Le vocabulaire d Alfred Jarry - article ; n°1 ; vol.11, pg 307-322
17 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le vocabulaire d'Alfred Jarry - article ; n°1 ; vol.11, pg 307-322

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
17 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1959 - Volume 11 - Numéro 1 - Pages 307-322
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1959
Nombre de lectures 98
Langue Français

Extrait

A. Carey Taylor
Le vocabulaire d'Alfred Jarry
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1959, N°11. pp. 307-322.
Citer ce document / Cite this document :
Carey Taylor A. Le vocabulaire d'Alfred Jarry. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1959, N°11. pp.
307-322.
doi : 10.3406/caief.1959.2155
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1959_num_11_1_2155LE VOCABULAIRE D'ALFRED JARRY
Communication de M. A. CAREY TAYLOR
(Birbeck College, University of London)
au Xe Congrès de l'Association, le 23 juillet 1958
Tout le monde connaît le premier mot de la pièce
Ubu Roi. Cette déformation du « mot de Cambronne »
est sans doute une forme populaire, qu'on pourrait com
parer à la prononciation robre pour robe, du parler
parisien. La terminaison -rdre lui donne une sonorité
et une truculence qui ont dû faire la joie des potaches
du lycée de Rennes à qui Jarry Га sans doute
empruntée.
Ce mot, qui fit scandale lors de la première représen
tation d'Ubu Roi, donne le ton de ce que l'on pourrait
appeler la première couche du vocabulaire de cette série
de saynètes dans lesquelles Jarry et ses camarades se
moquaient de leur professeur de physique. Le comique
de ces petites pièces, comme il convient à l'âge de leurs
jeunes auteurs, est basé sur des situations scabreuses
où dominent les images scatologiques, images qui devin
rent pour Jarry le symbole de ce qu'il y a de bestial
dans la condition humaine.
Jarry entra au lycée de Rennes en 1888, un mois
après son quinzième anniversaire. Mais il écrivait déjà
depuis plus de deux ans et était l'auteur de toute une
série de poèmes et d'ébauches de comédies en vers,
composés pour la plupart pendant l'été de 1886, quand
il n'avait pas encore treize ans. Dans tous ces écrits
le comique est presque exclusivement d'ordre scatolo- 308 A. CAREY TAYLOR
gique. Ce qui fascinait surtout Jarry à cette époque
c'était la pompe des vidangeurs, que ses camarades de
classe, ou peut-être les habitants de la ville, avaient
baptisée « la pompe Rouget », d'après le nom de son
inventeur.
Affublée de noms savants tirés du grec ou du latin
(où Jarry excellait), elle joue un rôle très important
dans quatre poèmes. L'Antliade, c'est-à-dire l'épopée de
la pompe (dérivée du grec, àvxXia , dont Jarry tirait
une forme latine douteuse, antlium), décrit une lutte
homérique entre deux équipes d'écoliers, dont les uns
étaient armés de « pompes », tandis que les autres lan
çaient de l'encre :
Les Antliatores, commandés par Pigeaux,
Agitaient de plus belle et pompes et tuyaux.
Les jets de l'Antlium, les gouttes d'encre noire
Diapraient tout le monde comme un voile de moire...
Enfin, les deux partis, épuisés et vaincus,
Se dirent que jamais ils ne se battraient plus (1)
Tandis que le mot Antliatores, employé dans ce texte,
est de pure formation latine, le titre d'un autre poème,
Les Antliaclastes (2) est de dérivation grecque. Enfin,
l'imagination de Jarry transforme la « pompe » en une
espèce d'orgue mécanique auquel il donne le nom grec
de taurobole, et qui prend place dans la Grande Pro
cession du chœur d'estime :
Le taurobole vient avec ses cinq pompeurs,
Qui, pour souffler dedans, n'épargnent ni sueurs
Ni coups de grande clef. Oh ! quel zèle estimable !
Voyez cet appareil... mais chacun le connaît,
Et chacun apprécie une pompe Rouget (3)
Jusqu'ici personne n'a pu expliquer le choix de ce
nom pour l'instrument de musique imaginé par Jarry
et ses camarades de classe. Le glouglou de la pompe les
faisait peut-être penser au jaillissement du sang d'un
taureau sacrifié par les prêtres de Cybèle.
(1) Mercure de France, 1" déc. 1951, Maurice Saillet, Ecrit à
douze ans, p. 395.
" . (2) Manuscrit inédit dans la collection du Mercure de France.
(3) Cahiers du club de pataphysique, n° 19, nov. 1955. A. CAREY TAYLOR 309
Dans plusieurs des fragments de comédies en vers
il s'agit d'un personnage nommé Sicca : c'est la forme
latinisée de Crotte-Sèche, surnom du surveillant génér
al (4). Jarry garda longtemps cette habitude d'em
ployer ou de forger des termes d'origine grecque ou
latine, surtout pour des noms de personnages ou des
titres d'ouvrages, comme nous allons le voir par la
suite.
Quand Jarry arriva à Rennes, un des professeurs de
physique du lycée, M. Hébert, était déjà depuis long
temps l'objet des sarcasmes de ses élèves. Tout le monde
y mettait du sien, mais c'étaient surtout les frères
Henri et Charles Morin qui avaient contribué à créer
la légende de celui qu'ils appelaient le Père Heb ou le
P. H. Ils avaient écrit toute une série de pièces qui cons
tituaient en quelque sorte le mythe de ce personnage
extravagant.
Bientôt après son arrivée, Henri Morin montra à
Jarry le manuscrit de la dernière et plus importante de
ces pièces : les Polonais, qui enthousiasma tellement
celui-ci qu'il engagea son camarade à la faire représent
er. Ce fut l'origine du Théâtre des Phynances, monté
d'abord chez les Morin et ensuite chez Jarry, et où l'on
joua non seulement les pièces des deux frères, mais
aussi celles que Jarry composa par la suite, dont les
unes font partie du cycle « perhébertique », pour em
ployer l'adjectif inventé par l'auteur lui-même, et dont
les autres se moquaient d'un autre professeur, proba
blement M. Périer, qui s'intéressait beaucoup aux
polyèdres.
Dans ces dernières pièces, Les Fœtus de M. Lesoul (5)
et Les Alcoolisés, opéra-chimique (6), nous trouvons un
nouvel élément du vocabulaire de Jarry : l'emploi de
termes scientifiques et techniques, procédé dont nous
parlerons plus tard.
Onêsime, ou les Tribulations de Priou (7), composé
probablement en 1889, contient déjà une grande partie
du vocabulaire caractéristique d'Ubu Roi. Ce que j'ai
(4) Mercure de France, 1" déc. 1951, p. 386.
(5) Cahiers du club de pataphysique, n° 7, sept. 1952.
(6) Id., n° 8-9, janv. 1953.
(7)n° 20, mars 1956. 310 A. CAREY TAYLOR
appelé la première couche de ce vocabulaire est consti
tué presque exclusivement par « le mot d'Ubu », si
j'ose créer un nouvel euphémisme pour le désigner.
Ce mot, déjà doté de sa terminaison en -rdre, est
employé dans toutes les combinaisons imaginables, et
dans la scène du savetier prolifère une enumeration
dont Rabelais aurait presque rougi (8).
Le deuxième élément de ce vocabulaire est tiré de
l'argot spécial des condisciples de Jarry, argot dont il
est presque impossible de retracer l'histoire. Il suffît de
nous rappeler l'explication proposée par un des cama
rades de classe de Jarry de l'expression côtes de rastron
qui se trouve dans la troisième scène du premier acte
d'Ubu. Roi : « un élève qui habitait rue du Chapitre, à
Rennes, fut baptisé chapistron, et par abréviation: chas-
tron ; par analogie, son voisin... devint le rastron » (9).
Cette explication a de fortes chances d'être exacte, mal
gré le fait que, dans V Amour absolu, le mot se trouve
parmi les noms que le petit Emmanuel donnait aux
animaux de son arche de Noé : « Rakirs et rastrons
furent les plus beaux, dont lui-même oublia
le sens, les seconds peut-être d'abord Ratatrompes, ho
norés de la préjonction de Monsieur. » (10). Ce passage
nous porterait à croire que Jarry lui-même avait oublié
l'origine du terme.
Sauf découverte d'autres explications de ce genre
données par des contemporains, nous ne saurons donc
jamais l'origine de ces termes si expressifs, giborgne et
gidouille, qui se trouvent à chaque page d'Ubu Roi, ou
de boudouille qui remplace quelquefois gidouille. Quant
à l'autre variante, bouzine (11), elle pourrait provenir
de Rabelais, qui employait ce mot dans le sens de corne
muse, instrument dont la forme rappelle suffisamment
la gidouille d'Ubu.
C'est sans doute aussi à l'argot du bahut de Rennes
qu'il faut rattacher les déformations oneille pour oreille,
et tu

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents