Résistances et adaptation du monde paysan au système métrique issu de la Révolution : les indices d évolution d une culture de la quantification - article ; n°4 ; vol.100, pg 427-439
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Résistances et adaptation du monde paysan au système métrique issu de la Révolution : les indices d'évolution d'une culture de la quantification - article ; n°4 ; vol.100, pg 427-439

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Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest - Année 1993 - Volume 100 - Numéro 4 - Pages 427-439
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Publié le 01 janvier 1993
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Jean Dhombres
Résistances et adaptation du monde paysan au système
métrique issu de la Révolution : les indices d'évolution d'une
culture de la quantification
In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 100, numéro 4, 1993. La culture paysanne (1750-1830). pp.
427-439.
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Dhombres Jean. Résistances et adaptation du monde paysan au système métrique issu de la Révolution : les indices
d'évolution d'une culture de la quantification. In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 100, numéro 4, 1993. La
culture paysanne (1750-1830). pp. 427-439.
doi : 10.3406/abpo.1993.3492
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1993_num_100_4_3492Résistances et adaptations
du monde paysan au système métrique
issu de la Révolution :
les indices d'évolution d'une culture
de la quantification
par Jean DHOMBRES
« Bézout, Newton, Lalande, Laplace et Naigeon,
Diderot et Bacon,
Toute algèbre au travail dans sa haute bravade,
N'a jamais dans nos champs fait croître une salade »l
En quelques méchants vers, l'année précisément de la promulgation du sys
tème métrique, ce farfelu ironique de Louis-Sébastien Mercier - figure attardée
sous la Révolution de la bohème littéraire du temps précédent - dressait en une
image-repoussoir le bilan de l'intrusion de la science dans le quotidien paysan.
Image instrumentalisée d'une modernité dangereuse, image qui peut servir de
représentation dans la mesure où les tracés en sont équilibrés au point de faire
corps. Evidemment l'appel à la tradition s'impose, cette nostalgie de la sécurité
d'un ancien temps bousculé comme toujours par la modernité qui s'attaque aux
anciens.
« Qu 'ont fait les nouveaux poids, les nouvelles mesures ?
A tous nos bons vieillards apporter des tortures »?
1. Louis-Sébastien MERCIER, Satire contre les astronomes, Paris, 1799.
2. Ibidem. 428 ANNALES DE BRETAGNE
Mais cette simple évocation serait bien insuffisante si la modernité n'était qual
ifiée, afin de la distinguer d'une simple modernité de continuité : c'est bien une
modernité savante qui est donnée à voir puisqu'elle est dotée d'un langage sym
bolique, forcément élitiste, l'algèbre que cultivait Etienne Bézout, le maître de
calcul de tous les ingénieurs militaires formés sous l'Ancien Régime. Et cette
modernité est militante, elle est « au travail » et elle cherche donc à s'imposer. Si
elle s'avère inefficace, c'est parce qu'elle est fondamentalement inintelligente,
c'est-à-dire qu'elle n'est pas adaptée à l'objectif de production, toute orientée
vers les chimères de la théorie exemplifiée par le personnage jusque-là intou
chable de Newton. Ce sont enfin deux philosophes dont les noms clôturent la
liste, et si celui de Bacon facilite la rime, il n'en est pas moins le recours tutélaire
des Encyclopédistes. C'est aussi bien une modernité qui a répudié la religion : le
nom du mathématicien Laplace étant sûrement encadré dans les vers de Mercier
par ceux de militants . contemporains comme l'astronome Lalande et l'érudit
Naigeon qui, tous trois, occupent une place de choix dans le récent Dictionnaire
des Athées3. Et, à tout bien prendre, c'est une modernité républicaine.
Souvent évoquée, l'histoire de la mise en application du système métrique,
légalisé une première fois le 18 germinal an III (7 avril 1795), ne peut guère se
dérouler sans tenir compte de cette représentation de la modernité. Et c'est en
tout cas prendre un parti - de nature positiviste - que de réduire la diffusion du
système en France à celle d'une lutte entre les Lumières et la tradition trop igno
rante4. Tradition qui serait naturellement incarnée par le monde paysan direct
ement touché, comme en témoigne, entre mille autres, cette Instruction sur la
fabrication des nouvelles mesures de capacité pour les grains et autres matières
sèches, publiée en floréal an IX à l'Imprimerie de la République «en exécution
de l'arrêté des Consuls du 13 brumaire ». Les lois et les décrets se multiplièrent
en effet, traduisant des fluctuations jusqu'à la décision du 14 juillet 1837 : «A
partir du 1er janvier 1840, tous Poids et Mesures autres que les Poids et Mesures
établis par les lois du 18 germinal an III et 19 frimaire an VIII, constitutives du
système métrique décimal, seront interdits sous les peines portées par l'article
479 du Code pénal »5.
3. S. MARÉCHAL, Dictionnaire des Athées anciens et modernes, Paris, Grabit, an XIII. Sur cette ten
dance athée chez les scientifiques de la période révolutionnaire, voir J. et N. DHOMBRES, Naissance
d'un nouveau pouvoir : sciences et savants en France (1793-1824), Paris, Payot, 1989, chap. IV, pp.
256-269.
4. G. BlGOURDAN, Le système métrique des Poids et Mesures, Gauthier-Villars, Paris, 1901. Cet
ouvrage, malgré son parti pris positiviste, reste aujourd'hui le plus informé sur l'histoire technique du
système métrique, et il fournit notamment les textes législatifs les plus notables. Quoique rédigé dans
le même esprit, D. RONCIN, « Mise en application du système métrique (7 avril 1795 - 4 juillet
1837) », Numéro spécial des Cahiers de Métrologie, N° 2, CNRS/IHMC, 1984, analyse les réactions
et fournit une bibliographie.
5. Article 3 de la loi du 4 juillet 1837, loi affichée dans les villes et communes de France. Voir par
exemple Archives Municipales de Nantes, L2C16/1. ANNALES DE BRETAGNE 429
Trois adjectifs : métrique, uniforme, et républicain
Avant même tout contact avec la population, avant tout exercice pratique, c'est le
vocabulaire de la lutte, et plus encore celui de l'inévitable « résistance » qui est
choisi d'emblée par le militantisme scientifique lequel organise ainsi une de ses pre
mières manifestations, une autre chronologiquement parallèle trouvant son élan,
après la découverte de Jenner, dans les campagnes de vaccinations antivarioliques
qu'il serait d'ailleurs intéressant d'étudier en synchronie6. Un militantisme qui
s'appuie sur une opération géodésique devenue une odyssée, la réussite de la tria
ngulation de la France entre Dunkerque et Perpignan, puis Barcelone, réalisée de
1 792 à 1 798 en vue de définir le mètre étalon à partir de la longueur mesurée de façon
aussi précise que possible du méridien terrestre. Cette aventure scientifique ra
ssemble en un seul moment tout un siècle de mathématisation : elle fait triompher la
mécanique céleste - c'est précisément le titre choisi pour un ouvrage majeur que
Laplace sort en 1799 - autrement dit le passage du monde sous la coupe réglée des
mathématiques. Puisque la physique, la chimie et l'astronomie sont aussi bien mises
à contribution pour la caractérisation du mètre que la géométrie, l'analyse et la géo
désie, l'aventure de la méridienne concrétise à la vue de tous l'union de toutes les
sciences, union d'autant plus importante que le monde scientifique en ressent la pré
carité conceptuelle tant est obvie la tendance à la spécialisation. Si la science a
besoin de l'Etat, c'est particulièrement en vue de réaliser de tels projets fédératifs
dont il faut bien justifier l'intérêt par une inscription sociale, en l'occurrence une
nouvelle métrologie.
C'est donc l'adjectif métrique qui ressort d'abord car il marque volontairement
unerupture. LemoUe mètre » est en effetune création forgée sur le grec |iêipov qui,
même si elle rappelle un usage poétique mais savant de mesure des syllabes, appar
aît pour la première fois avec le sens nouveau de longueur dans un texte de
l'Académie des sciences du 1 1 juillet 1792 - une simple instruction en vue des opé
rations cadastrales - texte diffusé dans un milieu bien spécialisé puisqu' il paraît dans
les toutes récentes Annales de chimie1. Un an plus tôt, dans leur rapport destiné à la
Législative sur le choix d'une unité de mesure, les cinq académiciens commis à cet
effet, Borda (le seul ingénieur), Lagrange, Laplace, Monge et Condorcet, n

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