Date de parution 13 septembre 2007
Nombre de lectures 2
EAN13 9782810403509
Langue Français
Poids de l'ouvrage 7 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

1

J ’éprouve un léger embarras à l’idée de me confronter à nouveau à l’écriture, après lui avoir consacré de nombreuses et très agréables heures de ma jeunesse.
Ma gêne naît surtout d’un manque réel de motivation, de l’absence d’un véritable prétexte. À l’époque, j’écrivais pour faire mes devoirs scolaires ; j’envoyais parfois une lettre à des amis lointains, ou je composais de courts poèmes et autres faiblesses d’adolescent.
Mon intention, si cela peut constituer une justification suffisante pour un homme de mon âge qui s’improvise écrivain, est tout simplement d’occuper un peu de mon temps libre, d’échapper aux dangers de l’oisiveté en dévidant le fil d’une existence simple.
Je confesse que ma préoccupation première n’est pas d’éviter à mon malheureux lecteur de bâiller à la lecture de ces pages malhabiles. Il pourra toujours lâcher ce livre et ne plus y penser. Tandis que j’écris, je sens deux yeux qui m’observent et fouillent mes pensées. Ce sont ceux d’un vieil homme au visage empreint de bonté, avec sur les lèvres ce léger sourire de qui connaît si bien la comédie de la vie qu’il en éprouve un léger ennui, un certain détachement. Les passions, sur le visage d’un vieil homme, ne se lisent plus, effacées pour toujours par la force inexorable du temps et l’œuvre impitoyable de la pensée. Cependant, cette physionomie sereine, enflammée peut-être par le feu des idées, me juge sévèrement. Sous son regard, je me sens ridicule, intimidé, et me révèle incapable de quoi que ce soit, alors que quelques minutes auparavant j’étais présomptueux, candide comme certains élèves qui se croient les dépositaires de vérités absolues, forts des deux notions de philosophie apprises sur les bancs du lycée. Je crois discerner une légère ironie sur le visage du bon vieux. Pourquoi n’est-il pas aussi indulgent avec moi qu’envers tous les autres ? Pourquoi me prend-il autant au sérieux ?
Que le lecteur bienveillant, qui aura peut-être deviné l’identité du bon vieil inquisiteur, sache que son regard implacable est toujours posé sur mes épaules, à tout moment de la journée. Il est l’instigateur de toutes mes actions, de toutes mes décisions.
2

J e suis dans l’une de mes nombreuses loges de théâtre : une cellule de trois mètres sur trois, dotée de deux fauteuils, un lavabo, un miroir, une table et une armoire. Elle n’est éclairée que par une seule petite fenêtre donnant sur la rue. Il est 14 heures et je vais rester enfermé ici jusque tard ce soir. On viendra bientôt m’appeler pour faire un essai, pour le maquillage. Et l’on m’apportera de l’eau, un café… La routine, en somme. C’est donc pour passer le temps que je commence ce récit. L’ordinateur est allumé. Il ne me manque plus que le sujet.
Il me faut prendre mes distances, mais c’est difficile. Je fais les cent pas dans la pièce, traquant des souvenirs, des nostalgies, des sentiments lointains. Soudain, à l’improviste, je revois un gamin en culottes courtes, maigre comme un coucou, les jambes tordues et couvertes de bleus et de croûtes, les cheveux d’un noir de jais, avec un visage aux traits assez réguliers et l’expression d’un petit monsieur je-sais-tout, antipathique ou sympathique, selon le point de vue. Si cela ne vous dérange pas, je vous parlerai de lui, car je le connais bien. Si bien que je pourrai même me permettre quelques commentaires sur lui, ainsi qu’un jugement sur ce qui a marqué sa vie, sur ses idées et ses plus importantes décisions. Et je le ferai en toute sérénité, avec une sagesse rétrospective.
Je crois pouvoir le définir comme un petit garçon normal, même si un peu hors du commun, car sa vie elle-même est un peu hors normes, en raison de faits connus de tous. Je dis « normal » dans le sens qu’il y avait en lui autant de qualités que de défauts. « Normal » aussi, malgré un handicap physique assez grave, dont il me faudra tenir compte. Je le ferai, après avoir donné un nom au héros de cette histoire.
Puisqu’un nom en vaut un autre, je l’appellerai Amos. C’était le prénom d’un homme envers lequel je nourris une profonde et éternelle gratitude, à qui je dois le peu que je suis. J’ai essayé, sans grand succès toutefois, de me conformer à sa façon d’appréhender la vie. C’est également le nom d’un de mes prophètes mineurs préférés : il m’est sans doute sympathique pour cette raison, et me semble convenir à un garçonnet qui, comme j’ai commencé à le raconter, souffrit d’une vue très réduite jusqu’à l’âge de 12 ans, puis la perdit complètement dans des circonstances malheureuses. Paniqué par cette situation nouvelle, il pleura pendant une bonne heure toutes les larmes de son corps et il lui fallut une semaine entière pour s’adapter. Par la suite, je dirais qu’Amos oublia l’événement, et put ainsi le faire oublier aux parents et aux amis. C’est tout ce qu’il convient de dire à ce sujet.
Sur le caractère d’Amos, en revanche, il faut être très précis, afin que le lecteur puisse juger en toute liberté de l’influence que cet événement eut sur son destin.
Sa mère racontait souvent, et avec force détails, les mille difficultés rencontrées pour élever son fils aîné, si turbulent, si imprévisible. « Je ne pouvais pas tourner le dos une minute sans qu’il fasse une bêtise ! » disait-elle.
« Il a toujours aimé le risque et le danger. Un jour, je le cherche, et je ne le vois pas. Je l’appelle, pas de réponse. Je lève les yeux et je l’aperçois sur le rebord de la fenêtre de ma chambre. Nous habitions au premier étage, et il n’avait pas encore 5 ans. Vous n’imaginez pas par où je suis passée ! Tenez… » Et la voilà qui recommence, tout excitée, avec son accent toscan et ses grands gestes. « Un matin, à Turin, je marche avec l’enfant dans une avenue du centre de la ville, à la recherche d’un arrêt de tramway. Je m’arrête au premier que je trouve, je jette un coup d’œil rapide à une vitrine, et quand je me retourne : plus d’enfant ! Mon sang se glace. Désespérée, je regarde partout… Disparu ! Je l’appelle… Pas de réponse ! Ne sachant que faire, j’ai alors l’idée de lever les yeux. Eh bien, est-ce qu’il n’était pas juché tout en haut du poteau indicateur d’arrêt du tramway ! »
« Attendez, ce n’est pas fini ! poursuivait-elle en interrompant les exclamations de stupeur de son interlocuteur. Dès les premiers jours, il n’avait pas d’appétit. Que de fois l’ai-je poursuivi partout, l’assiette à la main, pour lui fourrer dans la bouche une cuillerée de soupe : sur les tracteurs, sur les mobylettes des ouvriers… partout ! »
Si l’interlocuteur manifestait le moindre intérêt pour son histoire, l’infatigable signora Edi 1 , visiblement flattée, enrichissait alors son monologue de détails, certes authentiques, mais pas toujours indispensables, y ajoutant quelques fioritures dues à un amour immodéré pour l’hyperbole.
Je me souviens en particulier de la stupeur et de l’émotion sincère d’une vieille dame, à qui sa mère narrait l’enfance difficile du petit Amos. « Il avait à peine quelques mois, racontait-elle avec emphase, quand nous nous sommes aperçus qu’il ressentait une forte douleur aux yeux. Il avait de magnifiques yeux bleus… Peu après, une vraie douche froide : les médecins diagnostiquent un glaucome congénital bilatéral, une malformation qui condamne quiconque en est affligé à la cécité complète. Nous courons d’un médecin à l’autre, d’un spécialiste à un guérisseur (je n’ai nulle honte à en avoir consulté un !) Notre chemin de croix nous mène à Turin, dans le service d’un grand ponte, le professeur Gallenga. Nous avons passé des semaines entières dans cet hôpital : le petit était opéré fréquemment, dans l’espoir de lui conserver ne fût-ce que quelques dixièmes. Nous arrivions épuisés par le voyage, mais surtout accablés par la peur, l’incertitude, écrasés par notre impuissance face au destin injuste qui s’acharnait sur cette pauvre créature… Bref, mon mari repart le lendemain matin et je reste avec l’enfant. Le professeur, très compréhensif, avait mis une chambre à deux lits à notre disposition ; ainsi, nous avions des relations avec le personnel médical et paramédical (ce qui s’était révélé très utile, surtout les années suivantes, quand la vivacité de cet enfant commença à devenir vraiment ingérable). J’obtins même la permission d’apporter un vélo, pour que l’enfant se défoule un peu. »
À ce moment, la vieille interlocutrice, visiblement gagnée par l’émotion, interrompit le récit en s’exclamant : « Vous n’imaginez pas, madame, à quel point je vous comprends. Mais pardonnez ma curiosité : le petit a souffert longtemps de ces fortes douleurs aux yeux ? »
 
« Chère madame, si vous saviez… Nous ne parvenions pas à l’apaiser ! Un matin, après une nuit affreuse, passée en vain à chercher un remède, l’enfant se calme d’un coup. Il est difficile d’expliquer ce qu’il éprouvait à ce moment-là : une gratitude profonde envers tous et personne en particulier ; la béatitude d’un répit soudain au milieu d’une tempête épouvantable… Je m’efforce de comprendre la raison de ce calme inattendu, et j’espère de toutes mes forces qu’elle existe, pour pouvoir la saisir et la faire mienne. J’observe, je réfléchis, je pense à tout, mais je ne parviens à aucune conclusion. Soudain, je vois l’enfant se retourner sur un côté et presser ses petites mains sur le mur contre lequel est appuyé son lit. Un peu de temps passe, je ne me souviens pas combien, jusqu’à ce que je me rende compte d’un silence que je n’avais pas remarqué auparavant dans la chambre. Tout de suite après, l’enfant se remet à pleurer. Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui a cessé ? Peut-être est-ce ce silence qui a inquiété mon fils ? Me revoilà dans l’angoisse, mais peu après le petit se calme de nouveau. Et de nouveau, appuie ses mains sur le mur. Au comble d’une tension que je ne puis expliquer, je tends l’oreille et j’entends une musique provenant de la chambre voisine. Je m’approche, j’écoute avec une plus grande attention : c’est une musique que je ne connais pas, probablement de la musique classique, ou de la musique de chamb

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