Études 20 ans d’interdiction provisoire de contrefaçon de brevet d’invention à travers l’analyse de 200 décisions Par Pierre VÉRON et Olivier MANDEL, Avocats à la Cour, Véron & Associés Introduite en droit français par la loi du 27 juin 1984, la procédure d’interdiction provisoire de contrefaçon de brevet d’invention permet au breveté qui engage un procès en contrefaçon d’obtenir, par une décision du président du tribunal saisi de l’affaire, l’arrêt immédiat des actes de contrefaçon jusqu’à la décision du tribunal sur le fond de l’affaire. En raison des conditions strictes posées par la loi, cette procédure est restée d’utilisation exceptionnelle : alors que, chaque année, plus de 300 actions en contrefaçon de brevet d’invention sont engagées, moins de 5 demandes d’interdiction provisoire sont formées (à peine 100 en 20 ans). Rarement demandée, l’interdiction provisoire de contrefaçon est encore plus rarement accordée : à peine 20 décisions (soit une seule par an, en moyenne) l’ont ordonnée depuis que cette procédure existe. L’étude de la suite donnée, au fond, aux procédures ayant donné lieu à une demande d’interdiction provisoire montre que la décision sur l’interdiction provisoire met souvent un terme au litige qui, de ce fait, ne donne pas lieu à une décision sur le fond. Mais, lorsque l’affaire est jugée sur le fond, la décision va le plus souvent dans le même sens que celle rendue sur l’interdiction provisoire. 1 e 1. - Cette étude statistique ...
6. UN MOYEN DE DÉSENCOMBRER LES RÔLES ? 1 affaire sur 2 s éteintaprès la procédure d’interdiction provisoire ’ (49 affaires sur 95) 7. UNMOYEN DE CLARIFIER LES AFFAIRES ? 2 décisions au fond sur 3se prononcent dans le même sens que la décision d’interdiction provisoire (33 cas sur 46)
’ 4. LE DÉFAUT DE SÉRIEUX DE L ACTION AU FOND EST LE PRINCIPAL ÉCUEIL : ’ 58 %des demandesrejetées le sont pourdéfaut de sérieux de l action au fond(24 % pour tardiveté, 20 % pour d’autres causes) 5. LA CONSTITUTION DE GARANTIE EST PEU UTILISÉE : 5 décisionsl’activité incriminée à la constitution d’une garantieont subordonné la poursuite de par le défendeur 1 seule décisionassorti l’interdiction provisoire d’une garantie à la charge du demandeura
page14- Février 2005
8. UNE PROCÉDURE QUI PORTE MALHEUR AU BREVETÉ ? Seulement 43 % des affairesdans lesquelles une interdiction provisoire est demandée se terminent par la victoire du breveté sur le fond (20 cas sur 46) alors que, de façon générale, 57 % des affaires de contrefaçon de brevet se terminent par l’accueil de la demande au fond. P BREVETÉ ’ 9.TOUTESP’OIRNESTCEPENDANTPA’SPERDUOURLE EN CAS D ÉCHEC DE LA DEMANDE D INTERDICTION : 1 breveté sur 4demande d’interdiction provisoire est rejetée obtient gain de cause audont la fond (11 cas sur 46) 10. UNE PROCÉDURE QUI N EST PAS SANS RISQUE POUR LE BREVETÉ: ’ 1 breveté sur 10dont la demande d’interdiction provisoire a été accueillie voit sa demande au fond rejetée(2 cas sur 19)
Le lecteur est invité à se reporter à létude complète présentée sur le site : www.veron.com. CPI,art. L. 615-3 : «Lorsque le tribunal est saisi dun e action en contrefaçon sur le fondement dun brevet, son préside nt, saisi et statuant en la forme des référés, peu interdire, à titre provisoire, sous astreinte, la pour suite des actes argués de contrefaçon, ou subordonner cette poursuite à la constitu tion de garanties destinées à assurer lindemnisation du breveté. La demande dinterdiction ou de constitution de garanties nest admise que si laction au fond apparaît sérieuse et a été engagée dans un bref délai à compter du jour où le breveté a eu connaissance des faits sur lesquels elle est fondée. Le juge peut subordonner linterdiction à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer lindemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur si laction en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée. »
1. 2.
1 -Cette étude statistique1 célèbre le 20eanniversaire de la loi . n° 84-500 du 27 juin 1984 qui a introduit en droit français la demande dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention, aujourdhui codifiée à larticle L. 615-3 du Code de propriété intellectuelle.2On sait quune telle action vise à obtenir rapidement, par une ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance « en la forme des référés», la cessation provisoire dactes argués de contrefaçon en attendant le prononcé dune décision définitive au fond. 2.- Comment sest traduite dans les faits lapplication de cette loi ? Les principales réponses tiennent dans les 10 chiffres-clés présentésinfra.Ces chiffres seront mieux appréciés à la lumière dindications détaillées sur six points :
- présentation des sources et de la méthodologie de létude (I) ; - évolution du nombre dordonnances statuant sur des demandes dinterdiction pr ovisoire de 1984 à 2004 (II) ; - sens des ordonnances rendues en première instance sur les demandes dinterdiction provisoire (III) ; - résultat final des demandes dinterdiction provisoire (V) ; - sens des décisions en matière dinterdiction provisoire comparé à celui des jugements et arrêts rendus sur le fond (VI).
’ 1. UNE PROCÉDURE D UTILISATION EXCEPTIONNELLE : 5 demandes par ansur 300 actions en contrefaçon(95 demandes pour environ 6.000 affaires au fond en 20 ans)
20ANSD’INTERDICTION PROVISOIRE DE CONTREFAÇON DE BREVET D’INVENTION 200 DÉCISIONS EN10CHIFFRES CLÉS
’ 3. L INTERDICTION PROVISOIRE EST RAREMENT ACCORDÉE : 3 demandes sur 4sont rejetées (70 rejets sur 95 demandes) 1 demande par an est admise(19 interdictions provisoires ordonnées en 20 ans)
2. UNE PROCÉDURE PARISIENNE : 70 % des demandessont formées devant le tribunal de grande instance de Paris (65 demandes sur 95)
20 ans dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention à travers lanalyse de 200 décisions
Par Pierre VÉRON et Olivier MANDEL, Avocats à la Cour,Véron&Associés
’ Introduiteendroitfran’çaisparlaloidu27juin1984,laprocéduredinterdictionprovis’oiredecontrefaçondebrevetdinventionpermetaubrevet’équien’gageunprocèsencontrefaçondobtenir,paru’nedécisionduprésidentdutribunalsaisi’delaffaire,larrêtimmédiatdesactesdecontrefaçonjusquàladécisiondutribunalsurle’fonddelaffaire.Enraisondesconditionsstrictesposéesparlaloi,cetteprocédureestrestéedutilisatio’nexceptionnelle:alorsque,chaqueannée,plusde3’00actionsencontrefaçondebrevetdinventionsontengagées,moinsde5demandesdinterdictionprovisoir’esontformées(àpeine100en20ans).Rarementdemandée,linterdictionprovisoiredecontrefa’çonestencoreplusrarementaccordée:àpeine20’décisions(soituneseuleparan,enmoyenne)lontordonnéedepuisquecetteprocéduree’xiste.Létudedelasuitedonnée,aufond,aux’procéduresayantdonnélieuàunedemandedinterdictionprovisoiremontrequeladécisionsurlinterdictionprovisoiremet’souventuntermeaulitigequi,decefait,nedonnepaslieuàunedécisionsurlefond.Mais,lorsquelaffairee’stjugéesurle fond, la décision va le plus souvent dans le même sens que celle rendue sur l interdiction provisoire.
__________ I. - SOURCES ET MÉTHODOLOGIE
3. - Létude a porté sur les décisions rendues sur les demandes dinterdiction provisoire en première instance, en appel et en cassation.3Lorsquil a été possible didentifi er des décisions au fond rendues ultérieurement entre les mêmes part ies au sujet des mêmes brevets, elles ont été également dépouillées4 pour comparer le résultat de la procédure au fond au sort réservé à la demande dinterdiction provisoire. Cest ainsi quont été étudiées 198 décisions5se répartissant comme suit :
Figure 1 : Décisions recensées pour létude
Dans la plupart des cas, nous avons pu avoir accès aux ordonnances elles-mêmes, statuant sur la demande dinterdiction provisoire. Mais, dans certains cas, cette décision na pu être identifiée avec précision (en particulier lorsquelle est seulement mentionnée dans la décision au fond par une formule succi ncte qui ne fournit pas la date de lordonnance en la forme des référés). Force est de noter que la présente étude ne prétend pas avoir recensé la totalité des décisions rendues : si toutes les décisions publiées (112) ont été recensées et analysées, il nen va pas de même des décisions restées inédites dont, sans doute, seule une partie (86) a été recensée. Il reste que, en la matière, la plupart des décisions mettant en jeu des intérêts significatifs sont publiées. Le biais méthodologique est indé niable ; il est probablement dimportance limitée. Il est à noter que notre étude a porté sur les décisions de première instance statuant sur des demandes dinterdiction provisoire qui ont été rendues entre le 28 juin 1984, date dentrée en vigueur de la loi n° 84-500 du 27 juin 1984 et le 30 juin 2004, 20eanniversaire de cette date. Mais nous avons recensé les décisions dappel et de cassation rendues après cette date. De même, nous avons recensé les décisions au fond rendues jusquà la clôture de nos travaux. Or, si les procédures dinterdiction provisoire sont jugées en quelques mois (voire en qu elques semaines) en premièreinstance, et souvent aussi en appel, les procédures au fond sont beaucoup plus longues (environ 2 ans à chacun des degrés, de première instance, dappel et de cassation). Il sensuit quil ne sera pas possib le de connaître lissue finale des affaires ayant donné lieu à des demand es dinterdiction provisoire en première instance entre 1984 et 2004, avant 2010 au moins. Il résulte donc de la clôture de nos travaux au 31 octobre 2004 un biais méthodologique en ce qui concerne, par exemple, le taux daffaires séteignant après la procéd ure dinterdiction provisoire (car il nest pas possible de savoir, en 2004 , si les affaires ayant donné lieu à des demandes dinterdiction pr ovisoire en 2002, 2003 et 2004 donneront lieu à des décisions au fond). Il nous est apparu préférable, cependant, de ne pas attendre 2010 pour publier la présente étude. 3. Les auteurs remercient leurs confrères qui leur ont fourni des décisions inédites, notamment Mes Casalonga, Philippe Combeau, Pierre Cousin, Geoffroy Arnaud Gaultier, Pierre Lenoir, Yves Marcellin, Thierry Mollet-Viéville, Denis Monégier du Sorbier, Jean-Pierre Stenger et Darius Szleper. 4. La recherche et le dépouillement des décisions a été, en grande partie, luvre de Laurène Delsart, élève-avocat, alors étudiante du DESS de Propriété Industrielle de Grenoble ; les auteurs la remercient de cette tâche de bénédictin quelle a accomplie efficacement et avec le sourire. 5. Nous avons choisi de désigner par « décision » chaque décision prise au sujet dun brevet donné. En effet, dans 10 cas, le demandeur invoquait 2 brevets, dans un cas, il se fondait sur 3 brevets et dans un dernier cas, il invoquait 4 brevets ; nous avons comptabilisé, respectivement, 2 « décisions», 3 décisions » et « 4 « décisions » ; les 95 « décisions » de première instance sur demande dinterdiction provisoire correspondent, en fait, à 80 ordonnances.
page15- Février 2005
Pour chaque décision statuant sur une demande dinterdiction provisoire, ont été notés le sort réservé à cette demande et, en cas de rejet, le motif de ce rejet. Lissue de laffaire au fond a été consignée chaque fois quelle était connue6.
II. - ÉVOLUTION DU NOMBRE DORDONNANCES RENDUES SUR DEMANDES DINTERDICTION PROVISOIRE ________________________ DE 1984 À 2004
A. - Nombre des ordonnances rendues sur demande dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention comparé au nombre de procédures au fond
4. - Demblée, il faut noter le caractère exceptionnel des demandes dinterdiction provisoire. En effet, comme lillustre le graphique ci-dessus, 95 demandes dinterdiction provisoire ont été formées entre 1984 et 2004 alors que, sur la même période de 20 ans, environ 6.000 affaires au fond ont été introduites7.
Sur 100 procès en contrefaçon de brevets d'invention, seulement 1 ou 2 donnent lieu à une demande d'interdiction provisoire
6000 affaires au fond introduitesde 1984 à 2004
95
demandes d'interdiction provisoire formées entre 1984 et 2004
Figure 2 : Nombre des ordonnances rendues sur demande dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention comparé au nombre de procédures au fond
B.-Nombre annuel et sens des décisions de première instance en matière d’interdiction provisoire de contrefaçon de brevet d’invention
5 - En outre, le nombre dordon nances rendues sur des demandes dinterdiction provisoire na que peu évolué entre 1984 et 2004. Le graphique ci-dessus montre ainsi que le nombre des procédures recensées est resté faible : en moyenne 5 par an. Tout au plus peut-on relever un léger accroissement du nombre dordonnances à compter de 1996. Peut-être la loi n° 90-1052 du 26 novembre 19908, qui a assoupli les conditions de linterdiction provis oire en supprimant lexigence dun préjudice irréparable, explique-t-elle ce léger accroissement. 6. Létude na pas porté sur le contentieux accessoire à la demande dinterdiction provisoire qui est cependant plein denseignements pour le praticien : ainsi une décision du 14 novembre 1997 de la Cour dAppel de Paris a été amenée à préciser que lordonnance dinterdiction provisoire, bien quelle soit rendue « en la forme des référés », nétait pas assortie de plein droit de lexécution provisoire. Cette mesure doit être prévue spécialement par lordonnance (CAParis, 14nov. 1997, RDpropr. ind.1998, n° 93,p. 44,obs. Stengerp. 46). 7. Ce chiffre estimé résulte de la multiplication par 20 du nombre moyen annuel (300) daffaires de contrefaçon de brevet dinvention engagées, en France, durant la période 1990-1999. 8. Cette loi a modifié larticle 54 de la loi n° 84-500 du 27 juin 1984 dont la nouvelle rédaction figure désormais à larticle L. 615-3 du Code de la propriété intellectuelle.
En moyenne, 5 demandes d'interdiction provisoire sont formées chaque année 1 demande par an est accueillie
15 14Refus d'interdiction provisoire 13 12eipartneag'dnuionitutonstlacàeénnodrobusnioatitloxp'elderuustieoPraleédefdnuer 11 Interdiction provisoire subordonnée à la constitution d'une garantie par le demandeur 10 9Interdiction provisoire 8
Figure 3 : Nombre annuel et sens des décisions de première instance en matière dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention C. - Nombre dordonnances rendues en matière dinterdiction provisoire par TGI de 1984 à 2004 6 - Cette carte montre quune large majorité (65 sur 95, soit 70 %) des ordonnances rendues en mati ère de demande dinterdiction provisoire la été par les juges du TGI de Paris. Vient ensuite le TGI de Lyon avec 14 ordonnances. Suivent, assez loin, les TGI de Rennes et de Toulouse (4 ordonnances), de Lille (3 ordonnances), de Marseille et de Nancy (2 ordonnances) et de Bordeaux (1 ordonnance). Aucune décision na été recensée pour les tribunaux de grande instance de Limoges et de Strasbourg.
Figure 4 : Nombre dordonnances rend ues en matière dinterdiction provisoire par tribunal de grande instance de 1984 à 2004
D. - Distribution géographique des actions en contrefaçon de brevet au fond introduites devant lensemble des dix TGI compétents pour connaître du contentieux des brevets dinvention de 1997 à 1999
7 - Un parallèle peut être dressé entre les chiffres tirés de la carte ci-dessus et ceux du tableau9ci-dessous qui montre la distribution géographique des actions en contrefaçon de brevet au fond introduites devant lensemble des dix tribunaux de grande instance compétents pour connaître du contentieux des brevets dinvention de 1997 à 1999. On peut constater que la centralisation des demandes devant le TGI de Paris est encore plus forte pour les demandes dinterdiction provisoire (70 %) que pour les demandes au fond (49 % en 1999) : ce phénomène sexplique sans doute par le fait que les procédures dinterdiction provisoire sont souvent formées au sujet daffaires mettant en jeu les intérêts les plus importants lesquelles sont souvent portées devant le tribunal de grande instance de Paris.
Tribunal de Grande Instance Paris Lyon Rennes Lille Bordeaux Strasbourg Marseille Nancy Toulouse Limoges Autres tribunaux de grande instance
Total France entière
Nouvelles 172 32 19 9 9 9 8 6 6 2 68
339
Terminées 158 27 14 10 4 7 7 7 5 2 62
Figure 5 : Statistiques du Ministère de la Justice Affaires de brevet dinvention−moyenne 1997-1999
303
III. - ANALYSE DES ORDONNANCES RENDUES SUR DEMANDES DINTERDICTION ______________________ PROVISOIRE
8 - Nous présenterons successivement le sens des ordonnances rendues sur demande dinterdiction provisoire (A), les principales causes de rejet des demandes (B), les motifs qui ont justifié les interdictions provisoires (C), et enfin le cas particulier des ordonnances ayant prononcé des mesures de constitution de garanties (D). A. - Sens des décisions de première instance rendues sur demande dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention 9 - Sur les 95 décisions de première instance étudiées, seules 19, soit 20 %, ont fait droit à la demande dinterdiction provisoire. La demande a été rejetée dans 70 cas, soit près de 3 fois sur 4. Des mesures de garanties, détaillées ci-après, nont été ordonnées que dans 6 cas, soit environ 6 %.
En première instance, les demandes d'interdiction provisoire sont rejetées environ 3 fois sur 4
Pocournstrueitfeaçdoenl'sauctbiovirtdéoanrngéueéàeldaeInterdictionprovisoireordonnéesousconstitution d'une garantie par le réserve de constitution de garantie par le breveté défendeur1% 5%
Interdiction provisoire refusée 74%
Interdiction provisoire ordonnée 20%
Figure 6 : Sens des déci sions de première instance rendues sur demande dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention
B. - Motifs de rejet des demandes dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention en première instance
Sur les 70 ordonnances de première instance recensées ayant refusé de prononcer une mesure dinterdiction provisoire, 39 (soit 58 %) se fondent sur labsence de sérieux de laction au fond : cest donc dans cette question que réside le principal écueil pour le breveté. La proportion non négligeable de refus fondés sur le non respect de lexigence du bref délai « à compter du jour où le breveté a eu connaissance des faits sur lesquels elle est fondée » (17 cas, soit
9. Cetableau regroupe des données communiquées pa r le Ministère de la Justice, qui centralise, chaque année, les informations statistiques sur l'activité de chaque juridiction française.
page16- Février 2005
24 %) prouve également que le respect de cette condition ne va pas de soi. En effet, la jurisprudence est quasi unanime pour fixer la durée du bref délai à environ 6 mois. Mais la connaissance des faits argués de contrefaçon, qui marque le point de départ du bref délai, est une question plus factuelle à apprécier au cas pour cas10. On relève aussi que 4 % des refus prononcés sont fondés sur lincompétence du juge saisi : il est arrivé en effet quun breveté ait introduit une demande dinterdiction provisoire devant le juge de la mise en état au visa de larticle 771 du Nouveau code de procédure civile. Or, larticle L. 615-3 du Code de la propriété intellectuelle accordant au président du tribunal saisi de laction en contrefaçon une compétence spéciale, cest uniquement devant ce magistrat, saisi et statuant en la forme des référés, quune demande dinterdiction provisoire peut être introduite. En outre, 6 % des refus sont fondés sur le fait que le titre invoqué à lappui de la demande dinterdiction provisoire était une demande de brevet, et non un brevet délivré. Lorsque le propriétaire dune demande de brevet apprend quil est victime dune contrefaçon, il doit agir au fond en contrefaçon à bref délai sil veut se ménager la pos sibilité de demander une mesure
dinterdiction provisoire. Mais, même sil doit piaffer dimpa tience pendant plusieurs mois, il ne pourra former sa demande dinterdiction provisoire que lorsquun brevet lui aura été délivré11. Enfin, lexistence dune ordonnance ayant refusé de prononcer la mesure dinterdiction provisoire so llicitée au motif quaucune action au fond navait été préalablement introduite12, même si elle est anecdotique, permet de rappeler qu e la demande en interdiction provisoire nest pas une action autonome mais quelle sinscrit nécessairement dans le cadre dune action en contrefaçon de brevet engagée au fond13 . Une observation historique pour conclure : les ordonnances ayant refusé de prononcer les mesures din terdiction provisoire sollicitées soit pour absence de préjudice irréparable, soit pour absence dexploitation industrielle ont été rendues sous lempire de la rédaction initiale de la loi n° 84-500 du 27 juin 1984, qui avait posé ces deux conditions supplémentaires au succès de la demande dinterdiction provisoire, conditions que la loi n° 90-1052 du 26 novembre 1990 a supprimées.
10. Pour lanecdote, on signalera une curieuse inversion des rôles entre le breveté et le défendeur à laction en contrefaçon lorsquil sest agi, pour lappréciation du bref délai, de savoir si certains faits étaient à considérer comme des actes de contrefaçon. Concrètement, certains défendeurs, fabricants de médicaments génériques notamment, contre lesquels était formée une demande dinterdiction provisoire ont plaidé (à première vue contre leur chapelle) que leur propre demande dautorisation de mise sur le marché (AMM) constituait un acte de contrefaçon : cet argument nétait surprenant quau premier abord. En effet, son but était de soutenir que, dès lors quil sétait écoulé plus de 6 mois entre cette demande dAMM (ou la publication de son octroi) et la demande en contrefaçon, la demande dinterdiction provisoire était irrecevable. La jurisprudence sest vite fixée pour rejeter cette thèse opportuniste en rappelant quune demande dAMM (ou la publication de son octroi) ne constitue pas un acte de contrefaçon (Cass. Com. 24 mars1998 :PIBD656/1998, III,p.320 ;RTD com. 1998,p.587,obs. Azéma; TGIParis, ord.4 juill.1997 :PIBD640/1997,III, p.527). De sorte quil est bien admis aujourdhui que le bref délai pour engager une procédure au fond en contrefaçon relativement à un médicament court à compter de la connaissance par le breveté des premiers actes de fabrication, de mise sur le marché ou doffre du médicament et non à compter de la demande dA.M.M. (ou de la publication de son octroi). 11.Cass. Com. 1e mars1994, RDPropr. ind. 1994,n°53,p.19,obs. Y.Marcellinet J.-P.Martin,Doss. Brevets 1994, II,p.5 ; RTDcom. 1994,n°47,note J.Azéma, rejetant le pourvoi contre CAParis, 26févr.1992 : PIBD 523/1992, III ;p.306 V.aussi: CAAix-en-Provence, 22févr.1989,Doss. Brevets1990, II,p.4 CAParis, 12déc.1997 : PIBD 658/1998, III,p. CA390 ; Toulouse, 10déc. 1998,Doss. Brevets1998, IV,p.5 TGIRennes, 24mai2000 : PIBD 705/2000, III,p.433. 12. TGINancy, ord. 24sept.1996 :PIBD624/1997, III, 34, confirmée par CANancy, 4mars1997,inédit. 13. En matière de marques, pour laquelle les textes sont similaires, la jurisprudence a été amenée à préciser que la condition de saisine préalable du tribunal de laction au fond signifiait que la demande en interdiction provisoire nétait recevable que si elle était formée par une assignation délivrée après que lassignation au fond ait été délivrée et placée au rôle du tribunal (TGIParis, ord. 7mars 2003 : PIBD 765/2003, III,p.295).
page17- Février 2005
Le défaut de sérieux de l'action au fond est le principal motif de rejet des demandes d'interdiction provisoire en première instance
Action au fond non sérieuse 58%
Bref délai non respecté 24%
Autres 20%
Incompétence du juge saisi 4% Action au fond non introduite 1% Action fondée sur demande de brevet 6% Absence de préjudice irréparable 1% Absence d'exploitation industrielle 3%
Motif inconnu 4%
Figure 7 : Motifs de rejet des demandes dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention en première instance
C. - Motifs qui ont justifié les interdictions provisoires 11. - Dans les décisions qui ont fait droit à la demande, le juge a examiné les antériorités citées par les défendeurs pour écarter les griefs dabsence de nouveauté, dacti vité inventive, dinsuffisance de description invoqués et pouvoir juger que les revendications litigieuses avaient des chances sérieuses dêtre déclarées valables par les juges du fond. Le juge de linterdiction provisoire, comme le juge du fond, a également comparé, notamment à partir des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, les produits argués de contrefaçon aux produits brevetés afin de juger que la matérialité de la contrefaçon napparaissait pas sérieusement contestable14. Voici quelques motifs tirés des ordonnances ayant fait droit à la demande dinterdiction provisoire : −« des brevets correspondants au brevet litigieux ont été délivrés dans de nombreux pays étrangers dont les examinateurs ont écarté les 15 antériorités précitées » ; - « la revendication 1 du brevet européen [du demandeur] correspond dune manière évidente à la revendication 1 du brevet français [] le caractère sérieux de la demande en ce qui concerne la revendication 1 est donc établi par laccord de la division dexamen [de lOffice Européen des Brevets] »16; - « le brevet exploité a été délivré avec un avis documentaire portant la mention « néant » 17 ; lapparence de validité du brevet ressort suffisamment des - « conditions de son maintien en vigueur à lissue de la procédure dopposition au vu des mêmes antériorités que celles à nouveau opposées » 18 ; - « lavis documentaire du certificat daddition [] ne mentionne aucune antériorité [et] les documents cités dans le rapport de recherche nopposent aucun document aux deux revendications en cause » 19 ; - « [le gérant dune des sociétés défenderesses] a reconnu [] dans le cadre dune procédure pénale et pour échapper à une prévention de complicité et de provocation de dé lits de révélation de secrets de fabrique, avoir utilisé lenseigne ment des demandes de brevets français et européen [du demandeur] pour lélaboration du [produit argué de contrefaçon] » 20 ; - « le directeur général de la société [défenderesse] a, après avoir en vain tenté dobtenir une licence lui permettant de fabriquer régulièrement des boyaux cellulosiques, commis divers 14. Il est un motif qui revi ent souvent dans les ordonnances et qui reflète bien le niveau danalyse du juge : « Attendu quil nappartient pas au juge des référés danalyser au fond chacune des revendications opposées et de déterminer si elles présentent une acti vité inventive les rendant brevetables. Quil y a lieu de rechercher uniquement si laction au fond apparaît sérieuse, ce qui suppose que les documen ts opposés en défense ne doivent pas laisser apparaître un moyen de nullité totale ou même partielle. » (TGI Paris, ord. 11mai1990 : PIBD 489/1990, III,p.670). 15. TGIParis, ord.23déc.1985 : PIBD 383/1986, III,p.46. 16. TGIParis, ord.11mai1990,préc.17. CALyon, 24févr.1994 :Ann. propr. ind. 1995p.306. 18. TGIParis,ord. 15nov.2000,inédit. 19. TGIParis,ord. 28avr.1994,inédit. 20 TGIParis,ord. 15nov.2000,préc.
détournements de données technologiques au préjudice de la société [demanderesse] qui ont motivé sa condamnation à trois ans demprisonnement avec mandat darrêt ».21
D. - Faible proportion dordonnances ordonnant la constitution de garanties
12 - Alors même que la loi lui offre la possibilité de subordonner la mesure susceptible dêtre ordonnée−poursuite de la commerciali-sation ou prononcé de linterdiction provisoire−à la constitution dune garantie, le juge nutilise que rarement cette faculté. Le graphique n° 6 ci-dessus montre que cest seulement dans 6 cas (soit 6 %) quune telle constitution de garantie a en effet été pro-noncée en première instance. Cette constitution de garantie peut être mise à la charge du demandeur ou du défendeur. Mise à la charge du défendeur, elle vise à assurer lindemnisation du breveté au cas où la contrefaçon est ultérieurement reconnue : la fixation de son montant tient compte du préjudice subi par le breveté du fait de la contrefaçon, si celle-ci est établie par une décision au fond. Plusieurs circonstances sont mentionnées par les décisions répertoriées pour en justifier le prononcé, comme : - le brevet du demandeur arrive bientôt à expiration au moment du prononcé de lordonnance 22 ; - le breveté ne commercialise pas, directement ou par lintermédiaire dun licencié, le produit breveté 23 ; - le breveté a particulièrement tardé à former une demande dinterdiction provisoire après l introduction de linstance au fond 24. Le juge se réfère à un faisceau dindices pour fixer le montant de la garantie, comme la durée restant à courir du brevet 25, le prix des produits argués de contrefaçon 26 ou encore le montant des redevances quaurait pu percevoir le breveté si le défendeur sétait vu concéder une licence dexploitation 27. Quand elle est mise à la charge du demandeur breveté, la constitution de garantie vise à assurer lindemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur si laction en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée. Une telle mesure na été prononcée que dans une seule affaire en première instance 28 ; elle a été également ordonnée une seule fois en appel 29.
_______ IV. - ANALYSE DES ARRÊTS DAPPEL
Les 95 décisions rendues en première instance ont donné lieu à des arrêts dappel dans 33 cas, soit un taux de décisions dappel de 35 % environ. Le graphique ci-dessus permet de montrer que le taux de confirmation en appel des ordonna nces sur demande dinterdiction provisoire est de 67 % et celui dinfirmation, corrélativement, de 33 %. Ce taux de confirmation peut être comparé avec le taux de confirmation (totale ou partielle) par la cour dappel de Paris des décisions prononcées au fond en matière de contrefaçon de brevet dinvention par le tribunal de grande instance de Paris et qui sétablissait à 85 % en 1999 ou avec le taux général de confirmation, toutes matières confondues, qui était de 76 % en 1995. La proportion relativement élev ée dinfirmations en matière dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet est, à notre sens, le signe de la difficulté des affaires et de lâpreté des débats quelles suscitent.
En matière d'interdiction provisoire de contrefaçon, plus de 2 décisions sur 3 sont confirmées en appel
Décisions infirmées en appel 33%
Décisions confirmées en appel 67%
Figure 8 : Confirmation par les cours dappel des décisions de première instance en matière dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention
B. - Sens des arrêts dappel sur demandes dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention Le graphique ci-dessus montre, dabord, que 55 % des demandes dinterdiction provisoire sont rejetées par les cours dappel. Les demandes sont accueillies dans 39 % des cas ; on note, en particulier, 6 décisions (soit 18 %) ayant ordonné une mesure dinterdiction alors quelle avait été refusée en première instance. Le taux de rejet des demandes dinte rdiction provisoire est ainsi plus bas en appel quen première instance. Le faible nombre des décisions cons idérées (33 au total) ne permet cependant pas daffirmer quil sagit réellement dune tendance et non pas dun accident statistique.
En matière d'interdiction provisoire de contrefaçon, 55 % des demandes sont rejetées en appel
Confirmation d'un refus d'interdiction provisoire 40%
Infirmation d'une décision d'interdiction provisoire et rejet de la demande 15%
Confirmation de la constitution d'une garantie par le défendeur 6%
Confirmation d'une interdiction provisoire 21%
Infirmation d'une décision de rejet et prononcé de l'interdiction provisoire 18%
Figure 9 : Sens des arrêts dappel sur demandes dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention
-V. RÉSULTAT FINAL DES DEMANDES _______ DINTERDICTION PROVISOIRE
A. - Issue des demandes dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention
15 - Lorsque lon ne retient, dans un seul ensemble, que la décision finale rendue dans chaque affaire (première instance, appel et cassation), lissue de la procédure d interdiction provisoire nest guère différente. Il ressort en effet du graphique ci-dessus, représentant lissue finale des demandes dinterdiction provisoire de contrefaçon de brevet dinvention, que les demandes sont rejetées dans 72 % des cas.