Audimat N° 2
75 pages
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Description

Audimat éditions publie des textes critiques, sensibles et politiques, des contre-récits, de l'esthétique sauvage.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2023
Nombre de lectures 0
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

NUM. 2
Le spleen de l’argent chez Drake
Inside Rihanna
Trash metal noir : les RuRyders
Quelques idées reçues sur l’histoire de la house
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Quand le vinyle était soldé et le CD roi
Petite histoire de la caisse claire dans la pop
L’âge Vegas de la rave : l’EDM aux États-Unis
Une revue éditée par Les Siestes Électroniques
7 Le spleen de l’argent chez Drake — Mark Fisher
23 Inside Rihanna : — John Seabrook
51 Trash metal noir : les RuRyders — Julien Morel
63 Quelques idées reçues sur l’histoire de la house — La Fougère
85 Quand le vinyle était soldé et le CD roi — Gérôme Guibert
101 Petite histoire de la caisse claire dans la pop — Olivier Lamm
125 L’âge Vegas de la rave : l’EDM aux États-Unis — Simon Reynolds
ⅯⅯⅩⅣ
Édito Parce que nous ne voulons pas être considérés comme de gentils organisateurs. Les Siestes Électroniques, aussi agréables soient-elles, se donnent pour mission de faire découvrir sans avoir à convaincre, de susciter la curio-sité sans avoir à distraire. Parce que la musique n’est pas qu’une vibration de l’air, un simple phénomène physique, mais également un fait culturel qui, en même temps qu’il déclenche une émotion, véhicule une pensée. Parce qu’au-delà du business, de l’entertainment, qui sont toujours plus complexes qu’il n’y parait et qui demandent à être décryptés, l’éco-système musical est aussi le fruit d’une nécessité sociale. Avec Audimat, Les Siestes Électroniques, festival des musiques aventureuses, sont très heureuses de mettre en discours leurs explorations et de participer ainsi à la réflexion autour de la pop music au sens large.
Samuel Aubert Directeur de publication de la revue Audimat Directeur du festival Les Siestes Électroniques
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Le spleen de l’argent chez Drake
Mark Fisher
Mark Fisher
Si vous n’avez jamais ressenti une profonde mélancolie à l’écoute d’un refrain RnB ultra hédoniste, vous manquez peut-être quelque chose de l’époque. Depuis quelques années, une sorte de « spleen de l’argent » gagne une par-tie du rap américain. Universitaire britannique et collabo-rateur de la revueThe Wire, Mark Fisher y voit une nou-velle étape dans l’histoire du gangsta-rap, en même temps qu’une manière de révéler les limites d’une idéologie du capitalisme comme unique modèle de société raisonnable (le « Capitalist Realism», du nom de son ouvrage paru en 2009 chez Zero Books).
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Le spleen de l’argent chez Drake
Il y a une scène vraiment marquante dansFunny People. Judd Apatow a centré son film sur la relation entre un comédien au sommet, George Simmons (Adam San-dler), et son jeune protégé, Ira Wright (Seth Rogen). La scène en question se passe dans le garage de Simmons ; Wright y découvre un tas de produits technologiques der-nier cri, empilés comme dans une déchetterie. Simmons lui explique sans détour qu’il n’a acheté aucun de ces objets et qu’il peut en faire ce qu’il veut.
Le message délivré est terrible : être riche ne coûte rien ; plus on est riche, moins on dépense. La scène est d’une tristesse déchirante, même si cette tristesse est ressen-tie par le spectateur plutôt que par les deux person-nages en présence. Pour être plus précis, on pourrait dire que cette tristesse naît de notre perception de la dié-rence d’attitude entre les deux personnages: Simmons est nonchalant, alors que Wright a l’air d’un gamin dans la caverne d’Ali Baba. Tout se passe comme si on perce-vait à la fois un profond désir et le sentiment de tristesse poignante qui suit sa satisfaction. Les objets que Wright désire encore ardemment ne sont plus que des ordures sans intérêt pour Simmons ; l’indiérence de ce dernier ternit l’enthousiasme naïf de Wright, il le gâche à l’avance.
Funny Peopleest défini par une série d’hésitations et de contre-pieds. On pense d’abord assister à la transfor-mation d’un homme cynique, qui apprend la vraie valeur de la vie le jour où on lui diagnostique une grave mala-die, puis on se demande si le film ne concerne pas plutôt un libertin qui vit une épiphanie et réalise l’importance de l’amour et de la famille. Mais à chaque fois que le film semble pencher en faveur d’une de ces hypothèses atten-
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Mark Fisher
dues, Apatow fait machine arrière. Le nihilisme hédoniste de Simmons refait surface; la peur de mourir ne sut pas à anéantir les mauvaises habitudes de toute une vie ; sa tentative de retrouver l’amour perdu est absurde. Sim-mons est évidemment mal dans sa peau, mais il ne chan-gerait pour rien au monde. Loin d’apaiser son dilemme existentiel, son incroyable richesse le prive de tout moyen de s’en sortir.
J’ai souvent pensé àFunny Peoplelorsque j’ai écouté pour la première fois l’album de Drake sorti en 2013,Nothing Was The Same, et ce avant même de réaliser qu’un extrait du film avait été intégré au disque. L’album de Drake et le film d’Apatow sont tous les deux caractérisés par la même ambivalence, à savoir d’un côté le désir de devenir un homme nouveau, capable d’aimer et de faire confiance (avec un personnage féminin comme vecteur de la transformation bien sûr), et de l’autre l’assurance de ne jamais changer, de continuer à boire, fumer, bai-ser. La musique de Drake est parcourue par une mélan-colie associée au succès lui-même.
e Le tournant décisif dans le rap duXXIsiècle a sûrement été opéré par Kanye West avec808s and Heartbreaken 2008. Même si la cause de son chagrin était personnelle (une rupture amoureuse et la mort de sa mère), West l’explique aussi par le fait d’être « seul au sommet ». Tout comme Drake, Kanye semble obnubilé par l’exploration morbide de la vacuité qui règne au cœur d’un hédonisme poussé à l’extrême. Ils ne sont plus motivés par ce qui a toujours prévalu dans le hip-hop, à savoir consommer un maximum (tous les deux ont eu depuis longtemps tout ce qu’ils pouvaient désirer) ; Kanye et Drake louvoient entre
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Le spleen de l’argent chez Drake
des plaisirs forcément superficiels avec un mélange de frustration, de colère et de dégoût de soi, conscients que quelque chose leur manque sans être certains de ce dont il s’agit. Le spleen de l’hédoniste – un sentiment aussi répandu qu’il est tu – n’a jamais été aussi bien chanté que par Drake, blasé : « We threw a party/Yeah, we threw a party » (1) dans « Marvin’s Room» surTake Care.
On retrouve le même sentiment désabusé surNothing Was The Sameet sur deux morceaux en particulier. Le premier est le single à succès « Started From The Bot-tom » ; le second est lebonus track, « All Me » (c’est d’ailleurs ce morceau qui inclut un extrait du dialogue deFunny People). On pourrait voir « Started From The Bottom» comme un classique du rap qui se la raconte : on a commencé en bas de l’échelle, maintenant on est au sommet. Mais le morceau est parcouru de vacille-ments qui le tirent vers le bas. Au lieu de traduire l’exal-tation d’avoir réussi, le morceau est lourd d’une tristesse infinie, exprimée par la voix blanche de Drake et la gra-vité des basses profondes.
« Started From The Bottom» invite aussi à la dérision, parce que Drake, fils d’une prof et d’un batteur de Toronto, n’a pas vraiment eu à galérer pour sortir de la rue. Enfant star – il a joué dans la série télé canadienneLes années collège (Degrassi High) –, on a toujours attendu de lui qu’il soit au top. Pourtant, dans ce morceau, Drake parle à la deuxième personne du pluriel : « started from the bottom, now we here » (2). Qui est ce « on » ? On pense évidem-ment à soncrew, « l’équipe au complet » à laquelle il fait référence dans le morceau. Mais est-ce qu’on ne pour-rait pas aussi percevoir ce pluriel comme une référence
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