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pages
Français
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2019
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Publié par
Date de parution
04 avril 2019
Nombre de lectures
0
EAN13
9782895967651
Langue
Français
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Date de parution
04 avril 2019
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0
EAN13
9782895967651
Langue
Français
© Lux Éditeur, 2019
www.luxediteur.com
Ce document numérique a été réalisé par claudebergeron.com
Dépôt légal: 2 e trimestre 2019
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (papier): 978-2-89596-301-1
ISBN (epub): 978-2-89596-765-1
ISBN (pdf): 978-2-89596-955-6
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition.
I NTRODUCTION
À L’AUTOMNE 2018 , les sociétés d’État ont fait la manchette au Québec. Nous avons assisté à la mise en place de la Société québécoise du cannabis (SQDC), mais aussi à un nouvel épisode du débat récurrent sur la possible privatisation ou libéralisation de la Société des alcools du Québec (SAQ). La Coalition avenir Québec (CAQ), parti favori lors de l’élection générale du 1 er octobre, a également fait du déménagement du Salon de jeux de Loto-Québec, dans le quartier Vanier à Québec, un enjeu électoral.
Dans l’espace public, ces débats sont presque toujours présentés de la même manière. On met face à face deux personnes aux idées opposées: à droite, on souhaite l’intervention du secteur privé ainsi que des rendements élevés, alors qu’à gauche, on demande le maintien de sociétés publiques et de bons salaires. Cette approche convenue peut certainement se justifier et, plus souvent qu’à leur tour, les auteurs du présent ouvrage ont participé à ce type de mise en scène. Cependant, cette formule habituelle des débats sur les sociétés d’État présente aussi d’importantes limites, notamment à cause de sa courte vue historique. Elle mène à une grande confusion sur les rôles et les missions de ces outils collectifs. Tantôt on y définit la SAQ et Loto-Québec comme des entreprises qui vendent un produit, tantôt comme des monopoles tout-puissants ou comme des organisations devant protéger le public de produits dangereux. À d’autres moments encore, on les présente comme des apports essentiels aux revenus de l’État. Même si toutes ces définitions sont justes, du moins en partie, on les considère rarement toutes ensemble. Pour mieux comprendre la forme actuelle de ces sociétés d’État, il nous paraît fondamental d’opérer un retour historique qui mette en lumière les tensions et les transformations qui les ont traversées depuis leur création [1] .
Ce retour historique nous semble d’autant plus essentiel qu’il est à peu près inexistant. En fait, depuis les années 1990, on compte très peu de textes et aucun ouvrage retraçant l’histoire de ces sociétés d’État. Comme elles connaissent une évolution semblable et des moments charnières communs, nous suivrons leur histoire en parallèle [2] . Au terme de ce parcours, nous tenterons de montrer les similitudes et les différences entre ces deux sociétés, ce qui permettra aussi de mieux comprendre la création de la SQDC.
La modernité qui se met en place au Québec pendant la Révolution tranquille s’est construite autour d’institutions qui avaient le potentiel de redonner aux Québécois-e-s le contrôle de leurs choix collectifs. Cependant, le caractère inachevé de ces institutions, qui n’ont jamais atteint leur pleine maturité – notamment en raison du maintien de la province dans l’ordre canadien, mais également de certains de leurs éléments constitutifs et de la prise de pouvoir d’une classe technocratique –, les ont amenées à être partie prenante de la dépossession de la société québécoise, phénomène qui a jalonné toute l’histoire du Québec.
Notre approche s’éloigne donc de celle voulant que la Révolution tranquille représente un âge d’or auquel il faudrait revenir avec empressement pour enfin sortir des affres du néolibéralisme qui en aurait pourri les fruits. Toutefois, elle ne souscrit pas pour autant à l’idée que la Révolution tranquille serait un non-événement et que les transformations réelles de la société québécoise auraient eu lieu sous la gouverne libérale et modernisatrice de Duplessis.
Nous convenons qu’il peut paraître étrange de se pencher sur la SAQ et Loto-Québec pour traiter de dépossession. Comme ces sociétés d’État rapportent d’importantes sommes au gouvernement du Québec, et que l’alcool et la loterie sont considérés comme des biens superflus, difficile d’y voir une forme de dépossession. Après tout, un réseau de distribution d’alcool ou une régie des jeux n’ont pas l’importance ou la complexité d’un système de santé ou d’un écosystème.
C’est pourtant cette simplicité qui rend intéressante l’histoire de ces sociétés d’État. L’organisation de la vente d’alcool et de billets de loterie est relativement facile à comprendre, de sorte que quelques variables suffisent à révéler les mécanismes de la dépossession en cours.
Nous ne présentons pas ici la SAQ ou Loto-Québec comme des institutions à sauver parce qu’elles seraient essentielles à notre vie collective, ou comme des institutions parfaites impossibles à critiquer. En revanche, se pencher sur leur évolution permet d’examiner comment le Québec a tenté de se servir de ces sociétés pour promouvoir l’intérêt collectif, par la mise en œuvre d’une stratégie allant toutefois à l’encontre de l’autonomie de la société québécoise et menant donc à sa dépossession.
Notre thèse est simple: deux tensions fondamentales sont au cœur de la création et de l’évolution de ces sociétés d’État. D’abord, elles vendent et font la promotion de biens et services considérés aussi comme une source de problèmes, tant par la morale que par la santé publique. Ensuite, elles doivent en même temps se mettre au service du gouvernement et à celui de leur clientèle. Sauf exception, la satisfaction simultanée d’intérêts opposés est toujours difficile, voire impossible. En examinant ces deux tensions, nous verrons que, si le gouvernement cherche à regarnir ses coffres grâce à ses sociétés d’État, il le fait souvent aux dépens de leurs clientèles.
Selon nous, comprendre et admettre ces tensions permettrait de sortir des débats stériles qui reviennent régulièrement depuis des années. Il faut partir du fait que ces organisations seront toujours entre deux eaux pour essayer de dépasser leurs contradictions, plutôt que de ne prendre en considération qu’un aspect de leur réalité (les prix du vin, la loterie vidéo, l’âge de consommation du cannabis, etc.) pour le monter en épingle, comme on a trop tendance à le faire. Nous espérons que le compte rendu de leur parcours historique et les pistes de solutions que nous proposons en fin d’ouvrage contribuent à le faire.
C HAPITRE 1
A VANT LA R ÉVOLUTION TRANQUILLE
I L FAUT REMONTER à la période qui précède la Seconde Guerre mondiale pour comprendre les origines de la SAQ et de Loto-Québec.
L A C OMMISSION DES LIQUEURS
La Commission des liqueurs de Québec voit le jour le 1 er mars 1921 [3] à la suite de longues tergiversations [4] , de deux référendums aux résultats contradictoires tenus le 4 octobre 1918 [5] et le 10 avril 1919 [6] et après deux ans d’un régime de prohibition partielle [7] dont on constate l’échec retentissant. Québec fait alors le choix opposé à celui de ses voisins et légalise la vente d’alcool sur tout son territoire, avec toutefois certaines restrictions [8] .
Le mandat de la Commission sera «d’avoir en sa possession et de vendre en son nom des liqueurs alcooliques; “contrôler la possession, la vente et la livraison des liqueurs alcooliques”; “octroyer, refuser, annuler tout permis de vente de liqueurs et transporter le permis d’une personne décédée”; “louer ou occuper tous bâtiment et terrains requis pour ses opérations”; poursuivre les contrevenants, etc. [9] »
En raison de la prohibition tant en Ontario qu’aux États-Unis, les consommateurs d’alcool se tournent vers le Québec pour leurs achats – directement par des voyages ou indirectement par la contrebande. Les nouveaux revenus provenant de cet engouement permettent à la Commission, et par ricochet au gouvernement, de déclarer des surplus budgétaires [10] . Si ce choix a des effets bénéfiques pour l’économie québécoise, il pose également d’importants problèmes politiques. Dès 1923, la Commission des liqueurs a la réputation de pratiquer le clientélisme, ce qu’on appelle le «patronage», et de servir à la propagande gouvernementale [11] . En effet, sauf son premier président – George