Hugues Pierron de Mondésir
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Michel Maziers historien (ULB, 1960) secrétaire général des amis de la Forêt de soignes asbl Le hêtre dans la gestion de la forêt de soignes 21 octobre 2012 2 Le hêtre dans la gestion de la forêt de soignes En entraînant la révision des structures et du fonctionnement de la gestion de Soignes, la régionalisation des forêts belges fait resurgir un conflit latent depuis le XVIIIe siècle : quelle doit être la place du hêtre en forêt de Soignes ? Vaste sujet, jamais traité dans son ensemble, ce qui ne simplifie pas la tâche du chercheur qui navigue dans un archipel de sources d’am- pleurs et de fiabilités variables, d’études de qualités et d’époques diverses entre lesquelles serpentent des chapelets d’îlots restés inexplorés. Avant d’examiner cette question, il faut évidemment d’abord savoir quelle place occupe le hêtre en Soignes et quel(s) mode(s) de gestion s’applique(nt) avant que surgisse la contro- verse née au XVIIIe siècle et toujours en cours actuellement. Muettes avant le XIe siècle, les archives écrites deviennent de plus en plus abondantes au fil des siècles suivants. A moins de refaire toutes les analyses de ces sources effectuées par les historiens qui se sont intéressés à la forêt de Soignes — travail de bénédictin irréalisable en quelques mois !

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Publié le 12 août 2013
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Langue Français
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Michel Maziers
historien (ULB,1960)
secrétaire général des amis de la Forêt de soignes asbl
Le hêtre dans la gestion de la forêt de soignes
21 octobre 2012
Le hêtre dans la gestion de la forêt de soignes
En entraînant la révision des structures et du fonctionnement de la gestion de Soignes, la régionalisation des forêts belges fait resurgir un conflit latent depuis le XVIIIesiècle : quelle doit être la place du hêtre en forêt de Soignes ? Vaste sujet, jamais traité dans son ensemble, ce qui ne simplifie pas la tâche du chercheur qui navigue dans un archipel de sources d’am-pleurs et de fiabilités variables, d’études de qualités et d’époques diverses entre lesquelles serpentent des chapelets d’îlots restés inexplorés.
Avant d’examiner cette question, il faut évidemment d’abord savoir quelle place occupe le hêtre en Soignes et quel(s) mode(s) de gestion s’applique(nt) avant que surgisse la contro-verse née au XVIIIesiècle et toujours en cours actuellement.
Muettes avant le XIede plus en plus abondantes au filsiècle, les archives écrites deviennent des siècles suivants. A moins de refaire toutes les analyses de ces sources effectuées par les historiens qui se sont intéressés à la forêt de Soignes — travail de bénédictin irréalisable en quelques mois ! — la méthode qui est apparue comme la plus adaptée à cette abondance documentaire doublée d’une abondance comparable de publications historiques est de syn-thétiser au mieux les apports des sources ainsi que des travaux les plus récents qui mettent à jour l’historiographie de Soignes antérieure à la seconde guerre mondiale qui est au-jourd’hui le plus souvent dépassée1.
Depuis ses origines connues (XIefin de l’Ancien Régime, la forêt de Soignessiècle) jusqu’à la a constitué une sorte de seigneurie particulière, dotée d’institutions originales et dépendant directement du souverain. Avec les difficultés du jargon propre aux forestiers, c’est sans doute pourquoi de nombreux historiens qui ont étudié les structures administratives du duché de Brabant ont négligé celles de la forêt de Soignes2, renvoyant aux ouvrages spécia-lisés de l’archiviste de la Ville de Bruxelles Alphonse WAutERS, de l’écrivain Sander PIERRon et du propriétaire et exploitant forestier Félix GoBlEt D’AlVIEllA.
le gros défaut d’Alphonse WAutERS3est de ne pas citer systématiquement les documents sur lesquels il s’appuie : l’utilité de cette démarche n’est pas encore perçue par les historiens à l’époque où il écrit, mais cela rend la vérification des faits qu’il évoque et donc des conclu-sions qu’il en tire quasi impossible, alors que c’est une conditionsine qua nond’un travail historique rigoureux.
Quant au second, Sander PIERRon4, c’est pire : il pratique dans son la forêtHistoire illustrée de de Soignesen trois grands volumes (1935-1940) un ostracisme rigoureux et conscient envers le troisième, Félix GoBlEt D’AlVIEllA5qui, lui-même exploitant forestier, vient de publier une dizaine d’années plus tôt la premièreHistoire des bois et forêts de Belgiquecopieuse (4 tomes), bien documentée pour un pionnier, référenciée et donc encore très utile aujourd’hui, du moins pour le XVIIIesiècle.
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Pourquoi cet ostracisme ? Administrateur de la ligue des Amis de la Forêt de Soignes, Sander PIERRonpas heurter le secrétaire général — et fondateur de l’association — Renéne veut StEVEnS, que son fougueux tempérament d’artiste oppose farouchement au comte GoBlEt D’AlVIEllAseul objectif de la rentabilité et sansà qui il reproche d’exploiter ses bois avec le se préoccuper des considérations paysagères qui l’animent, lui StEVEnSqu’on surnomme le Sylvain — Silvanus est la divinité antique des bois et forêts — à l’exemple de Claude François D toCRunEE(forêt de Fontainebleau) ainsi surnommé un demi-siècle plus tôt par théophile GAuthIER6. Cinq ans après la controverse, il ne pardonne toujours pas le “crime” du comte, pourtant revenu à de meilleures conceptions, c’est-à-dire... plus proches des siennes7!
Cette querelle de bac à sable ternit donc le travail de bénédictin de Sander PIERRon, qui dé-montre par l’absurde qu’il ne suffit pas de parler du passé pour mériter le titre d’historien.
Ces précisions expliquent pourquoi ces œuvres fondatrices ne sont citées ci-dessous que quand leurs apports restent valables ou n’ont pas été renouvelés. Bien des vulgarisateurs continuent hélas à y puiser, contribuant ainsi à maintenir dans le grand public des connais-sances surannées, approximatives, voire inexactes…
le sort des précurseurs est toujours d’être plus ou moins rapidement dépassés par ceux à qui ils montrent le chemin. Depuis une quarantaine d’années, le contenu ces monuments de l’historiographie sonienne n’est certes pas ignoré, mais est restauré et complété par les ar-chitectes d’une nouvelle histoire de Soignes, soucieux de fonder leurs recherches sur des bases plus scientifiques et des sources plus diversifiées. Ils relaient les travaux précurseurs de Pierre KAuCh8, Daniel RoChEttE9et Arlette SMolAR-MEynARt10. les principaux d’entre eux ont servi de base à cette étude.
Dans leurs contributions respectives au colloque de Soignes ? forêtQuel(s) futur(s) pour la tenu à Bruxelles au Palais des Académies le 29 novembre 2011, Andrée CoRVol11retrace les lignes de faîte de l’évolution de la gestion de Soignes depuis ZInnERtandis que Claire BIllEn12lance un appel vibrant à un renouvellement des études historiques sur Soignes dont elle a elle-même posé quelques solides jalons. Celle-ci m’a aussi communiqué plusieurs études inédites qui me permettent d’édifier cette étude sur des fondations plus solides.
Qu’elles en soient toutes deux remerciées, de même que Bruxelles Environnement IBGE / leefmilieu Brussel BIM qui m’a donné l’occasion de mener cette étude.
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ieLe hêtre, un jeune premier !partie.
Chapitre i.1. LaDonatio Angelae(Donation d’Angèle)
Encastré dans la mémoire des anciens étudiants de Félicien FSSE VAERà l’ulB, le texte portant ce titre est connu depuis 179013. Il est examiné en détail avant la seconde guerre mondiale par Paul BtnnonEAF14, qui en publie un fac-simile à partir de l’original qu’il a consulté aux archives de l’Etat prussien à Düsseldorf.
Ce document relate dans sa première partie la donation d’un domaine situé à leeuw-Saint-Pierre — Sint-Pieters-leeuw, à côté de hal(le), au sud de Bruxelles — par une dame nom-mée Angèle, dont on ne sait rien par ailleurs, à l’église Saint-Pierre de Cologne en 819, cinq ans après la mort de Charlemagne.
Conservé par une copie du XVesiècle (ou de la fin du XIVe), ce texte contient un ajout que  le jeune historien Paulo Charruadas  situe vers 1050-1100 après avoir exa- miné les thèses de ses prédécesseurs les  plus récents15. on y trouve deux préci- sions essentielles pour notre sujet :
 Seconde partie de laDonatio Angelae, ajoutée au texte original du début du IXesiècle  d’après lefac-simile   la fin de l’article de Paul Bpublié àenonafnt.
1.1.1. unesilva comunis(sic !) appelée Soniapremière mention connue de Soignes, jouxte ce domaine. Soignes a donc achevé au XIesiècle de se distin-guer de laCarbonaria silva,forêt Char-bonnière, qui devait s’étendre, selon les dernières recherches, entre les villes ac-tuelles de Bruxelles et de thuin — le long durivulus tornapa(ruisseau appelé tourneppe, Dworp en néerlandais mo-derne). les habitants du domaine de leeuw peuvent y prélever librement le bois dont ils ont besoin ainsi que les glands jonchant le sol.
1.1.2. unesilva dominiprolonge cette forêt d’accès libre, propriété privée où il leur est interdit d’exploiter les chênes et les hêtres qui s’y trouvent — ce qui sous-entend qu’ils peuvent le faire pour les autres essences qui s’y trouveraient — mais ils peuvent y récolter les glands.
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lexpression silva comunis,forêt ouverte à tous, évoque une forêt primaire, où l’intervention éventuelle de l’homme n’est que marginale; les habitants du domaine de leeuw y bénéficient d’un droit d’usage quasi illimité, qui leur est apparemment réservé. Il n’en est pas de même dans lasilva domini,— sans doute les comtes de louvain. Ceux-ci s’in-la forêt du seigneur sinuent progressivement dans l’ancien pagus Bracbatensis carolingien à coups d’acquisitions foncières, grâce aux revenus et au prestige que lui procure la maîtrise de l’ancien fiscus ca-rolingien leur permettant de rallier progressivement des puissants de la région. Même très générales, ces dispositions suggèrent qu’une partie au moins de la forêt de Soignes serait soumise à un embryon de gestion.
1.1.3. le hêtre apparaît donc bien dans ce texte comme une essence indigène poussant spontanément en Soignes, avec le chêne, mais sans y être nécessairement l’espèceclimax, c’est-à-dire la plus stable dans un contexte donné, celle qui domine naturellement hors in-tervention humaine.
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Chapitrei.2. Depuis quandy a-t-il des hêtres en soignes ?
Si aucun document historique antérieur à laDonatio angelaesur la présence du hêtre en Soignes n’a été découvert depuis la publication de ce texte, la palynologie16permet cepen-dant de situer l’apparition du hêtre dans nos régions beaucoup plus tôt.
1.2.1. l’hétérogénéité édaphique17de l’Europe occidentale pose cependant un problème dans la mesure où les analyses polliniques sont fatalement localisées, ce qui pose la question de la validité de leurs résultats hors du milieu où elles ont été effectuées. Par exemple, une analyse de pollens fossiles effectuée à Auderghem a permis d’y détecter la présence d’une chênaie assez clairsemée riche en hêtres sur sol sablonneux.
1.2.2. le sol de Soignes étant essentiellement limoneux, peut-on transposer ce résultat à l’ensemble de la forêt ? Dans la véritable encyclopédie de la forêt de Soignes qu’il a publiée il y a 15 ans, le forestier DickVAn DERBEnsitue les premiers hêtres dès le tertiaire, mais ils seront anéantis par les glaciations du Quaternaire et de toutes façons, ce ne sont pas encore desfagi sylvaticae! Il situe la recolonisation progressive de nos régions par ceux-ci à partir de 6.000 environ dans le sud de ce qui sera la France pour atteindre ce qui sera la Moyenne Belgique vers 2.000, du moins sur les sols sableux, ne s’insérant que plus tard et plus partiellement dans les chê-naies occupant les sols limoneux, de loin majoritaires18.
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S’interrogeant sur la paléobotanique de Soignes, Albert no ESIlAFRIy situe l’arrivée du hêtre et du charme il y a 2500 à 3000 ans, soit entre 1000 et 500 a.C19. C’est l’époque que retient un article récent20biologique et écologique des hêtraies européennes etsur l’adaptation wallonnes. le sommaire publié sur le site de la revue qui le publie résume particulièrement bien les caractéristiques de l’espèce en restant à la portée du profane : “Lehêtre est une es-pèce dite jeune, au premier stade de son évolution. et malgré son image d'epinal en forêt de Soignes, le hêtre est typiquement une espèce de montagne. Dans l'aire montagnarde de répartition du hêtre européen, les conditions de débourrement sont idéales. Le froid et les gelées sont présents dès no-vembre pour lever facilement la dormance. La température remonte rapidement au printemps, de plus, le maximum de précipitation s'observe lorsque les températures mensuelles moyennes sont également maximales. Sous ces conditions, le cycle n'a pas de contraintes climatiques. Il faut dissiper certaines incertitudes concernant l'évolution du hêtre en europe, compte tenu de l'ample capacité d'adaptation de ses populations.Fagus sylvaticaest une espèce récente, qui 'a n pas encore évolué en sous- espèces adaptées aux conditions écoclimatiques particulières”.
 iiepartie. Les principes de gestion de la forêt de soignes jusqu’à la fin de l’ancien régime
Chapitre ii.1. Premières traces de gestion sous les comtes de Louvain  devenus ducs de Brabantet leurs successeurs bourguignons                             (XIIe-XVesiècles)
II.1.1. Administration.
II.1.1.1. la formation d’une administration forestière spécifique21est attestée en Bra-bant à partir de 1132 :
II.1.1.1.1. d’abord des ir,iseatfroagents ducaux pas toujours forestiers au sens actuel d’ailleurs, ce qui doit inciter à la prudence dans l’interprétation des do-cuments. Ils doivent apparaître sur le terrain sinon dans les archives conservées dès qu’il y a des coupes réglées, c’est-à-dire dès l’époque de laDonatio angelae, environ 50 ans plus tôt donc;
II.1.1.1.2. uner eestwmduoforêts, parfois traduit dans l’hybride ‘waut-(maître des maître’) apparaît épisodiquement entre le milieu du XIIIesiècle et 1351, moment où la charge devient régulière; son rôle est alors de définir les zones de coupe, leur prix et les corvées de transport imposée aux monastères;
II.1.1.1.3. un lieutenant-forestier le seconde et éventuellement le remplace spo-radiquement pendant le dernier quart du XIVesiècle; la charge devient perma-nente pendant le premier quart du XVe;
II.1.1.1.4. des fonctions subalternes (haeckmeester = porte-croc, chargé du mar-quage des arbres des coupes, apparu lui aussi dans la seconde moitié du XIVe siècle et officialisé en 1408;inwilgnvtleet remse= maître des chablis — chargé de marquer et de vendre les arbres endommagés par une cause naturelle (vent, neige…) — créé en 1411, mais dont les fonctions sont abolies en 1474, le porte-croc se chargeant du marquage, le receveur général du Brabant de la vente. Sa fonction est rétablie de 1513 à 1607, mais uniquement pour le mar-quage.
II.1.1.2. Parallèlement à l’administration des forêts se dessine une administration de la chasse, elle aussi d’abord au niveau local et en vue de gérer la faune. Ainsi se déve-loppent les fonctions de grand veneur (cité en 1294) — qui ne cesse d’accroître ses pouvoirs et donc son prestige au fil du temps — de fauconnier, de loutrier, de louve-tier, etc. Ce n’est qu’après 1356 — au plus tard en 1378 — qu’apparaît la fonction de ‘warantmeester’ (maître des garennes, traduit par le terme bourguignon ‘gruyer’ à partir
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d’Antoine de Bourgogne) chargé de protéger le gibier contre les braconniers. Au dé-part indépendant du grand veneur, son titulaire finira par devenir son lieutenant.
II.1.1.3. Cette fonction découle des privilèges de chasse accordés aux Brabançons par la Joyeuse Entrée, charte concédée en 1356 par la duchesse Jeanne et son époux Wenceslas pour se faire reconnaître comme autorité légitime dans le conflit les op-posant au comte de Flandre louisDEMAElE. Inversant le système préexistant la chasse est réservée aux ducs avec quelques dérogations individuelles — la Joyeuse Entrée accorde une liberté totale pour la chasse au lièvre et au renard, réservée aux nobles et bourgeois pour le gros gibier, elle limite le privilège de chasse ducal à cinq garennes22, dont la principale est la forêt de Soignes augmentée de la Franche Garenne qui l’entoure sur 2 à 3 km de large environ; les propriétaires privés y voient leur droit de propriété sérieusement amputé par le monopole ducalalors que la faune — les sangliers surtout, mais pas uniquement — cause de gros dégâts à leurs cultures. Voilà certes une raison majeure de l’importance accordée à la forêt de Soignes par les ducs de Brabant qui explique pourquoi ils l’ont préservée au maximum jusqu’à la  fin de l’Ancien Régime. Il faut donc délimiter ces  garennes et faire respecter ces limites par des  gens qui n’en ont pas la moindre envie, au  contraire ! C’est d’ailleurs ce qui explique des  abornements d’abord partiels (rondepeael nà  Waterloo) — le premier connu concernant le  bois de Fond-Roy à uccle en 1197 — puis  l’abornement général décidé en 1520 sous  Charles Quint et entrepris sur le terrain à partir  de 1523. un abornement de la Franche Garenne  est envisagé à la fin du XVIIesiècle et finalement  réalisé sous Marie-thérèse en… 1768, très tard  donc, quasiment à la fin de l’Ancien Régime seu- lement23.
 En plein centre de Waterloo  (coin de la chaussée de Bruxelles et de la rue de la Station), ont été placés vers 1975  trois blocs de pierre au sommet arrondi  provenant du lieu-dit proche ‘Aux trois sapins’, à la lisière de la forêt jusque dans les années 1830  (selon Lucien GErkE, ancien conservateur  du musée communal de Waterloo).
 L identification de ces blocs avec le premier type de borne délimitant le domaine des ducs de Brabant en forêt de Soignes est donc  plausible, sans être certaine.  © Michel MAziErS
II.1.1.4. Devenue très âgée, surtout pour l’époque — elle est née en 1322 — et dépour-vue d’héritiers directs, la duchesse Jeanne ins-talle comme successeur en 1404 son petit-neveu Antoine de Bourgogne, fils cadet de Philippe le hardi, et donc frère de Jean sans Peur et oncle de Philippe le Bon.
II.1.1.5. A peine en fonctions, celui-ci crée la Chambre des Comptes chargée de vérifier la comptabilité des hauts fonctionnaires ducaux et,
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à la mort de la duchesse (1406), de veiller sur l’ensemble de la comptabilité du duché. D’emblée, cette institution se pose en défenseur acharné de Soignes, poule aux œufs d’or des finances ducales, à qui elle fournit un quart de leurs ressources24.
II.1.2. Gestion.  II.1.2.1. Peu après la concession de la Joyeuse Entrée est publié — entre 1380 et 1390  — le premier code forestier de Soignes (Cuerboeckvan Zoenien),avec deux ajouts au  début du XVesiècle, le tout étant compilé entre 1422 et 1428. l’analysant en détail et  le traduisant en français, l’historienne fraîchement émoulue laura GoDEAudécèle dans  l’apparent désordre de cette collection de mesures — réglementant le travail des ou- vriers forestiers ainsi que les délits commis en Soignes par les riverains et les mar- chands de bois — des groupements de ces articles par métiers. Elle corrige aussi les  dates 1300 (page de couverture, dans une écriture du XIXesiècle) et 1371 (avancée  par Sander PIERRondans la première édition de sonHistoire de la forêt de Soigne (sic ! Voir note 4) — publiée en 1905, où il analyse longuement les).ekenruobeK         Sous les fils et successeurs d’Antoine de Bourgogne — Jean IV et Philippe de Saint- Pol — sont rédigés les deux ajouts au code initial signalés ci-dessus.
II.1.2.2. une seconde version, beaucoup plus complète et mieux structurée, est mise au point en 1460, sous Philippe le Bon, dans le sillage de ces premiers ducs de Bra-bant non indigènes.
II.1.2.3. la troisième version, adoptée en 1565 sous Philippe II — fils et successeur de Charles Quint sauf pour ses possessions d’Europe centrale et pour le titre impérial allant à son frère Ferdinand — détaille et renforce les prescriptions des précédents; des ordonnances ultérieures en répètent les dispositions. Précisions et caractère ré-pétitif suggèrent que son application est assez élastique; il reste pourtant en vigueur jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
II.1.2.4. un code à l’autre sont renforcées les réglementations destinées à limiter D’ les droits d’usage (diverses formes de pâturage, prélèvements de bois), tolérables tant que la pression démographique des riverains reste faible, mais devenant insupporta-bles pour les ducs depuis les accroissements de population et défrichements consé-cutifs des XIIe-XIIIesiècles. Des zones sont mises en défens25: les coupes récentes où pacage, panage et glandée sont interdits pour empêcher que les animaux broutent les jeunes pousses, mais sans grande efficacité, à en juger par le nombre d’amendes régu-lièrement infligées pour des délits toujours renouvelés, et souvent mal perçues du fait de l’insolvabilité de nombreux contrevenants. le tassement du sol par ces bestiaux (plus de 2400 enregistrés certaines années, sans compter les “clandestins”) ne doit pas favoriser la régénération naturelle non plus. Plus lourdement sanctionnées, les in-terdictions de prélever du bois sur pied n’en sont pas mieux respectées. En outre, les essences de bois ne sont jamais précisées; dans le meilleur des cas, les codes forestiers
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distinguent des bois de qualité, des bois de charpente, de charronnage, etc. mais sans citer d’espèce d’arbre. Seule exception : les peines infligées à ceux qui abattraient il-légalement un chêne ou un hêtre sont plus lourdes que pour les autres essences. Ce qui ne permet pas de déterminer l’importance numérique de ces essences nobles, mais confirme leur importance qualitative, en tout cas à l’époque où ces codes sont rédigés26.
II.1.3. Exploitation.
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 II.1.3.1. Coupes. Si loin qu’on puisse remonter dans l’histoire de son exploitation, la  forêt de Soignes n’est pas soumise à des coupes anarchiques, comme l’ont cru il y a  plus d’un siècle le garde général huBERty27et le sous- inspecteur henri CollEAuX28, mais à des coupes ré- glées, fixées empiriquement. Comme aujourd’hui, les  arbres sont vendus sur pied. D’abord opérées de gré  à gré, les ventes se font aux enchères à partir de  1430-1440. on coupe annuellement en théorie 54  bonniers29, en pratique entre 45 et 65 bonniers —  selon les ventes dont on a conservé les comptes —  au XVesiècle. C’est sans doute déjà la méthode du  tire-et-aire qui est appliquée, comme elle le restera  jusqu’au début du XXesiècle : coupes à blanc sur de  grandes surfaces réparties en plusieurs endroits de  la forêt — pour toucher un maximum d’acquéreurs  potentiels — en laissant en place des arbres de haute  tige (baliveaux) pour permettre la régénération na- turelle et obtenir à la coupe suivante les arbres de  plus grand diamètre dont ont besoin les charpen- tiers, constructeurs de bateaux, ébénistes...30                                                    Ces baliveaux doivent être choisis en fonction de  leur vitalité telle qu’on peut en juger, mais sans doute  aussi selon l’essence qu’on souhaite privilégier; le fait  de partir d’essences existant spontanément à un en- droit a l’avantage d’éviter tout risque d’y implanter  des essences inadaptées en fonction du sol ou de mi- croclimats éventuels, données qu’on ne maîtrise pas  encore. Cette possibilité de privilégier certaines es-   Principe des coupes annuelles adossées                                                    sences — à long terme comme toujours en foreste-du tire-et-aire au XViiiesiècle : chaque laye (division de la forêt destinée à l’or-en tout cas d’une volonté de gestionrie — témoigne  ganisation des coupes) est subdivisée en lots                                                    active précoce. Chaque coupe annuelle s’adosse à la(AGr, Etats de Brabant, carton 328). © Ed. Mardaga, La forêt de Soignes. Connais-précédente, progressant de proche en proche jusqu’à  sances nouvelles pour un patrimoine d’avenir,                                                    ce qu’on revienne à la coupe initiale; le temps écoulé2009, p. 54)
entre celle-ci et le retour des bûcherons au même endroit — ce que les forestiers appellent ‘la révolution’ — est alors de 80 ans. les comptes conservés sont trop la-cunaires et la toponymie souvent trop vague ou trop différente de la toponymie ac-tuelle pour s’assurer que les coupes successives se font bien de proche en proche dès le XVesiècle, mais les indices dont on dispose plaident en ce sens et plusieurs or-donnances de Charles Quint indiquent que la pratique du tire-et-aire, largement at-testée de son temps, existe depuis longtemps (voir II.2.3.3.). Cette régularité précoce des programmes de coupe est néanmoins entachée par les coupes extraordinaires, très fréquentes et parfois même supérieures aux coupes ordinaires, par exemple en 1428 et 1429. Si couramment pratiquée de nos jours, du niveau communal à celui de l’Etat, la technique des budgets ordinaires respectant scrupuleusement l’orthodoxie financière, mais doublés de budgets extraordinaires la négligeant complètement est donc l’héritière d’une longue tradition…!
II.1.3.2. Essences. les comptes mentionnent les superficies vendues à chaque acqué-reur, mais pas les essences qu’on y trouve. Ils précisent cependant si les coupes con-tiennent dutremyhout (bois de charpente) ou seulement du taillis, de moindre valeur mais indispensable pour les usages quotidiens du bois (chauffage, cuisine, fabrication d’ustensiles divers tels que les balais et de charbon de bois). Comme le confirmeront les premières images de Soignes (voir II.2.1.), la forêt doit donc être composée pour sa plus grande part d’une futaie assez claire pour laisser se développer du taillis ou de multiples plantes sous les grands arbres. les chablis sont vendus séparément; les comptes du maître des chablis indiquent qu’il s’agit essentiellement de bouleaux et de bois blancs. Sans doute chênes et hêtres endommagés sont-ils vendus comme s’ils avaient été récemment abattus, donc peu après leur chute, avant qu’ils dépérissent.
II.1.3.3. le bois de charpente destiné aux bâtiments ducaux est prélevé directement en forêt, hors coupes régulières, selon les besoins. très variables d’une année à l’autre, donc, ces prélèvements concernent surtout le chêne, le hêtre ne venant que loin der-rière. Exceptionnellement — par exemple lors des travaux d’agrandissement du palais ducal de Bruxelles dans les années suivant l’avènement comme duc de Brabant de Philippe le Bon, déjà comte de Flandre et occupé à rassembler les principautés qui vont former ce qu’on appelait alors les Pays-Bas — il faut faire appel à du bois venant de plus loin, même amené par bateau à Anvers (notamment du bois d’ébénisterie da-nois) : nouvelle confirmation de l’insuffisance relative du chêne et du hêtre en Soignes quand il faut faire face à un pic de consommation. Dernière preuve : des recherches archéologiques récentes en Région de Bruxelles-Capitale ont fait découvrir l’emploi d’essences autres que le chêne (frêne, fruitiers même…) dans la charpenterie de bâ-timents dont les propriétaires ne peuvent compenser le manque de bois de chêne provenant de Soignes par des achats à l’extérieur dont le coût doit être exorbitant du fait des possibilités de transport de l’époque (chemins de terre, traction chevaline ou bovine, voies d’eau navigables peu nombreuses…).
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