Avant-proposEn 2006, année de parution de cette nouvelle édition, L’Art dela thèse atteint le bel âge de 21 ans : vingt et un ans de bons etloyaux services pour des dizaines de milliers d’étudiants.La présente édition a été entièrement revue, profondémentremaniéeetlargementr éécrite. La démarche intellectuelle deconception, construction et élaboration de la thèse n’acependant pas changé : avec, en son cœur et mûrissant du choixdu sujet à la mise au point du mouvement d’ensemble de lathèse, la « question principale », essentielle dans tous lesmoments clés – problématique I et plan de travail, probléma-tique II et plan de rédaction – et le long effort pour assurer àtravers parties et chapitres la cohérence de la démonstration.Mais, pour la documentation comme pour la préparationdu document de thèse, l’ordinateur et internet, devenusd’indispensables outils, ont apporté de profonds boulever-sements. Il faut trèst ôt en connaître les potentialités, lescontraintes et les pièges : avant même de commencer la docu-mentation, il faut avoir en tête ce que sera la bibliographie ; etavant de commencer la rédaction, mieux vaut avoir tiré au clairles problèmes de mise en page, de formatage, d’indexation et detable des matières…Demeure, au final, la traditionnelle soutenance qui permettrad’accéder au titre de « Docteur ».Docteurès lettres. Docteur èsscience politique ou sciences économiques. Il y a quelqueseannées, docteur de 3 cycle ou docteur d’État. ...
E n 2006, année de parution de cette nouvelleédition,L’Art de la thèseatteint le belâge de 21 ans : vingt et un ans de bons et loyaux services pour des dizaines de milliers d’étudiants. La présenteédition aétéentièrement revue, profondément remaniée et largement réécrite. La démarche intellectuelle de conception, construction etélaboration de la thèse n’a cependant pas changé: avec, en son cœur et mûrissant du choix du sujetàla mise au point du mouvement d’ensemble de la thèse, la«question principale», essentielle dans tous les moments clés–problématique I et plan de travail, probléma tique II et plan de rédaction–et le long effort pour assurerà travers parties et chapitres la cohérence de la démonstration. Mais, pour la documentation comme pour la préparation du document de thèse, l’ordinateur et internet, devenus d’indispensables outils, ont apportéde profonds boulever sements. Il faut très tôt en connaître les potentialités, les contraintes et les pièges : avant même de commencer la docu mentation, il faut avoir en tête ce que sera la bibliographie ; et avant de commencer la rédaction, mieux vaut avoir tiréau clair les problèmes de mise en page, de formatage, d’indexation et de table des matières… Demeure, au final, la traditionnelle soutenance qui permettra d’accéder au titre de«Docteur». Docteurès lettres. Docteurès science politique ou scienceséconomiques. Il y a quelques e années, docteur de 3cycle ou docteur d’État. Aujourd’hui, docteur…tout court. Docteur : dans certains pays, comme l’Allemagne et l’Italie, ce titre figure systématiquement dans l’entête du papieràlettres ; en France, ce n’est pas le cas, sauf dans certaines professions. Le titre conserve son prestige malgréle discrédit qui affecte l’université.
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Car, pour lesétudiants, la thèse de doctorat est le couronnement desétudes ; pour les enseignantschercheurs, elle est la fin d’une étape et le début d’une autre. Celui qui prépare une thèse est encore« étudiant»: il est inscrità l’université; il suit des cours, des séminaires ; il travaille avec un directeur de recherche. Mais il est déjàchercheur, souvent ensei gnant, parfois engagé(fréquemment par nécessité) dans une autre activitéprofessionnelle, très souvent chargéde famille. Et quand j’emploierai le mot« étudiant», ce sera bien entendu cette réalitéhybride, complexe que je désignerai. Étudiants : hommes et femmes. Qu’on ne me fasse pas grief de ce que le genre masculin l’emporte dans la langue française. Qu’on ne m’oblige pasàrecouriràces artifices qui ont cours au Québec oùje devraisàlongueur de pages parler desétudiant(e)s inscrit(e)s en doctorat et qui sont préoccupé(e)s de meneràbien leursétudes… De même, quand je parlerai plus loin du«directeur»de thèse ou de recherche, ce sera par souci d’alléger l’écriture : que les«direc trices»de thèse ou de recherche veuillent bien ne pas m’en tenir rigueur.
La thèse
C’est en quelque sorte le chefd’œuvre des compagnons d’antan qui aspiraientàdevenir maîtres. C’est la preuveécrite–avec aussi parfois d’autres formes d’expression (photo, audio, vidéo, cinéma, peinture, sculpture…), que ce soit sur supports tradi tionnels, modernes ou numériques–que l’on est, dans un domaine, capable de meneràbien une recherche ; de maîtriser une technique ; de contribueràune avancée dans l’ordre de la connaissance, de la réflexion, de l’analyse ou de la création. Pour les seules sciences sociales et humaines et disciplines appa rentées–donc sans tenir compte des thèses de sciences«dures» et de médecine, pharmacie, etc.–, le nombre des thèses en cours (sujets déposés) tournait dans les vingt dernières années autour de 7 000à8 000 et celui des thèses soutenues autour de 3 000 par an. Les plus gros effectifs se trouvent en droit,économie,
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histoire, littérature ; on trouve aussi des effectifs importants en art, géographie, gestion, linguistique, philosophie, psychologie et sociologie (voir l’annexe statistique en fin d’ouvrage). Comme chaque thèse soutenue demande plusieurs années de travail, ce sont par dizaines de milliers qu’on peut compter les années de recherche–presque bénévoles–qui sont accomplies dans le cadre des formations de doctorat universitaires. Avec souvent des conditions de travail non seulement déplorables mais proprement honteuses si on prend comme référence de grands pays industriels (ÉtatsUnis, Canada) mais aussi des pays 1 du tiers monde qu’on dit sousdéveloppés . Or, c’est làun aspect méconnu de la réalitéuniversitaire : l’uni versitéreste un lieu oùl’on travaille beaucoup, abondamment, généreusement…Fautil regretter que souvent ce soit de manière désintéressée ? La thèse consacre l’aptitudeàla recherche :àce travail d’«artisan intellectuel»qui,àpartir d’écrits, d’archives, de livres mais aussi de statistiques, de travail sur le terrain, d’enquêtes, d’obser vations sociales, de relevés géographiques ou cartographiques, produit uneœuvre.
Trop souvent on oppose les thèses théoriques aux thèses empi riques. Encore ne fautil pas admettre comme«théoriques»des travaux qui se bornentà être des gloses sur des textes ou des auteurs, des relectures–et parfois des relectures de relectures. De même ne doiton pas accepter comme«empiriques»des travaux qui rassemblent en des dossiers plus ou moins ordonnés des informations factuelles sur un sujet. Les uns et les autres conduisent inexorablementàdes thèses ratées, médiocres ou mauvaises. Une bonne thèse, une bonne recherche, implique un justeéqui libre entre théorie et empirisme. Pas de recherche sans questionnement. Pas de questionnement rigoureux sans appareil conceptuel, sans«outils idéels», sans réflexion théorique et donc sans une bonne connaissance des dif férentes approches, des différentes interprétations théoriques qui
1. Ilfaut cependant souligner la mise en place et le développement, depuis 1984, des allocations de recherche.
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ont déjà étéproduites et une réflexion critique sur cellesci. C’est pourquoi, après avoir soulignél’importance du double choix, du sujet et du directeur de recherche, j’insisterai sur l’importance de la problématique en distinguant : la problématique provisoire, qui accompagne le début de travail ; la problématique I, qui guide le travail de recherche (d’investigation) ; la problématique II, qui encadre le travail de rédaction (d’exposition). Pas de recherche sans méthode. Et, làencore, on retrouve le parallèle avec l’artisan, avec l’homme de métier. Il faut de la méthode pour la réflexion théorique, comme il en faut pour le travail sur le terrain (enquêtes,études d’une réalitésociale), comme il en faut pour le travail sur matériaux (statistiques, archives, textes, discours), comme il en faut pour se servir de l’ordinateur. Il faut aussi maîtriser la méthode propre au domaine dans lequel on travaille : littérature ou philosophie, his toire ou droit, géographie ouéconomie, science politique, socio logie ou anthropologie. Il faut enfin se doter de méthodesà chaque phase du travail de recherche : exploration, documen tation, recherche proprement dite, rédaction. Pas de recherche sans travail. Et il faut le dire, sans un travail d’un certain niveau et d’une certaine qualité. C’est une erreur de se lancer dans une thèse si on n’a pas les qualités et les motivations d’un chercheur ; si on n’a pas des raisons sérieuses et profondes de l’entreprendre et de la meneràbien ; si l’on n’a pas, auparavant, réaliséd’excellents travaux, dans le cadre du master recherche notamment. C’est la raison pour laquelle ce livre s’ouvre sur un test.
Un dernier mot
Quelques lecteurs ont regrettéle fait que j’insiste trop sur les dif ficultés et les obstacles. C’est que le travail de thèse est un travail lourd : pour celui ou celle qui le mène, pour les membres de son entourage familial et amical, et pour le directeur de recherche. C’est aussi que la valeur d’une thèse n’est pas proportionnelle seulement au travail réalisé: toute bonne thèse a nécessité beaucoup de travail, mais combien d’étudiants auront travaillé des années, parfois avec obstination, pour déboucher sur une thèse médiocre ou pas de thèse du tout…