Le Retour de la guerre
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Description

Une guerre comme celles qu’a connues le XXe siècle est-elle de nouveau possible ? «  Paix impossible, guerre improbable  », écrivait Raymond Aron en 1947 à propos de la guerre froide. Mais qu’en est-il aujourd’hui alors que les théâtres de conflits se multiplient au Moyen-Orient et surtout en région indo-pacifique ? Qu’en est-il alors que les grandes puissances n’hésitent plus à prendre le risque de la guerre, qu’il s’agisse de l’aventurisme militaire de la Russie ou de l’affirmation de la puissance chinoise en mer de Chine du Sud ? Dans cet essai, bref et percutant, François Heisbourg montre que l’ombre de la guerre est désormais bien présente, des forever wars à la lutte idéologique que se livrent les États-Unis et la Chine en passant par la cyberconflictualité. Quant aux armes de la guerre, elles concourent à l’instabilité ambiante en fragilisant la dissuasion nucléaire. Déclassé, humilié, déboussolé par la pandémie, notre continent, et avec lui notre pays, aura fort à faire pour défendre ses intérêts et ses valeurs. François Heisbourg est conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et a présidé l’International Institute for Strategic Studies de Londres et le Centre de politique de sécurité de Genève. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 octobre 2021
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738157126
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2021
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5712-6
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Prologue

En ce 10 juin 2020, le « pacha » de la frégate Courbet était vraisemblablement trop occupé pour se livrer à des spéculations intellectuelles sans rapport avec sa mission du moment. Pourtant, il y avait de quoi se poser des questions sur le retour de l’histoire. Par exemple, celle de la farce passablement sinistre de la « non-intervention » pendant la guerre civile d’Espagne durant laquelle la France, l’Italie et le Royaume-Uni prétendaient avec plus ou moins de vigueur empêcher l’arrivée d’armes entre les mains des belligérants locaux. Il ne fallait pas compter sur la marine italienne pour empêcher l’approvisionnement des forces franquistes, ni a fortiori gêner en quoi que ce soit l’action des 75 000 « chemises noires » du Corps des troupes volontaires dépêché en Espagne par Mussolini ou celle des aviateurs de la légion Condor allemande. D’ailleurs, les sous-marins italiens coulaient clandestinement les navires marchands étrangers affrétés par la République espagnole : c’était plus radical et plus discret qu’un arraisonnement au vu de tous, en gants blancs sur les flots bleus. Dans l’Atlantique, la Royal Navy interceptait sans état d’âme les armements soviétiques destinés aux « Rouges » cependant que l’ami Franco assurait son intendance via le Portugal voisin. Les Français tantôt laissaient filer les matériels de guerre vers la République, tantôt les bloquaient au gré des changements de gouvernement à Paris ou selon les intérêts diplomatiques du moment.
C’est en somme ce qui se passait avec la Libye. À partir de 2019, cet immense pays pétrolier est l’objet de luttes concurrentes entre le gouvernement de Tripoli, reconnu par l’ONU et dirigé par Fayez al-Sarraj et les forces rebelles du maréchal Khalifa Haftar basé en Cyrénaïque. Le premier est soutenu par un corps expéditionnaire turc, les services spéciaux et l’argent du Qatar, cependant que le second est appuyé par la Russie qui y a dépêché les soldats de la société militaire privée Wagner, l’aviation et l’argent des Émirats arabes unis et les services de l’Égypte voisine. Chaque camp a recruté des milliers de mercenaires, soudanais, érythréens et surtout syriens. Pour simplifier le tout, des groupes armés, dont les restes de la branche locale de Daech, ainsi que les Toubbous du Sud libyen sont actifs. Les Européens, comme d’habitude, sont divisés. Les Français en particulier essayent de jouer dans les deux camps, ce qui n’est pas de nature à inspirer confiance. Pour alimenter la guerre, les armes de toutes origines sont acheminées par air et par mer, nonobstant l’embargo du Conseil de sécurité sur les armes à destination de la Libye. Comme pendant la guerre d’Espagne, cet embargo est d’application hautement sélective. Ainsi, tout en prétendant appliquer l’embargo de l’ONU, il n’était évidemment pas question pour la Russie de priver d’équipements les « wagnériens » soutenant le camp du maréchal Haftar, ce matériel étant livré par les avions de transport de l’armée de l’air russe décollant souvent des bases russes en Syrie. La France n’allait pas gêner l’aide de ses alliés émiriens en lutte contre les forces du gouvernement de Tripoli, cependant qu’elle protestait contre les livraisons turques. Quant aux Turcs, ceux-ci armaient le gouvernement de Tripoli alors que l’Otan, dont la Turquie est membre, avait engagé l’opération « Sea Guardian » pour sauvegarder les côtes libyennes contre les trafics d’origine diverse. C’est d’ailleurs à cette mission que participait le Courbet .
Notre capitaine de vaisseau pouvait aussi s’interroger sur cette appellation de « pacha » dont on gratifie en France le commandant d’un navire, titre seigneurial ottoman qui a certes plus de panache que les alternatives également courantes mais plus familières du type « le vieux » ou « tonton » : mais cette tradition ne manquait pas de sel alors qu’en ce moment précis le Courbet était pris pour cible par un navire de guerre turc, l’ Oruç Reis .
Depuis le 9 juin, le Courbet voulait inspecter un cargo affrété en Turquie sous pavillon tanzanien, le Cirkin , qui avait la fâcheuse manie d’éteindre sa balise de localisation, alors qu’il transportait une cinquantaine de conteneurs censément remplis d’aide humanitaire. Ce bateau riche de bonnes intentions était escorté par l’ Oruç Reis , belle frégate de fabrication allemande à peine moins moderne que l’excellent Courbet . Une frégate grecque, le Spetsaï , qui opérait dans le cadre de l’opération européenne « Irini » d’application de l’embargo, venait sans succès de tenter d’arraisonner le cargo turc ; la même mésaventure était arrivée à la frégate italienne Carabiniere agissant elle au nom de l’Otan. Dire que le secteur était compliqué serait une litote, d’autant qu’un avion de patrouille maritime américain Poseidon volait dans les parages. Au tour des Français de jouer…
Le Courbet était-il dangereusement insistant, comme le prétendra par la suite Ankara, ou la Turquie cherchait-elle délibérément l’incident avec la France ?
Toujours est-il, selon Paris, que le navire de guerre turc « éclaire » le Courbet avec son radar de conduite de tir : c’est l’équivalent en mer de ce que peut être le spot laser dont un sniper va illuminer sa victime dans l’instant qui précède le tir.
Mieux valait donc que le « pacha » du Courbet ne se trompe pas dans son évaluation. Fort heureusement, chacun conservera son sang-froid : le Français ne tire pas et le commandant turc ne passe pas à l’acte.
Mécontente du refus de l’Otan de défendre le dossier français alors que la frégate turque opérait en dehors du cadre otanien, la France cessera de participer à « Sea Guardian » à partir du 1 er  juillet 2020. En septembre, l’Union européenne impose des sanctions à la société turque Avrasya Shipping dont relevait le Cirkin , pour violation de l’embargo.
Peu après, un cessez-le-feu intervient en Libye en octobre 2020 sous l’égide de l’ONU, avec l’établissement d’un nouveau gouvernement dirigé ni par Sarraj ni par Haftar. Ni la Turquie ni la Russie n’ont retiré leurs forces du terrain.
 
 
Certes, la Libye n’est pas unique dans son genre. La Syrie ou le Yémen sont le théâtre de conflits dans lesquels les belligérants majeurs ou secondaires, locaux ou étrangers, publics ou privés, aux motivations multiples s’affrontent dans des luttes aussi sanglantes que complexes et confuses. Tout cela peut de surcroît paraître bien loin des préoccupations non seulement des Européens mais de la plus grande partie d’une planète pour laquelle 2020 était surtout l’année de la pandémie de coronavirus.
Certes encore, d’autres « laboratoires » politico-militaires ont existé dans l’histoire, dont la guerre d’Espagne a peut-être été le contre-exemple le plus atroce. Mais la guerre d’Espagne, comme celle des Boers au tout début du XX e  siècle, n’ont pas causé la guerre mondiale qui s’est ensuivie dans ces deux cas.
Certes enfin, les risques inhérents au type de face-à-face qui a opposé le Courbet à l’ Oruç Reis sont considérables. Cependant, la guerre peut être évitée tant que le contexte ne se prête pas à une déflagration provoquée par un incident, fût-il majeur mais circonscrit : tous les attentats ne ressemblent pas à celui qui s’est produit à Sarajevo le 28 juin 1914 et tous ne provoquent pas une guerre mondiale.
 
Malheureusement, il n’est ni prudent ni juste de s’en tenir à ces mises en perspective qui se veulent rassurantes.
Ce qui paraît rassurant ne l’est pas tout à fait. La Libye est aux portes de l’Europe occidentale. Bonifacio est plus près de Tripoli que de Lille. Même à l’ère du cyberespace sans frontières, la géographie continue d’avoir son importance. On ose par ailleurs à peine imaginer ce que serait pour l’Europe une éventuelle « libyanisation » ou « syrianisation » de l’Algérie ou du Maroc. Par ailleurs, tout comme ce fut le cas pendant les premières vagues de la pandémie de grippe dite « espagnole » en 1918, c’est-à-dire en pleine guerre mondiale, le fait est que l’on peut subir deux malheurs à la fois, en quelque sorte et la peste et le choléra. Dans la Tunisie voisine de la Libye, et pour laquelle existent des données épidémiologiques raisonnablement fiables, le nombre de morts de la Covid était de près de 21 000 début août 2021, soit environ 1 700 décès pour 1 million d’habitants.
L’engagement des grandes puissances dans la guerre d’Espagne n’a pas causé la guerre mondiale qui s’est ensuivie, mais il l’a préfigurée, idéologiquement et militairement. Ce conflit montrait que les digues morales, politiques et stratégiques à un conflit général en Europe pouvaient être balayées. Un processus similaire se déroulait en Asie avec la guerre sino-japonaise embrasant la Chine tout entière quatre ans avant Pearl Harbor et l’extension de la Seconde Guerre mondiale à l’ensemble de la planète. C’est à une levée similaire des censures que nous commençons à assister. Comme dans le théâtre espagnol de 1936, les conflits dans notre région méditerranéenne démontrent que la guerre reste ou est redevenue l’ ultima ratio des peuples et de leurs dirigeants, n’en déplaise à ceux qui dressent le tableau d’une humanité en voie de pacification. Cela vaut pour l’espace eur

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