Étude sur Shakespeare
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Étude sur ShakspeareFrançois Guizot1821AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS.Lorsque M. Guizot, en 1821, publia chez M. Ladvocat les œuvres complètes deShakspeare traduites en français, M. Ladvocat expliqua dans une courte préfaceque la modestie seule du traducteur avait fait maintenir en tête de cette publicationle nom de Letourneur, qui le premier avait tenté de faire connaître en France lethéâtre de Shakspeare.C’était bien une traduction nouvelle que M. Guizot publiait, en 1821, avec lacollaboration de M. Amédée Pichot. Une grande Étude biographique et littéraire surShakspeare la précédait ; trente-sept notices et de nombreuses notesaccompagnaient les diverses pièces ; une tragédie entière et deux poëmes, dontLetourneur n’avait rien donné, étaient ajoutés ; tous les passages que Letourneuravait supprimés dans le corps des pièces étaient rétablis, et cela seul rendait àShakspeare au moins deux volumes de ses œuvres ; mais surtout la traductionavait été entièrement revue et corrigée d’après le texte, et si le nom de Letourneurétait maintenu sur le titre, son système d’interprétation était détruit presque àchaque ligne. Ses infidélités déclamatoires ou timides avaient disparu, pour faireplace à une exactitude, à une simplicité, à une hardiesse qui changeaient du tout autout la physionomie du style. Un grand pas était fait. Peut-être n’était-ce pas encoreune traduction définitive, mais c’était déjà une traduction décisive, qui devançait lesprogrès de la ...

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Extrait

Étude sur Shakspeare
François Guizot
1281

AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS.
Lorsque M. Guizot, en 1821, publia chez M. Ladvocat les œuvres complètes de
Shakspeare traduites en français, M. Ladvocat expliqua dans une courte préface
que la modestie seule du traducteur avait fait maintenir en tête de cette publication
le nom de Letourneur, qui le premier avait tenté de faire connaître en France le
théâtre de Shakspeare.
C’était bien une traduction nouvelle que M. Guizot publiait, en 1821, avec la
collaboration de M. Amédée Pichot. Une grande Étude biographique et littéraire sur
Shakspeare la précédait ; trente-sept notices et de nombreuses notes
accompagnaient les diverses pièces ; une tragédie entière et deux poëmes, dont
Letourneur n’avait rien donné, étaient ajoutés ; tous les passages que Letourneur
avait supprimés dans le corps des pièces étaient rétablis, et cela seul rendait à
Shakspeare au moins deux volumes de ses œuvres ; mais surtout la traduction
avait été entièrement revue et corrigée d’après le texte, et si le nom de Letourneur
était maintenu sur le titre, son système d’interprétation était détruit presque à
chaque ligne. Ses infidélités déclamatoires ou timides avaient disparu, pour faire
place à une exactitude, à une simplicité, à une hardiesse qui changeaient du tout au
tout la physionomie du style. Un grand pas était fait. Peut-être n’était-ce pas encore
une traduction définitive, mais c’était déjà une traduction décisive, qui devançait les
progrès de la critique et du goût, et qui devait mettre les lecteurs français en
demeure de se prononcer sur Shakspeare tel qu’il est.
Cette traduction vient de subir une nouvelle révision, complète, minutieuse, et qui
ôte au nom de Letourneur tout droit et même tout prétexte de figurer sur le titre. —
Nous y ajoutons la collection complète des sonnets qui manquait à l’édition
antérieure.
Maintenant que l’intelligence des littératures étrangères s’est répandue en France,
maintenant que Shakspeare est familier à tous les esprits cultivés, un traducteur
peut oser davantage et serrer le texte de plus près. Rien n’empêche aujourd’hui les
traductions d’être aussi exactes qu’elles pourront jamais l’être ; la tentation et le
péril sont plutôt d’exagérer que d’atténuer les textes en les interprétant, et de faire
des traductions pareilles à la photographie, qui grossit les traits saillants des
visages qu’elle reproduit. On s’est efforcé d’éviter cette infidélité d’une nouvelle
sorte, et de ne point faire un Shakspeare français plus anglais et plus shakspearien
que le Shakspeare anglais lui-même.
DIDIER ET Cie

ÉTUDE SUR SHAKSPEARE
C’est Voltaire qui, le premier, a parlé en France du génie de Shakspeare, et bien
qu’il le traitât de barbare, le public français trouva que Voltaire en avait trop dit. On
eût cru commettre une sorte de profanation en appliquant, à des drames qu’on
jugeait informes et grossiers, les mots de génie et de gloire.
Maintenant ce n’est plus de la gloire ni du génie de Shakspeare qu’il s’agit ;
personne ne les conteste ; une plus grande question s’est élevée. On se demande
si le système dramatique de Shakspeare ne vaut pas mieux que celui de Voltaire.
Je ne juge point cette question. Je dis qu’elle est posée et se débat aujourd’hui. Là
nous a conduits le cours des idées. J’essayerai d’en indiquer les causes ; je

n’insiste en ce moment que sur le fait même, et pour en tirer une seule
conséquence ; c’est que la critique littéraire a changé de terrain et ne saurait
demeurer dans les limites où elle se renfermait jadis.
La littérature n’échappe point aux révolutions de l’esprit humain ; elle est contrainte
de le suivre dans sa marche, de se transporter sous l’horizon où il se transporte, de
s’élever et de s’étendre avec les idées qui le préoccupent, de considérer les
questions qu’elle agite sous les aspects et dans les espaces nouveaux où les place
le nouvel état de la pensée et de la société.
On ne s’étonnera donc pas si, pour connaître Shakspeare, j’éprouve le besoin de
pénétrer un peu avant dans la nature de la poésie dramatique et dans la civilisation
des peuples modernes, surtout de l’Angleterre. Si l’on n’aborde ces considérations
générales, il est impossible le répondre aux idées, confuses peut-être, mais actives
et pressantes, qu’un tel sujet fait naître maintenant dans tous les esprits.
Une représentation théâtrale est une fête populaire. Ainsi le veut la nature même de
la poésie dramatique. Sa puissance repose sur les effets de la sympathie, de cette
force mystérieuse qui fait que le rire naît du rire, que les larmes coulent à la vue des
larmes, et qui, en dépit de la diversité des dispositions, des conditions, des
caractères, confond dans une même impression les hommes réunis dans un même
lieu, spectateurs d’un même fait. Pour de tels effets, il faut que la foule s’assemble :
les idées et les sentiments qui passeraient languissamment d’un homme à un autre
homme traversent, avec la rapidité de l’éclair, une multitude pressée, et c’est
seulement au sein des masses que se déploie cette électricité morale dont le poëte
dramatique fait éclater le pouvoir.
La poésie dramatique n’a donc pu naître qu’au milieu du peuple. Elle fut, en
naissant, destinée à ses plaisirs ; il prit même d’abord une part active à la fête ; aux
premiers chants de Thespis s’unissait le chœur des assistants.
Mais le peuple ne tarde pas à s’apercevoir que les plaisirs qu’il peut se donner lui-
même ne sont ni les seuls, ni les plus vifs qu’il soit capable de goûter : pour les
classes livrées au travail, le délassement semble la première et presque l’unique
condition du plaisir ; une suspension momentanée des efforts ou des privations de
la vie habituelle, un accès de mouvement et de liberté, une abondance relative,
c’est là tout ce que cherche le peuple dans les fêtes où il agit seul ; ce sont là toutes
les jouissances qu’il sait se procurer. Cependant ces hommes sont nés pour sentir
des joies plus nobles et plus vives ; en eux reposent des facultés que la monotonie
de leur existence laisse s’endormir dans l’inaction : qu’une voix puissante les
réveille ; qu’un récit animé, un spectacle vivant viennent provoquer ces imaginations
paresseuses, ces sensibilités engourdies, et elles se livreront à une activité qu’elles
ne savaient pas se donner elles-mêmes, mais qu’elles recevront avec transport ; et
alors naîtront, sans le concours de la multitude, mais en sa présence et pour elle, de
nouveaux jeux, de nouveaux plaisirs qui deviendront bientôt des besoins.
C’est à de telles fêtes que le poëte dramatique appelle le peuple assemblé. Il se
charge de le divertir, mais d’un divertissement que le peuple ne connaîtrait pas
sans lui. Eschyle retrace à ses concitoyens la victoire de Salamine, et aussi les
inquiétudes d’Atossa et la douleur de Xerxès ; il charme le peuple d’Athènes, mais
en l’élevant à des émotions, à des idées qu’Eschyle seul peut exalter à ce point ; il
communique à cette multitude des impressions qu’elle est capable de ressentir,
mais qu’Eschyle seul sait faire naître. Telle est la nature de la poésie dramatique ;
c’est pour le peuple qu’elle crée, c’est au peuple qu’elle s’adresse, mais pour
l’ennoblir, pour étendre et vivifier son existence morale, pour lui révéler des facultés
qu’il possède, mais qu’il ignore, pour lui procurer des jouissances qu’il saisit
avidement, mais qu’il ne chercherait même pas si un art sublime ne les lui apprenait
en les lui donnant.
Et il faut bien que le poëte dramatique poursuive cette œuvre ; il faut bien qu’il élève
et civilise, pour ainsi dire, la foule qu’il appelle à ses fêtes : comment agir sur les
hommes assemblés, sinon en s’adressant à ce qu’il y a de plus général, et de plus
élevé dans leur nature ? C’est seulement en sortant

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