L écoulement du temps, entrecroisement de l être et du non-être
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L'écoulement du temps, entrecroisement de l'être et du non-être

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L’ÉCOULEMENT DU TEMPS: ENTRECROISEMENT DE L’ETRE ET DU NON-ETRE Lorenzo Peña eL’espace et le temps: Actes du XXII Congrès de l’Association des Sociétés de Philosophie de Langue Française 1988 éd. par J. Ferrari Paris: Vrin, 1991 ISBN: 2711610411 De tout temps l’écoulement du temps a été associe à l’existence de changements en même temps qu’une telle existence a été soupçonnée d’enfermer des contradictions, une unité inextricable d’être et de non-être. Les philosophes se sont divisés à ce propos entre ceux qui s’évertuent à écarter ce soupçon, ceux qui, eu égard au surgissement desdites contradictions, se prononçaient contre l’existence du temps et du changement, et enfin ceux qui, en affirmaient la réalité nonobstant les contradictions dont ils seraient les porteurs. Ce n’est pas sans de bons fondements qu’on attribue donc aux éléates un rejet de l’existence du temps au profit de l’affirmation d’une réalité éternelle, non- temporelle.

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Publié le 07 août 2013
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L'‡COULEMENT DU TEMPS: ENTRECROISEMENT DE L'ETRE ET DU NON-ETRE Lorenzo Pea
L'espace et le temps: Actes du XXIIeCongrès de l'Association des Sociétés de Philosophie de Langue Française 1988 éd. par J. Ferrari Paris: Vrin, 1991 ISBN: 2711610411
De tout temps l'écoulement du temps a été associe à l'existence de changements en même temps qu'une telle existence a été soupçonnée d'enfermer des contradictions, une unité inextricable d'être et de non-être. Les philosophes se sont divisés à ce propos entre ceux qui s'évertuent à écarter ce soupçon, ceux qui, eu égard au surgissement desdites contradictions, se prono nçaient contre l'existence du temps et du changement, et en®n ceux qui, en affirmaient la réalité nonobstant les contradictions dont ils seraient les porteurs. Ce n'est pas sans de bons fondements qu'on attribue donc aux éléates un rejet de l'existence du temps au pro®t de l'affirmation d'une réalité éternelle, non-temporelle. De son cêté, Platon semble avoir tenté sur la question qui nos occupe une médiation entre éléatisme et héraclitéisme pareille à celle qui lui tint à coeur sur l'ensemble des problèmes ontologiques: alors que le monde des Formes échapperait seul à toute temporalité, à tout changement, accaparant de la sorte le domaine du réellement réel, c-à-d d'une existence sans mélange de non-existence, sans présence de contradiction, le monde sensible au contraire serait empêtré dans l'entrecroisement d'être et de non-être, dans la gradualité de l'existence, et dès lors dans le changement, l'écoulement du temps, l'impermanence. Or chacun connali bien la suite des ré exions platoniciennes: de quelle façon le fondateur de ¯ l'Académie, dans tels de ses dialogues tardifs, comme leParménideet leSophiste, introduisit précisément dans la vie même du monde des Formes le mouvement, le devenir, le temps donc Ð et, par ricochet, les contradictions qui en découlent. C'est à Aristote que revient la tche Ð toute à la hauteur et à la teneur de ses penchants philosophiques Ð de contourner ou d'esquiver cote que cote la menace de contradiction, et d'affirmer par là la réalité du temps et celle du changement convenablement épurées de tout semblant d'antinomie. Il s'y employa mettant à pro®t des instruments, dont il fut l'ingénieux inventeur, des distinctions subtiles entre l'acte et la puissance et d'autres semblables. Hélas, outre que pareils distînguos sont loin de posséder la clarté que l'on serait en droit d'espérer, ils ne
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réussissent à écarter la menace de contradiction qui pèse sur le changement Ð et partant sur le passage du temps Ð qu'au prix de réintroduire l'antinomie sous une forme à peine déguisée; caren effet pour Aristote le mouvement est l'acte d'un étant en puissance en tant précisément qu'il est en puissance. Les expressions réduplicatîves, les «en-tant-que» constituent Ð dans l'usage, tout au moins, qu'en font les péripatéticiens Ð des rideaux de fumée qui cachent les implications logiques des thèses que l'on professe. Neénmoins la contradiction implicite dans la formule aristotélicienne nous parait s'en dégager assez visiblement. Le Stagirite rencontra des difficultés semblables à propos de la catégorie accidentelle du quand. Le fond du problème réside en ceci, que quelque chose ne peut acquérir ou posséder unquandque pour autant qu'il est déjà, tout à la fois, en train de le perdre. C'est St. Augustin qui, d'entre tous les philosophes, a su tirer les conséquences les plus extrêmes des considérations sur l'écoulement du temps qui ne sont en fait que des constatations sur lesquelles en principe chacun s'accorderait. Ce qui fut et n'est plus n'est plus, c-à-d n'existe pas maintenant, non plus que ce qui sera mais n'est pas encore. Seul ce qui est présent existe. Or le présent ne saurait être qu'instantané. Donnez-lui une durée quelconque, vous devrez avouer qu'une partie en est antérieure à l'autre; d'o il s'ensuivrait que, n'étant point simultanées, ledites parties existent, non pas en même temps, mais les unes après les autres. Lorsqu'une partie est présente, d'autres s'en sont déjà allées, d'autres en®n ne sont pas encore arrivées. Ce qui veut dire qu'elles ne sont pas présentes. Or, dans la mesure o le présent est constitué du non présent, il n'est pas présent. Cependant, un présent ponctuel, sans durée aucune, un présent qui ne dure point, est un non-être, puisqu'au même instant o il commence d'exister il disparaît tout à la fois, sombrant dans l'abîme de l'inexistence. St. Augustin hésite à ce propos entre plusieurs attitudes. Tantt il s'y prend en essayant d'articuler une théorie des degrés d'existence qui entraînerait une reconnaissance de la fausseté, au moins partielle, du principe de non-contradiction. D'autres fois, il s'évertue à redonner au temps une pseudo-réalité phénoménique ou plutt dans la conscience. Quoi qu'il en soit il ne me semble pas être venu à bout de la difficulté, puisque ses ttonnements en vue de saisir l'existence du temporal comme une existence moindre, insérée dans la contradiction, dans 1' entrecroisement d'être et de non-être, n'ont guère dépassé le stade des balbutiements Ð ce qui, du reste, est à l'avenant de ses penchants ineffabilistes. Parmi les grandes controverses orissant dans la scolastique du bas Moyen ¯ Âge une polémique éclata autour des paradoxes de Zénon, notamment celui de la ¯ èche, au cours de laquelle d'aucuns tirèrent la conclusion que le changement implique la possession simultanée de déterminations mutuellement contradictoires Ð seulement ils tenaient tout à la fois à contourner la contradiction formelle en postulant des «moments de nature», si bien qu'une substance en devenir aurait beau exempli®er deux propriétés opposées tout à la fois, nulle contradiction
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expresse ne s'ensuivrait car elle exempli®erait chacune desdites propriétés dans un moment différent, non pas un moment du temps, certes, mais un moment non temporal. Un écho de ces controverses se trouve dans la discussion du paradoxe zénonien à laquelle se livre Spinoza dans son exposé de la philosophie cartésienne, o le philosophe néerlandais Ð contrairement aux tentatives les plus en vue depuis toujours d'enrayer la contradiction du changement Ð se prononce contre l'instantanéité du maintenant et soutient au contraire que les moments ont une durée, à telles enseignes qu'à chaquemoment o le mobile entre dans un endroit il est déjà en train de le quitter, sans qu'il soit possible de séparer par une limite ou une différence temporelle les deux actions, celle d'entrer et celle de sortir. Et Spinoza d'affirmer que le paradoxe zénonien est résolu de la sorte, car d'après lui ce que demanderaient les tenants du paradoxe serait un moment o le corps ft présent dans un endroit à l'exclusion de toute absence de sa part vis-à-vis dudit endroit; or ce n'est pas possible, nous dit-il; non pas que le corps soit et ne soit pas simultanément dans un endroit; mais du fait qu'il n'y a pas de temps minimal et, dès lors, dans chaque temps, si petit soit-il, il y a une entrée du corps dans un endroit et aussi une sortie du même corps dudit endroit. Mais on voit mal comment la solution spinozienne pourrait être à même de prév enir la contradiction. Si à chaque moment pendant son parcours le mobile entre dans un endroit et qu'en même temps il en sort tout autant, si donc il n'y a aucun moment o il y entre mais n'en sort point, c'est que l'entrée et la sortie sont simultanées, alors que, de l'aveu de notre philosophe, elles sont des déte rminations mutuellement contradictoires, opposées. Spinoza semble croire que dans des cas pareils il n'y aurait pas de simultanéité parce que «au moment m p» signi®erait, non pas «tout au long de m p» mais quelque chose comme «dans un sous-intervalle de m p»; or chaque laps de temps durant le parcours serait composé d'intervalles pendant lesquels le mobile entre dans l'endroit en question et d'autres pendant lesquels il en sort. Une telle approche a été mise en l'honneur de nos jours par von Wright, seulement avec d'autres nuances et nantie d'une esquisse de formalisation. Le fond de cette approche consiste à croire qu'il y aurait un mélange inextricable de déterminations contradictoires m ais sans aucune (con)fusion entre elles, sans que pour autant il y ait un point ou un tronçon quelconque o leouiet lenoncoïncident autrement que par l'alternance ou l'enchevêtrement indémêlable entre eux. Or, si deux déterminations opposées se trouvent assemblées dans un écheveau qu'on ne saurait débrouiller, n'est-ce pas alors qu'elles atteignent le point de fusion, c-à-d qu'il y a un laps tout au long duquel elles se trouvent tout à la fois présentes l'une comme l'autre? Autrement l'enchevêtrement ne saurait consister que dans une alternance in®niment complexe entre des intervalles indé®niment menus d'entrée et de sortie, de possession d'une détermination et de possession de la détermination opposée . Le moindre inconvénient d'une telle approche n'est pas celui d'être ainsi tenue de songer à une alternance que non seulement rien ne vient con®rmer mais dont l'affirmation
Lorenzo Pea, «L'‡coulement du temps». ISBN: 2711610411 4 semblerait plutt être désavouée par tous les indices, par toute l'evidence disponible. C'est Hegel qui a pris sur soi, avec la désinvolture philosophique dont il avait le secret, d'articuler une théorie du temps qui mettrait en valeur son caractère contradictoire. Le temps est pour lui cette détermination d'une chose en vertu de laquelle dans la mesure o elle est, elle n'est pas, et, dans la mesure o elle n'est pas, elle est. Mais alors comment se fait-il que dans les sphères de l'Idée, celle de l'être comme celle de l'essence et celle en®n du concept, le temps soit absent? C'est que l'Idée est un en-soi, c-à-d une puissance d'être qui n'atteint l'actualité ou la réalité que pour autant qu'elle s'extériorise dans la nature et revient à soi, pour soi, dans l'esprit. Or nature et esprit sont bien des réalités temporelles. Et surtout l'esprit, o la succession des moments évolutifs ne se déroule que dans la dimension du temps. En dépit cependant de ses remarques géniales, de sa systématisation grandiose, de ses percées clairvoyantes, l'approche hégélienne nous déçoit à la ®n, car on y chercherait en vain des discussions Ð au sens des arguments courants Ð étayant les points de vue proposés, ou des élucidations susceptiblesd'un traitement formalisable. C'est ainsi que nous arrivons à la philosophie contemporaine, o McTaggart est à juste titre renommé pour son argument contre l'existence (ou l'écoulement) du temps Ð un argument qui continue de faire couler beaucoup d'encre. Lenervus probandide l'argument est fort simple: accordez que chaque événement est, tour à tour, futur, présent, puis passé; alors j'affirme qu'il a des déterminations contradictoires. Que, si vous répliquez qu'il ne les a pas toutes en même temps mais successivement, je rétorque qu'alors il a les déterminations d'être futur à certains moments, présent à un autre moment, passé à d'autres moments encore, ce en quoi il ne se distingue d'aucun autre: il aura donc les mêmes déterminations temporelles que n'importe quel autre événement, alors que, precîsement, s'il y a du temps, c'est que certains événements possèdent des déterminations qui font défaut aux autres; c'est pourqoui, si le temps existe, certains événements possèdent des déterminations temporelles manquant aux autres, qui en revanche possèdent les leurs en propre; pareilles déterminations sont donc contraires, incompatibles; alors que, comme nous l'avons vu tout à l'heure, chaque événement les possède toutes. ‚ moins qu'on ne postule un ultratemps et ainsi à l'in®ni. Or saurait-on éviter la contradiction au prix d'une telle régression in®nie? C'est douteux. Que faire alors? Les russellians s'attachent à nous proposer un temps qui ne s'écoulerait pas, mais qui demeurerait, c-à-d un temps o tout ce qui existe à un moment existerait toujours. Pourtant, Russell lui-même, en s'inspirant de Leibniz, a esquissé dans certains de ses travaux philosophiques postérieurs (Human KnowledgeOrder in Time») des idées fécondes pour l'articulationet «On d'une ontologie temporelle plus sensible à la richesse du réel.
Lorenzo Pea, «L'‡coulement du temps». ISBN: 2711610411 5 ¯ à m Les ré exions qui précèdent visent seulement ontrer le besoin d'une théorie du temps ne refusant pas au passage temporel son caractère contradictoire, celui de constituer une fusion d'etre et de non-être. Si le présent est fait du non-présent c'est qu'il n'est pas complètement présent; ce qui au demeurant s'avère exact, puisqu'il est déjà en train de devenir passé alors même qu'il commence à exister. Je ne puis ici que brosser à peine certains traits fort sommaires de l'approche à proposer. Premièrement, au lieu d'assigner à un état de choses forcément l'une des deux valeurs aléthiques de l'absolumen t vrai et de l'absolument faux, accordons qu'il peut prendre non seulement une valeur d'entre une in®nité de degrés, mais aussi un ensemble de telles valeurs, se trouvant ainsi être plus vrai (ou plus existant) à certains égards qu'à d'autres. Deuxièmement, au lieu de nous laisser enserrer dans les tenailles du choix entre d'un cté des événements sempiternels Ð comme ceux que nous proposent les russelliens (d'après lesquels il n'y aurait pas de Révolution française tout court, mais bien le fait qu'en 1789-1815 la France est en révolution, p.ex.) Ð et d'autre part l'exclusion du présent nontemporel à laquelle se livrent le s «tense-metaphysicians», avec les résultats paradoxaux qui s'ensuivent, il vaut mieux de reconnaître qu'un événement étant un fait, il peut changer de degré de vérité ou d'existence selon les moments du temps sans que le présent intemporel doive être banni pour autant: au fait, dire qu'une chose existe au temps t ce n'est que dire que (dans le présent intemporel) la chose possède la détermination t Ð les durées temporelles n'étant ainsi rien d'autre que des déterminations des choses; or un état de choses peut être (intemporellement) pourvu d'un certain assemblage de degrés de réalité ou de vérité, alors que la possession par ledit état de choses d'une détermination temporelle peut avoir (intemporellement) un assemblage différent Ð mais sans doute apparenté de quelque façon Ð de degrés d'existence. Troisièmement, en vue de rendre possible l'articulation du point précédent Ð et aussi pour d'autres raisons Ð il nous faut procéder à l'abattement des barrières catégorielles: au lieu de tenir un fait ou état de choses pour quelque chose qui serait catégoriellement divers des entités, c-à-d des choses susceptibles de posséder ou d'exempli®er des déterminations ou des propriétés, soyons plutt d'avis le d'une qu'aucune barrière catégorielle ne découpe réel, l'attribution propriété ou d'une détermination à une chose quelconque ne constituant jamais un non-sens; cet abattement des frontières catégorielles peut se réalis er moyennant l'identi®cation de chaque chose à son existence propre, ce que d'ailleurs nombre de raisons viennent étayer. Quatrièmement, passons-nous des instants et bornons-nous à postuler des intervalles, des durées: admettons que de telles durées sont reliées par des relations d'antériorité et de simultanéité comportant non seulement des degrés Ð sans que jamais il y ait une simultanéité complète, même d'une durée par rapport à elle-même, ou d'un événement à l'égard de soi-même (autrement chaque présent serait entièrement présent en lui-même, ce qui, nous l'avons vu,
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n'est pas le cas) Ð mais aussi des variations d'aspect, au point qu'il se peut même que le degré d'existence des faits relationnels en question soit variable suivant les moments Ð le temps lui-même intervenant ainsi comme son ultratemps, et de multiples dimensions de la temporalité jaillissant de telles combinaisons. En®n, accordons aumaintenantson statut changeant en lui attribuant une coïncidence ou simultanéité avec chaque moment précisément à ce moment-là Ð c-à-d en affirmant qu'à chaque intervalle temporel t lemaintenantest simultané avec t; quant à savoir quelle est la valeur aléthique de «lemaintenantest simultané avec t» (dans le présent intemporel), pourquoi ne pas admettre qu'elle est un assemblage de degrés de vérité assez divers Ð suivant les différents aspects du réel? De telles idées ont trouvé leur articulation formalisée au moyen d'une logique temporelle paraconsistante dans une série de travaux en cours.
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