Au cœur des villes
92 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Au cœur des villes , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
92 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Que faire face aux villes-dortoir, déshumanisées et déréglées ? Face aux tours en ruines, aux terrains vagues rackettés et aux déserts de béton ? Cesser de combler les fissures apparentes des banlieues, et agir désormais au cœur des villes, dans cet espace commun, qui doit assumer les échanges et symboliser une identité. Jean-Louis André, normalien, est journaliste. Il a notamment publié, en collaboration avec Ricardo Bofill, Espaces d'une vie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 1994
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738164131
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

D U MÊME AUTEUR
Le Passant de Paris ,
Éd. Lattès, 1991.
 
 
En collaboration
 
Espaces d’une vie ,
Éd. Odile Jacob, 1989.
© O DILE J ACOB , MAI  1994 15, RUE SOUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN  : 978-2-7381-6413-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Introduction

Je me souviens d’une femme assoupie au fond d’un bus lancé sur la voie rapide d’une banlieue en chantier. La nuit venait de tomber. Je cherchais un lieu pour m’arrêter, dîner, sortir et dormir ici sans avoir à repasser les boulevards. Après tout, il y avait dans les cités dortoirs que j’avais visitées plus d’habitants qu’à Arles ou à Agen. De quoi faire une petite ville, assurément. À cette femme donc, je demandai le centre. C’était une étrangère, installée en France depuis cinq ans. Elle m’indiqua le prochain arrêt : Centre commercial.
Voilà tout ce qui reste, à quelques centaines de mètres de nos hôtels de ville, de la convivialité. Passé les faubourgs, ce qu’il nous faut bien considérer comme la ville n’offre plus rien pour vivre ensemble. En d’autres temps, cette femme aurait trouvé une place publique pour se fondre dans la foule, un clocher pour se repérer, des rues pour flâner. Elle aurait fait l’expérience d’une communauté. Citadine, elle serait deve nue, peu à peu, citoyenne. Aujourd’hui, au pied de son immeuble, elle ne fréquentera, dans le meilleur des cas, que le « local » d’une association. En guise de rues, elle ne connaîtra qu’une galerie marchande débitant à coups de codes barres des couches-culottes et des yaourts allégés.
La ville en crise : on en parle, surtout lorsque flambent ses banlieues. Le monstre est, conclut-on, malade de ses extrémités et l’on nomme dans la foulée un ministre qui se penchera au chevet des banlieues fiévreuses. Mais comment va le cœur ? La question paraît presque insolente. Des tours en ruine, des terrains vagues rackettés, des déserts de béton, et l’on voudrait encore soigner ces centre-villes déjà si polis ? Trop d’élus l’ont déjà fait : c’est si facile de séduire ainsi les électeurs.
Et pourtant, si la crise d’identité que traverse notre civilisation trouvait son origine dans le dérèglement des rapports du centre au reste de la ville ? Si l’on acceptait de considérer comme un tout l’espace urbain tel que nous le lèguent trente ans d’expansion accélérée ? Les espaces périphériques sont dégradés, c’est vrai. Mais il est encore plus inquiétant de voir les mouvements humains se gripper. Comme de lointains provinciaux, les enfants de La Courneuve ne connaissent de Paris que les Champs-Élysées, la tour Eiffel ou, plus grave encore, Aquaboulevard. Faute de références plus larges, leurs aînés vivent l’espace à l’échelle de leur cité. Au-delà de deux blocs de béton, c’est l’inconnu, l’ennemi. Bataille rangée, combats de clans, Garges contre Sarcelles…
Le plus inquiétant, c’est que ces jeunes-là n’ont même plus l’impression d’être privés de centre comme le furent leurs parents, contraints à l’exil pour trouver des appartements grands comme leur famille. Eux n’ont jamais connu d’autres modes de ville. Ils ont pris l’habitude d’encaisser les cris de la gardienne quand ils se réunissent trop nombreux dans les cages d’escalier et de bricoler des playground dans les terrains vagues pour jouer au basket. Ils ont perdu les repères de toute civilisation urbaine, consommant ainsi les fractures de notre société.
Paradoxalement, cet effritement de la communauté urbaine s’accompagne d’une renaissance des centre-villes. Ces derniers sont conceptuellement et matériellement réhabilités. Le temps n’est plus aux utopies qui prétendaient inventer de nouvelles organisations en glorifiant les Cités radieuses ou les alignements de pavillons à l’infini. On montre volontiers du doigt les villes américaines, qui ont imprudemment laissé leurs centres dégénérer en down town aujourd’hui livrés à la violence et aux affrontements communautaires. Les chiffres donnent raison à ce revirement idéologique : en France l’hémorragie de la population des centres semble pratiquement enrayée.
D’un côté des centres qui se renforcent, de l’autre une banlieue qui ne s’y reconnaît plus. Voilà qui met en question toute la tradition de la ville européenne, et plus précisément méditerranéenne, qui faisait du centre le territoire commun autour duquel se fédérait l’ensemble de la communauté. Mais si les centres ne réussissent plus à rassembler l’ensemble d’une ville, c’est peut-être qu’il y a confusion, tromperie sur la qualité. Nos centres restaurés auraient-ils sacrifié aux apparences ?
« Le centre de nos villes est toujours plein, écrivait Roland Barthes ( L’Empire des signes , Skira, 1993). Lieu marqué, c’est en lui que se rassemblent et se condensent les valeurs de la civilisation : la spiritualité (avec les églises), l’argent (avec les banques), la parole (avec les agoras, cafés et promenades)… » Autrement dit, le centre est par sa position géographique à la croisée de tous les chemins, ce qui lui donne vocation à rassembler services et équipements. Mais il est surtout le lieu où se donnent en représentation les valeurs communes de la cité.
Nous devons donc nous interroger sur ce que nous donne à voir aujourd’hui le centre des villes. Certes, il demeure en général une grande scène de théâtre urbain. Mais si la pièce est écrite par une minorité, elle laissera de marbre tous ceux qui ne s’y retrouvent pas. Si son langage est perverti au point qu’atelier veut dire loft et qu’hôtel particulier signifie copropriété, qui s’en laissera conter ? Redonner corps à la cité, c’est donc dissiper les malentendus, repérer pour les abattre les barrières qui ont, insidieusement, remplacé les octrois et les remparts. Bref, faire en sorte que les habitants d’une même ville puissent non seulement cohabiter et se rencontrer mais surtout se reconnaître dans un espace partagé.
Première urgence : recomposer le tissu urbain. Nous avons la chance d’échapper aux taux de croissance urbains des pays du tiers-monde. Malgré une indéniable carence de logements sociaux, nous n’avons plus à accueillir en masse des populations déracinées par l’exode rural. Grossièrement finie, l’aire de la ville peut à présent être traitée dans son ensemble. Certes, les centres doivent encore grandir pour se mettre à l’échelle des entités urbaines déjà constituées. Mais à leurs côtés nous avons également à façonner le reste de la ville. C’est en observant le mode de fonctionnement des centres que nous parviendrons peut-être à définir une centralité appliquable à la périphérie. Les quartiers de banlieue peuvent-ils, aujourd’hui, acquérir cette centralité complémentaire du centre qui les fédère ?
Second défi : éviter que ne se creusent les fossés au sein de l’espace urbain. Pour être pratiqués par tous, les centres doivent rester des « concentrés » de ville. Il faut donc qu’y subsistent des populations et des activités à l’image du reste de la cité. Traditionnellement, le centre n’était jamais mièvre. Il suffisait de traverser une rue pour changer de classe sociale : le centre était un point d’équilibre sous tension entre les extrêmes de la société. On y trouvait en outre des équipements sociaux, religieux, administratifs et culturels qui justifiaient la convergence en ses murs de toute la périphérie. À la suite de phénomènes qu’il nous faudra élucider, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Faut-il pour autant faire du centralisme à outrance en rapatriant les activités éparpillées aux quatre coins de la ville ? Peut-on renforcer le centre sans affaiblir encore la banlieue ?
Dernier impératif : retrouver ce qui fait la personnalité de chaque ville. Pour qu’une communauté urbaine, étendue parfois sur plusieurs kilomètres, puisse s’identifier à un clocher, il faut que ce clocher ne ressemble à aucun autre. Or, tout pousse les villes à gommer leurs aspérités. Le TGV les relie de centre à centre. Tours n’est pas plus loin de Paris que Neuilly de la Bastille. Ainsi rapprochées, les villes n’ont plus qu’à se faire oublier. Leur logique est celle d’un Novotel, qui propose délibérément, d’une étape à l’autre, des chambres identiques. Mêmes services qu’à côté pour ne pas dépayser ce nomade moderne qu’est le cadre en déplacement. Comment, dans ces conditions, un centre peut-il réussir à fédérer l’imaginaire de la ville ?
Durant quatre ans, j’ai parcouru la plupart des grandes villes françaises avec ces questions en tête. Promeneur, je me suis laissé porter par l’esprit des lieux. Enquêteur, j’ai écouté les portraits de villes au futur que m’ont dressés les maires et leurs architectes. Sur place, j’ai rapproché ces théories et ces projets des réalités vécues. Au-delà des histoires et des sensibilités locales, je n’ai pas tardé à constater que nos villes sont toutes confrontées aux mêmes difficultés. Quelle place, demain, pour les voitures et les piétons ? Comment reconquérir les berges des fleuves ? Les étudiants vivront-ils mieux en ville ? Quel avenir pour les vitrines des commerçants ? Les politiques engagées divergent. Les résultats aussi. Mais chacun de ces choix dessine l’avenir de notre communauté urbaine. C’est pourquoi j’ai eu envie de les confronter.
Les centres sont-ils encore au centre ?

C’est comme si les villes se sauvaient…
Impossible de mettre la main dessus…
Jacques Prévert, Spectacle .
   

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents