L Hégémonie contestée
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L'Hégémonie contestée , livre ebook

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Description

Depuis que l’Amérique de Trump a fait savoir qu’elle privilégierait ses propres intérêts (America first !), tous les regards se sont tournés vers la Chine : va-t-elle se substituer aux États-Unis et incarner une nouvelle forme d’hégémonie mondiale ? L’ordre international n’a-t-il pas besoin d’un leader, si possible bienveillant ? Avec ce livre, Bertrand Badie fait un sort à ce vieux concept des relations internationales. Pour lui, l’hégémonie est un mythe, car elle suppose une adhésion réelle et consentie, à l’image de la ligue de Délos formée par les cités grecques autour d’Athènes. Or une étude attentive de l’histoire montre que l’hégémonie ne s’accomplit jamais sans ambiguïté. Pis encore, elle conduit les puissances à s’aveugler sur le rejet qu’elles suscitent, nourrissant ainsi les mouvements qui peuvent les balayer. La banalisation de la posture contestataire – Erdogan, Poutine… – marque non la disparition de l’hégémonie, mais plutôt son inconsistance. Un essai brillant et profond qui nous invite à considérer d’un œil nouveau les désordres actuels du monde. Professeur des universités à Sciences Po Paris, Bertrand Badie s’est imposé comme l’un des meilleurs experts en relations internationales. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages qui font référence, dont Le Temps des humiliés paru aux éditions Odile Jacob. Il codirige L’État du monde depuis douze ans.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 octobre 2019
Nombre de lectures 12
EAN13 9782738149350
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE 2019 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4935-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Introduction

Le 13 novembre 2013, la diplomatie française s’apprêtait à clore une année chargée qui l’avait projetée au centre de l’arène internationale. L’aventure avait commencé en janvier avec l’intervention militaire au Mali ; elle s’était prolongée, tout différemment, lorsqu’en août, le Parlement britannique, puis surtout le président des États-Unis, Barack Obama, avaient décidé de ne pas intervenir en Syrie, suite à l’usage d’armes chimiques par l’armée de Bachar el-Assad : le président français François Hollande se retrouvait alors bien seul. Laurent Fabius, son ministre des Affaires étrangères, saisit l’occasion du quarantième anniversaire du CAPS (Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère dont il avait la charge) pour dire son émoi, même son effroi devant le « désengagement » de la superpuissance. Le discours était fort, à la mesure de l’inquiétude exprimée : il y était question d’un phénomène « durable », d’une opinion américaine « isolationniste », du « vide stratégique » qui en dérivait, de « crises majeures livrées à elles-mêmes », d’« incertitudes », « attisant les concurrences entre acteurs en conflit », « déstabilisant les États » de la région, suscitant « l’inquiétude », mais aussi la « suspicion sur les intentions réelles » de Washington. Il parlait même d’« atteinte à la crédibilité globale des pays occidentaux » et, continuant sur sa lancée, allait jusqu’à affirmer que la « communauté internationale » et les « normes internationales » en étaient affectées…
Le séisme était donc puissant ou du moins jugé tel par l’un des plus hauts responsables de la diplomatie d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité. Avec un art accompli de la synthèse, toutes les vertus prêtées à l’hégémonie étaient, du même coup, énumérées dans une fiévreuse rigueur : stabiliser les États, soutenir la communauté internationale, garantir les normes, protéger le camp occidental, réduire les incertitudes, contenir les crises majeures. Mieux encore, le discours dessinait les spectres qui guettaient les prochains orphelins nés de cette page qui se tournait : impuissance, désordre, vide stratégique, crises livrées à elles-mêmes… L’année 2013 risquait de marquer la fin d’un monde et carrément même le retour à l’anarchie ! Et pourtant, peut-on penser que les décennies précédentes avaient été si rassurantes et vertueuses, l’hégémonie si performante, les États menacés de déstabilisation si bien consolidés, les crises si bien contenues ? La communauté internationale, ses normes et ses pompes avaient-elles été revigorées par les bienfaits d’une domination américaine devenue sans partage depuis la chute du Mur ? Cette fameuse hégémonie a-t-elle jamais démontré, une seule fois dans l’histoire, et dans sa durée, la force de ses vertus ? Osons même nous demander si elle a jamais existé dans les chroniques, quelle que fût son incarnation, américaine ou européenne, au-delà du mythe qui lui sert de compagnon depuis des siècles ?
On sait que la puissance a toujours été l’obsession facile des internationalistes, qu’ils fussent philosophes, historiens ou politistes, praticiens, princes, diplomates ou militaires. Le concept se voulait même fondateur de notre modernité politique et revendiquait le rôle ambitieux de solution universelle comme garant de la souveraineté, condition du succès diplomatique, facteur de victoire. Mais l’idée plus particulière d’hégémonie nous fait entrer dans un domaine déjà plus subtil : elle est plus complexe, plus difficile à saisir, même si le vocable est presque aussi largement sollicité. Elle ne fait sens que par rapport à un monde, total ou partiel, déjà organisé et hiérarchisé : on peut être puissant tout seul, mais on est toujours l’« hégémon » (le chef) d’un groupe, d’une région, voire de la planète tout entière, dès lors que pointe le temps de la mondialisation.
Les États-Unis sont ainsi, depuis plusieurs décennies, au centre même du débat, incarnant l’hégémonie la plus poussée qui soit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tour à tour accusés d’en être le modèle accompli et critiqués pour manquer à leurs obligations. Les images se brouillent à mesure qu’elles mêlent les cortèges dénonçant l’impérialisme américain et les rhétoriques effrayées de ces ministres européens qui, la larme à l’œil, constatent que les États-Unis ne remplissent plus leur fonction de garant de l’ordre mondial. L’élection de Donald Trump a même mené plus loin : America first claque comme un slogan appelant à s’occuper de soi avant de dominer les autres, de faire de la puissance un moyen de gagner avant même de régner sur ses semblables ou de gérer l’ordre mondial.
Qui règne, d’ailleurs ? Un État sur tous les autres ? Une idéologie ? Un modèle ? Des intérêts précis ? Des valeurs ? Est-ce vraiment réaliste de le croire et sérieux de le penser ? Suffit-il d’avoir de la ressource pour contrôler le monde et ce contrôle est-il gagnable par la force ? L’influence ? La persuasion ? L’attraction ? A-t-on jamais vécu un tel accomplissement ? Boire du Coca-Cola n’a jamais conduit à soutenir la politique américaine : nous le savons depuis longtemps ! Mais aujourd’hui, le tableau se défait : cette mondialisation forgée en bonne partie aux États-Unis devient au contraire la cible privilégiée de leur nouveau prince. De puissance hégémonique, les États-Unis se sont transformés, en l’espace d’une élection, en puissance contestataire, fustigeant pêle-mêle la mondialisation, le multilatéralisme, voire la coopération et, a fortiori , la solidarité. À mesure qu’on progresse dans le III e  millénaire, bien des principes tenus pour éternels semblent s’inverser de manière surprenante : une contre-hégémonie, complexe et multiforme, l’emporte sur l’hégémonie, la contestation sur la domination, la puissance destructrice sur celle qui construit et invente, l’instabilité hégémonique sur la stabilité que devait garantir le « leader bienveillant »… La vertu aurait-elle changé de camp ou a-t-elle tout simplement dévoilé son imposture ?
En fait, l’hégémonie a son histoire, longue et complexe, jusqu’à l’ambiguïté. De ce temps exceptionnellement long, le concept a gardé cette élasticité et cette polysémie qui font tant souffrir les étudiants en relations internationales. Thucydide en fit grand usage pour décrire la ligue de Délos (478 avant J.-C.) et la guerre du Péloponnèse (dès 460 avant J.-C.), conférant à l’idée, dès sa naissance, cette noblesse hellénistique qui séduit tant la pensée libérale. Soyons pourtant prudent : bien des choses ont changé depuis ! L’étymologie nous renseigne certes sur les caractéristiques qui la distinguent : l’hégémonie décrit l’ acte de conduire . Il n’est plus directement question de puissance, ni des ressources qui l’alimentent, mais de l’effectivité de l’ adhésion consentie. Les libéraux sont séduits par cette nature libre, volontaire, voire désirée, de l’obéissance ainsi obtenue. À l’instar de ces cités grecques qui allaient jusqu’à solliciter Athènes pour qu’elle les conduise, quitte à lui payer tribut pour s’assurer ainsi une protection et même une « proaction » tenue pour inévitablement gagnante. Évidemment, on comprend aisément la popularité de l’historien grec du temps de la guerre froide, à l’époque où le « monde libre » cherchait ce « leader bienveillant » dont nous reparlerons, auquel on adhérait avec soulagement, à la fois par raison et par passion pour contrer l’ours soviétique et mieux afficher sa propre vertu… Ce monde-là est peut-être plus proche de la Grèce antique que du monde d’aujourd’hui !
On approchait, en tout cas, l’idée de prédominance qu’on préférait à celle, trop brutale, de puissance. En se confiant au grand historien multimillénaire, on touchait aussi quelques idées sensibles : un certain utilitarisme qui ne déplaisait décidément pas aux penseurs libéraux convaincus que l’hégémonie d’Athènes faisait l’affaire de tous, et notamment de ceux qui suivaient la prestigieuse cité. Ce que chacune des petites sœurs ne pouvait pas assurer toute seule, l’aînée d’entre elles savait s’en charger. Plus qu’une alliance de cœur, on trouvait les effets d’une alliance de circonstance, ces symmachies réunissant dans d’efficaces coalitions ceux qui craignaient la victoire des Perses. Dans l’accomplissement de cette besogne, les imbattables trières athéniennes évoquaient métaphoriquement l’arme atomique américaine. On avait même conscience que l’hégémonie athénienne valait aussi sur le plan culturel et religieux : ceux qui la suivaient se ralliaient au culte d’Athéna, devaient se résoudre à lui fournir les bêtes qu’on allait lui sacrifier. De même leur fallait-il également honorer les jeux panathéniens… Peut-être oubliaient-ils que l’hégémonie grecque allait finir en archè, que l’adhésion allait devenir contrainte, sous le poids d’une domination jamais parfaitement consentie, comme l’évoque cette succession de révoltes, non prévues au programme, celle d’Eubée en 446, ou celle de Samos, six ans plus tard… Comme pour démystifier, la contre-hégémonie entre mécaniquement dans l’arène et très vite : il nous faudra l’expliquer.
Toujours est-il que le concept d’hégémonie est ainsi fondé e

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