AVANT-PROPOS Prescrire la mort « (…) La Mort, c’est l’infini dans son éternité Mais qu’advient-il de ceux qui vont à sa rencontre ? 1Comme on gagne sa vie, nous faut-il la mériter ? (…) » Auprès des personnes malades, de leurs proches, des professionnels de santé et des militants associatifs, je partage depuis nombre d’années l’expérience humaine et l’engagement éthique que signifie, en fin de vie, cette « rencontre » toujours exceptionnelle, singulière et énigmatique avec la mort. Dans les services hospitaliers consacrés aux interventions en des circonstances parfois extrêmes, en unités de soins palliatifs mais également après, au sein des chambres mortuaires, nous éprouvons l’intensité de ce vacillement entre vie et mort, de cette subtile transition entre la dignité d’une existence qui s’achève et le respect, la mémoire du disparu. Fragilité infinie de ce temps ultime, désormais exposé aux complexités et paradoxes de la décision médicale, à l’expression revendiquée du droit de mourir selon son choix, à son heure, mais également aux réalités humaines et sociales de l’abandon, de la solitude et du mépris éprouvées comme une insurmontable indignité. Trop souvent, l’expérience d’un tel outrage suscite, par défaut, la demande de l’assistance médicale à la mort, l’acte d’euthanasie — compassion dans la mort plutôt que solidarités assumées dans la vie. 2« Comme on gagne sa vie, nous faut-il la mériter ? » Il n’est ni mérite ni démérite ...
AVANT-PROPOSPrescrire la mort () La Mort, cest linfini dans son éternité Mais quadvient-il de ceux qui vont à sa rencontre ? 1 Comme on gagne sa vie, nous faut-il la mériter ?() » Auprès des personnes malades, de leurs proches, des professionnels de santé et des militants associatifs, je partage depuis nombre dannées lexpérience humaine et lengagement éthique que signifie, en fin de vie, cette rencontre »toujours exceptionnelle, singulière et énigmatique avec la mort. Dans les services hospitaliers consacrés aux interventions en des circonstances parfois extrêmes, en unités de soins palliatifs mais également après, au sein des chambres mortuaires, nous éprouvons lintensité de ce vacillement entre vie et mort, de cette subtile transition entre la dignité dune existence qui sachève et le respect, la mémoire du disparu. Fragilité infinie de ce temps ultime, désormais exposé aux complexités et paradoxes de la décision médicale, à lexpression revendiquée du droit de mourir selon son choix, à son heure, mais également aux réalités humaines et sociales de labandon, de la solitude et du mépris éprouvées comme une insurmontable indignité. Trop souvent, lexpérience dun tel outrage suscite, par défaut, la demande de lassistance médicale à la mort, lacte deuthanasie compassion dans la mort plutôt que solidarités assumées dans la vie. 2 Commeon gagne sa vie, nous faut-il la mériter? »Il nest ni mérite ni démérite dans la fragilité et la vulnérabilité de nos positions face à la mort. Là où lhumanité dune sollicitude est plus attendue que la rigidité de postures dogmatiques, la dignité échappe aux considérations théoriques, et nos idéaux ont moins de prix que la valeur dune relation et lhumanité du signe adressé par celui qui ne déserte pas. Il ne faut pas compromettre 1 Jean-Roger Caussimon, Léo Ferré, Ne chantez pas la mort ! », 1976. 2 Ibid.
Extraits deApprendre à mourir 1
définitivement les quelques raisons qui permettent despérer encore de la vie et dattendre de ses derniers instants laccomplissement dune existence respectée jusquà sa fin. Sil est une liberté à reconquérir, elle ne saurait se limiter à la revendication de lautodétermination de la mort. Le droit de bénéficier dune position maintenue dans la préoccupation des vivants, de conditions daccompagnement dignes de lidée dhumanité, constitue un enjeu que jestime plus déterminant que lorganisation du dispositif favorisant loctroi dune euthanasie. Il sagit-là dune responsabilité qui saisit notre société dans sa capacité daffirmer le sens ultime du lien et de la fraternité. Cest dire à quel point ses réponses savèrent essentielles et relèvent dune obligation morale forte, dengagements cohérents qui ne sauraient se satisfaire du registre compassionnel ou des formules incantatoires indifférentes à la vérité et à la singularité des circonstances. Les controverses suscitées par les représentations médiatisées et forcément dramatisées de certaines fins de vie, altèrentla capacité de vigilance et la nécessaire pondération qui savèrent indispensables au maintien des quelques principes susceptibles déviter que ne saccentuent les équivoques et les systématismes, avec leurs dérives que lon ne maîtriserait plus. Il nous faut résister aux tentations dune résolution hâtive des quelques circonstances qui provoquent, à juste titre, nos consciences exposées à des approches parfois inacceptables ou insatisfaisantes des conditions de fins de vies médicalisées. La limitation ou larrêt de traitement imposent dautres mentalités que celles du désinvestissement, de la relégation ou, faute de mieux, de la mort assistée. Les missions du soin relèvent dune double exigence : préserver lhumanité dune relation et ne pas renoncer à reconnaître lautre en ce quil demeure jusquau terme de son existence. Le soupçon que suscite, notamment dans nos institutions hospitalières, la confusion de prises de positions ambiguës, dapparence aléatoires avantageusement relayées au sein de la cité , savère dès lors inconciliable avec la reconnaissance des besoins de confiance, destime, dappartenance à laquelle aspire la personne dans ces circonstances extrêmes. Dautant plus lorsque lenvahit le sentiment parfois oppressant dun temps qui lui est compté, dune vulnérabilité qui saccentue et menace son intégrité. Le devoir de respect engage à lexpression intransigeante et rigoureuse dune forme élevée de la solidarité humaine. Il ne peut donc pas se satisfaire des approximations, y compris lorsquelles prétendent relever du registre de la compassion, voire de la responsabilité partagée. Notre souci de lautre, fragile et démuni face à sa mort, mérite mieux.
Extraits deApprendre à mourir 2
Le droit de vivre dans la dignité sollicite davantage nos responsabilités humaines et sociales que consentir à octroyer la mort au nom dune conception pour le moins restrictive de lidée de dignité. Pour autant, la parole de la personne accablée par la maladie et confrontée à linéluctable, parfois à linsoutenable violence dune souffrance radicale, ne saurait nous laisser indifférent. Il nous faut en assumer le défi, lui témoigner une sollicitude, une préoccupation concrète dans la proximité dune relation vécue comme un engagement. Nest-il pas une certaine forme dindécence, ou alors une profonde méconnaissance, à considérer sans autre forme que légitimer le don de la mort » ou le meurtre compassionnel constituerait la réponse espérée par celui qui éprouve le sentiment dun désastre sans recours ? Il ne sagit en aucun cas dadopter des postures morales, de clamer les grandes vertus sur le promontoire des idéaux, de lancer des anathèmes, de fustiger les fervents dune mort dans la dignité »promue comme le catéchisme du temps présent. Jestime plutôt nécessaire de contribuer à lexigence dun débat qui ne saurait se résoudre à déterminer des normes et des règles conformes à ce que serait, en loccurrence, une bonne solution», cette bonne mort » tellement prisée et convoitée de nos jours par ceux quelle inquiète tant. Il convient en fait de préserver les conditions mêmes dune réflexion, voire dune méditation personnelle, intime, qui nexonère cependant pas de lobligation de choix politiques effectivement respectueux, en pratique, des personnes dans leurs convictions profondes, attachements et droits. Cest permettre ainsi autre expression de la liberté de se maintenir dans une position de vigilance, de demeurer invulnérable aux tentatives dune soumission inconditionnelle aux pressions et convoitises dune idéologie de convenance, à tant dégard favorable à la prescription médicale de la mort. Les débats relatifs à la dépénalisation de leuthanasie sont récurrents en France depuis les années 1980. Ils nont pas été vains. Au-delà des controverses nécessaires, la France sest en effet engagée dans une démarche favorable à la lutte contre la douleur et au développement 3 dune culture des soins palliatifs. Notre pays a légiféré en 1999 en faveur des soins palliatifs , 4 5 en 2002 pour assurer à chacun une vie digne jusquà sa mort » et en 2005, avec intelligence et subtilité, afin de reconnaître précisément le droit des malades en fin de vie ». 3 Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à laccès aux soins palliatifs. 4 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, article L. 1110-5. 5 Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Extraits deApprendre à mourir 3
En pratique, toutefois, les dispositifs ne sont que rarement à la hauteur des attentes et des besoins. Trop de réticences et dinsuffisances en termes de choix institutionnels compromettent la dynamique dune intégration des soins de support et des soins palliatifs au quotidien de la médecine. Je comprends parfois ceux qui comprennent de tels manquements comme lindice de mentalités plutôt favorables à leuthanasie, même si depuis juin 2007 le développement des soins palliatifs relève des priorités gouvernementales. En Europe, les Pays-Bas, la Belgique et désormais le Luxembourg se sontdotés dune législation qui rend possible la pratique médicale deuthanasie. Pour certains propagandistes de la mort dans la dignité » ces pays constituent un incontestable modèle qui devrait inspirer le législateur français. Il sembleraitdu reste ne pas être totalement réfractaire à une certaine évolution dela loi du 22 avril 2005 en reconnaissant, sous certaines conditions, le droit à bénéficier dune euthanasiedite dexception». La prudence justifierait de privilégier une approche par étapes, toutefois rien nindique quune circonstance inattendue ne contribue à précipiter le calendrier. Il me semble donc aujourdhui opportun dévoquer certains enjeux à ne pas négliger, ou les quelques valeurs à ne pas déconsidérer, si demain notre société était en situation de franchir la dernière étape dune libéralisation de la mort ». * * * TABLEAvant-propos : Prescrire la mort Introduction : Envie deuthanasie Hymne à la mort Droit à la mort Ultime partage 1. Mourir autrement Sengager sans repères évidents Temps de confusions Une humanité perdue
Extraits deApprendre à mourir 4
2. Lavancée dans la maladie Des savoirs qui ne se partagent pas Perdre en humanité Rendre possible le dépassement 3. Dépendance Penser autrement Contester le droit dexister Une éthique de la fragilité 4. Souffrir Apaiser la souffrance Face à linsupportable Une douleur sans voix Séprouver destitué 5. Sollicitude extrême La condition de lerrant Prendre position Faire mourir Lhospitalité en fin de vie Conclusion : Une éthique de la consolation Les confins de lexistence Restaurer la relation de confiance
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